Ce ne sont pas les savants, mais les saints, qui ont défendu la Tradition

Mgr Lefebvre nous avait pré­ve­nu avant de nous quit­ter pour le ciel : « Il faut vous pré­pa­rer à un long com­bat ». Effectivement le com­bat dure, se pro­longe, se com­plexi­fie même et le champ de bataille peut par­fois sem­bler étran­ge­ment confus à certains.

La ten­ta­tion de faci­li­té se déguise alors en ten­ta­tion de sim­pli­ci­té : tout serait tel­le­ment plus facile si les choses étaient simples, s’il n’y avait que deux camps bien par­ta­gés : il y aurait les bons et les méchants. Nous serions les bons, ils seraient les méchants et tout serait tel­le­ment plus sécu­ri­sant. Mais dans l’é­vo­lu­tion de la crise aujourd’­hui, il y a de quoi en perdre son latin, avouez ! Entre la Fraternité Saint-​Pie X qui résiste tou­jours à l’en­va­his­seur moder­niste et repousse sage­ment les avances d’un accord pra­tique, les « Saint-​Pierre » qui essayent ne pas se faire aspi­rer dans les dio­cèses par la nou­velle messe, la bande de copains du « Bon Pasteur » qui croit retrou­ver un « grand saint Pie X » en un pape qui vient de rece­voir la béné­dic­tion du rab­bin, le « Christ-​Roi » qui se fait tout petit pour ne pas prendre un mau­vais coup, les cava­liers seuls qui tentent leur chance dans leur coin, et main­te­nant les « motu pro­prio » qui se mettent à dire la bonne messe dans un contexte dou­teux, . et tous les autres encore ., com­ment s’y retrouver ?

Oui, la ten­ta­tion de faci­li­té peut se pré­sen­ter sous cette forme : « C’est trop com­pli­qué pour moi, simple fidèle », « Je n’ai pas la théo­lo­gie suf­fi­sante pour m’y retrou­ver dans ce laby­rinthe », « Après tout, pour­vu qu’on ait la bonne messe » . Bref, toute cette crise serait une affaire de savants théo­lo­giens, mais le Bon dieu n’en deman­de­rait pas tant aux simples fidèles : les « petites âmes » devraient se conten­ter de souf­frir et de se sanc­ti­fier dans leur coin, sans prendre par­ti, en atten­dant que la situa­tion s’éclaircisse.

Comme nous l’a­vons dit, c’est une ten­ta­tion. Tentation de décou­ra­ge­ment, de las­si­tude. La durée du com­bat n’est pas une invi­ta­tion à bais­ser les bras, au contraire ! Nous devons prendre les moyens de tenir dans la durée et d’é­vi­ter jus­te­ment ce genre de tentation.

Un de ces moyens est de répondre à ce faux rai­son­ne­ment et de rap­pe­ler que ce ne sont pas les savants, les grands théo­lo­giens, qui ont défen­du la tra­di­tion, mais les saints. C’est l’a­mour de Dieu et de son Eglise qui a déci­dé nos anciens à se battre pour défendre la Foi catho­lique. Et par­mi eux il y avait jus­te­ment de nom­breuses « petites âmes », ces âmes simples, pos­sé­dant bien leur caté­chisme et ani­mées d’un grand amour de Dieu et du pro­chain. Ce sont elles qui ont sou­te­nu et ali­men­té ce com­bat. Certes, elles ont été gui­dées par ce grand évêque que la Providence nous avait pré­pa­ré en la per­sonne de Mgr Lefebvre, mais c’est bien leur esprit de foi et leur sens de l’Eglise qui les ont gui­dées vers lui. Pour y voir clair, il n’a pas tant fal­lu de savants rai­son­ne­ments, mais seule­ment l’au­then­tique « sen­sus fidei », l’es­prit de foi, le sens de la foi (l’au­then­tique, pas celui gal­vau­dé par quelques laïcs indé­pen­dants qui se posent en cen­seur de la Fraternité).

Je pren­drai pour exemple ce com­men­taire venu de l’autre bout du monde, la Nouvelle-​Calédonie. Lors des affaires bor­de­laises, un agi­té avait ten­té d’ex­por­ter le ferment de contes­ta­tion sur l’île. Il s’é­tait sim­ple­ment enten­du répondre : « Mais là-​bas (en Métropole), ces prêtres déso­béissent ! ». Ces fidèles Caldoches n’é­taient pas doc­teurs en Théologie pour les Temps de Crise. Mais ils ont la foi, ils refusent au quo­ti­dien la faci­li­té et les erreurs de l’é­glise conci­liaire et ils savent dis­tin­guer une déso­béis­sance légi­time, quand la foi est en jeu, du désir d’in­dé­pen­dance de prêtres en mal de faire par­ler d’eux.

Pour répondre plus pro­fon­dé­ment encore à cette ques­tion, reli­sons ces extraits de Mgr de Castro-​Mayer, tirés de sa « Lettre Pastorale sur les Problèmes de l’Apostolat Moderne » don­née en pré­face à son « Catéchisme de véri­tés oppor­tunes qui s’op­posent aux erreurs contem­po­raines » :

« Ainsi, avant tout, mon­trez que, par sa nature propre, la Foi ne se contente pas de ce que quelques-​uns appellent ses lignes géné­rales, mais exige l’in­té­gri­té et la plé­ni­tude de soi.

Afin de vous faire com­prendre, don­nez comme exemple la ver­tu de chas­te­té. A son égard, toute conces­sion prend un carac­tère de tache sombre et toute impru­dence la met tout entière en dan­ger. On a pu com­pa­rer l’âme pure à une per­sonne debout sur une sphère ; tant qu’elle conserve sa posi­tion d’é­qui­libre, elle n’a rien à craindre, mais toute impru­dence de sa part peut la faire glis­ser au fond de l’a­bîme. Et c’est pour­quoi les mora­listes et les auteurs spi­ri­tuels sont una­nimes à affir­mer que la condi­tion essen­tielles à la conser­va­tion d’une ver­tu angé­lique est une pru­dence vigi­lante et intransigeante.

On peut en dire tout autant en matière de Foi. Tant que le catho­lique se place sur le point d’é­qui­libre par­fait, sa per­sé­vé­rance sera sûre et facile. Or, ce point d’é­qui­libre ne consiste pas dans l’ac­cep­ta­tion de quelques lignes géné­rales de Foi, mais dans la pro­fes­sion de toute la doc­trine de l’Eglise ; pro­fes­sion faite, non du bout des lèvres, mais avec l’âme tout entière, impli­quant l’ac­cep­ta­tion loyale et cohé­rente, non seule­ment de ce que le Magistère lui enseigne, mais encore de toutes les consé­quences logiques de cet ensei­gne­ment. Pour ce faire, il est néces­saire que le fidèle pos­sède cette Foi vive pour laquelle il est capable d’hu­mi­lier sa rai­son per­son­nelle devant le Magistère infaillible et de dis­cer­ner avec péné­tra­tion tout ce qui, direc­te­ment ou indi­rec­te­ment, s’op­pose à l’en­sei­gne­ment de l’Eglise. Mais s’il aban­donne tant soit peu cette posi­tion de par­fait équi­libre, il com­mence à sen­tir l’at­trac­tion de l’a­bîme. Et c’est pour­quoi, pous­sé par la pru­dence et dans l’in­té­rêt du trou­peau à Nous confié, Nous vous adres­sons, fils bien-​aimés, cette Lettre Pastorale sur l’in­té­gri­té de la Foi.

A cet égard, il convient d’in­sis­ter encore sur un point sou­vent oublié de la doc­trine de l’Eglise. Qu’on ne pense pas qu’une Foi aus­si éclai­rée et robuste soit le pri­vi­lège des savants, de telle sorte qu’on ne puisse recom­man­der qu’à ceux-​ci la posi­tion d’é­qui­libre idéal décrite ci-​dessus. La Foi est une ver­tu et, dans la Sainte Eglise, les ver­tus sont acces­sibles à tous les fidèles, igno­rants ou savants, riches ou pauvres, maîtres ou élèves. L’hagiographie chré­tienne en est une preuve. Sainte Jeanne d’Arc, igno­rante ber­ge­rette de Domrémy, confon­dait ses juges par la saga­ci­té avec laquelle elle répon­dait aux argu­ties théo­lo­giques dont ils se ser­vaient pour l’in­duire en pro­po­si­tions erro­nées et jus­ti­fier ain­si sa condam­na­tion à mort. Saint Clément-​Marie Hofbauer, au XIXe siècle, humble tra­vailleur manuel, qui assis­tait, par goût, au cours de théo­lo­gie de l’illustre Université de Vienne, dis­cer­nait dans un de ses maîtres le ferment mau­dit du jan­sé­nisme, qui échap­pait au dis­cer­ne­ment de tous ses élèves et des autres pro­fes­seurs. « Je vous remer­cie, ô Père, Seigneur du Ciel et de la Terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux pru­dents, et les avez révé­lées aux petits » (Luc X 21).

Pour que nous ayons un peuple ferme et logique dans la Foi, il n’est pas néces­saire que nous en fas­sions un peuple de théo­lo­giens. Il suf­fit que celui qui aime pro­fon­dé­ment l’Eglise s’ins­truise des véri­tés révé­lées selon son niveau de culture géné­rale et pos­sède les ver­tus de pure­té et d’hu­mi­li­té néces­saires pour réel­le­ment croire, com­prendre et goû­ter les choses de Dieu. De même, pour que nous ayons un peuple vrai­ment pur, il n’est pas néces­saire de faire de chaque fidèle un mora­liste. Les prin­cipes fon­da­men­taux et les connais­sances essen­tielles à la vie cou­rante, dic­tés, en grande par­tie, par la conscience chré­tienne bien for­mée, sont suf­fi­sants. C’est ain­si que nous voyons, très sou­vent, des per­sonnes igno­rantes qui ont un juge­ment, une pru­dence et une élé­va­tion d’âme supé­rieurs à ceux de bien des mora­listes de science consommée. »

Ces lignes magni­fiques nous rap­pellent avec force que si la science est utile, c’est avant tout la vie selon l’es­prit de foi qui fait les saints. Cette même foi pro­fes­sée et vécue dans son inté­gra­li­té a per­mis, et per­met­tra encore avec la grâce de Dieu, la résis­tance de la Tradition au poi­son des nouveautés.

Que l’es­prit de foi qui ani­mait notre véné­ré fon­da­teur, Mgr Marcel Lefebvre, nous main­tienne pai­si­ble­ment fidèle dans le com­bat pour l’Eglise. Que la vaillance d’âme de ces élites soit pour nous un exemple. Ils ont été nos glo­rieux Pères. Montrons nous leurs dignes fils.

Abbé Jean-​Baptiste FRAMENT †

(Extrait du Sainte-​Anne n° 193 de novembre 2007)