N’est-il pas digne du plus grand respect celui qui, ici-bas, a su véritablement vivre en homme ?
De la commémoraison de tous les fidèles défunts aux indulgences plénières accordées, ces jours nous invitent à vénérer nos morts. Ne serait-ce que d’un point de vue naturel, rien n’est plus légitime que ce culte à l’endroit de ceux qui sont morts droitement. N’est-il pas digne du plus grand respect celui qui, ici-bas, a su véritablement vivre en homme ? Qu’on le veuille ou non, la notion de mérite et de démérite est inscrite au cœur de l’homme, et celui-là qui, par son exemple, a su indiquer la voie droite jusque dans la mort, mérite d’être honoré. D’eux, il importe de reconnaître que nous sommes les héritiers, ce en quoi consiste le culte naturel que nous leur rendons. Un tel culte profite d’ailleurs aux vivants, et devient alors culture, laquelle n’est pas autre chose que la fréquentation des leçons laissées par nos morts.
Plus que de simples louanges humaines, ce sont les honneurs divins qui attendent le juste reposant dans la paix du Christ. Telle est la grande révélation chrétienne : le corps de nos défunts est des plus respectables, car au dernier jour il ressuscitera pour la gloire : La trompette sonnera. Alors les morts ressusciteront, incorruptibles, et nous, nous serons transformés. Car ce qui est corruptible doit revêtir l’incorruptibilité, et ce qui est mortel doit revêtir l’immortalité (1 Co 15, 53). C’est enracinés dans cette foi que les chrétiens ont fait du lieu de séjour des morts un “cimetière”, ce qui signifie “lieu de sommeil” ; c’est encore dans la certitude de cette espérance que la liturgie chrétienne encense la dépouille funèbre, lui rendant ainsi un culte qui n’est dû qu’à Dieu.
L’homme d’honneur comme l’homme de foi se retrouvent donc pour vénérer la dépouille mortelle de ceux qui, dignement, les ont précédés. Il faudra attendre nos sociétés matérialistes pour refuser de rendre à la terre ceux qui, de leur vivant, y ont mêlé leur sueur voire leur sang, que ce soit par le socle ou par le glaive. À dire vrai, oser “jeter” un corps à l’incinération – comme on détruit par le feu nombre d’objets devenus inutiles – relève de la plus grande barbarie. Elle dénie à l’homme toute transcendance, qu’elle soit humaine ou chrétienne. Jusque dans la mort, l’homme n’y est considéré que sous un rapport de productivité, et non plus dans la richesse spécifique de son être. On comprend que, des siècles durant, l’Église ait frappé d’excommunication ceux qui incinéraient les morts.
Menée à terme, une telle logique ne peut que conduire à l’euthanasie : comment une société qui méprise ses morts ne serait-elle pas tentée de ne plus respecter ses mourants ? Quels que soient les oripeaux de sentimentalité dont elle couvre ses projets de loi, quels que soient les mensonges dont elle use pour avancer ses pions – on pense au cas de Vincent Lambert – une telle société ne peut cacher au regard lucide l’état avancé de décomposition qui est sien : elle passe de la barbarie à l’inhumanité.
Alors que nos cités, faites de consumérisme et d’immédiateté, s’enfoncent dans une inexorable logique d’autodestruction, tournons-nous pour notre part vers nos morts, qui nous parlent tant du passé que de l’avenir, du souvenir comme de l’Espérance. Avec eux, priant pour eux, tournons-nous résolument vers notre dimension d’éternité, qui seule donne à l’homme sa véritable grandeur.
Source : Lou Pescadou n° 226 – novembre 2022