Via crucis (10) – Jésus est dépouillé de ses vêtements

Nu et humi­lié, Le voi­ci deve­nu comme le jouet de ses enne­mis pour répa­rer nos fautes de sensualité. 

Voici Jésus arri­vé au som­met du cal­vaire, là-​même où dans un ins­tant II va être cru­ci­fié. Voici Jésus arri­vé au som­met de l’humiliation, alors que main­te­nant, on le dépouille de ses vêtements.

Certes, l’épisode est des plus dou­lou­reux. Suite à la fla­gel­la­tion, sa tunique avait été pour le Christ sa seule pro­tec­tion, pan­sant tant bien que mal les lacé­ra­tions de son corps. Et voi­ci que ce vête­ment, col­lé par le sang, on le lui arrache sans ména­ge­ment. Outre la dou­leur ain­si engen­drée, ce sont toutes ces plaies qui à nou­veau s’ouvrent, toutes les souf­frances de la fla­gel­la­tion qui d’un coup se ravivent. À nou­veau, toutes ces bles­sures saignent.

En ces souf­frances ter­ribles, nombre d’auteurs ont vu la répa­ra­tion de nos fautes de sen­sua­li­té. Jésus y expie les hor­reurs des mil­lé­naires qui l’ont pré­cé­dé, les pré­va­ri­ca­tions d’Israël, les orgies de la cor­rup­tion grecque et romaine, les désordres de vingt siècles de chris­tia­nisme, les innom­brables crimes d’aujourd’hui et de demain. Tout cela, Jésus le porte sur lui, en son corps macu­lé de sang, en ces plaies d’un homme inno­cent. Il s’est revê­tu de la malé­dic­tion comme d’un vête­ment, comme l’eau elle entre au-​dedans de lui, comme l’huile elle pénètre ses os (Ps 108, 18–19).

Contemplons donc et ado­rons le Christ dépouillé pour nous, dépouillé afin de nous revê­tir de la robe nup­tiale (Mt 22, 11). Ave verum cor­pus, natum de Maria Virgine : voi­ci Notre-​Seigneur dans la chaste sim­pli­ci­té de l’hostie, prête à être immolée.

Si intense et impor­tante soit-​elle, la souf­france phy­sique reste néan­moins secon­daire au regard de l’humiliation que com­porte cette scène. Ainsi que le sou­ligne le livre de l’Ecclésiastique, le vête­ment d’un homme révèle ce qu’il est (Si 19, 27). Il donne à l’homme sa posi­tion sociale, sa place dans la socié­té ; il le fait être quelqu’un. Être dépouillé en public signi­fie donc, pour Jésus, être consi­dé­ré pour rien, n’être rien d’autre qu’un ban­ni, un exclu ; c’est le mettre en posi­tion de vul­né­ra­bi­li­té absolue.

Ainsi donc, ces hommes dépouillèrent le Dieu incar­né de tout ce dont ils pou­vaient le dépouiller : ses vête­ments bien sûr, mais encore sa digni­té et sa gloire. Lui, le Roi des rois, le créa­teur de toutes choses ; lui, le Dieu incar­né, la Sagesse éter­nelle venue habi­ter par­mi nous par cha­ri­té ; lui, qui en son huma­ni­té est le temple saint de Dieu : le voi­ci mépri­sé par les hommes, reje­té, et humi­lié aux yeux de tous. Avec les Maccabées, il nous faut pleu­rer : Notre temple est deve­nu comme la demeure d’un homme infâme ; les objets pré­cieux qui fai­saient sa gloire, on les a empor­tés comme un butin ; on lui a enle­vé toute sa parure, de libre il est deve­nu esclave (1 Mc 2, 8 ‑11).

Le geste de ces sol­dats qui dépouillent ain­si Jésus est ô com­bien sym­bo­lique de la malice pro­fonde inhé­rente à tout péché. Car le crime du pre­mier Adam, et à sa suite de tous les pécheurs, n’est-il pas pré­ci­sé­ment de dépouiller Dieu autant qu’ils le peuvent ? N’imitent-ils pas ces sol­dats se par­ta­geant les vête­ments de Jésus, lorsqu’ils s’attribuent ce qui n’appartient qu’à Dieu ? Ainsi, si Dieu est infi­ni­ment grand, revê­tu de majes­té et de splen­deur (Ps 103, 1), l’homme pour sa part, à l’instar de l’ange déchu, a éri­gé sa propre digni­té en abso­lu. Si Dieu a la jus­tice pour vête­ment et l’é­qui­té pour man­teau (Jb 29, 14), Adam et tous les pré­va­ri­ca­teurs volent à Dieu le pou­voir de défi­nir le bien et le mal, pour être à eux-​mêmes leur norme suprême. Si enfin la force et la grâce sont la parure de Dieu (Pr 31, 25), le pécheur en sa folie se croit tout-​puissant, et de Dieu se rit : Dans son arro­gance, le méchant dit : Dieu ne punit pas… Jamais je ne serai ébran­lé… Dieu ne voit jamais rien (Ps 10, 4–11). Ainsi donc, le péché, tout péché, dépouille Dieu de la gloire qui lui est due, et là est bien sa plus pro­fonde gra­vi­té. Pour nous le rendre mani­feste, voi­ci Jésus dépouillé de ses vêtements.

Mais à l’homme ain­si pécheur, qu’advint-il ? A nou­veau, le dépouille­ment de Jésus nous le dit ; car ce moment rap­pelle éga­le­ment l’exclusion du pre­mier para­dis. En effet, en Adam déchu, la splen­deur de Dieu dis­pa­rut. Dépouillé de la grâce et des dons divins, sa prise d’indépendance à l’endroit de Dieu l’avait lais­sé là, dénu­dé et hon­teux, expo­sé et sou­mis aux outrages du démon. Il ne pou­vait en être autre­ment : Adam n’était grand que par l’image divine se mirant en lui. Revendiquer son indé­pen­dance reve­nait à se fer­mer à ce divin reflet, et donc à perdre tout ce qui fai­sait sa richesse. Aussi nu qu’impuissant, le voi­ci donc deve­nu le jouet du Malin.

Cet état de nudi­té et de vul­né­ra­bi­li­té, Jésus vou­lut l’endosser, pour répa­rer devant son Père la ter­rible pré­ten­tion du pécheur. Portant jusqu’à l’extrême toutes les consé­quences du péché, Il vou­lut donc être dépouillé, humi­lié, anéan­ti, et comme le jouet de ses enne­mis. Au plus pro­fond de cette misère, Il reste néan­moins la glo­ri­fi­ca­tion par­faite de son Père, et nous mérite ain­si le salut. Désormais, dans la mesure où nous savons pleu­rer nos fautes, Il peut pro­non­cer sur nous, en toute véri­té, les divines paroles annon­cées par le pro­phète : Quitte ta robe de tris­tesse et de misère, revêts pour tou­jours la beau­té de la gloire de Dieu (Baruch, 5, 1).

Un détail, sur­ve­nu au jar­din des Oliviers, avait déjà sou­li­gné cette libé­ra­tion appor­tée par le Christ, bien qu’il ne prenne toute son ampleur qu’à la lumière du dépouille­ment de Jésus. La troupe armée, gui­dée par Judas au sein la nuit, cette troupe ô com­bien sym­bo­lique des puis­sances des ténèbres, venait de mettre la main sur Jésus. Et voi­ci qu’un jeune homme le sui­vait, cou­vert seule­ment d’un drap ; on se sai­sit de lui ; mais il lâcha le drap, et s’en­fuit nu de leurs mains (Mc 14,51–52). Si l’anecdote paraît curieuse, elle n’en est pas moins char­gée de signi­fi­ca­tion. Ce jeune homme qui suit le Christ, et qui en tant que tel repré­sente l’Église, voi­ci qu’il peut se sous­traire aux forces des ténèbres, et repar­tir libre ; pré­ci­sé­ment parce qu’il suit le Christ. Et s’il repart nu, c’est pour indi­quer com­bien il est libé­ré de l’héritage du pre­mier péché, lequel avait obli­gé Adam à se vêtir, en rai­son de sa nudi­té deve­nue hon­teuse. Il quitte donc son vête­ment de honte, car cette honte, le Christ dépouillé la boit jusqu’à la lie, pour nous redon­ner la liber­té des enfants de Dieu.

O Jésus, Vous voi­ci donc dépouillé de tout, qui plus est devant une foule en furie n’éprouvant pour Vous que mépris. En votre chair, appa­raissent d’un coup tous les outrages subis, votre face tumé­fiée, les larmes qui y ont cou­lé, la pous­sière qui s’y est col­lée. O Jésus, vous expiez ain­si nos péchés de chair. Par votre sang qui coule, par votre sueur qui s’y mélange, par vos plaies qui se montrent à nous, purifiez-​nous, étei­gnez en nous la concu­pis­cence, donnez-​nous part à votre pure­té, et redites-​nous : Heureux les cœurs purs, car ils ver­ront Dieu (Mt 5, 8).

O Jésus, Vous qui n’avez eu dans l’étable de Bethléem que des haillons pour vous défendre du froid, et qui consen­tez à mou­rir dépouillé de cette robe sans cou­ture que votre sainte Mère Vous avait tis­sée, dai­gnez nous apprendre à nous dépouiller de notre piteuse cara­pace d’or­gueil, qui est le cœur de tout péché.

O Jésus, par le mérite de votre dépouille­ment, dai­gnez laver nos robes pour les blan­chir en le sang de l’Agneau (Ap 7, 14), en votre propre sang donc. Ainsi, de par vos mérites, vêtus de robes blanches et la palme à la main (Ap. 7, 9), nous pour­rons Vous chan­ter sans fin : Bénédiction, gloire, sagesse, action de grâces, hon­neur, puis­sance et force à notre Dieu dans les siècles des siècles, Amen ! (Ap 7, 12)

Source : Lou Pescadou n° 226

FSSPX

M. l’ab­bé Patrick de la Rocque est actuel­le­ment prieur de Nice. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions théo­lo­giques avec Rome entre 2009 et 2011.