Nu et humilié, Le voici devenu comme le jouet de ses ennemis pour réparer nos fautes de sensualité.
Voici Jésus arrivé au sommet du calvaire, là-même où dans un instant II va être crucifié. Voici Jésus arrivé au sommet de l’humiliation, alors que maintenant, on le dépouille de ses vêtements.
Certes, l’épisode est des plus douloureux. Suite à la flagellation, sa tunique avait été pour le Christ sa seule protection, pansant tant bien que mal les lacérations de son corps. Et voici que ce vêtement, collé par le sang, on le lui arrache sans ménagement. Outre la douleur ainsi engendrée, ce sont toutes ces plaies qui à nouveau s’ouvrent, toutes les souffrances de la flagellation qui d’un coup se ravivent. À nouveau, toutes ces blessures saignent.
En ces souffrances terribles, nombre d’auteurs ont vu la réparation de nos fautes de sensualité. Jésus y expie les horreurs des millénaires qui l’ont précédé, les prévarications d’Israël, les orgies de la corruption grecque et romaine, les désordres de vingt siècles de christianisme, les innombrables crimes d’aujourd’hui et de demain. Tout cela, Jésus le porte sur lui, en son corps maculé de sang, en ces plaies d’un homme innocent. Il s’est revêtu de la malédiction comme d’un vêtement, comme l’eau elle entre au-dedans de lui, comme l’huile elle pénètre ses os (Ps 108, 18–19).
Contemplons donc et adorons le Christ dépouillé pour nous, dépouillé afin de nous revêtir de la robe nuptiale (Mt 22, 11). Ave verum corpus, natum de Maria Virgine : voici Notre-Seigneur dans la chaste simplicité de l’hostie, prête à être immolée.
Si intense et importante soit-elle, la souffrance physique reste néanmoins secondaire au regard de l’humiliation que comporte cette scène. Ainsi que le souligne le livre de l’Ecclésiastique, le vêtement d’un homme révèle ce qu’il est (Si 19, 27). Il donne à l’homme sa position sociale, sa place dans la société ; il le fait être quelqu’un. Être dépouillé en public signifie donc, pour Jésus, être considéré pour rien, n’être rien d’autre qu’un banni, un exclu ; c’est le mettre en position de vulnérabilité absolue.
Ainsi donc, ces hommes dépouillèrent le Dieu incarné de tout ce dont ils pouvaient le dépouiller : ses vêtements bien sûr, mais encore sa dignité et sa gloire. Lui, le Roi des rois, le créateur de toutes choses ; lui, le Dieu incarné, la Sagesse éternelle venue habiter parmi nous par charité ; lui, qui en son humanité est le temple saint de Dieu : le voici méprisé par les hommes, rejeté, et humilié aux yeux de tous. Avec les Maccabées, il nous faut pleurer : Notre temple est devenu comme la demeure d’un homme infâme ; les objets précieux qui faisaient sa gloire, on les a emportés comme un butin ; on lui a enlevé toute sa parure, de libre il est devenu esclave (1 Mc 2, 8 ‑11).
Le geste de ces soldats qui dépouillent ainsi Jésus est ô combien symbolique de la malice profonde inhérente à tout péché. Car le crime du premier Adam, et à sa suite de tous les pécheurs, n’est-il pas précisément de dépouiller Dieu autant qu’ils le peuvent ? N’imitent-ils pas ces soldats se partageant les vêtements de Jésus, lorsqu’ils s’attribuent ce qui n’appartient qu’à Dieu ? Ainsi, si Dieu est infiniment grand, revêtu de majesté et de splendeur (Ps 103, 1), l’homme pour sa part, à l’instar de l’ange déchu, a érigé sa propre dignité en absolu. Si Dieu a la justice pour vêtement et l’équité pour manteau (Jb 29, 14), Adam et tous les prévaricateurs volent à Dieu le pouvoir de définir le bien et le mal, pour être à eux-mêmes leur norme suprême. Si enfin la force et la grâce sont la parure de Dieu (Pr 31, 25), le pécheur en sa folie se croit tout-puissant, et de Dieu se rit : Dans son arrogance, le méchant dit : Dieu ne punit pas… Jamais je ne serai ébranlé… Dieu ne voit jamais rien (Ps 10, 4–11). Ainsi donc, le péché, tout péché, dépouille Dieu de la gloire qui lui est due, et là est bien sa plus profonde gravité. Pour nous le rendre manifeste, voici Jésus dépouillé de ses vêtements.
Mais à l’homme ainsi pécheur, qu’advint-il ? A nouveau, le dépouillement de Jésus nous le dit ; car ce moment rappelle également l’exclusion du premier paradis. En effet, en Adam déchu, la splendeur de Dieu disparut. Dépouillé de la grâce et des dons divins, sa prise d’indépendance à l’endroit de Dieu l’avait laissé là, dénudé et honteux, exposé et soumis aux outrages du démon. Il ne pouvait en être autrement : Adam n’était grand que par l’image divine se mirant en lui. Revendiquer son indépendance revenait à se fermer à ce divin reflet, et donc à perdre tout ce qui faisait sa richesse. Aussi nu qu’impuissant, le voici donc devenu le jouet du Malin.
Cet état de nudité et de vulnérabilité, Jésus voulut l’endosser, pour réparer devant son Père la terrible prétention du pécheur. Portant jusqu’à l’extrême toutes les conséquences du péché, Il voulut donc être dépouillé, humilié, anéanti, et comme le jouet de ses ennemis. Au plus profond de cette misère, Il reste néanmoins la glorification parfaite de son Père, et nous mérite ainsi le salut. Désormais, dans la mesure où nous savons pleurer nos fautes, Il peut prononcer sur nous, en toute vérité, les divines paroles annoncées par le prophète : Quitte ta robe de tristesse et de misère, revêts pour toujours la beauté de la gloire de Dieu (Baruch, 5, 1).
Un détail, survenu au jardin des Oliviers, avait déjà souligné cette libération apportée par le Christ, bien qu’il ne prenne toute son ampleur qu’à la lumière du dépouillement de Jésus. La troupe armée, guidée par Judas au sein la nuit, cette troupe ô combien symbolique des puissances des ténèbres, venait de mettre la main sur Jésus. Et voici qu’un jeune homme le suivait, couvert seulement d’un drap ; on se saisit de lui ; mais il lâcha le drap, et s’enfuit nu de leurs mains (Mc 14,51–52). Si l’anecdote paraît curieuse, elle n’en est pas moins chargée de signification. Ce jeune homme qui suit le Christ, et qui en tant que tel représente l’Église, voici qu’il peut se soustraire aux forces des ténèbres, et repartir libre ; précisément parce qu’il suit le Christ. Et s’il repart nu, c’est pour indiquer combien il est libéré de l’héritage du premier péché, lequel avait obligé Adam à se vêtir, en raison de sa nudité devenue honteuse. Il quitte donc son vêtement de honte, car cette honte, le Christ dépouillé la boit jusqu’à la lie, pour nous redonner la liberté des enfants de Dieu.
O Jésus, Vous voici donc dépouillé de tout, qui plus est devant une foule en furie n’éprouvant pour Vous que mépris. En votre chair, apparaissent d’un coup tous les outrages subis, votre face tuméfiée, les larmes qui y ont coulé, la poussière qui s’y est collée. O Jésus, vous expiez ainsi nos péchés de chair. Par votre sang qui coule, par votre sueur qui s’y mélange, par vos plaies qui se montrent à nous, purifiez-nous, éteignez en nous la concupiscence, donnez-nous part à votre pureté, et redites-nous : Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu (Mt 5, 8).
O Jésus, Vous qui n’avez eu dans l’étable de Bethléem que des haillons pour vous défendre du froid, et qui consentez à mourir dépouillé de cette robe sans couture que votre sainte Mère Vous avait tissée, daignez nous apprendre à nous dépouiller de notre piteuse carapace d’orgueil, qui est le cœur de tout péché.
O Jésus, par le mérite de votre dépouillement, daignez laver nos robes pour les blanchir en le sang de l’Agneau (Ap 7, 14), en votre propre sang donc. Ainsi, de par vos mérites, vêtus de robes blanches et la palme à la main (Ap. 7, 9), nous pourrons Vous chanter sans fin : Bénédiction, gloire, sagesse, action de grâces, honneur, puissance et force à notre Dieu dans les siècles des siècles, Amen ! (Ap 7, 12)
Source : Lou Pescadou n° 226