L’importance du revirement n’a pas échappé au député de La France Insoumise Jean-Luc Mélenchon : les évêques de France en sont venus à défendre ce que l’Église avait autrefois condamné, la séparation de l’Église et de l’État.
Monsieur Mélenchon, député de La France Insoumise, s’est félicité le 1er février, lors du débat parlementaire au sujet de la loi sur les séparatismes, du revirement doctrinal qu’il constate chez les évêques de France. Dans une lettre adressée au président de l’Assemblée Nationale, ils défendent la loi de 1905 comme une « loi de liberté » (ce sont les termes qui furent utilisés par Aristide Briand qui défendit la loi de séparation de l’Église et de l’État !) alors qu’elle fut à l’époque, rappelle-t-il, condamnée fermement par leurs prédécesseurs et le pape saint Pie X dans son encyclique Vehementer Nos.
Président de la Conférence des Évêques de France, Mgr de Moulins-Beaufort lui a répondu (sans le nommer) le 3 février lors d’une audition au Sénat. Loin qu’il faille s’étonner d’une quelconque rupture dans l’attitude des évêques entre 1905 et aujourd’hui, il faudrait selon lui constater une continuité. Comme ils le font aujourd’hui, l’Église et les évêques se seraient réjouis en 1905 de cette loi de séparation de l’Église et de l’État : « La vérité c’est que l’Église catholique, l’épiscopat français, en 1905, est très content de la loi de Séparation », affirme l’évêque de Reims devant les sénateurs, ajoutant : « Sur la Séparation elle-même, elle était, je crois, nécessaire et attendue ».
Certains journaux catholiques ont appuyé les dires de l’évêque de Reims en avançant que la ferme réprobation de saint Pie X et des évêques français contre cette loi portait avant tout sur un aspect circonstanciel : ils refusaient non pas tant le principe (applaudi par l’Église conciliaire) de la séparation entre l’État et l’Église, que l’établissement des associations cultuelles regroupant des laïcs chargés de gérer les biens du diocèse.
Une petite rétrospective historique permet de montrer qu’en ces matières, l’on ne peut que constater qu’en 2021, un député classé à gauche de l’échiquier politique est plus fiable qu’un évêque catholique.
La position de saint Pie X fut de condamner non seulement les associations cultuelles, mais d’abord et avant tout la séparation de l’Église et de l’État dans son principe. Une simple lecture de l’encyclique Vehementer Nos, le manifeste clairement. « Qu’il faille séparer l’État de l’Église, c’est une thèse absolument fausse, une très pernicieuse erreur » : voilà un jugement qui ne porte pas que sur la disposition particulière des cultuelles. Il énonce un principe général que le pape étaye par des arguments qui ne se résument pas non plus à des considérations particulières sur la loi de 1905, mais condamnent une telle séparation en elle-même :
Qu’il faille séparer l’État de l’Église, c’est une thèse absolument fausse, une très pernicieuse erreur. Basée, en effet, sur ce principe que l’État ne doit reconnaître aucun culte religieux, elle est tout d’abord très gravement injurieuse pour Dieu, car le créateur de l’homme est aussi le fondateur des sociétés humaines et il les conserve dans l’existence comme il nous soutient. Nous lui devons donc, non seulement un culte privé, mais un culte public et social, pour l’honorer.
En outre, cette thèse est la négation très claire de l’ordre surnaturel ; elle limite, en effet, l’action de l’État à la seule poursuite de la prospérité publique durant cette vie, qui n’est que la raison prochaine des sociétés politiques, et elle ne s’occupe en aucune façon, comme lui étant étrangère, de leur raison dernière qui est la béatitude éternelle proposée à l’homme quand cette vie si courte aura pris fin. Et pourtant, l’ordre présent des choses qui se déroulent dans le temps se trouvant subordonné à la conquête de ce bien suprême et absolu, non seulement le pouvoir civil ne doit pas faire obstacle à cette conquête, mais il doit encore nous y aider.
Cette thèse bouleverse également l’ordre très sagement établi par Dieu dans le monde, ordre qui exige une harmonieuse concorde entre les deux sociétés. Ces deux sociétés, la société religieuse, et la société civile, ont, en effet, les mêmes sujets, quoique chacune d’elles exerce dans sa sphère propre son autorité sur eux. Il en résulte forcément qu’il y aura bien des matières dont elles devront connaître l’une et l’autre, comme étant de leur ressort à toutes deux. Or, qu’entre l’État et l’Église l’accord vienne à disparaître, et de ces matières communes pulluleront facilement les germes de différends qui deviendront très aigus des deux côtés. La notion du vrai en serra troublée. et les âmes remplies d’une grande anxiété.
Enfin, cette thèse inflige de graves dommages à la société civile elle-même, car elle ne peut pas prospérer ni durer longtemps lorsqu’on n’y fait point sa place à la religion, règle suprême et souveraine maîtresse quand il s’agit des droits de l’homme et de ses devoirs. Aussi, les pontifes romains n’ont-ils pas cessé, suivant les circonstances et selon les temps, de réfuter et de condamner la doctrine de la séparation de l’Église et de l’État.
Saint Pie X, Vehementer Nos
Et le pape Saint Pie X n’a pas de mal à montrer qu’il ne fait que s’inscrire dans l’enseignement de ses prédécesseurs :
Aussi, les pontifes romains n’ont-ils pas cessé, suivant les circonstances et selon les temps, de réfuter et de condamner la doctrine de la séparation de l’Église et de l’État. Notre illustre prédécesseur Léon XIII, notamment, a plusieurs fois et magnifiquement exposé ce que devraient être, suivant la doctrine catholique, les rapports entre les deux sociétés. « Entre elles, a‑t-il dit, il faut nécessairement qu’une sage union intervienne, union qu’on peut non sans justesse ; comparer à celle, qui réunit dans l’homme, l’âme et le corps. »
Saint Pie X, Vehementer Nos
Si les évêques hésitèrent un temps quant à l’acceptation des associations cultuelles imposées par la loi, ils se rangèrent de façon quasi unanime à l’avis du pape et les refusèrent après l’intervention de Saint Pie X[1].
Quant au principe de séparation de l’Église et de l’État, d’ailleurs déjà condamnée par Pie IX dans le Syllabus[2], ils le refusèrent toujours[3].
L’attitude de saint Pie X, que certains trouvèrent dure, trop opposée à un nécessaire esprit de conciliation, fit au contraire l’admiration de ses adversaires : « Pie X, c’est le seul qui ait vu clair ». La phrase est d’Aristide Briand[4], promoteur de la loi de 1905. En gardant sauve la doctrine, le pape avait sauvé la constitution de l’Église. N’est pas habile qui le croit : cela peut s’observer aujourd’hui comme hier.
Il faut donc constater, mais non pas pour nous en réjouir comme le fait monsieur Mélenchon, que le revirement des évêques est tel que le président de la Conférence des Évêques de France en vient à réécrire l’histoire, comme si son adhésion à cette loi était si grande qu’il ne puisse concevoir que l’Église ait jamais pensé autrement. Loi de liberté ? Non. Aujourd’hui comme hier, elle demeure fausse dans son principe, et par là-même « odieuse », « ourdie pour la ruine du catholicisme » « contraire aux droits de Dieu et de l’Église » comme ne craignit pas de l’affirmer saint Pie X[5].
- « A part quelques prélats républicains qui, parce qu’ils préféraient une politique de conciliation avec l’État, remettront leur démission au Saint-Siège (Mgr Sueur à Avignon, Mgr Lacroix en Tarentaise, Mgr Herscher à Langres), le clergé français a traversé la crise avec dignité, dans un esprit d’obéissance au pape ». Cf Jean Sévillia, Jean Sévillia, Quand les catholiques étaient hors la loi, Perrin, coll. Tempus, p. 230[↩]
- Proposition 55 (condamnée) : « L’Église doit être séparée de l’État, et l’État de l’Église », DS 2955[↩]
- « Mgr de Briey, évêque de Meaux, fut en effet un des deux seuls dignitaires à approuver le principe même de la séparation, lors de la première assemblée des évêques de France, au mois de mai 1906, en pleine querelle des inventaires. – Seuls deux évêques, contre 72, approuvèrent le principe de la loi ! » Cf. Mathilde Guilbaud, « La loi de séparation de 1905 ou l’impossible rupture », dans Revue d’Histoire du XIXe siècle 28/2004[↩]
- cité dans Jean Sévillia, Quand les catholiques étaient hors la loi, Perrin, coll. Tempus, p. 232[↩]
- Allocution au Consistoire du 21 février 1906, dans Enseignement Pontificaux de Solesmes La Paix Intérieure des Nations, n°392[↩]