Sainte Blandine livrée aux lions
Lyon, détruite par un incendie vers l’an 65, ne put guère être évangélisée au premier siècle, et dut attendre que saint Pothin [1] y fût envoyé par saint Polycarpe, disciple de l’Apôtre saint Jean et évêque de Smyrne. Pothin, étant né vers l’an 87, put, adolescent, connaître l’Apôtre. Peu avant l’an 140, Pothin arrive au confluent de la Saône et du Rhône comme évêque et apôtre de Lyon.
Pothin s’établit sur la presqu’île, à l’endroit de l’actuelle chapelle Saint-Nizier. Une tradition rapporte qu’il y avait placé une icône de la Vierge Marie. Les chrétiens étant devenus plus nombreux, Pothin déménage dans une grotte d’une colline où il creuse un baptistère et une crypte dédiée à saint Jean l’Apôtre.
Il écrit à Polycarpe lui demandant du renfort : saint Irénée est ainsi envoyé à Lyon.
Saint Polycarpe est martyrisé à Smyrne le 23 février 155.
Sous l’empereur Marc-Aurèle, les chrétiens sont interdits d’accès à certains lieux publics, puis sont traqués comme ennemis de l’empire. Ainsi en 177, à Lyon et à Vienne, la populace, excitée contre les chrétiens, s’acharne avec l’armée contre eux, et en traîne plusieurs devant le tribunal, lequel les condamne à l’emprisonnement jusqu’à l’arrivée du gouverneur.
Le gouverneur les fait comparaître et maltraiter, quand un chrétien, notable de la cité, Vettius Epagathus [2], surgit de la foule pour prendre leur défense et celle de l’Eglise du Christ. Le gouverneur s’enquiert de la religion de cet homme, lequel professe fièrement sa foi chrétienne et subit la condamnation de ses frères dans le Christ. Quoique dix chrétiens apostasièrent devant la cruauté qui les menaçait, ils furent incarcérés et traités plus durement que les autres détenus.
Le gouverneur poursuivit la persécution et se saisit des esclaves païens des chrétiens [3] dans l’espoir de les faire témoigner contre leurs maîtres. Ce qu’ils firent en inventant une calomnie selon laquelle les chrétiens sont anthropophages, et spécialement d’enfants ; cette dialectique réussit à augmenter la fureur populaire contre les chrétiens, selon la parole du Seigneur : « Vient l’heure où quiconque vous fera mourir croira rendre hommage à Dieu »,
Les soldats tourmentèrent toute une journée le diacre Sanctus, né à Vienne, Attale [4], citoyen romain originaire de Pergame, le néophyte Maturus, et Blandine, esclave chrétienne, pour leur faire avouer les crimes dont on les incriminait. Blandine répétait : « Je suis chrétienne, il ne se fait point de mal parmi nous. » Sanctus ne donnait qu’une réponse : « Je suis chrétien ». On lui applique des lames rougies au feu à quelques jours d’intervalle sur des parties sensibles du corps, mais son corps fut miraculeusement guéri.
Biblis, ou Bibliade, une des apostats, sommée de dénoncer les chrétiens, mais victime de coups, pensa aux peines plus grandes de l’enfer, se convertit et répondit : « Et comment mangerions-nous des enfants, nous à qui il n’est pas même permis de manger le sang des bêtes ? » [5]
Pothin, nonagénaire pouvant à peine respirer, fut porté devant le gouverneur qui lui demanda quel est le dieu des chrétiens. Pothin répondit : « Vous le connaîtrez si vous en êtes dignes. » Il fut frappé des pieds et des mains de ceux qui l’environnaient et reçut toute sorte de projectile ; rejeté en prison, il y décéda comme plusieurs autres chrétiens.
Maturus et Sanctus furent tourmentés toute une journée dans l’amphithéâtre, de coups de verges, de rôtissages au fer rouge, molestés par des bêtes et enfin égorgés.
Blandine, suspendue les bras en croix, fut livrée aux bêtes qui la respectèrent. Reléguée en prison, elle convertit, avec les autres chrétiens, les apostats retenus en prison.
Une lettre impériale ordonna de tuer les chrétiens qui ne renieraient pas leur foi. Ceux qui étaient citoyens romains furent décapités, les autres livrés aux bêtes. Alexandre, médecin d’origine phrygienne, encourageant les martyrs, fut dénoncé et leur fut associé. Attale fut grillé sur une chaise de fer et s’exclama : « C’est ce que vous faites qui peut s’appeler manger des hommes. Pour nous, non seulement nous ne mangeons point de chair humaine, mais nous évitons encore tout autre sorte de crime. »
Pontique, âgé de quinze ans environ, fut donné en spectacle le dernier jour, début août [6], avec Blandine qui l’encouragea dans les divers tourments ; il expira le premier. Flagellée, mordue, brûlée, Blandine fut enveloppée dans un filet, cognée, projetée par un taureau, puis transpercée par le glaive.
Les bourreaux gardèrent six jours tous les membres des corps de saint Pothin et de ses 48 compagnons de martyre, les brûlèrent et ne jetèrent les cendres dans le Rhône. Mais quelques-uns de ces martyrs apparurent à des chrétiens leur révélant que leurs cendres étaient extraites de l’eau, et la Providence les fit trouver au lieu-dit Aynay.
Liste des martyrs : – décapités en qualité de citoyens romains : Æmilia (I), Albina, Alcibiade, Bibliade, Comminus, Geminus, Grata, Helpis (ou Amnas), Julia (I), Macarius, Materna, October, Philominus, Posthumania, Pompeia (I), Primus, Quinta, Rhodana, Rogata, Silvius, Ulpius, Vettius Egapathus, Vitalis, Zacharie ; – exposés aux bêtes : Alexandre, Attale, Blandine, Maturus, Pontique, Sanctus ; – morts en prison : Æmilia (II), Alumna, Antonia (I), Antonia (II), Apollonius, Arescius, Cornelius, Gamnite, Geminianus, Julia (II), Julius, Justa, Pompeia (II), Pothin, Titus, Trophima, Zoticus, Zozimus.
Ils sont fêtés le 2 juin.
Culte local provençal
Ce serait au XIIème siècle que saint Pothin, en provençal San Foutine, aurait été choisi par l’évêque de Riez comme patron de Varages, aujourd’hui dans le diocèse de Fréjus. Jusqu’à la fin du XIXème siècle dernier existait un ermitage, accolé à la chapelle Saint-Pothin, où habitait le frère chargé de veiller sur les lieux et de sonner la cloche en cas d’orage ou d’incendie. La communauté lui fournissait un habit, des draps, une paillasse. Pour se nourrir, l’ermite cultivait son petit enclos mais comptait surtout sur la charité publique. Il était autorisé à quêter à la porte de l’église pour les principales fêtes et recueillait, au temps des récoltes, du blé aux aires et de l’huile aux moulins. (Extrait du livre de Monsieur Paul Bertrand « Faïences et faïenciers de Varages »).
Saint Pothin a toujours protégé contre les chutes et les éboulements, la peste, et les destructions des gens de guerre. Pendant les guerres de religions, les protestants logeaient leurs mules dans sa chapelle qui se remplissait de crottin. Un peu plus tard, les catholiques, réfugiés dans l’église dévastée, auraient arraché les bois de son autel pour faire cuire un cochon.
A partir de 1793 son culte fût sévèrement interdit. Il l’était encore en 1811. A l’occasion de la naissance du roi de Rome, les Varageois sollicitèrent son rétablissement en demandant au Préfet l’autorisation de se rendre de nouveau à la chapelle et d’y célébrer une messe pour attirer la bénédiction du saint sur l’héritier impérial et « l’auguste famille Bonaparte ». La manœuvre était habile, bien que cousue de fil blanc. Le temps d’avoir une réponse, il n’y avait plus d’Empire et le grand saint Pothin recouvrait ses droits.
C’est le 2 juin que le saint quitte sa niche et sort de l’église en grande pompe. Autrefois pour passer la journée dans sa chapelle, sur la colline en face du village, maintenant simplement pour faire le tour de la source de la Foux. Pendant longtemps, le Capitaine de ville, armé de la pique et l’enseigne de la jeunesse qui portait le drapeau, étaient chargés d’organiser à leurs frais les festivités. On assumait cette charge à tour de rôle ; c’était un honneur. Les consuls donnaient dix huit livres pour la poudre de la bravade et l’argent de « pelotes », prélevé lors des mariages, servait à payer les fifres et les tambourins.
Abbé Laurent Serres-Ponthieu, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
- Pothin en grec signifie désirable ou aimable.[↩]
- Petit-fils de Léocadius, sénateur qui donna son palais de Bourges à saint Ursin pour en faire une église.[↩]
- L’esclavage était coutume dans l’empire romain, mais les maîtres chrétiens étaient invités à traiter décemment leurs esclaves, et certains leur accordaient la liberté.[↩]
- St Attale avait transmis au pape saint Pie 1er une lettre de saint Juste, évêque de Vienne, traitant d’une persécution qui venait de s’y déroulait.[↩]
- Cette loi antique fut prorogée par le concile de Jérusalem en 54.[↩]
- Opinion commune pour le dernier martyre.[↩]