Faites l’aumône de votre bien, et ne détournez votre visage d’aucun pauvre ; car ainsi il arrivera que le visage du Seigneur ne se détournera pas de vous. Soyez charitable de la manière que vous le pourrez. Si vous avez beaucoup, donnez abondamment ; si vous avez peu, ayez soin de donner de bon cœur de ce peu. Car vous vous amasserez une grande récompense pour le jour de la nécessité. Car l’aumône délivre de tout péché et de la mort, et elle ne laissera pas tomber l’âme dans les ténèbres. L’aumône sera le sujet d’une grande confiance devant le Dieu suprême, pour tous ceux qui l’auront faite.
Livre de Tobie 4, 7–12
Ces paroles admirables sont du vieux Tobie à son jeune fils. Elles doivent nous encourager à faire l’aumône, pendant ce Carême et même après. Qu’est-ce que l’aumône ? C’est une œuvre, disent les moralistes, par laquelle on donne à quelqu’un dans l’indigence, en étant mû par la compassion, et à cause de Dieu. La sainte Écriture en parle souvent et nous enseigne que celui qui pratique l’aumône attire les bénédictions de Dieu sur soi. Ainsi, dans le livre du Lévitique, on apprend que les Israélites devaient abandonner leurs champs aux pauvres tous les sept ans. Mais la sixième année, Dieu avait promis que les récoltes produiraient trois fois plus : Que si vous dites, que mangerons-nous la septième année, si nous n’avons point semé, et si nous n’avons point recueilli de fruit de nos terres ? Je répandrai ma bénédiction sur vous en la sixième année, et elle portera autant de fruits que trois autres. Vous sèmerez à la huitième année, et vous mangerez vos anciens fruits jusqu’à la neuvième année. Vous vivrez des anciens jusqu’à ce qu’il en soit venu de nouveaux (Lv 25, 20–22).
L’aumône est aussi encouragée dans le Nouveau Testament, par Notre Seigneur lui-même. Il nous montre également qu’elle ne reste pas sans récompense devant Dieu : Quand vous donnez un festin, invitez les pauvres, les estropiés et les aveugles ; et vous serez heureux de ce qu’ils ne peuvent vous rendre la pareille, car tout cela vous sera rendu à la résurrection des justes (Luc 14, 13–14). Notre Seigneur nous dit de faire l’aumône discrètement, sans tambour ni trompette : Lors donc que tu fais l’aumône, ne sonne pas de la trompette devant toi, comme font les hypocrites dans les synagogues et dans les rues, pour être honorés des hommes. En vérité, je vous le dis, ils ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ne sache point ce que fait ta main droite, afin que ton aumône soit dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra (Mt 6, 2–4).
Il n’est pas inutile de rappeler pourquoi il nous faut faire l’aumône. Tout d’abord parce que c’est un vrai précepte divin. Dans le Deutéronome (15, 11), Dieu dit : Il y aura toujours des pauvres dans le pays où vous habiterez. C’est pourquoi je vous ordonne d’ouvrir votre main aux besoins de votre frère qui est pauvre et sans secours, et qui demeure avec vous dans votre pays. Il faut aussi faire l’aumône pour réparer nos péchés. Les auteurs spirituels disent que la prière répare plus spécialement les péchés contre Dieu, le jeûne répare les péchés contre soi-même, et l’aumône répare les péchés contre le prochain. Il faut encore faire l’aumône pour se mortifier, c’est-à-dire donner la mort aux mauvaises tendances qui sont en nous par suite du péché originel, et notamment pour maîtriser la concupiscence des yeux, cet attrait pour les richesses terrestres qui peut facilement nous conduire au péché. Enfin, on peut tout simplement faire l’aumône car elle réjouit Notre Seigneur. En parlant de la fin du monde, Il nous dit : Chaque fois que vous l’avez fait (l’aumône) à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait (Mt 25, 40).
Alors comment, concrètement, faire l’aumône ? On peut s’inspirer de ce qu’enseigne le catéchisme, et pratiquer les œuvres de miséricorde corporelle et spirituelle. Ces œuvres se résument à tout ce qu’on peut apporter aux besoins d’un corps (nourrir, abreuver, habiller, loger…), à tout ce qu’on peut apporter aux besoins d’une âme (conseiller, instruire, reprendre, consoler, pardonner, supporter, prier). On relira donc avec profit la liste de ces œuvres[1]. Les moralistes donnent également un principe d’action. Ils enseignent que l’obligation de faire l’aumône dépend de deux critères : la nécessité du prochain et la possibilité de celui qui donne. Il faut juger prudemment (et non frileusement) ses possibilités. Pour cela, il est fort utile de distinguer, dans les moyens dont on dispose, les biens qui nous sont nécessaires pour vivre, de ceux qui sont superflus. C’est avec les biens superflus qu’il est prudent de faire l’aumône. Il faut ensuite juger la nécessité du prochain. Les moralistes font une distinction : le prochain est-il dans l’extrême nécessité ou dans la grave nécessité ? Dans le premier cas, on est tenu de le secourir avec ses biens superflus, et aussi avec ses biens nécessaires au maintien de notre état, du moment que cela peut se faire sans graves dommages. Quelle quantité donner ? Si notre prochain est dans la nécessité extrême, il faut donner autant qu’il faut pour faire sortir de cet état. S’il est dans la nécessité commune, saint Alphonse enseigne que l’on peut donner jusqu’à 2% de ses biens.
Une question surgit, qui rend plus difficile la pratique de l’aumône : a‑t-on affaire à un vrai ou à un faux mendiant ? Si on pense que c’est un faux, on n’est pas tenu de faire l’aumône. Mais si on a un doute, que faire ? Il faut alors ne jamais oublier le motif de l’aumône : l’amour de Dieu. Un prédicateur de retraite, traitant cette question, nous avait dit : « On peut se tromper de pauvre, on ne se trompera jamais de Bon Dieu. » Et un professeur au séminaire estimait : « Il vaut mieux être “poire“ que trop méfiant. Car on court alors le risque de durcir son cœur. » Le livre de l’Ecclésiastique, que nous citons pour conclure (29, 10–15), incite lui aussi à la générosité en cas de doute : Beaucoup ne prêtent pas, non par dureté, mais parce qu’ils craignent d’être trompés gratuitement. Néanmoins sois magnanime envers le misérable, et ne le fais pas languir pour son aumône. Assiste le pauvre à cause du commandement, et ne le renvoie pas les mains vides, à cause de sa misère. Perds ton argent pour ton frère et pour ton ami, et ne le cache pas sous une pierre, sans profit. Place ton trésor selon les préceptes du Très-Haut, et il te sera plus utile que l’or. Cache ton aumône dans le sein du pauvre, et elle priera pour toi.
Abbé Vincent Grave
Source : Lou Pescadou n°208
Illustration : Fra Angelico, Saint Laurent distribue l’aumône, 1447, Palais du Vatican.
- Les œuvres de miséricorde spirituelle. On en compte sept principales : 1. instruire les enfants et les adultes ignorants des vérités de la religion ; 2. donner de bons conseils et de bons exemples ; 3. consoler les affligés ; 4. reprendre les pécheurs par la correction fraternelle ; 5. pardonner les injures ; 6. supporter patiemment les défauts du prochain ; 7. prier pour les vivants et pour les morts. Les œuvres de miséricorde corporelle. On en compte également sept principales : 1. faire l’aumône aux nécessiteux ; 2. exercer l’hospitalité ; 3. donner à manger à ceux qui ont faim et à boire à ceux qui ont soif ; 4. donner des vêtements à ceux qui n’en ont pas ; 5. visiter les malades et les prisonniers ; 6. racheter les captifs ; 7. ensevelir les morts.[↩]