Le Singe et la Colombe

Une fable qui valut un Bref de Sa Sainteté Pie IX à son auteur.

Une colombe toute blanche
Au som­met d’un hêtre per­chait,
A l’ex­tré­mi­té d’une branche
Qui sur un abîme pen­chait.
Un gros singe armé d’une hache
Grimpa si haut qu’il put vers elle et, furieux.
Se mit à frap­per sans relâche
Ce vert rameau qui les por­tait tous deux.

- Que faites-​vous, dit la colombe ;
Ce que vous ébran­lez est votre unique appui.
Si par mal­heur, le rameau tombe,
Bûcheron insen­sé, vous tom­bez avec lui !

- Moi, répond le singe avec rage,
C’est à toi, c’est à toi, colombe, que j’en veux !
Ton renom d’in­no­cence est pour tous un outrage
Ton rou­cou­le­ment dou­ce­reux
M’empêche de dor­mir. Au gouffre ce feuillage
Qui cache en ses replis tes com­plots ténébreux !

Il redouble, à ces mots, les efforts de sa haine
Et le rameau craque et se rompt ;
Et l’a­ni­mal per­vers qu’en sa chute il entraîne
Avec lui roule jus­qu’au fond.
Mais la colombe ouvrant son aile,
S’échappa dans les airs, pai­sible et sans effort,
Et le singe éle­vant vers elle
Son œil déjà voi­lé des ombres de la mort,
La vit pla­ner là-​haut vers la voûte éternelle.

Combien de fois, depuis dix-​neuf cents ans,
De l’Eglise du Christ les rameaux bien­fai­sants
Ont été muti­lés par des mains cri­mi­nelles !
Hardis per­sé­cu­teurs, les plus forts des humains,
Frappez, frap­pez encor : la hache est dans vos mains ;
Mais vous ver­rez un jour que l’Eglise a des ailes.

Jacques Melchior Villefranche, Le Fabuliste chré­tien.

Extrait d’un Bref de Sa Sainteté Pie IX à l’auteur

…Sa Sainteté n’i­gnore pas non plus vos autres tra­vaux. Elle connaît ces fables ingé­nieuses et ces fic­tions lit­té­raires, d’au­tant plus écou­tées qu’elles sont plus détour­nées et plus adroites, par les­quelles vous vous effor­cez de pro­pa­ger les doc­trines reli­gieuses et l’a­mour de la vertu.

Sa Sainteté se réjouit des louanges accor­dées à de tels écrits par des hommes ins­truits et pieux ; Elle vous en féli­cite du fond du cœur, ne dou­tant nul­le­ment que vous ; per­sé­vé­re­rez avec constance dans la voie où vous mar­chez. Elle appelle sur vous, à cet effet, tous les secours célestes.

François MERCURELLI,

Secrétaire de Sa Sainteté pour les Brefs aux Princes. Rome, 12 juin 1876.