Lettre aux amis et bienfaiteurs n°95 : soyons forts !

La ver­tu de force nous sera très néces­saire en une occa­sion cru­ciale : l’an­nonce de nou­veaux sacres pour conti­nuer « l’opération-​survie » de la Tradition catholique.

Chers amis et bienfaiteurs,

Il y a trente-​six ans, le 30 juin 1988, Monseigneur Lefebvre réa­li­sait « l’opération-survie » de la Tradition catho­lique en sacrant quatre évêques auxi­liaires pour la Fraternité Saint-​Pie X.

Le véné­ré pré­lat avait pour­tant tout fait pour évi­ter cette consé­cra­tion, allant notam­ment à Rome maintes et maintes fois pour ouvrir les yeux des auto­ri­tés ecclé­sias­tiques sur la très grave crise, peut-​être la pire de son his­toire, que tra­verse l’Église : dérive doc­tri­nale, et main­te­nant morale, décom­po­si­tion litur­gique, éva­nouis­se­ment de la pra­tique reli­gieuse, dis­pa­ri­tion inquié­tante des voca­tions sacer­do­tales et reli­gieuses, et comme consé­quence, effa­ce­ment tou­jours plus rapide de l’empreinte chré­tienne dans nos pays, sui­vi de la mise en place de lois de per­sé­cu­tion concer­nant le secret de la confes­sion, la pré­di­ca­tion évan­gé­lique, la défense de la vie, le main­tien des normes morales et l’affirmation de la nature des choses. 

Mais rien n’y avait fait. Devant cet aveu­gle­ment inex­pli­cable, Monseigneur Lefebvre a com­pris, dans la prière et la médi­ta­tion, que la volon­té de Dieu était qu’il se donne des auxi­liaires, puis des suc­ces­seurs, dans la charge épis­co­pale de confé­rer le sacre­ment de confir­ma­tion et le sacre­ment de l’ordre, pour que l’Église conti­nue. Il n’y avait même pas vingt ans que la Fraternité Saint-​Pie X avait été fondée.

Ces consé­cra­tions épis­co­pales mirent chaque catho­lique atta­ché à la Tradition en face de la « tra­gique néces­si­té de choisir ».

Impossible de res­ter neutre : ces consé­cra­tions épis­co­pales mirent chaque catho­lique atta­ché à la Tradition en face de la « tra­gique néces­si­té de choisir ».

Il était impos­sible de res­ter neutre, de pas­ser à côté, de pré­tendre ne pas choi­sir. Soit vous accep­tiez les « prêtres d’Écône », ordon­nés par les nou­veaux évêques, soit vous refu­siez tout rap­port avec eux.

Ce fut une impres­sion­nante bagarre, qui divi­sa les familles, les amis, les asso­cia­tions, les cha­pelles. Même si, contrai­re­ment à la pré­dic­tion de Monseigneur Perl, ce furent 80 % des fidèles qui res­tèrent fidèles, et moins de 20 % qui crurent devoir se séparer.

La Fraternité Saint-​Pie X a désor­mais célé­bré son demi-​centenaire. Depuis 1988, elle a plus que tri­plé son nombre de prêtres, pas­sant de 200 prêtres à 700 prêtres. Elle a mul­ti­plié les prieu­rés, les cha­pelles, les écoles, mais aus­si les œuvres de pié­té et de doc­trine, y com­pris désor­mais sur inter­net où l’on peut trou­ver des mil­liers de textes, d’enregistrements et de vidéos qui per­mettent de se for­mer chré­tien­ne­ment et de bien com­prendre, tant la situa­tion actuelle de l’Église que le rôle pro­vi­den­tiel qu’y joue, sans l’avoir choi­si, la Fraternité Saint-​Pie X.

Pour les catho­liques atta­chés à la Tradition qui recourent au minis­tère de la Fraternité Saint-​Pie X, la vie reli­gieuse est ain­si deve­nue en quelque sorte plus facile, en France tout du moins. J’ai connu un homme qui, dans les années 70, afin de pou­voir assis­ter à la vraie messe, était obli­gé de prendre le train à par­tir de la Hollande pour rejoindre Monseigneur Ducaud-​Bourget à Paris. Nous n’en sommes plus là : s’il vivait encore aujourd’hui, il n’aurait plus à par­cou­rir ces cen­taines de kilo­mètres, car il béné­fi­cie­rait de quatre lieux de culte de la Fraternité Saint-​Pie X dans son pays, d’autres en Belgique, et enfin de lieux de culte en France proches de la frontière.

Cette rela­tive faci­li­té pour une vie chré­tienne fidèle à la Tradition est, comme la langue d’Ésope, la meilleure et la pire des choses. C’est un bien, car cela per­met à plus d’âmes et plus faci­le­ment de béné­fi­cier des richesses de la grâce. Mais c’est aus­si un dan­ger, car cela risque de nous entraî­ner à nous endor­mir dans le confort, et à perdre la vigueur, le dyna­misme, l’élan de notre vie spirituelle.

La vie chré­tienne fidèle à la Tradition est plus facile, ce qui peut être la meilleure et la pire des choses.

Je pense en par­ti­cu­lier à nos jeunes. Eux n’ont connu qu’une Fraternité Saint-​Pie X assez bien ins­tal­lée dans des églises et cha­pelles, ou du moins dans des lieux de cultes décents et com­modes, loin des han­gars miteux et cras­seux du début. Eux ont tou­jours connu le réseau des écoles vrai­ment catho­liques, et n’ont nul­le­ment res­sen­ti chez leurs parents l’angoisse de savoir com­ment trans­mettre une édu­ca­tion chré­tienne en l’absence d’école catho­lique digne de ce nom. Pour eux, les évêques auxi­liaires de la Fraternité Saint-​Pie X sont une ins­ti­tu­tion nor­male, ayant en quelque sorte tou­jours exis­té, sans qu’ils se posent la ques­tion de savoir quand et com­ment ils furent consacrés.

Le dan­ger est que, par cette faci­li­té (béné­fique en soi), ils perdent le goût de l’effort, le sens du com­bat, l’amour du sacri­fice. Je ne dis pas que tous sont atteints de façon grave, car je vois beau­coup de jeunes « tra­dis » géné­reux, fidèles, cou­ra­geux, et je m’en réjouis fort. Mais, en même temps, il est impos­sible de ne pas remar­quer la pro­por­tion de ceux qui, si l’on peut dire, suivent seule­ment par inter­mit­tence la ligne de fidé­li­té abso­lue à la foi que nous a ensei­gnée Monseigneur Lefebvre.

Un jour chré­tien, un jour mon­dain ? pour gar­der inté­gra­le­ment la foi aujourd’hui, on ne peut pas lou­voyer, tran­si­ger, papillon­ner, édul­co­rer : il y aurait là un dan­ger mor­tel de glis­ser sur la pente du laisser-aller.

N’est-ce pas une réa­li­té tan­gible que celle de ces jeunes issus de familles plei­ne­ment enga­gées dans le com­bat de la Fraternité Saint-​Pie X, de ces jeunes n’ayant fré­quen­té que les cha­pelles et les écoles de la Fraternité Saint-​Pie X, et que l’on découvre un jour chré­tiens, un jour mon­dains ; un jour Fraternité Saint-​Pie X, un jour Ecclesia Dei, voire cha­ris­ma­tique ; un jour messe tra­di­tion­nelle, un jour messe nou­velle ; un jour pèle­ri­nage de Pentecôte dans un sens, un jour pèle­ri­nage dans le sens opposé ?

Or, pour gar­der inté­gra­le­ment la foi aujourd’hui, on ne peut pas lou­voyer, tran­si­ger, papillon­ner, édul­co­rer : il y aurait là un dan­ger mor­tel de glis­ser sur la pente du laisser-​aller. Il faut au contraire, et ce n’est pas facile, sans cesse remon­ter le cou­rant, aller à l’encontre de la pen­sée domi­nante, réagir au mal qui nous envi­ronne et tente de nous péné­trer. Et c’est fati­gant, et c’est pénible, et c’est usant, et c’est décou­ra­geant. Nous avons envie de dépo­ser le sac, de nous allon­ger quelques ins­tants sur le bord de la route, de ces­ser au moins pour un temps d’être sys­té­ma­ti­que­ment « en réaction ».

Il y a là une grande ten­ta­tion, qui nous atteint tous, mais par­ti­cu­liè­re­ment les jeunes, les­quels aiment natu­rel­le­ment le chan­ge­ment, la nou­veau­té. A l’inverse, la mono­to­nie, la répé­ti­tion des mêmes (petites) dif­fi­cul­tés rongent leur éner­gie, leurs bonnes dis­po­si­tions, leurs réso­lu­tions les plus fermes.

C’est alors que nous avons tous besoin, petits et grands, jeunes et moins jeunes, de la ver­tu de force, qui renou­velle sans cesse et mal­gré la lon­gueur du temps notre déter­mi­na­tion abso­lue, intan­gible, de res­ter fidèles jusqu’au bout. Cette ver­tu de force, sou­ligne saint Thomas d’Aquin, nous est par­ti­cu­liè­re­ment néces­saire pour sup­por­ter un petit mal lorsque celui-​ci dure un long temps. Car cette endu­rance d’un mal petit, mais inter­mi­nable, se rap­proche de cette méthode de tor­ture (pro­ba­ble­ment mythique) que l’on appelle le « sup­plice de la goutte d’eau ». Ce n’est qu’une goutte d’eau qui tombe sur la tête, qui ne fait pas vrai­ment mal, qui n’occasionne qu’une petite gêne. Mais la répé­ti­tion indé­fi­nie, pen­dant des heures, des jours, finit par deve­nir abso­lu­ment insupportable.

Nous avons aujourd’hui besoin, et par­ti­cu­liè­re­ment nos jeunes, de cette ver­tu de force qui per­met de sup­por­ter les petits incon­vé­nients d’une vie inté­gra­le­ment fidèle à la Tradition catho­lique, de main­te­nir la droite ligne de la foi, de ne pas tran­si­ger avec ce qui ne lui convient pas, même si cette « intran­si­geance » est par­fois un peu dif­fi­cile per­son­nel­le­ment, fami­lia­le­ment, ami­ca­le­ment, professionnellement.

Nous allons avoir besoin pro­chai­ne­ment de force pour affron­ter l’événement ecclé­sial qui com­mence à se pro­fi­ler : des sacres pour don­ner des aides, qui devien­dront un jour leurs rem­pla­çants, aux évêques sacrés par Mgr Lefebvre en 1988.

Si la ver­tu de force nous est abso­lu­ment néces­saire pour per­sé­vé­rer dans une vie chré­tienne tota­le­ment fidèle à la Tradition, pour en sup­por­ter les petites incom­mo­di­tés et la rela­tive mono­to­nie, nous allons éga­le­ment en avoir besoin pro­chai­ne­ment pour affron­ter l’événement ecclé­sial qui com­mence à se profiler.

Comme je le disais en com­men­çant, le 30 juin 1988, Monseigneur Lefebvre réa­li­sait « l’opération-survie » de la Tradition catho­lique en sacrant quatre évêques auxi­liaires. Ces évêques, qui étaient assez jeunes à l’époque, le sont évi­dem­ment moins trente-​six ans plus tard. La situa­tion ecclé­siale ne s’étant pas amé­lio­rée depuis 1988, il s’avère néces­saire de son­ger à leur don­ner des aides, qui devien­dront un jour leurs remplaçants.

Lorsqu’une telle déci­sion sera annon­cée par le Supérieur géné­ral, il faut s’attendre à un déchaî­ne­ment média­tique contre les « inté­gristes », les « rebelles », les « schis­ma­tiques », les « déso­béis­sants », j’en passe et des meilleures. A ce moment, nous aurons à affron­ter les contra­dic­tions, les injures, les mépris, les rejets, peut-​être même des rup­tures avec des per­sonnes proches.

La ver­tu de force nous sera très néces­saire en cette occa­sion cru­ciale, et nous devrons, les uns et les autres, mani­fes­ter grâce à elle notre fidé­li­té abso­lue à la foi catho­lique intègre, à la véri­table Tradition de l’Église, à Notre Seigneur Jésus-​Christ Roi des per­sonnes, des familles et des socié­tés, et aus­si à la Fraternité Saint-​Pie X, arche de salut sus­ci­tée par la Providence au milieu du déluge qui menace d’engloutir l’Église et la civilisation.

Source : Lettres aux amis et bien­fai­teurs n°95

FSSPX Supérieur du District de France

L’abbé Benoît de Jorna est l’ac­tuel supé­rieur du District de France de la Fraternité Saint Pie X. Il a été aupa­ra­vant le direc­teur du Séminaire Saint Pie X d’Écône.