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Le 7 octobre 1999, le cardinal Carlo Maria Martini, lors du synode pour l’Europe, met l’Église en émoi en quatre mots : « Je fais un rêve… » Son rêve, c’est un nouveau concile, un Vatican III, même s’il ne prononce pas le mot. Il aimerait, dit-il, voir se « répéter une expérience de rencontre universelle entre les évêques qui permette de défaire certains nœuds disciplinaires et doctrinaux ». Sur la table, il dépose tous les sujets qui fâchent et mûrissent comme des abcès depuis la fin de Vatican II : pénurie des vocations, place des femmes et des laïcs dans l’Église, sexualité, divorcés remariés.
L’assemblée des évêques, qui vient de s’ouvrir à Rome, s’oriente vers une
décentralisation du pouvoir en faveur des évêques et de leurs Églises locales.
François le réformateur
Alors que François vient d’ouvrir à Rome son synode sur la famille, du 5 au 19 octobre, certains se souviennent du rêve de Martini et les comparaisons avec Vatican II vont bon train. Même excitation médiatique, même impression de décalage pour certains entre ce qui se vit dans la salle et ce qui se lit dans la presse.
D’emblée, le cardinal André Vingt-Trois, l’un des trois présidents délégués du synode a expliqué lors d’une conférence de presse que les journalistes confondaient parfois la démarche synodale avec un débat parlementaire, qui doit « trancher et faire apparaître une majorité ». Une position qui rappelle celle de Benoît XVI dans sa relecture de Vatican II : « Pour les médias, le concile était une lutte politique, une lutte pour le pouvoir entre différents courants au sein de l’Église, disait-il dans un discours aux prêtres, le 14 février 2013, une dizaine de jours avant sa renonciation. Il y avait ceux qui cherchaient la décentralisation de l’Église, le pouvoir pour les évêques puis, à travers l’expression « peuple de Dieu », le pouvoir du peuple, des laïcs. »
Sur la forme, encore, François a conquis aux yeux des foules ses galons de réformateur, par son attitude directe, son franc-parler, sa façon de dénoncer le cléricalisme et de prendre la réforme de la curie à bras-le-corps dès la première année de son pontificat. Lors de son discours d’ouverture du synode sur la famille, il a demandé à chacun de s’exprimer librement au nom de la synodalité, sans crainte de lui « déplaire ».
Deux jours plus tôt, il avait exhorté les pères synodaux à entendre le « cri du peuple ». Et dans sa très brève homélie, lors de la messe de lancement du dimanche 5 octobre, il a dénoncé les « mauvais pasteurs qui chargent sur les épaules des gens des fardeaux insupportables qu’eux-mêmes ne déplacent pas même avec un doigt ». Une allusion à peine voilée aux prêtres et évêques trop doctrinaires.
Un synode pastoral et non doctrinal
Sur le fond, le synode a été annoncé par le cardinal hongrois Péter Erdö, rapporteur, qui a introduit le débat, comme un synode pastoral et non doctrinal, de la même manière que le pape Jean XXIII avait déclaré que Vatican II serait un concile purement pastoral (1). Et de même qu’à l’époque de Vatican II, la question de savoir si l’on peut toucher à la pastorale sans que cela n’ait de répercussions doctrinales n’a pas tardé à remonter à la surface.
En somme, si l’assemblée n’aboutit pas à un changement doctrinal, comme cela semble se profiler, cela signifie qu’elle accouchera de grandes lignes directrices, d’orientations générales que chaque évêque devra mettre concrètement en application dans son diocèse. Et, comme l’a clairement énoncé André Vingt-Trois lors la première conférence de presse du synode, on ne sait pas encore comment se fera la ligne de partage entre ce qui sera de l’ordre du principe universel, que le pape annoncera comme un des fruits du synode, et ce qui sera de l’ordre de l’application concrète dans tel ou tel domaine.
La clé se trouve peut-être entre les mains du théologien Walter Kasper, un des mentors de François. Quatre jours après son élection, le pape l’a salué comme un « théologien très pointu ». Or, un des points fondamentaux de la théologie de ce cardinal est la critique d’une Église romano-centrée à la Ratzinger, où tout se décide au Vatican. Dans un article de la revue America, le cardinal Kasper, répondant au futur pape Benoît XVI, avait dénoncé en 2001 sa vision de l’Église « totalement problématique si l’unique Église universelle est tacitement identifiée à l’Église romaine, de facto au pape et à la curie ». Ce qui, selon lui, n’était en aucun cas « une aide pour la clarification de l’ecclésiologie de communion, mais (…) son abandon et comme une tentative de restauration de la centralisation romaine ».
Le pape François, qui privilégie la simplicité de la maison Sainte-Marthe aux traditionnels appartements pontificaux n’est pas un homme de curie et partage cette vision des choses. Lui aussi pense qu’il faut rendre du pouvoir aux Églises locales, ce qu’il a largement exprimé dans son exhortation apostolique Evangelii gaudium. Si l’on suit cette logique, il y a donc fort à parier que, pour lui, la question des divorcés remariés ne doit pas se résoudre au niveau romain, mais dans les Églises locales, au niveau des diocèses.
Des risques de désunion
« Le problème, estime le philosophe Thibaud Collin, qui vient de publier Divorcés remariés. L’Église va-t-elle (enfin) évoluer ? (Desclée de Brouwer, 2014), c’est que fondamentalement le Christ a ordonné des apôtres (dont les évêques sont les successeurs) et non des structures. Éviter un Vatican III en confiant plus de responsabilité doctrinale aux conférences épiscopales aboutirait non pas d’abord à minorer la papauté, mais à une relativisation du dogme et, à terme, cela pourrait menacer l’unité de l’Église, sur le modèle des églises protestantes. »
En effet, l’inversion des pôles de décision porte en germe de très forts risques de désunion. Sur la question controversée du célibat sacerdotal,le pape a officiellement reconnu que la « porte était ouverte » pour une évolution. S’il n’a pas précisé, il ne fait guère de doute que celle-ci se fera à partir de la base, et non plus par décision d’un hypothétique concile Vatican III. Le jésuite François est allé plus loin que le jésuite Martini, qui, en 1999, voyait les évolutions à partir de Rome. François veut délocaliser le concile dans les « régions ». Donner le pouvoir à la base. Plus qu’une réforme, ce serait un véritable changement de paradigme. Presque une révolution.
Les origines de Vatican III :
L’idée d’un troisième concile est née en 1977 dans une réunion de théologiens de la revue Concilium parmi lesquels se trouvait le théologien suisse Hans Küng. Les objectifs étaient les suivants :
- que le pape démissionne à 75 ans ;
– que le Synode des évêques ne soit plus seulement un organe consultatif, mais qu’il puisse aussi délibérer ;
– que la règle du célibat sacerdotal soit abolie ;
– que les femmes puissent être ordonnées prêtres.
La proposition, qui émanait à l’origine de milieux plutôt progressistes, refit surface dans les années 1990. Mais cette fois, ce furent des proches de Jean Paul II qui s’en saisirent. « L’intention était de tenir un concile réparateur qui ramènerait les libéraux et les rebelles sur la ligne et endiguerait les tentatives des Conférences épiscopales pour obtenir de plus amples prérogatives », explique le vaticaniste Andrea Tornielli.
Marie-Lucile Kubacki, à Rome
Source : La Vie du 7 octobre 2014
Note de LPL
(1) Lire aussi : » Mais de quoi parle t’on, au juste ? Du Concile, ou de son « esprit ? »