Excellence,
Dans les derniers mois de 1976, le pape Paul VI confiait à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi le soin d’examiner vos propres positions par rapport à l’enseignement et à la discipline du Siège Apostolique.
En exécution de ce mandat, la Congrégation a étudié vos positions suivant les normes de sa « Ratio agendi » du 15 janvier 1971 ; après l’examen ordinaire du dossier par les consulteurs et les cardinaux, deux lettres vous ont été envoyées respectivement les 28 janvier et 16 mars 1978, pour vous demander des explications sur les points faisant difficulté. Après réception de vos réponses, toujours conformément à la « Ratio agendi », un colloque fut prévu, que les événements retardèrent et qui ne put se tenir que les 11 et 12 janvier 1979. A l’issue de ce colloque, vous avez estimé devoir récuser la poursuite de la procédure normale, et faire directement appel à Sa Sainteté le pape Jean-Paul II, que vous aviez rencontré quelques semaines auparavant. C’est alors que le Souverain Pontife m’a mandaté personnellement afin de poursuivre le dialogue avec vous, en une série de rencontres privées qui se sont déroulées à cinq reprises entre le 8 mai 1979 et le 27 mars de la présente année.
Au cours de ces différentes étapes, un certain nombre de questions ont été abordées. Il me faut maintenant tenter de faire le point, en vue d’aboutir si possible à une solution concrète.
Je crois pouvoir dire que, grâce à vos explications, certains aspects de votre situation, de vos intentions, de vos actions, apparaissent plus clairement que dans vos écrits ou discours précédents, et cela n’est pas sans apporter quelque élément positif. Malheureusement, l’écart entre vos positions et celles du Siège Apostolique n’en est pas réduit pour autant, car il subsiste des difficultés dans certaines déclarations lors du colloque ou de nos entretiens privés.
De plus, vous avez continué publiquement à poser des actes et à tenir des propos qui constituent autant d’obstacles à la solution espérée. Pour la clarté du dialogue, je dois ici les mentionner.
1°) Malgré ce que vous aviez annoncé à la fin du colloque de janvier 1979 et la promesse que vous m’avez faite lors de notre entretien du 23 juin 1979, vous avez à nouveau donné le sacrement de Confirmation en certains diocèses, sans motif objectif, et au mépris de la prohibition légitimement faite par l’Ordinaire du lieu ; et surtout, vous avez continué à conférer le sacrement de l’Ordre, à Ecône ou en d’autres lieux, en juin et octobre 1979, en mars, en mai et en juin 1980. Vous savez pourtant quelles instances ont été faites près de vous à ce sujet !
2°) Dans le colloque pré-cité, vous avez reconnu la validité du nouvel Ordo Missae ; chose que vous réaffirmez en écrivant au Saint-Père le 8 mars 1980 : « Quant à la messe du Noms Ordo, malgré toutes les réserves qu’on doit faire à son égard, je n’ai jamais affirmé qu’elle est de soi invalide ou hérétique. » Pourtant, le 8 novembre 1979, dans un texte intitulé : « Position de Mgr Lefebvre sur la nouvelle messe et le pape », vous déclarez ce qui suit : « Au sujet de la nouvelle messe, détruisons immédiatement cette idée absurde : si la nouvelle messe est valide, donc on peut y participer. L’Eglise a toujours défendu d’assister aux messes des schismatiques et des hérétiques, même si elles sont valides. Il est évident qu’on ne peut pas participer à des messes sacrilèges, ni à des messes qui mettent notre foi en danger. Or il est aisé de démontrer que la messe nouvelle […] manifeste un rapprochement inexplicable avec la théologie et le culte protestant. » Plus loin, vous ajoutez : « On peut donc, sans exagération aucune, dire que la plupart de ces messes sont sacrilèges et qu’elles pervertissent la foi tout en la diminuant » ; vous affirmez qu’elles ne peuvent permettre de satisfaire au précepte dominical, et vous jetez la suspicion sur tous ceux – prêtres et évêques – qui les célèbrent. Des déclarations aussi nettes et aussi motivées ne permettent pas d’accepter l’explication que vous m’avez donnée lors de notre entretien du 27 mars dernier, à savoir que vous vous seriez seulement « mal exprimé ».
3° Enfin, il n’est pas possible de passer sous silence l’introduction que vous avez signée pour la publication dans la revue Itinéraires (mai 1979) des actes de la procédure (« La Tradition face à l’œcuménisme libéral : Ecône face à l’ex-Saint-Office »), et moins encore des propos tenus lors de vos déplacements, propos qui critiquent avec constance – et, permettez- moi de le dire, avec des généralisations hâtives qui sont autant d’injustices graves – un certain nombre des Actes du Concile Vatican II, les réformes qui en sont issues, la Curie romaine et toute la Hiérarchie catholique. Qu’il me suffise de rappeler entre autres vos conférences à Bruxelles le 30 novembre 1979 et à Madrid le 19 avril 1980, ainsi que votre homélie de Venise le 7 avril dernier, et même encore celle que vous avez prononcée le 27 juin à Ecône.
En dépit de tout cela, et comme je crois vous l’avoir rappelé à chacune de nos rencontres privées, le Saint-Père s’est toujours montré désireux que soit trouvée une solution à votre cas. Tout en attendant de vous une claire manifestation de regret pour les attaques injustes que vous avez formulées à l’encontre du Concile, des évêques et même du Siège Apostolique, ainsi que pour les difficultés et même le trouble que votre action a suscité parmi les fidèles, le pape Jean-Paul II demeure à votre égard dans des sentiments de paternelle charité. C’est selon ses indications personnelles que je vous présente maintenant d’ultimes propositions.
1°) En ce qui concerne l’adhésion aux enseignements du Concile Vatican II, – que vous vous déclarez prêt à accepter dans le sens indiqué par le pape Jean-Paul II, c’est-à-dire « compris à la lumière de toute la sainte Tradition et sur la base du Magistère constant de l’Eglise » (Allocution au Sacré Collège, 5 novembre 1979, cf. A.A.S. LXXI (1979–11), p. 1452 : « quatenus intelligitur sub sanctae Traditionis lumine et quatenus ad constans Ecclesiae ipsius magisterium refertur ») –, le Saint-Père attend de vous ce qui est aussi requis de chacun dans l’Eglise, à savoir ce « religiosum voluntatis et intellectus obse-quium » dû au Magistère authentique du Pontife Romain, même lorsqu’il ne parle pas « ex cathedra », et à l’enseignement sur la foi et les mœurs donné au nom du Christ par les évêques en communion avec le Pontife Romain (cf. Constitution Lumen Gentium, n. 25).
Bien entendu, une telle adhésion doit tenir compte de la qualification théologique que le Concile lui-même a voulu donner à ses enseignements, et qui figure dans ses Actes sous forme d’une Notification faite au cours de la 125e Congrégation générale, le 16 novembre 1964 ; je ne crois pas inutile d’en rappeler ici l’essentiel : « Compte tenu de l’usage des Conciles, et du but pastoral du Concile actuel, celui-ci ne définit comme devant être tenus par l’Eglise que les seuls points concernant la foi et les mœurs qu’il aura clairement déclarés tels. Quant aux autres points proposés par le Concile, en tant qu’ils sent l’enseignement du Magistère suprême de l’Eglise, tous et chacun des fidèles doivent les recevoir et les entendre selon l’Esprit du Concile lui-même, qui ressort soit de la matière traitée, soit de la manière dont il s’exprime, selon les normes de l’interprétation théologique. »
2°) En ce qui concerne la liturgie, le Saint-Père attend de vous que vous acceptiez sans restrictions la légitimité de la réforme demandée par le Concile Vatican II, aussi bien dans son principe que dans ses applications conformes au Missel et aux autres livres liturgiques promulgués par le Siège Apostolique. Il attend aussi de vous que vous vous engagiez à cesser de jeter la suspicion sur l’orthodoxie de lOrdo Missæ promulgué par le pape Paul VI.
Vous comprendrez que c’est là une condition préalable et indispensable. Celle-ci remplie, le Saint-Père pourrait envisager d’autoriser la célébration de la Sainte Messe selon le rite du Missel Romain antérieur à la réforme de 1969.
3°) En ce qui concerne enfin le ministère pastoral et les œuvres, le Saint-Père attend de vous que vous acceptiez de vous conformer aux normes du droit ecclésiastique commun, notamment pour tout ce qui concerne les ordinations, les confirmations, les cérémonies pontificales, les érections d’instituts religieux, la formation des clercs, les activités apostoliques dans les diocèses.
Dans cette perspective, le Saint-Père serait prêt à désigner un délégué personnel directement responsable devant lui, qui aurait pour mission d’étudier avec vous la régularisation de votre propre situation ainsi que celle des membres de la Fraternité S. Pie X par un statut juridique apte à régler une question de soi assez complexe.
Permettez-moi de rappeler à ce propos que vous-même, lors du colloque de janvier 1979, aviez déclaré pouvoir accepter cette éventuelle nomination d’un délégué pontifical.
Une fois enfin acceptés par vous ces points précis – et ce devrait être dans une déclaration pouvant être rendue publique –, le Souverain Pontife serait disposé à lever les censures canoniques et les irrégularités qui ont été encourues par vous-même et par les prêtres que vous avez illégitimement ordonnés depuis 1976 (pour ces derniers, bien entendu, s’ils adhèrent à votre propre démarche).
Telles sont, Excellence, les propositions que le pape Jean- Paul II m’a chargé de vous communiquer.
Je les confie à votre attention et à votre méditation sous le regard du Seigneur et de sa Sainte Mère, en vous demandant de considérer qu’elles appellent de votre part une réponse accordée au caractère grave des décisions qui devront désormais être prises.
Veuillez agréer, Excellence, l’expression de mes sentiments fraternels et dévoués..
+ Franc, card. Seper
Source : Mgr Marcel Lefebvre et le Vatican sous le pontificat de Jean-Paul II