Le 6 juillet 2015 à Guayaquil en Équateur, en vue du Synode Ordinaire consacré aux familles, le Pape François invitait les fidèles à intensifier leur prière, « pour que même ce qui nous semble encore impur, nous scandalise ou nous effraie, Dieu – en le faisant passer par son « heure » – puisse le transformer en miracle. »
Cette transformation que le pape souhaite voir s’opérer lors de la deuxième session de ce Synode suppose de la part des Pères Synodaux « une conversion du langage », recommandée par « l’Instrumentum Laboris » au n°77 (le document de travail qui servira de base à la prochaine séance du Synode de la famille), « afin que (le langage) apparaisse comme étant effectivement significatif. » Car « il ne s’agit pas seulement de présenter des normes, mais de proposer des valeurs, en répondant ainsi au besoin que l’on constate aujourd’hui, même dans les pays les plus sécularisés. » En outre, – n°78 de ce même texte – « le message chrétien doit être annoncé en privilégiant un langage qui suscite l’espérance. Il est nécessaire d’adopter une communication claire, invitante et ouverte, qui ne moralise pas, ne juge pas et ne contrôle pas, et qui rende témoignage à l’enseignement moral de l’Église, tout en restant sensible aux conditions des personnes. Étant donné que sur différents thèmes le Magistère ecclésial n’est plus compris par beaucoup, on ressent l’urgence d’un langage capable de toucher tout le monde, en particulier les jeunes, pour transmettre la beauté de l’amour familial et faire comprendre la signification de termes comme don, amour conjugal, fécondité et procréation. »
Ce nouveau langage ne nous avait d’ailleurs pas échappé, dès les premières publications de ce Synode, notamment celle du Rapport Intermédiaire paru le 13 octobre 2014, auquel le directeur exécutif de New Ways Ministry[1], Francis DeBernardo, réagissait, sur le site de CNN, en ces termes :
« Bien que ce document n’aille pas aussi loin que moi et beaucoup d’autres aimeraient, je pense qu’il est important de se rappeler que le changement de doctrine dans l’Église commence par un changement de langage et de ton, ce qui conduit à un changement dans les attitudes et les pratiques pastorales, qui finalement conduit au changement de la doctrine ».
Finalement, l’adaptation du langage recommandée par l’Instrumentum Laboris (ainsi que le rapport définitif de la première session de ce Synode, en date du 18 octobre 2014, appelé Relatio) est davantage une transformation pour ne pas dire une perversion de l’enseignement, c’est-à-dire un renversement des positions traditionnelles de l’Église. Cette prétendue adaptation n’a rien à voir avec celle dont l’Église a toujours eu le souci légitime pour faire entendre le plus clairement possible la doctrine révélée. Pour qu’elle ait prise sur les âmes, la prédication doit s’inspirer d’une réelle charité surnaturelle qui, sans aucune complaisance au mal, invite le pécheur à revenir à Dieu et donc à fuir le péché et non pas à le rassurer faussement. Autrement dit, un langage adapté aurait été celui qui clarifie, définit distinctement, nomme adéquatement les choses ; un langage propre à éclairer les hommes sur leur véritable état d’âme et les remèdes surnaturels appropriés.
Il s’agit donc d’un nouveau langage qui conduira inéluctablement à un changement de la doctrine.
La dissimulation
Saint Pie X et le pape Pie XII avaient déjà dénoncé ce nouveau langage, en en relevant les artifices :
« Notre charge apostolique, disait saint Pie X, nous fait un devoir de veiller à la pureté de la foi et à l’intégrité de la discipline catholique, de préserver les fidèles des dangers de l’erreur et du mal, surtout quand l’erreur et le mal leur sont présentés dans un langage fascinant, qui, voilant le vague des idées et l’équivoque des expressions sous l’ardeur du sentiment et la sonorité des mots, peut enflammer les cœurs pour des causes séduisantes mais funestes. » (Lettre sur le Sillon).
Et sous le pontificat de Pie XII, la Sacrée Congrégation des Séminaires écrivait aux évêques du Brésil : « Pour arriver à ses fins, le démon insuffle un esprit de confusion qui séduit les âmes, les entraînant à professer l’erreur habilement dissimulée sous les apparences de la vérité. Le plus souvent, il fera « pulluler les erreurs camouflées sous une apparence de vérité… avec une terminologie prétentieuse et obscure. »
On ne pouvait pas mieux décrire toutes les ruses de ce nouveau langage, telles la dissimulation, la confusion, l’équivoque, autant de subterfuges qui contrastent avec la recommandation de Jésus-Christ : « Que votre oui soit oui et votre non soit non. » (Matthieu V, 37)
La dialectique
Ce langage se voudrait être celui de l’espérance, au motif de « ne pas écraser » (Instrumentum Laboris n°42). Les mots sont ici habilement pesés pour nous incliner à prendre le parti de la complaisance. À la faveur d’une « communication claire, invitante et ouverte, qui ne moralise pas », l’Instrumentum Laboris recourt en effet à l’espérance, le mot devenu fétiche pour la circonstance et qui s’impose d’autant mieux qu’il l’oppose au verbe « écraser ».
N’est-ce pas une manière habile pour nous suggérer de ne pas trop rappeler les préceptes de la morale chrétienne, au risque de manquer à la vertu d’espérance ? Il s’agit d’une véritable manipulation du langage à caractère dialectique qui oppose l’espérance aux préceptes divins. Cette manipulation se fonde sur une véritable confusion ou ambiguïté pour ne pas dire mensonge ; car, tout au contraire, l’espérance nous fait attendre de Dieu sa grâce pour précisément observer ses commandements, afin d’obtenir le bonheur éternel.
La culpabilisation
La culpabilisation est aussi une manœuvre qui n’est pas rare dans ce nouveau langage. Au lieu de dénoncer clairement le péché et d’exhorter le pécheur à la conversion, il dénonce les autres par sous entendu : « Les hommes et les femmes ayant des tendances homosexuelles doivent être accueillis avec respect et délicatesse. À leur égard, on évitera toute marque de discrimination injuste » (Relatio n°55).
Comme l’indiquait déjà le prophète Isaïe (V, 20), on ne saurait appeler le mal bien sans qualifier le bien de mal, c’est-à-dire légitimer les adeptes du mal sans stigmatiser ceux qui s’attachent au bien.
L’immersion
Ce nouveau langage a aussi la fâcheuse tendance à se noyer dans les méandres, souvent complexes des comportements particuliers de ces gens en situation irrégulière.
C’est particulièrement caractéristique d’une approche plutôt personnaliste de la morale, d’une morale désormais immergée dans les aventures et les expériences humaines de chacun : au lieu de l’envisager sous le rapport objectif de la nature humaine telle que Dieu l’a voulue, en la destinant tout spécialement à la vie surnaturelle, ce nouveau langage nous invite à se référer davantage aux conditions particulières et diversifiées des personnes.
Après tout, c’est une manière bien habile pour nous faire tourner autour de notre ego et voir comment ne pourrait-on pas s’octroyer quelques libertés, en épluchant les préceptes divins dans « le contexte anthropologico-culturel » (Instrumentum Laboris 1ère partie – Chapitre 1) d’aujourd’hui, ainsi que dans « la pluralité des situations concrètes » (Instrumentum Laboris n°36).
La restriction
Par ailleurs, ce nouveau langage excelle dans l’usage de la restriction, introduite par les adverbes ou conjonctions tels que « néanmoins », « cependant », « toutefois ». L’exception qui pouvait seulement confirmer la règle, la devient désormais. N’est-ce pas ce qui s’est vérifié par le passé avec l’usage de la langue vernaculaire dans la liturgie ? Après avoir rappelé que « l’usage de la langue latine… sera conservé dans les rites latins », dans le même texte de la Constitution sur la liturgie (du Concile Vatican II), il est ajouté : « Toutefois, soit dans la messe, soit dans l’administration des sacrements, soit dans les autres parties de la liturgie, l’emploi de la langue du pays peut être souvent très utile pour le peuple etc. »
C’est la restriction qui a suffi pour que l’emploi de la langue vernaculaire devienne la norme dans les célébrations liturgiques. De même, il nous est rappelé qu”« il n’y a aucun fondement pour assimiler ou établir des analogies, même lointaines, entre les unions homosexuelles et le dessein de Dieu sur le mariage et la famille. Néanmoins, les hommes et les femmes ayant des tendances homosexuelles doivent être accueillis avec respect et délicatesse. À leur égard, on évitera toute marque de discrimination injuste. » (Relatio n°55)
L’omission
Les habilités de ce nouveau langage, sont d’autant plus insidieuses qu’elles recourent à des omissions intentionnelles qui accentuent la confusion et l’équivoque.
Parmi elles, nous noterons, celle du n°36 de l’Instrumentum Laboris : « il s’agit de personnes aimées de Dieu », lit-on, au sujet de ceux qui vivent dans des situations irrégulières. Certes, il n’y a pas de doute à avoir sur l’amour de Dieu, même envers les pécheurs quels qu’ils soient, cependant ne doit-on pas aussi se rappeler qu’en retour de cet amour de Dieu, il nous faut précisément l’aimer, en s’appliquant à accomplir sa volonté ? En outre, rien n’est dit sur le danger auquel s’exposent tous ces pécheurs : rien moins que la damnation éternelle ! Il est également frappant que nulle part dans le texte le mot « péché » ne se rapporte directement et explicitement aux comportements homosexuels, encore moins les expressions : « péchés contre nature » ou « péché qui crie vengeance devant Dieu. » Il n’y a pas de doute que ces omissions contribuent au changement de ton, dont se félicitait le directeur exécutif de New Ways Ministry.
Ce tour d’horizon sur les caractères les plus significatifs de ce nouveau langage nous permet de déceler l’esprit malin qui l’insuffle.
Les similitudes avec la question que le Serpent posa à Eve sont particulièrement troublantes : « Est-ce que Dieu aurait dit : vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin ? » Il sème le doute à la faveur de la confusion, comme certains de nos pères synodaux qui, délaissant la « science du salut » (Luc I, 77), osent mettre insidieusement en cause les préceptes divins, pourtant clairement énoncés dans les Écritures et l’enseignement du Magistère infaillible de l’Église. À l’évidence, il leur est plus urgent d’aligner la morale sur un humanisme, qui veut que « tout sur terre (soit) ordonné à l’homme comme à son centre et à son sommet » (Vatican II – Gaudium et Spes), plutôt que de travailler à ce que le Christ, soit notre loi souveraine, le centre de nos cœurs et la fin de nos vies.
Vraiment « il est triste », comme l’écrivait Soeur Lucie, le 13 avril 1971, à l’un de ses trois neveux prêtres, le Père José Valinho, salésien « que tant de personnes se laissent dominer par la vague diabolique qui balaye le monde et qu’elles soient aveuglées au point d’être incapables de voir l’erreur ! »
Abbé Laurent Ramé, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Source : Spes Unica n° 20 de l’automne 2015
- « Ministère des nouveaux chemins » proposant un regard positif sur les personnes lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) catholiques, et plaidant en faveur de la réconciliation au sein des communautés chrétiennes et civiles.[↩]