Diverses impressions à l’ouverture du Synode sur la famille (5–19 octobre 2014)


Impression de malaise

Impression de malaise, car pour la pre­mière fois ce synode se déroule en grande par­tie à huis clos. Le vati­ca­niste de La Stampa, Marco Tosatti, s’en fait l’écho. Le 3 octobre 2014, il écrit sur son blog San Pietro e din­tor­ni (1) :

« Pour la pre­mière fois dans une his­toire de plu­sieurs décen­nies, un synode des évêques aura lieu en grande par­tie à huis clos. Dans les nom­breux synodes pré­cé­dents, le public n’était pas admis non plus ; mais toutes les inter­ven­tions, de celle de l’archevêque de Milan à celle du der­nier dio­cèse de Patagonie étaient publiées, en entier ou en résu­mé, quotidiennement.

« Au contraire, dans ce synode, aucune inter­ven­tion ne sera ren­due publique. Il est sur­pre­nant que cela se passe durant le règne d’un pon­tife qui – au moins à en juger par les choix qu’il fait, et les outils rhé­to­riques qu’il uti­lise – est le plus ‘moderne’ et le plus ‘pro­gres­siste’ de l’histoire récente. »

Le 20 sep­tembre pré­cé­dent, Tosatti avait don­né une expli­ca­tion à ce huis clos sur­pre­nant, en y voyant une façon de venir en aide au car­di­nal Walter Kasper, mis à mal par les cri­tiques de plu­sieurs car­di­naux sur la com­mu­nion des divor­cés rema­riés dont il est le pro­mo­teur le plus en vue :

« Pour Kasper et Co, les choses n’ont pas l’air de prendre une bonne tour­nure. Mais il y a peut-​être un moyen de l’aider et d’essayer d’empêcher que les voix déran­geantes ne deviennent trop bruyantes.

- Premier point : deman­der que les inter­ven­tions écrites par­viennent avec une large avance. Ce qui est fait. Quiconque sou­haite inter­ve­nir au synode est tenu de faire par­ve­nir son petit texte avant le 8 septembre.

- Deuxième point : lire atten­ti­ve­ment toutes les inter­ven­tions et, au cas où quelques-​unes seraient par­ti­cu­liè­re­ment épi­cées, don­ner la parole à un ora­teur qui, avant l’intervention épi­neuse, essaie déjà de répondre, en tout ou en par­tie, aux pro­blèmes sou­le­vés par l’intervention à venir.

- Troisième point : au cas où quelques inter­ven­tions paraî­traient vrai­ment pro­blé­ma­tiques, dire que mal­en­con­treu­se­ment il n’y a pas de temps pour accor­der la parole à tout le monde, mais que de toute façon le texte a été bien reçu et ver­sé aux actes du synode et qu’on en tien­dra compte lors de l’élaboration finale.

« En fait, ce qui importe n’est pas le synode lui-​même, mais la syn­thèse qui en sera faite et qui aura la signa­ture du pape en tant qu’Exhortation post-​synodale. Il est fort pro­bable que ce ne sera pas un texte clair et défi­ni­tif, mais un docu­ment repo­sant sur une inter­pré­ta­tion ‘fluc­tuante’. De façon qu’en le lisant cha­cun puisse le tirer du côté qui lui convient davantage. »

Impression de déjà-vu

Impression de déjà-​vu, car les réfé­rences et l’esprit du début de ce synode sont ceux du concile Vatican II, il y a 50 ans. Le 4 octobre, au cours d’une veillée de prière place Saint-​Pierre, le pape François a fait savoir ses attentes (2). Dans une homé­lie, étayée par de nom­breuses cita­tions des textes du Concile, il a invo­qué l’Esprit-Saint : « Nous deman­dons avant tout pour les Pères syno­daux le don de l’écoute. L’écoute de Dieu afin d’entendre avec lui le cri du peuple, l’écoute du peuple afin d’y res­pi­rer la volon­té à laquelle Dieu nous appelle ». « Que le vent de la Pentecôte souffle sur les tra­vaux du synode, a‑t-​il sou­hai­té, sur l’Eglise, sur l’humanité tout entière ».

Le pape a éga­le­ment deman­dé que les par­ti­ci­pants au synode sur la famille soient dis­po­nibles à une confron­ta­tion sin­cère, ouverte et fra­ter­nelle qui amène à prendre en charge avec res­pon­sa­bi­li­té pas­to­rale les inter­ro­ga­tions que ce chan­ge­ment d’époque porte avec lui. Il a ensuite loué la « col­lé­gia­li­té épis­co­pale ». Pour recher­cher ce que le Seigneur demande aujourd’hui à son Eglise, « nous devons prê­ter l’oreille aux pul­sa­tions de notre époque et per­ce­voir ‘l’odeur’ des hommes de ce temps… dès lors, nous sau­rons pro­po­ser de manière cré­dible la bonne nou­velle sur la famille », a‑t-​il affir­mé de façon lyrique.

Le len­de­main, dimanche 5 octobre, dans la basi­lique Saint-​Pierre, le sou­ve­rain pon­tife a ouvert le synode et, enpré­sence de plus de 200 Pères syno­daux et de nom­breux fidèles, il a deman­dé : « que l’Esprit nous donne la sagesse qui va au-​delà de la science, pour tra­vailler géné­reu­se­ment avec vraie liber­té et humble créa­ti­vi­té » face aux défis de la pas­to­rale fami­liale sur les­quelles évêques et car­di­naux vont devoir réflé­chir. Et de dénon­cer les mau­vais pas­teurs qui chargent les épaules du peuple de poids insup­por­tables. « Les Assemblées syno­dales ne servent pas à dis­cu­ter d’idées belles et ori­gi­nales, ou à voir qui est le plus intel­li­gent », a‑t-​il lan­cé. « Elles servent à culti­ver et à mieux gar­der la vigne du Seigneur, pour coopé­rer à son ‘rêve’, à son pro­jet d’amour sur son peuple ».

Même tona­li­té l’avant-veille, 3 octobre, chez le car­di­nal Lorenzo Baldisseri, secré­taire géné­ral du synode qui répon­dait aux ques­tions de la presse, don­nant une idée du cli­mat des débats à venir.A pro­pos des échanges très vifs entre car­di­naux sur la ques­tion de l’accès des per­sonnes divor­cées rema­riées à la com­mu­nion et de l’indissolubilité du mariage (3) , le car­di­nal Baldisseri a salué ces diverses « contri­bu­tions » (sic), avant de sou­hai­ter que « des points de conver­gence » soient trou­vés.« Rien n’est sta­tique, nous mar­chons dans l’histoire », a‑t-​il décla­ré, avant d’ajouter : « La reli­gion chré­tienne est his­toire et non idéo­lo­gie ».Et le pré­lat romain de pré­ci­ser que « si ce synode est consa­cré à la famille, c’est bien parce que le contexte de la famille est dif­fé­rent d’il y a 33 ans lors de Familiaris consor­tio », l’exhortation apos­to­lique de Jean-​Paul II sur la famille, en 1981.« S’il n’y a pas d’histoire, où allons-​nous ? On dit quelques belles for­mules d’il y a 2000 ans et tout est fini ? », s’est-il inter­ro­gé avec une can­deur qui ne trom­pait personne.

Le car­di­nal Baldisseri a assu­ré que ce synode serait mar­qué par « une large liber­té d’expression » et se dérou­le­rait « dans un cli­mat de res­pect de toutes les posi­tions, de cha­ri­té réci­proque et avec un sens construc­tif authen­tique ». « Il est impor­tant de s’exprimer clai­re­ment et avec cou­rage », a‑t-​il affir­mé tout en pré­ve­nant (ou en aver­tis­sant) que : « dans un cli­mat de dia­logue serein et loyal, les par­ti­ci­pants seront invi­tés à ne pas faire pré­va­loir leur propre point de vue comme s’il était exclu­sif, mais à cher­cher ensemble la véri­té ».

Plusieurs jour­na­listes ont sai­si l’occasion de cette confé­rence de presse pour mani­fes­ter leur mécon­ten­te­ment devant le choix du Vatican, pour ce synode, de ne pas publier un résu­mé des inter­ven­tions faites par les Pères synodaux.

Impression d’une opposition frontale

Impression d’une oppo­si­tion fron­tale entre les par­ti­sans de la com­mu­nion don­née aux divor­cés rema­riés et les défen­seurs de l’indissolubilité du mariage. Le car­di­nal Walter Kasper qui depuis plu­sieurs semaines mul­ti­plie les entre­tiens (4), décla­rait le 18 sep­tembre au quo­ti­dien fran­çais La Croix :

« Nous connais­sons aujourd’hui une cer­taine crise de la famille, comme le montre à l’évidence le nombre de divorces et de jeunes qui ne veulent pas se marier, s’engager… L’Eglise ne peut donc pas se conten­ter aujourd’hui de faire valoir un idéal de vie de famille, mais doit être réa­liste et accom­pa­gner ces situa­tions… L’Eglise doit encou­ra­ger la vie de famille en connais­sant la réa­li­té de situa­tions concrètes ».

Le 29 sep­tembre, il affir­mait à la jour­na­liste argen­tine Elisabetta Piqué, dans La Nación, à pro­pos des car­di­naux qui cri­tiquent sa position :

« Je crois qu’ils ont peur d’un effet domi­no : qu’en chan­geant un point, tout s’effondre. Voilà leur crainte. Tout cela se com­bine avec l’idéologie, une inter­pré­ta­tion idéo­lo­gique de l’Evangile, mais l’Evangile n’est pas un code pénal. Comme l’a dit le pape dans l’exhortation apos­to­lique Evangelii Gaudium, citant saint Thomas d’Aquin, l’Evangile est une grâce de l’Esprit-Saint qui se mani­feste dans la foi, qui œuvre par l’amour. C’est une inter­pré­ta­tion dif­fé­rente. Ce n’est pas un musée. C’est une réa­li­té vivante dans l’Eglise et nous devons mar­cher avec tout le peuple de Dieu et voir quels sont ses besoins. Ensuite, nous devons faire un dis­cer­ne­ment à la lumière de l’Evangile, qui n’est pas un code de doc­trine et de com­man­de­ments. Nous ne pou­vons sim­ple­ment prendre une phrase de l’Evangile de Jésus et tout en déduire. Il manque une her­mé­neu­tique pour entendre l’ensemble du mes­sage de l’Evangile et ensuite dis­tin­guer ce qui relève de la doc­trine, et ce qui relève de la dis­ci­pline. La dis­ci­pline peut chan­ger. C’est pour­quoi il me semble que nous avons ici affaire à un fon­da­men­ta­lisme qui n’est pas catho­lique. »

Dans les réponses sui­vantes, le pré­lat alle­mand insis­tait en s’appuyant constam­ment sur Vatican II :

« La Nación : Il y a de la peur par­mi cer­tains car­di­naux parce que, comme l’a dit le pape, il y a une construc­tion morale qui pour­rait s’écrouler comme un châ­teau de cartes ?

Cardinal Kasper : Oui, c’est une idéo­lo­gie, ce n’est pas l’Evangile !

Y a‑t-​il aus­si une peur par rap­port à une dis­cus­sion ouverte au synode ?

Oui, parce qu’ils ont peur que tout s’écroule. Mais avant toute chose, nous vivons dans une socié­té ouverte et plu­rielle, et il est bon pour l’Eglise qu’il y ait une dis­cus­sion ouverte, telle que nous avons eue au concile Vatican II (1962–1965). C’est bon aus­si pour l’image de l’Eglise, car une Eglise fer­mée n’est pas une Eglise saine. D’autre part, quand nous débat­tons sur le mariage et la famille, nous devons écou­ter ceux qui vivent cette réa­li­té. Il y a un sen­sus fide­lium. Tout ne peut pas être déci­dé d’en haut, depuis la hié­rar­chie de l’Eglise, et en par­ti­cu­lier on ne peut pas citer des vieux textes du siècle der­nier, il faut obser­ver la situa­tion d’aujourd’hui, faire un dis­cer­ne­ment de l’esprit et arri­ver à des résul­tats concrets. Je pense que c’est cela, l’approche du pape, alors que beau­coup d’autres partent de la doc­trine et uti­lisent ensuite une méthode plus déductive. (…)

Ces der­niers jours, le pape a par­lé plu­sieurs fois de la misé­ri­corde, il a dit qu’il fal­lait cap­ter « les signes des temps », que les pas­teurs doivent être proches des gens, ce qui laisse pen­ser que la chose qu’il veut est très claire…

Oui, lire les signes des temps a été fon­da­men­tal pen­dant le concile Vatican II (5). Je n’arrive pas à m’imaginer que la majo­ri­té du synode puisse s’opposer au pape sur ce point. (…) »

Commentaire

Ce que le car­di­nal Kasper désigne chez les car­di­naux qui le cri­tiquent comme « un fon­da­men­ta­lisme qui n’est pas catho­lique », n’est autre que la fidé­li­té à l’enseignement de Jésus-​Christ sur le mariage. Il se réfère constam­ment à Vatican II, atten­tif à « lire les signes des temps », à avoir une « dis­cus­sion ouverte » avec la « socié­té ouverte et plu­rielle »…

Mais sous ces mots conci­liants, il y a une volon­té arrê­tée : dénon­cer toute idée d’un ordre natu­rel uni­ver­sel, comme l’analyse avec jus­tesse le Pr Roberto de Mattei dans Corrispondenza Romana du 1er octobre : 

« Le car­di­nal Kasper ne croit pas à l’existence d’une loi natu­relle uni­ver­selle et abso­lue, et dans l’Instrumentum labo­ris, le docu­ment offi­ciel du Vatican pré­pa­rant le synode d’octobre, ce rejet de la loi natu­relle appa­raît avec évi­dence, bien que pré­sen­té d’un point de vue plus socio­lo­gique que théo­lo­gique. On y affirme que ‘le concept de loi natu­relle s’avère être, en tant que tel, aujourd’hui, dans les dif­fé­rents contextes cultu­rels, très pro­blé­ma­tique, voire incom­pré­hen­sible’, aus­si parce que ‘aujourd’hui, non seule­ment en Occident, mais pro­gres­si­ve­ment par­tout sur la terre, la recherche scien­ti­fique repré­sente un sérieux défi au concept de nature. L’évolution, la bio­lo­gie et les neu­ros­ciences, en se confron­tant à l’idée tra­di­tion­nelle de loi natu­relle, par­viennent à la conclu­sion qu’elle n’est pas à consi­dé­rer comme ‘scien­ti­fique’ ». A la loi natu­relle est oppo­sé, selon le pro­gramme kas­pé­rien, ‘l’esprit de l’Evangile’, dont il faut com­mu­ni­quer les valeurs ‘de façon com­pré­hen­sible à l’homme d’aujourd’hui’. (…)

« Les consé­quences inévi­tables de cette nou­velle concep­tion de la morale, dont les Pères syno­daux devront dis­cu­ter, sont tirées par Vito Mancuso, dans La Repubblica du 18 sep​tembre​.La loi natu­relle ‘est un far­deau trop lourd à por­ter’, il nous faut donc envi­sa­ger ‘un pro­fond par­cours de renou­vel­le­ment en matière d’éthique sexuelle’ qui devrait conduire aux ‘ouver­tures ulté­rieures : oui à la contra­cep­tion ; oui aux rela­tions sexuelles avant le mariage ; oui à la recon­nais­sance des couples homo­sexuels’. » – Tel est l’enjeu de ce synode qui fait figure de Vatican II du mariage. On se sou­vient qu’il y a 50 ans, le car­di­nal Suenens avait décla­ré : « Vatican II, c’est 89 dans l’Eglise » et que le P. Congar avait affir­mé : « L’Eglise a fait, paci­fi­que­ment (sic), sa Révolution d’octobre ».

Sources : San Pietro e din­tor­ni /​Nacion/​benoîtetmoi/​corrispondenzaromana – DICI n°302 du 10/​10/​14

Notes de LPL

(1) Un synode baillon­né. Pourquoi ? par Marco Tossati
(2) Synode des évêques : com­ment arri­ver à com­prendre le pape François ?
(3) Voir notre dos­sier com­plet sur la pas­to­rale du mariage
(4) Lire aus­si : Interview du car­di­nal Kasper : « Ils veulent la guerre au Synode, c’est le Pape qui est visé » – 18 sept. 2014
(5) Le synode sur la famille prend des airs de concile, par Marie-​Lucile Kubacki