La protestantisation du Concile Vatican II – Symposium de théologie à Paris, Octobre 2005

Notre exposé est divisé en 4 parties :

1° Résumé de la posi­tion protestante

2° Présence des pro­tes­tants au Concile Vatican II

3° Influence pro­tes­tante dans l’esprit et les docu­ments du Concile

4° Bref regard sur le temps après le Concile et conclusion.

I. Résumé de la position protestante

1. Le point de départ du pro­tes­tan­tisme, sa base phi­lo­so­phique et théo­lo­gique est sans aucun doute la concep­tion de Luther du péché et de la justification. 

Pour lui, le péché a cor­rom­pu tota­le­ment la nature humaine, il n’en reste même pas de liber­té morale. Ainsi, la grâce de Dieu ne trouve aucune matière à gué­rir, à trans­for­mer, à divi­ni­ser, elle ne peut être qu’une décla­ra­tion exté­rieure : Dieu couvre le pécheur du man­teau des mérites de son Fils, ne lui impute plus le péché, mais le pécheur reste avec sa nature corrompue.

2. D’une telle vision de l’état de la nature déchue découlent les 4 soli de Luther :

a) Sola fide : c’est par la foi seule que l’homme est sau­vé ; notez que chez les réfor­ma­teurs, la foi est conçue comme foi confiante dans les mérites du Christ Rédempteur, non point comme pleine accep­ta­tion de la Révélation de Dieu sous l’impulsion de la grâce. Les bonnes œuvres – le jeûne, la prière, l’aumône, la péni­tence, la mor­ti­fi­ca­tion – ne contri­buent en rien au salut, elles sont tout au plus des signes de la foi. Luther exprime ain­si sa pen­sée d’une façon caté­go­rique : « Pèche for­te­ment et crois plus ferme encore, tu seras sauvé ».

b) Sola gra­tia : l’homme, avec sa nature sans liber­té morale, est radi­ca­le­ment inca­pable de contri­buer à son salut ; Dieu fait tout seul, l’homme reste passif.

c) Solus Deus : c’est donc Dieu seul qui opère notre salut ; il n’y a ni média­tion par l’Église ni par un magis­tère ou un sacer­doce et non plus inter­ces­sion des saints, par exemple de la Très Sainte Vierge. Si l’homme ne peut rien faire pour son propre salut, com­ment pourrait-​il œuvrer pour le salut du prochain ?

d) Sola scrip­tu­ra : Puisqu’un magis­tère qui expose la Révélation de Dieu est impos­sible, il ne peut y avoir de Tradition comme source de la Révélation ; et puisque Dieu fait tout, il illu­mine direc­te­ment l’esprit des croyants pour qu’ils puissent com­prendre la Sainte Écriture qui contient toute la Révélation.

3. De ces 4 soli découle tout le sys­tème protestant :

a) La struc­ture de l’Église. Elle ne peut être un corps vivant don­nant le salut aux âmes, elle ne peut être qu’un ser­vice de cha­ri­té dont la hié­rar­chie doit faire place à une démo­cra­ti­sa­tion : nous sommes tous le peuple de Dieu, le sacer­doce minis­té­riel est absor­bé dans le sacer­doce géné­ral de tous les fidèles.

b) La foi et son conte­nu ; des axiomes phi­lo­so­phiques. L’Église et les saints, en par­ti­cu­lier la Très Sainte Vierge Marie, doivent faire place à un faux christocentrisme.

Puisque d’une part chaque fidèle peut lire la sainte Écriture et la com­prendre sous l’inspiration du Saint Esprit et que d’autre part on trouve une mul­ti­tude de confes­sions dif­fé­rentes, l’Église, en tant qu’elle conduit seule au salut, doit être rem­pla­cée par la mul­ti­tude des confes­sions et des formes de foi, le magis­tère doit être rem­pla­cé par le tra­vail des théo­lo­giens, par­ti­cu­liè­re­ment par l’exégèse libé­rale et sa « Formengeschichte ».

Une tra­di­tion qu’on ne trouve pas expli­ci­te­ment dans la sainte Écriture ne peut pas exister.

La loi de la foi doit être rem­pla­cée par le libre exa­men ; il faut en par­ti­cu­lier aban­don­ner l’idée d’un état catho­lique puisqu’il contre­dit le libre arbitre ; donc exi­gence de la liber­té religieuse.

L’ordre objec­tif fait place au sub­jec­ti­visme et à l’individualisme, le bien com­mun à la réa­li­sa­tion de la per­sonne, c’est-à-dire au personnalisme.

L’Église doit aban­don­ner tout pou­voir tem­po­rel et domi­na­tion ; elle doit par­ti­cu­liè­re­ment aban­don­ner l’État catho­lique comme un fait, puisqu’il s’oppose à la pro­pa­ga­tion du protestantisme.

La liai­son har­mo­nieuse entre la nature et la grâce ne peut pas être main­te­nue. Il y a dans le pro­tes­tan­tisme une oscil­la­tion entre le fidéisme (Karl Barth) et le ratio­na­lisme (Bultmann) et le natu­ra­lisme avec la laï­ci­sa­tion de la société.

Il faut aban­don­ner la roma­ni­té expri­mée dans la langue latine, le Pontife Romain et sa Curie et s’orienter vers des Églises nationales.

De la même façon doit être reje­tée la sco­las­tique, sys­tème sclé­ro­sé en oppo­si­tion à l’Évangile vivant.

c) Le culte : accen­tua­tion de la parole et de l’Eucharistie en tant que repas, aban­don de l’idée d’un sacri­fice expia­toire : la litur­gie n’est pas un culte mais plu­tôt une ins­truc­tion, elle est l’affaire de toute la communauté.

De plus, il faut retour­ner à des formes de culte plus simples et aban­don­ner le triomphalisme.

II. Présence des protestants au Concile Vatican II

Il appar­te­nait au Secrétariat pour l’Unité des chré­tiens sous le car­di­nal Bea de pré­pa­rer l’invitation au Concile adres­sée aux « Églises » non catho­liques, com­mu­nau­tés ecclé­siales, obser­va­teurs et délé­gués, et de lan­cer cette invi­ta­tion au nom du pape [1]). Se trou­vaient à la pre­mière ses­sion du Concile les repré­sen­tants sui­vants du protestantisme :

Communauté angli­cane : 3 représentants ;
Alliance mon­diale luthé­rienne : 2 représentants ;
Alliance mon­diale de l’Église réfor­mée, Église pres­by­té­rienne : 3 représentants ;
Église Évangélique d’Allemagne : 1 représentant ;
Convention mon­diale des Églises du Christ : 1 représentant ;
Friend’s World Committee for Consultation (Quakers) : 1 représentant ;
International Congregation Council : 2 représentants ;
Conseil mon­dial métho­diste : 3 représentants ;
Conseil œcu­mé­nique des Églises de Genève : 1 représentant ;
Association Internationale pour un chris­tia­nisme libé­ral et la Liberté reli­gieuse : 2 représentants.

De plus, y par­ti­ci­paient d’autres invi­tés du Secrétariat pour l’Unité : Roger Schutz, prieur de la com­mu­nau­té pro­tes­tante de Taizé et son confrère Max Thurian, le Pr. Cullmann de l’université de Bâle et de Paris, le Pr. Berghauer, de l’université pro­tes­tante d’Amsterdam. Soit au total 23 représentants.

Dans la lettre d’invitation sont défi­nis leur sta­tut et leur rôle de la façon suivante :

a) « Les obser­va­teurs four­nissent aux Églises sépa­rées de Rome des infor­ma­tions sur le Concile.

b) Ils peuvent par­ti­ci­per aux séances publiques et aux séances géné­rales closes dans les­quelles les décrets du Concile sont dis­cu­tés ; ils ne par­ti­cipent pas aux séances des Commissions sauf dans des cas par­ti­cu­liers et avec une per­mis­sion spéciale.

c) Ils n’ont ni droit de parole ni droit de vote.

d) Le Secrétariat pour l’Unité des chré­tiens sert d’intermédiaire entre les orga­nismes du Concile et les obser­va­teurs pour leur trans­mettre les ren­sei­gne­ments néces­saires afin qu’ils puissent plus faci­le­ment et plus effi­ca­ce­ment suivre les tra­vaux du Concile. Il orga­nise de plus des entre­tiens avec des per­sonnes qua­li­fiées, par exemple des Pères du Concile sur les thèmes dis­cu­tés au Concile.

Nous avons donc main­te­nant la pré­sence directe des pro­tes­tants. Ils étaient déjà pré­sents au Concile de manière indi­recte par des Pères et des théo­lo­giens qu’ils savaient acquis depuis long­temps à leurs idées et qui les repré­sen­taient plus ou moins ouver­te­ment : les car­di­naux Bea, König, Frings, Döpfner, Liénart, Alfrink ; des experts comme Rahner, Hans Küng, Edouard Schillebeeckx, Congar.

Quelques extraits des œuvres de Congar nous servent de preuve [2] :

« Au Saulchoir, on s’intéressait à Luther, et d’une tout autre façon que Denifle ou Grisar. Au cours d’un second séjour en Allemagne, je visi­tai les grands lieux luthé­riens qui m’attiraient ». Il voue une grande admi­ra­tion au réfor­ma­teur : « Luther est un des plus grands génies reli­gieux de toute l’histoire. Je le mets à cet égard sur le même plan que saint Augustin, saint Thomas d’Aquin ou Pascal. D’une cer­taine manière, il est encore plus grand. Il a repen­sé tout le chris­tia­nisme. Luther fut un homme d’Église. » D’où vient cette admi­ra­tion pour un homme dont le seul génie fut des­truc­teur ? De ce que Luther « était inca­pable de rece­voir quelque chose qui ne vienne pas de sa propre expérience. » […]

Citons encore le car­di­nal Ratzinger, grand admi­ra­teur de Karl Barth. En 1986, dans une lettre à la Theologische Quartalsschrift, Tübingen, il écrit ceci :

« […] Ne doit-​on pas consi­dé­rer à maints égards comme un bien pour l’Église catho­lique, en Allemagne et ailleurs, le fait qu’ait exis­té à ses côtés le pro­tes­tan­tisme, avec sa libé­ra­li­té et sa pié­té, avec ses déchi­re­ments et sa grande exi­gence spi­ri­tuelle ? [3]»

Quelques années plus tard, il concé­lé­bre­ra à Hambourg les Vêpres avec Mme Jespen, évêque protestante !

III. L’influence des protestants sur le Concile

Avec une telle pré­sence des pro­tes­tants au Concile – pré­sence directe et indi­recte – com­ment s’étonner de leur influence sur le Concile et ses docu­ments ? Citons-​en quelques-​uns pour étayer notre affirmation :

1 – Le décret « Sacrosanctum Concilium » sur la liturgie

Déjà dans l’article 5 nous ren­con­trons la notion de mys­tère pas­cal qui met l’accent de notre Rédemption en la Résurrection de Notre Seigneur Jésus-​Christ et qui raye la réa­li­té d’un sacri­fice expia­toire dans la liturgie.

Dans l’article 6, le mys­tère pas­cal se trouve men­tion­né deux fois.

Dans l’article 7, la pré­sence du Christ dans la Sainte Messe et dans la sub­stance trans­ub­stan­tiée est mise pra­ti­que­ment sur le même niveau que sa pré­sence dans le ministre de l’action litur­gique, dans la ver­tu des sacre­ments, dans sa parole et avec la pré­sence où deux ou trois per­sonnes sont réunies en son nom. Une telle pré­sen­ta­tion des choses est un emprunt mani­feste aux protestants.

Dans l’article 22, il y a une claire décen­tra­li­sa­tion de la com­pé­tence en matière litur­gique : c’est dès main­te­nant l’évêque local et encore bien davan­tage la confé­rence épis­co­pale qui peut en décider.

Dans les articles 24 et 51, on parle du grand poids de la sainte Ecriture dans la liturgie.

L’article 34 invite à une réforme des rites pour qu’ils regagnent la splen­deur d’une noble sim­pli­ci­té et soient dépour­vus de répé­ti­tions. Ici nous voyons clai­re­ment l’influence ratio­na­liste et anti-​liturgiste puisque toute litur­gie vit de répé­ti­tions, comme nous le voyons par exemple dans les rites de l’Église de l’Est, dans les Litanies et dans le chapelet.

Les 36 et 54 parlent de l’introduction de la langue ver­na­cu­laire dans la litur­gie sans don­ner de limites pré­cises pour la Sainte Messe.

Dans l’article 37 on trouve sous-​jacente déjà l’inculturation et la soi-​disant uni­té dans la plu­ra­li­té litur­gique, donc un éloi­gne­ment de la vraie uni­té de l’Église et avant tout de l’esprit romain.

L’article 47 n’utilise pour dési­gner le Saint Sacrifice de la Messe ni la notion de la « repre­sen­ta­tio » du Concile de Trente ni celle de « renou­vel­le­ment » des der­niers papes, mais parle d’un « lais­ser durer ». En langue œcu­mé­nique, le sacri­fice et le sacre­ment sont nom­més ensemble.

L’article 55 sug­gère de don­ner en des occa­sions par­ti­cu­lières l’Eucharistie sous les deux espèces à la manière des protestants.

L’article 81 exige la sup­pres­sion de la pen­sée sombre de la mort par d’autres cou­leurs litur­giques que le noir. Or, une telle orien­ta­tion va encore trou­ver l’applaudissement des pro­tes­tants qui ne connaissent ni le pur­ga­toire ni la prière pour les défunts.

Si on jette un regard sur ce sché­ma, on constate un esprit ratio­na­liste, anti-​liturgique et anti-​romain, tout à fait la men­ta­li­té protestante.

2 – La consti­tu­tion dog­ma­tique sur l’Église « Lumen Gentium ».

L’article 8 dit pour com­men­cer que l’Église du Christ « sub­siste dans l’Église catho­lique », expres­sion néfaste et lourde de consé­quences. Or, c’est un pas­teur pro­tes­tant, le pas­teur Schmitt qui a fait la pro­po­si­tion de rem­pla­cer le est de l’identification entre l’Église du Christ et l’Église catho­lique par l’expression rela­ti­viste sub­sis­tit in.

Dans le cha­pitre 2, articles 4 à 17, on parle d’abord de l’Église en tant que peuple de Dieu et seule­ment dans le troi­sième cha­pitre on parle de la hié­rar­chie comme si elle était un fruit de la com­mu­nau­té et un ser­vice pour elle.

Dans l’article 10 on déduit du sacer­doce du Christ tout d’abord le sacer­doce com­mun de tous les bap­ti­sés et seule­ment après le sacer­doce ministériel.

Dans l’article 21 le sacre­ment de l’Ordre n’est plus conçu à par­tir du Saint Sacrifice de la Messe mais à par­tir de la pré­di­ca­tion et de l’administration des sacrements.

L’attentat le plus grave contre le pri­mat papal appa­raît dans l’article 22 avec l’affirmation d’une double auto­ri­té dans l’Église : d’un côté Pierre, de l’autre le col­lège des évêques avec et sous Pierre. Heureusement, cette erreur très grave est cor­ri­gée dans la « nota præ­via expli­ca­ti­va » ajou­tée au texte du Concile lui-​même, mais la cor­rec­tion n’est reprise ni par le nou­veau droit canon, ni par le caté­chisme de l’Église catho­lique et son Compendium.

L’article 29 concède le dia­co­nat per­ma­nent aux hommes mariés. Il y a donc une brèche dans le bas­tion du céli­bat ecclé­sias­tique qui nous dis­tingue visi­ble­ment des protestants.

Tout le qua­trième cha­pitre, c’est-à-dire les articles 30 à 38, parle des laïcs avant les reli­gieux qui sont trai­tés seule­ment au cin­quième cha­pitre. Le pro­tes­tan­tisme n’aime pas la vie consa­crée, en par­ti­cu­lier la vie contemplative.

Les réserves graves de Karl Rahner et de mes­sieurs Ratzinger, Grillmeier et Semmelroth contre un sché­ma propre sur la Très Sainte Vierge furent assu­mées par le Concile. Les expli­ca­tions sur la Très Sainte Vierge se trouvent main­te­nant dans le cha­pitre 8 de la consti­tu­tion sur l’Église, et on y omet déli­bé­ré­ment le titre de « coré­demp­trice » ; le titre de « Médiatrice » n’est pas non plus recon­nu à la Très Sainte Vierge, son usage est seule­ment mentionné.

3 – Le décret sur l’œcuménisme « Unitatis redin­te­gra­tio »

Remarquons tout d’abord que la notion d’œcuménisme nous vient du pro­tes­tan­tisme où l’on voit des efforts œcu­mé­niques déjà au XIXe siècle pour por­ter remède à leur déchi­re­ment sans espoir.

L’article 3 dit que les com­mu­nau­tés sépa­rées de l’Église catho­lique ne se trouvent pas en pleine union avec l’Église ; mais on pré­tend quand même qu’il y a conti­nua­tion d’une cer­taine com­mu­nion, puisque ces fidèles sont jus­ti­fiés dans le bap­tême et incor­po­rés au Christ ; c’est pour­quoi, dit le décret, on les recon­naît à juste titre comme frères dans le Seigneur. La faute pour la sépa­ra­tion est à cher­cher de l’un et de l’autre côté. L’affirmation que les élé­ments de sanc­ti­fi­ca­tion dans ces com­mu­nau­tés appar­tiennent de jure à l’Église catho­lique est une amé­lio­ra­tion insé­rée par le Pape juste avant la publi­ca­tion du décret.

Dans le para­graphe 4, on dit que ces com­mu­nau­tés en tant que telles sont moyens de salut, et ceci signi­fie deux choses :

1) elles ont de l’importance pour le salut de leurs membres,

2) elles ont en géné­ral une fonc­tion sotériologique-historique.

Ces affir­ma­tions rela­ti­vistes appa­raissent comme par­mi les plus graves du Concile dans sa totalité.

Dans l’article 4 il est dit que le tra­vail œcu­mé­nique est essen­tiel­le­ment autre chose que de favo­ri­ser des conver­sions indi­vi­duelles ; une affir­ma­tion sem­blable se trouve dans la Constitution sur l’Église à la fin de l’article 9. On rem­place donc la mis­sion don­née par Jésus-​Christ par l’effort pour une coexis­tence paci­fique entre toutes les déno­mi­na­tions et reli­gions à la manière protestante.

L’article 7 nous dit qu’il n’y a pas de vrai œcu­mé­nisme sans une conver­sion inté­rieure, et ain­si on mélange ortho­doxie et ortho­praxie, le côté objec­tif et le côté subjectif.

L’article 8 ne per­met pas seule­ment la prière com­mune avec les « frères sépa­rés », mais la recom­mande expli­ci­te­ment, et spé­cia­le­ment comme témoi­gnage des liens existants.

L’article 10 exige l’enseignement de la théo­lo­gie, par­ti­cu­liè­re­ment en matière his­to­rique, sous l’angle œcu­mé­nique ; avec cela toute théo­lo­gie contro­ver­siste et apo­lo­gé­tique par rap­port au pro­tes­tan­tisme est condam­née à mort.

Dans l’article 11, on trouve l’affirmation néfaste de la hié­rar­chie des véri­tés. Il faut cepen­dant remar­quer que cette expres­sion ambi­guë fut cla­ri­fiée en 1973 par le Saint-​Office dans le sens catho­lique. Cette expres­sion ne veut pas dire qu’une véri­té est plus impor­tante que l’autre mais que l’une sert de base à l’autre.

Si dans l’article 21 la Sainte Écriture nous est pré­sen­tée comme un ins­tru­ment excellent pour le dia­logue, on doit se deman­der com­ment on devrait mener ce dia­logue avec les sub­jec­ti­vistes pro­tes­tants chez les­quels cha­cun est son propre magis­tère. De plus, le Magistère authen­tique dans cet article est rabais­sé à une place par­ti­cu­lière, il n’est plus la norme pour le canon et pour l’interprétation de la Sainte Écriture.

Dans l’article 22 on attri­bue à la cène pro­tes­tante, mal­gré le manque du sacre­ment de l’Ordre, une cer­taine valeur positive.

Il est aus­si à remar­quer que la ques­tion des mariages mixtes n’est pas trai­tée, et qu’on omet d’enseigner aux catho­liques qu’ils ne doivent contrac­ter un mariage mixte que devant le prêtre catho­lique, qu’ils doivent faire bap­ti­ser les enfants dans l’Église catho­lique et les édu­quer dans cette foi.

4 – La consti­tu­tion dog­ma­tique sur la Révélation divine « Dei Verbum »

Cette consti­tu­tion aban­donne la doc­trine catho­lique des deux sources de la Révélation pour se rap­pro­cher du sola scrip­tu­ra des pro­tes­tants. La Révélation nous est pré­sen­tée d’emblée dans le cha­pitre 1 non plus comme une com­mu­ni­ca­tion des véri­tés sur Dieu et ses inten­tions sal­vi­fiques, mais comme une auto-​communication de Dieu ; en ceci le pas­sage d’une pers­pec­tive objec­tive à une pers­pec­tive sub­jec­tive est bien mis en évidence.

Dans l’article 5, la foi est décrite comme une ren­contre per­son­nelle avec Dieu et un don de tout l’homme à lui ; la tra­di­tion ne devrait plus être com­prise comme com­plé­ment quan­ti­ta­tif et maté­riel de l’Écriture ; elle a seule­ment cette double fonc­tion de recon­naître le canon com­plet et de don­ner la cer­ti­tude sur ce qui est révé­lé. D’une façon ambi­guë, le magis­tère est pré­sen­té non pas au-​dessus de la parole de Dieu, mais à son service.

Toute l’exégèse moderne avec sa « Formengeschichte », pétrie de l’esprit pro­tes­tant de Bultmann, est expli­ci­te­ment recon­nue dans l’article 12 ; on n’attribue pas à la Sainte Écriture l’inerrance, mais on dit seule­ment qu’elle enseigne la vérité.

L’article 19 dit que les Évangiles offrent du vrai et du sin­cère – dans le texte ori­gi­nal y était ajou­té : « pui­sé par la force créa­trice de la com­mu­nau­té pri­mi­tive », ce qui a été sup­pri­mé après la pro­tes­ta­tion de beau­coup de Pères du Concile. Dans la 2e phrase de cet article 19, le Concile assume expli­ci­te­ment l’exégèse moderne : Les apôtres prê­chaient par une com­pré­hen­sion plus pleine du Christ ; les rédac­teurs des Évangiles ont « rédi­gé » ce maté­riel de pré­di­ca­tion, c’est-à-dire qu’ils ont choi­si, résu­mé, actualisé.

Dans l’article 22, les tra­duc­tions œcu­mé­niques de la Bible sont encou­ra­gées, tra­duc­tions qui, en effet, sont uti­li­sées aujourd’hui. On peut cepen­dant se deman­der com­ment, dans de tels textes, on peut for­mu­ler l’Annonciation de Marie et quel com­men­taire en don­ner ; la même chose vaut pour les frères de Jésus, ain­si que pour Matthieu 16, 18.

5 – La consti­tu­tion pas­to­rale « Gaudium et spes »

Nous ne ver­rons en elle qu’un seul point, à savoir l’inversion des fins du mariage dans les numé­ros 49 et 50. Les confé­rences épis­co­pales d’Allemagne et d’Autriche ont décla­ré par la suite que c’est la conscience des époux qui consti­tue la norme suprême au lieu de dire que la doc­trine de l’Église est la norme suprême et que la conscience per­son­nelle ne se pro­nonce que dans son application.

6 – Le décret sur la charge pas­to­rale des évêques dans l’Église « Christus Dominus »

Dans l’article 38 on attri­bue à la Conférence épis­co­pale, dans quelques cas, un droit qui oblige. La porte pour la démo­cra­ti­sa­tion et la décen­tra­li­sa­tion est ain­si ouverte.

7 – Décret sur le minis­tère et la vie des prêtres « Presbyterorum ordi­nis »

Dans l’article 2, on donne la pri­mau­té, comme dans Lumen gen­tium, au sacer­doce de tous les bap­ti­sés et seule­ment ensuite au sacer­doce minis­té­riel comme si le second éma­nait du pre­mier ; idée protestante.

8 – Le décret sur la for­ma­tion des prêtres « Optatam totius »

Dans l’article 15, on donne son congé à la « phi­lo­so­phia per­en­nis ». La pro­cé­dure dans les études ne devrait plus être ana­ly­tique, mais syn­thé­tique ; on n’y consi­dère plus que la genèse des dif­fé­rents sys­tèmes. Nous voyons ici dans sa racine le pas­sage de l’ontologie et de la méta­phy­sique vers l’empirisme et l’histoire de la philosophie.

9 – La décla­ra­tion sur la liber­té reli­gieuse « Dignitatis humanæ »

Cette décla­ra­tion fut d’un grand inté­rêt pour les pro­tes­tants, et ceci sous un double aspect en tant que prin­cipe et en tant que fait :

a) en tant que prin­cipe, elle rem­place l’ordre objec­tif par la libre conscience.

b) en tant que fait, elle abo­lit les États catho­liques qui sont un bar­rage contre la péné­tra­tion des sectes pro­tes­tantes. Ainsi, on voit le Conseil mon­dial œcu­mé­nique des Églises pro­tes­tantes à Genève s’adresser à la pré­si­dence du Concile en sep­tembre 1965, donc juste avant la qua­trième ses­sion qui sera la ses­sion finale, pour deman­der avec ins­tance de pro­cla­mer la liber­té reli­gieuse, ce qui fut fait le 7 décembre 1965.

IV. Regard sur la situation de l’Église d’aujourd’hui

Une influence si mas­sive du pro­tes­tan­tisme au Concile ne pou­vait que pro­duire une Église protestantisée : 

1. La struc­ture de l’Église

a) Le pou­voir cen­tral de Rome est for­te­ment dimi­nué en faveur des Conférences épis­co­pales qui se consti­tuent de plus à l’instar d’églises natio­nales. Le double pou­voir dans l’Église : d’un côté le Pape, de l’autre le col­lèges des évêques avec le Pape qu’on trouve dans Lumen gen­tium avec la nota præ­via expli­ca­ti­va, qui évite le pire, réap­pa­raît dans les canons 336 (droit canon 1983), dans le Catéchisme de l’Église catho­lique, n° 883 et dans le nou­veau Compendium, ques­tion n° 183.

Dans son ency­clique Ut unum sint du 25 mai 1995, le pape Jean-​Paul II dit ceci :

« […] Je prie l’Esprit Saint de nous don­ner sa lumière et d’éclairer tous les pas­teurs et théo­lo­giens de nos Églises, afin que nous puis­sions cher­cher, évi­dem­ment ensemble, les formes dans les­quelles ce minis­tère pour­ra réa­li­ser un ser­vice d’amour recon­nu par les uns et par les autres. » (DC 18 juin 1995 n° 2118, p. 593 § 95)

b) Partout on constate une démo­cra­ti­sa­tion de l’Église, à com­men­cer dans les paroisses par les conseils parois­siaux, dans les dio­cèses, et avec les synodes des évêques à Rome même. Il y a vrai­ment une hié­rar­chie parallèle.

c) Le mépris du mona­chisme par les nova­teurs dans l’Église est obvie. Aux États-​Unis, la vie reli­gieuse est en train de dis­pa­raître complètement.

La vie consa­crée trouve, là où elle existe encore, son épa­nouis­se­ment dans l’exercice des œuvres sociales. Dans les orai­sons pour les fêtes des fon­da­teurs d’Ordres, dans le Novus Ordo Missæ, on passe sys­té­ma­ti­que­ment sous silence la gloire du fon­da­teur et la grâce de la fondation.

2. La foi

a) La foi dans l’unicité et le carac­tère abso­lu de l’Église est aujourd’hui, même chez les catho­liques, presque uni­ver­sel­le­ment remise en ques­tion ou reniée.

b) Un sub­jec­ti­visme mali­cieux s’est intro­duit non seule­ment dans la conscience géné­rale des gens, mais même chez les catho­liques. Le car­di­nal Ratzinger, dans son homé­lie pour l’ouverture du conclave, le 18 avril, a par­lé de la « tyran­nie du rela­ti­visme ». Or, l’œcuménisme est jus­te­ment ce rela­ti­visme religieux.

c) Si tous les fidèles, par la grâce du bap­tême, sont unis entre eux une fois pour toutes comme le dit le pape Jean-​Paul II, la grâce est inalié­nable, ce qui équi­vaut à une héré­sie. Or, nous trou­vons dans l’Église cet opti­misme du salut qui oublie tota­le­ment le juge­ment de Dieu et la pos­si­bi­li­té de la damnation.

d) Dans la décla­ra­tion com­mune sur la jus­ti­fi­ca­tion du 31 octobre 1999 on pré­tend que l’homme peut être un pécheur et un saint en même temps. Or une telle concep­tion ne peut que se baser sur la notion pro­tes­tante de la justification.

e) Certains membres de la hié­rar­chie se plaignent d’un esprit de sécu­la­ri­sa­tion. N’est-ce pas Luther qui est son pre­mier repré­sen­tant ? par exemple avec son axiome : « le mariage est une chose pure­ment séculière ».

f) C’est moins la véri­té qui importe que la véra­ci­té, la sin­cé­ri­té. Il y a donc un pas­sage de l’ordre onto­lo­gique à l’ordre moral. Le canon 844 du nou­veau droit canon en est un reflet : Pour don­ner les sacre­ments de la Pénitence, de l’Extrême-Onction, de l’Eucharistie à des non-​catholiques, il suf­fit à ceux-​ci de croire à ces sacre­ments. Comme la Pénitence et l’Extrême-Onction n’intéressent pas les Protestants, il leur suf­fit de croire en la pré­sence réelle pour pou­voir com­mu­nier chez nous. On n’exige plus la foi comme adhé­sion à toute la Révélation mais la sin­cé­ri­té d’une foi subjective.

g) L’harmonie entre la grâce et la nature est presque par­tout bri­sée, tout comme l’identité entre Jésus de Nazareth et le Christ de la Foi. Le pro­tes­tan­tisme qui connaît une oscil­la­tion constante entre le ratio­na­lisme et le fidéisme nie en grande par­tie chez ses théo­lo­giens la divi­ni­té du Christ. Pour les fidéistes, la reli­gion n’est qu’un sen­ti­ment qui se diver­si­fie en mille sortes de Pentecôtismes. Dans ce même ordre, le bien com­mun laisse la place à l’auto-réalisation.

h) Dans la spi­ri­tua­li­té, il y a un éloi­gne­ment notable de l’esprit de sacri­fice, de péni­tence et de prière.

i) La dévo­tion envers la Très Sainte Vierge et les Saints est presque com­plè­te­ment rayée de la spi­ri­tua­li­té moderne.

3. Le culte

Les trois réa­li­tés onto­lo­gi­que­ment liées entre elles, à savoir : l’autel, le Sacrifice et le prêtre sont rem­pla­cées par trois autres réa­li­tés éga­le­ment étroi­te­ment liées entre elles : la table, le repas, le président.

La pre­mière ver­sion de la défi­ni­tion de la messe dans le Novus Ordo Missæ, défi­ni­tion com­plè­te­ment pro­tes­tante, se trouve exac­te­ment dans la ligne du n° 7 de la Constitution sur la litur­gie Sacrosanctum conci­lium. Dans la nou­velle litur­gie, on parle beau­coup, mais l’aspect de prière, de sacri­fice et du culte est énor­mé­ment diminué.

Conclusion

D’après l’encyclopédie de l’année 2000, il y a actuel­le­ment dans le monde 33.820 déno­mi­na­tions pro­tes­tantes dif­fé­rentes. Au fond, il fau­drait dire qu’il y a autant de déno­mi­na­tions qu’il y a de pro­tes­tants puisque cha­cun est son propre magis­tère et son propre prêtre. Avec le Concile et après le Concile, l’Église catho­lique a assu­mé tel­le­ment de pos­tu­lats pro­tes­tants qu’elle est en train de prendre le même che­min de l’auto-dissolution. Que le Seigneur de l’Église nous fasse la grâce d’une réforme rapide et éner­gique, une réforme in capite mem­bris selon l’exemple du Concile de Trente.

Un pré­lat de la Curie romaine disait récem­ment que de ce Concile il ne res­te­rait qu’une seule chose : une grande confu­sion. Et le Cardinal Stickler me disait qu’un jour on serait obli­gé de faire une révi­sion du Concile et que notre Fraternité pour­rait y contri­buer. Ces sym­po­siums orga­ni­sés ici à Paris en sont une magni­fique mise en œuvre.

Notes de bas de page
  1. Des mil­liers d’Églises sépa­rées exis­tant de par le monde, il était impos­sible d’inviter cha­cune d’entre-elles à se faire repré­sen­ter au Concile. Le car­di­nal Bea s’est réso­lu à entrer en contact avec les com­mu­nau­tés les plus nom­breuses et à les invi­ter à envoyer des délé­ga­tions qui puissent repré­sen­ter toutes les Églises qui leur étaient affi­liées. Le car­di­nal Bea invi­ta l’archevêque de Cantorbéry à envoyer une délé­ga­tion repré­sen­tant l’Église angli­cane. L’invitation fut accep­tée. (cf. Le Rhin se jette dans le Tibre p. 120.[]
  2. Savoir et Servir n° 56, p. 98.[]
  3. Joseph, Cardinal Ratzinger, Œcuménisme et Politique, p. 189, éd. Fayard 1987.[]