Le cardinal Suhard, archevêque de Paris, affirma le 17 janvier 1946 que « l’objet premier, central du message de Pontmain, c’est la présentation par la Vierge du crucifix sanglant ». Il précisa qu’il tenait personnellement cette affirmation de trois au moins des heureux voyants.
Au cours de l’une des phases de l’apparition, la sainte Vierge porte dans ses mains une croix de 50 cm de hauteur, couverte du sang divin. Un Christ y est attaché également inondé de sang. Il a la tête un peu inclinée à gauche, nullement penchée, ni en avant ni en arrière. Il apparaît comme mort. La foule partageant alors la tristesse de Notre-Dame se met à chanter le Parce Domine. Puis l’assistance continue par le cantique de pénitence et de réparation : « Mon doux Jésus, enfin voici le temps de pardonner à nos cœurs pénitents. Nous n’offenserons jamais plus votre bonté suprême, ô doux Jésus. Puisqu’un pécheur vous a coûté si cher, faites-lui grâce, il ne veut plus pécher Ah ! ne perdez pas cette fois la conquête admirable de votre croix. Enfin, mon Dieu, contrits, à vos genoux, nous vous prions de pardonner à tous. Pardonnez-nous, ô Dieu clément, lavez-nous de nos crimes dans votre sang. »
Pendant que la foule chante, la sainte Vierge a les yeux baissés vers son divin Fils qu’elle présente aux enfants ; ses lèvres remuent ; elle paraît s’unir au chant de pardon des assistants. L’expression de sa tristesse est impossible à rendre. Joseph Barbedette, l’un des voyants, a déclaré : « J’ai vu ma mère abîmée dans la douleur lorsque, quelques mois plus tard, mon père fut frappé par la mort. On sait ce qu’un tel spectacle dit au cœur d’un enfant ! et pourtant, je m’en souviens, la tristesse de ma mère ne me parut rien en comparaison de la tristesse de la très sainte Vierge qui me revenait naturellement à l’esprit. C’était bien la Mère de Jésus au pied de la croix de son Fils. » Ici, la sainte Vierge se révèle comme Notre-Dame de Compassion. Elle incline la croix vers nous pour susciter notre repentir.
Le crucifix sanglant par son multiple symbolisme synthétise toute la doctrine catholique sur Notre Seigneur Jésus-Christ. Marie sait que Jésus-Christ est, à cette heure-là, et sera plus encore demain le grand méconnu. Il faut le réapprendre à la société qui meurt de cette ignorance. Alors, en cet instant, elle le révèle aux enfants et à la foule rassemblée autour d’eux, et par là-même, elle le désigne aux générations à venir.
Dans cette présentation par Notre-Dame de Jésus crucifié, elle veut nous dire tout ce que Jésus est pour nous. Essayons de regarder de plus près le crucifix afin de découvrir le symbolisme qui y est attaché. Le crucifix sanglant, c’est d’abord, sans doute, la tragédie du Calvaire. Mais le crucifix sanglant, c’est autre chose encore. Ce crucifix sanglant, c’est avant tout le mystère de Jésus, qui est le mystère de la croix, c’est tout le christianisme issu de la croix, c’est toute la civilisation chrétienne ; parce que la volonté de la Vierge est que la cité catholique soit rebâtie.
Le crucifix de Pontmain se montre à nous avec les deux teintes du sang humain : sang artériel ou clair sur la croix, sang veineux ou sombre sur le Christ.
Que signifie ce double symbole ? L’arbre de la croix représente l’arbre du péché au Paradis terrestre ; en le couvrant, le sang de Jésus le purifie et lui donne la teinte de sang rouge vif, tandis qu’au contraire le corps de Notre-Seigneur, couvert de nos péchés en tant que victime, est inondé de sang veineux ou souillé, car comme le dit saint Paul, « le Christ s’est fait péché pour nous » (2 Co 5, 21) afin de nous racheter de la malédiction qui pesait sur nos têtes.
Ainsi, l’état dans lequel apparaît Notre-Seigneur révèle la gravité du péché qui a causé sa mort, et la croix qui est recouverte d’un sang clair montre la valeur de son sang divin : la capacité qu’il a de nous rendre la vie.
Notre-Seigneur qui apparaît mort sur sa croix, n’est-ce pas également une annonce de la Passion de l’Église, de ce moment si terrible où la divinité de l’Église semble éclipsée ? Durant cette période douloureuse, fruit amer du concile Vatican II, Dieu a suscité Mgr Lefebvre pour aider les catholiques à rester fidèles à Jésus-Christ. Or l’ancien archevêque de Dakar qui était un grand dévot de Notre-Dame a transmis à la Fraternité Saint-Pie X le message essentiel de Notre-Dame de Pontmain lorsqu’il écrivit : « Combien il est souhaitable que tous les membres de la Fraternité aient soif de la vie contemplative, c’est-à-dire de ce regard simple et ardent de la croix de Jésus[1]. » Et il en donna la raison : « Si la contemplation est un regard d’amour [porté vers] Jésus crucifié et glorifié, elle transfère l’âme dans les mains de Dieu. Contemplation, obéissance, humilité sont les éléments d’une même réalité : l’imitation de Jésus-Christ et la participation à son amour infini[2]. »
Sur un écriteau blanc, au-dessus de la croix, resplendit en entier et en lettres de sang artériel le nom trois fois saint de Jésus-Christ, nom dont la signification plénière est que Notre-Seigneur est sauveur, prophète, prêtre et roi. Ainsi Notre-Dame nous présente son divin Fils comme sauveur, comme roi, mais aussi comme modèle. Notre-Dame nous présente d’abord Jésus comme sauveur, et sauveur par le sacrifice de la croix. L’Incarnation est ordonnée à la Rédemption. Si Notre-Seigneur a voulu s’incarner, c’est pour nous sauver et il nous a sauvés par la croix. Ainsi, l’image qui fixe le mieux son souvenir comme sa mission aux yeux de toutes les générations est le crucifix. Voilà pourquoi la Vierge de Pontmain nous montre avant tout un sauveur à travers Jésus crucifié et elle nous rappelle qu’« il n’y a de salut en aucun autre » (Ac 4, 12). Toutes les grâces, tous les pardons divins ne sont accordés aux hommes qu’en raison du sang versé par Notre-Seigneur sur la croix.
Et la croix n’est pas uniquement un événement passé. Elle est rendue présente sur nos autels. Le sacrifice du Calvaire est une réalité en acte à chaque messe. Le prêtre est le même, la victime est la même. Comme le disait Mgr Picaud le 17 janvier 1926 à Pontmain : « À chaque messe qui se célèbre, à chaque hostie qui s’élève, la croix se dresse à nouveau sur le monde, le sang divin coule dans les calices ; et c’est parce que Dieu ne voit en quelque sorte le monde qu’à travers le sang de son Fils qu’il retient les foudres de sa justice irritée par les crimes innombrables de l’humanité. » Voyant à l’avance comme Satan chercherait à falsifier la messe au XXe siècle en estompant l’aspect de sacrifice au profit de l’aspect de repas, la sainte Vierge a tenu à nous rappeler que la messe est vraiment un sacrifice qui renouvelle celui du Calvaire.
En pleine guerre, la sainte Vierge nous a présenté Jésus comme sauveur ; elle nous l’a aussi présenté comme roi. À un roi, il faut un trône : la croix, voilà le trône du Christ-Roi. Ainsi, en nous montrant Jésus sur la croix, la sainte Vierge nous invite à nous soumettre au Christ-Roi et à travailler à restaurer son règne dans la cité. Écoutons encore Mgr Picaud : « Aujourd’hui, c’est bien en vain qu’on ferait le rêve d’une paix fraternelle entre les nations si les nations tout d’abord ne s’inclinent pas sous le sceptre du Prince de la Paix. Il n’est de vrai bonheur et il n’est de vraie paix que dans le règne du Christ. Hors de son sceptre, autour duquel elles doivent s’articuler, toutes les autres autorités se dissolvent et, par une pente fatale, les peuples vont au désordre, à l’anarchie. Vous du moins, mes Frères, comprenez et réalisez, dans votre sphère, le message de Marie. Que, dans vos foyers, le Christ soit roi, toujours premier servi. Il avait dit au cours de sa vie mortelle : “Lorsque je serai élevé sur la croix, j’attirerai tout à moi” (Jn 12, 32). Oh ! ne résistez jamais à la douce attraction d’un roi qui ne veut régner que par amour[3]. »
Mais si la sainte Vierge nous a présenté Jésus comme sauveur et roi, elle a voulu également nous le proposer comme modèle. Ce que proclamait Mgr Picaud en 1926 est certainement aujourd’hui encore davantage d’actualité : « “Regardez, nous dit Notre-Dame de Pontmain en nous montrant le crucifix, le modèle, l’exemplaire sur lequel il faut confirmer vos vies.” Ici encore comme la leçon de Marie a gardé toute son actualité et même comme elle offre une opportunité qu’elle n’eut peut-être jamais au même degré ! Sur la croix que tient Marie, Jésus est dépouillé de tout et il est vraiment la douleur personnifiée : double appel à l’esprit de pauvreté et à l’esprit de sacrifice au moment où, à la suite des convulsions de la guerre, tant de consciences désemparées se laissent entraîner soit à une recherche effrénée de la richesse soit à une fringale inouïe de plaisirs.
Or, toute la vie de Jésus et plus encore son crucifiement sont la plus saisissante des protestations contre ces deux désordres. L’heure de la Passion vint et, comme il avait épousé la pauvreté, Jésus épousa la douleur. Il se coucha sur la croix et devint, en vérité, crucifix vivant, la personnification de la douleur. C’est ce crucifix vivant que Marie élève comme une protestation, comme une digue contre cette vague de plaisir qui paganise la société contemporaine.
Ah ! chrétiens, si vous vous sentez menacés par la fièvre du lucre ou le tourbillon des plaisirs malsains, écoutez la leçon de Notre-Dame de Pontmain : “Votre nom de chrétien, vous dit-elle, vous commande d’être à l’image du Christ. Le chrétien, c’est celui qui reflète dans sa vie la physionomie morale de son divin Maître ; les saints, qui ont été les seuls chrétiens vraiment logiques jusqu’au bout, furent par cela même à un moment donné, sur cette terre, comme une réapparition de Jésus”[4]. »
La sainte Vierge nous a présenté Jésus comme sauveur et roi, mais elle a voulu également nous le proposer comme modèle. Face au monde qui ne respire que jouissance et appât du gain, Notre-Dame est venue nous enseigner la voie du sacrifice.
Si l’amour de Dieu, durant ces derniers siècles, a pris la forme de la dévotion au Sacré-Cœur, les droits sociaux du précieux sang ont eux aussi pris une forme spéciale, celle du crucifix sanglant révélé par la très sainte Vierge à Pontmain.
Si, depuis les apparitions de Paray-le-Monial, il y a obligation pour les nations sous peine de mort, d’exalter la royauté sociale du Christ sous la forme de son Sacré-Cœur, de même, par voie de conséquence absolument logique, les deux cultes étant inséparables et se complétant l’un l’autre, n’y a‑t-il pas obligation pour elles, depuis l’apparition de Pontmain, d’exalter les droits sociaux du précieux sang sous la forme du crucifix sanglant ?
Le Père Joseph Barbedette, oblat de Marie-Immaculé, l’un des voyants, rappelait souvent : « Notre-Dame de Pontmain tenait le crucifix sanglant à pleines mains, penché sur nous, comme si elle avait voulu nous dire : “Prenez-le, la France dans ses malheurs, doit se cramponner au crucifix sanglant.” »
Aussi, je terminerai par les paroles de Mgr Picaud montrant à nouveau la portée du Christ sanglant présenté par Notre-Dame : « À notre société ébranlée, désaxée et cherchant devant la menace confuse de terribles convulsions sociales des sauveurs, Marie montre son divin Fils. Le Sauveur véritable, le voilà ! De lui seul, dans les détresses morales comme dans les détresses matérielles, dérive un salut efficace.
À notre société qui voit disparaître partout le principe d’autorité parce qu’elle a sapé l’autorité qui appuie et confirme toutes les autres, Marie présente son divin Fils : “Inclinez-vous, dit-elle à ceux qui gouvernent, inclinez-vous sous le sceptre de ce roi pour obtenir le respect de votre propre autorité et de vos lois. Contre l’anarchie montante, vous ne serez forts qu’à ce prix”.
À notre société enfin qui court, comme les Juifs autrefois vers le veau d’or, aux idoles nouvelles de l’or et du plaisir, Marie, en Jésus crucifié, montre l’idéal du dépouillement et du sacrifice : “L’esprit de l’Évangile, dit-elle, n’a rien perdu de son austérité crucifiante. N’espérez pas les joies de l’Éternité si vous ne vous êtes pas crucifiés ici-bas”. Oh ! regardez souvent, mes Frères, ce Jésus crucifié que vous présente la Vierge de Pontmain. Regardez-le dans la reconnaissance, dans l’amour, dans la fidélité.
C’est ainsi que vous vous ménagerez une dernière révélation de Marie lorsqu’après cet exil terrestre, elle vous montrera dans la gloire le Christ que vous avez adoré, [auquel vous avez] obéi et [que vous avez] imité sur sa croix[5]. »
Abbé Patrick Troadec
Source : Le Phare Breton