Ce mois qui s’ouvre par la fête de tous les saints suscite quelques questions.
Comment saint Christophe, que vous invoquez quand vous prenez votre voiture, peut-il vous entendre ? Comment saint François, saint Joseph ou sainte Philomène peuvent savoir qu’on a déposé un cierge devant leur statue ? En ce mois qui s’ouvre par la fête de tous les saints, nous voudrions répondre à ces questions, en rappelant d’abord ce qu’est le Ciel.
Le Ciel consiste à voir Dieu, par lequel et pour lequel nous sommes faits. Saint Paul enseigne : Nous voyons maintenant à travers un miroir, en énigme, mais alors nous verrons face à face (1 Cor 13, 12). Saint Jean précise : Nous le verrons tel qu’Il est (1 Jn 3, 2). Nous verrons, mieux nous connaîtrons Dieu : La vie éternelle, dit Notre Seigneur Jésus Christ, c’est qu’ils vous connaissent, vous le seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus Christ (Jn 17, 3).
Le pape Benoît XII, en 1336, a déclaré infailliblement, dans sa constitution Benedictus Deus, que les âmes des élus « voient l’essence divine d’une vision intuitive, et même face à face. […] L’essence divine se manifeste aux élus immédiatement à nu, clairement et à découvert. » Quel est l’effet de cette vision ? « Les âmes des élus jouissent de cette même essence divine […] et, en raison de cette vision et de cette jouissance, les âmes de ceux qui sont déjà morts sont vraiment bienheureuses et possèdent la vie et le repos éternels. » Le catéchisme du concile de Trente enseigne : « Cette félicité est si grande que personne, excepté les saints eux-mêmes, ne saurait s’en faire une juste idée. »
Sainte Thérèse d’Avila a été gratifiée d’une vision du Ciel alors qu’elle était encore sur terre. Elle écrit dans son autobiographie : « Les premières personnes que j’y vis furent mon père et ma mère. Ces lumières ont banni de mon cœur, en très grande partie, une crainte fort vive que j’avais toujours eue de la mort. Mourir me semble maintenant la chose du monde la plus facile pour l’âme fidèle à Dieu puisque, en un moment, elle se voit libre de sa prison et introduite dans le repos. J’appris aussi à connaître quelle est notre véritable patrie, et à regarder cette vie comme un pèlerinage. C’est un grand avantage d’avoir vu ce qui nous est réservé là-haut, et de savoir où nous sommes appelés à habiter. Celui qui doit aller s’établir dans une contrée lointaine trouve un puissant secours, pour supporter les fatigues du voyage, dans la connaissance du pays où il doit mener une vie pleine de repos. »
Ce bonheur du Ciel est-il immédiat ou faut-il attendre la fin du monde pour en bénéficier ? Le pape Benoit XII répond car des erreurs avaient surgi sur ce sujet. Les âmes en état de voir Dieu n’ont pas à attendre la résurrection de la chair et le jugement général : toute âme séparée qui n’a plus à être purifiée voit Dieu, et cela depuis la Rédemption acquise par Notre Seigneur Jésus-Christ.
Une autre question se pose : mais comment des âmes humaines, finies, peuvent-elles voir Dieu, infini ? Par nature, l’âme humaine est incapable de s’élever jusqu’à la vision de Dieu. Cela excède ses capacités naturelles, et Dieu relève de l’ordre surnaturel. C’est un peu comme voir en pleine nuit : ça n’est pas possible pour l’œil humain, à moins d’avoir des lunettes spéciales. Pour voir Dieu, c’est Dieu lui-même qui élève les âmes à cette vision, en infusant dans l’intelligence un don, appelé la lumière de gloire. De la même façon que par le baptême, la vertu de foi est infusée dans l’intelligence, de la même façon, pour voir Dieu, il nous faut recevoir la lumière de gloire dans la même puissance de l’âme. Or cette lumière de gloire est donnée comme récompense aux élus morts en état de grâce. Ceux qui n’ont pas fait la volonté de Dieu sur terre, et qui par conséquent n’ont pas la grâce sanctifiante, ne peuvent recevoir cette lumière de gloire, et donc ne peuvent voir Dieu. Et c’est en cela que consiste la plus grande peine de l’Enfer : être privé de la vision de Dieu. Pour toujours.
Mais revenons à notre question de départ : ces saints, qui ont la lumière de gloire et qui voient Dieu, comment peuvent-ils entendre nos prières ? Nous demanderons la réponse à … un saint, saint Thomas d’Aquin. Il écrit que les saints font du bien sur la terre en qualité d’intercesseurs, de médiateurs entre Dieu et les hommes. « C’est une loi établie par Dieu que les êtres les plus éloignés de Lui, soient ramenés à Lui par les plus proches. » Les saints ont donc un rôle à jouer pour ramener les hommes de la terre vers Dieu. « Ça n’est pas par impuissance que Dieu se sert d’intermédiaires humains, mais pour une plus grande perfection de l’univers. (…) Certains êtres reçoivent de Dieu non seulement d’être bons en eux-mêmes, mais d’être causes que d’autres le soient. » Cette intercession fait partie du bonheur des saints. « C’est un élément de leur gloire, que de prêter leur assistance à ceux qui en ont besoin pour être sauvés ; ainsi deviennent-ils les coopérateurs de Dieu. » Saint Thomas pose alors la question qui nous intéresse : « Les saints connaissent-ils les prières que nous leur adressons ? » Il répond avec un principe : « L’essence divine est un moyen suffisant pour connaître toutes choses. » Cela signifie qu’en voyant Dieu, on peut, en Dieu, voir toutes choses. Dieu est la cause de toutes choses ? En voyant la cause, on peut voir ses effets. Dieu est le principe de tout ? En voyant le principe, on peut en voir les conséquences. Parce que les saints voient Dieu, ils connaissent, entendent nos prières. Saint Thomas d’Aquin ajoute : « Puisque les saints sont nos intercesseurs, il est évident qu’ils connaissent ce qui est exigé pour cet office, évident par conséquent qu’ils voient en Dieu les vœux, les prières, les pratiques pieuses des humains qui implorent leur secours. »
Le Père Garrigou-Lagrange, dans son livre L’éternelle vie et la profondeur de l’âme, écrit : « Chaque saint voit ceux qui sont encore sur la terre ou au Purgatoire et qui ont un rapport spécial avec lui. Par exemple, un père et une mère de famille connaissent les besoins spirituels de leurs enfants qui sont encore ici-bas ; un ami arrivé au but de sa course connaît de même ce qui peut faciliter le voyage des amis qui s’adressent à lui. » Donc oui, saint Christophe que l’on invoque avant de prendre la route, nous entend ! Saint François, saint Joseph et sainte Philomène connaissent les demandes que nous leur adressons, appuyées par l’utilisation d’un cierge.
Aimons donc prier les saints qui nous entendent. En ces temps de crise dans l’Église, soyons rassurés de savoir que nous ne sommes pas seuls, qu’il y a au Ciel une foule immense que personne ne peut dénombrer (Ap 7, 9). Prions la Très Sainte Vierge Marie qui a dit à Fatima : « Je suis du Ciel. » Pour la rejoindre et rejoindre les saints, faisons les cinq premiers samedis du mois en l’honneur du Cœur Immaculé. Notre Dame a dit de ceux qui auraient cette dévotion : « Je promets de les secourir à l’heure de la mort, avec toutes les grâces nécessaires au salut. »
Source : Lou Pescadou n° 215 – novembre 2021