Le formel est le rassemblement du « peuple de Dieu », la messe n’est qu’une circonstance de lieu. Là est l’essentiel de la réforme voulue par Vatican II.
Le 3 avril 1969, le Pape Paul VI signait la Constitution apostolique Missale romanum, promulguant le missel romain restauré par décret du IInd concile du Vatican. Ce document introduit le Novus Ordo Missæ, (abrégé en NOM) qui se présente accompagné d’une importante « Présentation générale » ou Institutio generalis, comportant 341 articles. Le 26 mars 1970, ce nouveau Missel fit l’objet d’une deuxième édition, comportant dans sa « Présentation générale », un Préambule, et de nombreuses modifications [1] La troisième édition typique de ce nouveau Missel réformé, présentée à Rome le 22 mars 2002, et approuvée par le Pape Jean-Paul II, est accompagnée d’une nouvelle version révisée de la Présentation générale, l’Institutio generalis missalis romani, qui comporte 399 articles.
2. Loin de s’être imposé du jour au lendemain dans l’Eglise, ce NOM de Paul VI est le fruit d’une longue élaboration. La constitution Sacrosanctum concilium sur la liturgie du concile Vatican II appelait en effet une réforme en son n° 50, inspirée par une logique profonde, clairement énoncée au n° 21 : « Cette restauration doit consister à organiser les textes et les rites de telle façon que le peuple chrétien, autant qu’il est possible, puisse facilement les saisir et y participer par une célébration pleine, active et communautaire ». Le numéro 14 précisait déjà : « La mère Église désire beaucoup que tous les fidèles soient amenés à cette participation pleine, consciente et active aux célébrations liturgiques, qui est demandée par la nature de la liturgie elle-même et qui, en vertu de son baptême, est un droit et un devoir pour le peuple chrétien, » race élue, sacerdoce royal, nation sainte, peuple racheté « (I Pe, II, 9 et I Pe, II, 4–5) ».
3. L’aboutissement de cette volonté de réforme se trouve dans le numéro 16 de l’Institutio generalis (2002) du NOM, qui définit la Messe comme « l’action du Christ et du Peuple de Dieu organisé hiérarchiquement ».
4. Pour en donner l’appréciation, nous nous appuierons sur le Bref examen critique présenté par le cardinal Ottaviani, en son nom et au nom du cardinal Bacci, au Pape Paul VI le 3 septembre 1969 (abrégé en BEC).
I – La version de 1969.
5. La définition de la messe se trouve dans la première édition de l’Institutio generalis, celle du 18 novembre 1969 :
- au n° 2, elle est définie comme le mémorial de la passion et de la résurrection du Christ.
- au n° 7 : « La Cène du Seigneur, autrement dit la messe, est une synaxe sacrée, c’est-à-dire le rassemblement du peuple de Dieu, sous la présidence du prêtre, pour célébrer le mémorial du Seigneur. C’est pourquoi le rassemblement local de la sainte Église réalise de façon éminente la promesse du Christ : « Lorsque deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis là, au milieu d’eux » (Mt, XVIII, 20).
6. La messe est formellement définie comme telle ; elle est :
- le rassemblement des fidèles (forme)
- pour célébrer la mémoire ou le souvenir du fait passé de la première Cène (fin)
- sous la présidence du prêtre (efficience).
7. On notera que c’est le peuple de Dieu tel que rassemblé qui célèbre ; le peuple est l’agent de la célébration : « congregatio populi Dei ad celebrandum ». La présence du Christ provient de (« quare ») ce rassemblement : c’est donc la présence spirituelle de celui dont on se souvient, ce souvenir étant précisément l’action du peuple qui constitue la cause finale du rassemblement. Il semble alors que le pain et le vin ne soient plus que les symboles dont use ce rassemblement pour représenter celui dont on se souvient.
8. Le BEC en donne l’appréciation suivante, tout d’abord pour ce qui est de la première partie : « La définition de la Messe est donc réduite à celle d’une « cène » : et cela réapparaît continuellement (aux numéros 8, 48, 55, 56 de l’IG). Cette « cène » est en outre caractérisée comme étant celle de l’assemblée présidée par le prêtre ; celle de l’assemblée réunie afin de réaliser « le mémorial du Seigneur », qui rappelle ce qu’il fit le Jeudi-saint. Tout cela n’implique ni la Présence réelle, ni la réalité du Sacrifice, ni le caractère sacramentel du prêtre qui consacre, ni la valeur intrinsèque du Sacrifice eucharistique indépendamment de la présence de l’assemblée ». D’un point de vue logique, cette définition qui est censée être celle de la messe ne contient aucun des éléments essentiels au défini, tel qu’il a déjà fait l’objet de la définition du Magistère. « L’omission, en un tel endroit, de ces données dogmatiques, ne peut être que volontaire. Une telle omission volontaire signifie leur « dépassement » et au moins en pratique, leur négation ».
9. Le BEC fait remarquer que cette nouvelle définition du n°7 est immédiatement suivie, au n°8, par la division de la Messe en deux parties : liturgie de la parole ; liturgie eucharistique. Le sens profond de cette division est indiqué, par le texte même de l’IG, qui nous dit que la Messe comporte ainsi une double préparation : la préparation de la « table de la parole de Dieu » et celle de la « table du Corps du Christ », afin que les fidèles soient « enseignés et restaurés ». « Il y a là », remarque le BEC, « une assimilation des deux parties de la liturgie, comme s’il s’agissait de deux signes d’égale valeur symbolique. Assimilation qui est absolument illégitime ». La division de la messe confirme ainsi la définition de la messe, où la présence du Christ n’est plus la présence réelle sacramentelle mais une présence spirituelle.
10. Après la définition et la division, la dénomination. « L’IG, qui constitue l’introduction du nouvel Ordo Missæ, emploie pour désigner la Messe des expressions nombreuses qui seraient toutes acceptables relativement. Elles sont toutes à rejeter si on les emploie comme elles le sont séparément, et dans l’absolu, chacune acquérant une portée absolue du fait qu’elle est employée séparément :
- action du Christ et du peuple de Dieu ;
- Cène du Seigneur ;
- repas pascal ;
- participation commune à la table du Seigneur ;
- prière eucharistique ;
- liturgie de la parole et liturgie eucharistique.
11. Nous pouvons conclure : « Il est manifeste que les auteurs du nouvel Ordo Missæ ont mis l’accent, de façon obsessionnelle, sur la cène et sur la mémoire qui en est faite, et non pas sur le renouvellement (non sanglant) du sacrifice de la Croix. On doit même observer que la formule : « Mémorial de la Passion et de la Résurrection du Seigneur » n’est pas exacte. La Messe se réfère formellement au seul Sacrifice, qui est, en soi, rédempteur ; la Résurrection en est le fruit ». Saint Thomas dit dans l’Adoro Te : « O memoriale mortis Domini ».
II – La version de 1970.
12. Cette définition fut révisée dans la deuxième édition de l’Institutio generalis, celle du 26 mars 1970. Les modifications qui y sont introduites « n’imposent pas un changement substantiel dans les observations que nous avons faites auparavant au sujet de la nouvelle messe » [2]. Il ne faut pas oublier en effet que la messe est d’abord l’équivalent d’une œuvre d’art, d’une pratique. On peut toujours changer la définition sans changer la pratique qui y correspond. Or, c’est l’œuvre telle qu’elle est, même si la définition en est changée, qui est à juger. Et cette œuvre est déficiente, comme le montre le Bref examen critique des cardinaux Ottaviani et Bacci, parce qu’elle oblitère l’essentiel de ce que l’œuvre est censée réaliser : l’adhésion à Jésus-Christ Sauveur et Rédempteur. Comme toutes les autres élaborations écrites post-eventum, le Préambule de l’IG révisée de 1970 l’a été après l’élaboration de la nouvelle messe, pour justifier celle-ci, mais elle-même reste une œuvre déficiente. Corriger l’IG n’a pas équivalu à corriger la messe : corriger la définition en laissant le défini tel quel ne corrige rien.
13. La définition corrigée de la messe figure au n° 7 :
« A la messe ou Cène du Seigneur, le peuple de Dieu est convoqué et rassemblé, sous la présidence du prêtre, qui représente la personne du Christ, pour célébrer le mémorial du Seigneur, ou sacrifice eucharistique. C’est pourquoi ce rassemblement local de la sainte Église réalise de façon éminente la promesse du Christ : « Lorsque deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis là, au milieu d’eux » (Mt XVIII, 20). En effet, dans la célébration de la messe où est perpétué le sacrifice de la croix (Concile de Trente, Session XXII, ch. 1 ; DS 1740 ; cf. Paul VI, Profession de foi, n° 24), le Christ est réellement présent dans l’assemblée elle-même réunie en son nom, dans la personne du ministre, dans sa parole et aussi, mais de façon substantielle et continuelle, sous les espèces eucharistiques (Paul VI, Mysterium fidei) ».
14. Cette nouvelle définition est moins ouvertement moderniste. Mais la part d’orthodoxie dans cette définition ne parvient pas à évacuer le modernisme qui profite de l’équivoque [3]. « Il subsiste toujours des ambiguïtés et des déviations qui ne sont pas petites » [4].
15. La définition dit que « A la messe ou cène du Seigneur, le peuple de Dieu est convoqué et rassemblé, sous la présidence du prêtre qui représente la personne du Christ pour célébrer le mémorial du Seigneur ou sacrifice eucharistique ». Il y a cinq éléments à distinguer dans cette phrase.
- Le sujet logique dont on parle et auquel on va attribuer le prédicat est le « peuple de Dieu ».
- Que dit-on de ce peuple de Dieu ? Le peuple de Dieu est « convoqué et rassemblé ».
- La cause finale de cette forme : « pour célébrer le mémorial du Seigneur ou sacrifice eucharistique ».
- La cause efficiente qui conforme cette matière : « sous la présidence du prêtre qui représente la personne du Christ ».
- Enfin, en disant « à la messe », on énonce une circonstance selon le lieu.
16. Le formel est donc le rassemblement du peuple. Cette phrase définit le rassemblement du peuple de Dieu. La messe n’est qu’une circonstance de lieu. Ce dont on parle, ce qui va être informé et déterminé par un prédicable n’est pas la messe, mais a lieu dans ce qu’on appelle la messe. La messe est le lieu approprié du rassemblement du peuple de Dieu. La 1re version de 1969 énonçait l’hérésie beaucoup plus clairement. Dans cette 2e version de 1970, l’hérésie est plus ambiguë. On est passé de « la messe est le rassemblement du peuple de Dieu » à « à la messe, le peuple de Dieu est rassemblé ».
17. La faute la plus grave consiste à maintenir ici l’affirmation inchangée de la première version de 1969, selon laquelle c’est précisément le peuple en tant que rassemblé qui célèbre le mémorial du Seigneur ou sacrifice eucharistique. Car c’est bien ce qui est toujours dit, sans aucune modification : « In Missa […] populus Dei in unum convocatur […] ad memoriale Domini seu sacrificium eucharisticum celebrandum ». Le mot « celebrandum » a ici comme en 1969 toujours pour sujet et donc pour agent « populus Dei ». Et là est l’essentiel de la réforme voulue par Vatican II.
Abbé Jean-Michel Gleize
Source : Courrier de Rome n°645
- Celles-ci ont été analysées dans le chapitre IV du livre de Arnaldo Xavier Da Silveira, La Nouvelle Messe de Paul VI, qu’en penser ? Editions de Chiré, Diffusion de la Pensée Française, 1975, p. 99 et sv.[↩]
- Arnaldo Xavier Da Silveira, La Nouvelle Messe de Paul VI, qu’en penser ? Editions de Chiré, Diffusion de la Pensée Française, 1975, p. 100–101.[↩]
- Mgr Lefebvre, La messe de toujours, textes réunis par l’abbé Troadec, Clovis, 2005, p. 318–319.[↩]
- Arnaldo Xavier Da Silveira, La Nouvelle Messe de Paul VI, qu’en penser ? Editions de Chiré, Diffusion de la Pensée Française, 1975, p. 117.[↩]