Remariage des divorcés, concubinage, homosexualité : vers quoi se dirige le Vatican après le quasi coup d’État réalisé par le pape ?

Note de la rédac­tion de La Porte Latine :
il est bien enten­du que les com­men­taires repris dans la presse exté­rieure à la FSSPX
ne sont en aucun cas une quel­conque adhé­sion à ce qui y est écrit par ailleurs.

Les tra­vaux du synode des évêques sur la famille changent de ton vis-​à-​vis des unions civiles, y com­pris homo­sexuelles. Des bou­le­ver­se­ments impor­tants qui pour­raient s’a­vé­rer lourds de consé­quences, désta­bi­li­sant notam­ment la défi­ni­tion doc­tri­nale du mariage. Entretien don­né à Atlantico par Christophe DICKES. [1]

Atlantico : Alors que le rap­port d’é­tape du synode sur la famille a été publié lun­di 13 octobre, en quoi peut-​on dire que le pape François force l’Eglise à faire une révo­lu­tion sur la famille ?

Christophe Dickès : Il existe trois inter­pré­ta­tions au rap­port d’é­tape sur le synode : la pre­mière offi­cielle a été publiée mar­di 14 octobre par le Vatican. Elle vise à mini­mi­ser la por­tée du docu­ment. Le Père Lombardi, porte-​parole du Saint-​Siège, a en effet décla­ré hier :

« A la suite des réac­tions et débats ayant sui­vi la publi­ca­tion du [rap­port d’é­tape auquel] on a attri­bué un poids qui ne lui appar­tient pas, le Secrétariat rap­pelle qu’il s’a­git d’un docu­ment de tra­vail résu­mant les inter­ven­tions et la dis­cus­sion de la pre­mière semaine synodale ».

La deuxième inter­pré­ta­tion qui rejoint d’ailleurs la troi­sième vise à consi­dé­rer ce docu­ment comme une révo­lu­tion dans l’Eglise. Les pre­miers s’en réjouissent et estiment qu’il s’a­git d’une bonne chose, d’une évo­lu­tion néces­saire ; les autres rejettent au contraire ce qui serait une rééva­lua­tion doc­tri­nale du mariage.

Ne soyons pas dupes et encore moins naïfs : le docu­ment publié par le car­di­nal Peter Erdö a natu­rel­le­ment été vali­dé par le pape lui-​même. En publiant ce docu­ment, le chef de l’Eglise catho­lique a pris le risque de créer un « trem­ble­ment de terre » qui a été sou­li­gné sur les réseaux sociaux et dans les médias en géné­ral. Le pape est un stra­tège de la com­mu­ni­ca­tion. Il ne pou­vait pas ne pas savoir quels seraient les effets et l’im­pact d’un texte pre­nant désor­mais en consi­dé­ra­tion d’autres « modèles fami­liaux » comme le mariage civil, le concu­bi­nage ou l’u­nion des homo­sexuels. Certes, bien des nuances sont à appor­ter à cette phrase. Par exemple, le docu­ment dit très clai­re­ment que les unions entre per­sonnes de même sexe ne peuvent être « assi­mi­lées au mariage entre homme et femme ». Mais l’in­ten­tion est là : il s’a­git de faire souf­fler ce qu’on a appe­lé « l’es­prit de Vatican II » sur l’Eglise. Or cet esprit a clai­re­ment été condam­né par le pape Benoît XVI. Il existe à ce titre une rup­ture entre les deux hommes mais aus­si entre François et tous les papes pré­cé­dents. Jean-​Paul Ier par exemple a eu des mots très fermes à l’é­gard du divorce qu’il qua­li­fiait de : « sacre­ment à rebours ». Cette rup­ture – car rup­ture il y a- carac­té­rise ce docu­ment qui certes n’est qu’une étape, mais garde, dans la stra­té­gie du pape, son impor­tance. D’ailleurs, on peut se deman­der si, dans cette stra­té­gie, cette publi­ca­tion n’est pas pré­ma­tu­rée. Car les réac­tions ont été nom­breuses, qua­si épi­der­miques, notam­ment dans les milieux anglo-saxons.

Quels sont les chan­ge­ments majeurs aus­si bien en termes de méthode que par rap­port à la doc­trine de l’Eglise alors que ce pre­mier résu­mé des tra­vaux évoque notam­ment « des valeurs posi­tives » au mariage civil, indique que l’Eglise serait prête à accep­ter la com­mu­nion pour les divor­cés rema­riés et change de ton par rap­port aux homosexuels ?

L’Eglise a tou­jours fait une dif­fé­rence entre la faute des hommes et les hommes eux-​mêmes. Jean Racine, au XVIIe siècle, carac­té­ri­sait cette dif­fé­rence par la phrase sui­vante : « Je ché­ris ta per­sonne mais je hais ton idée ». Il s’a­git là de la défi­ni­tion catho­lique de la cha­ri­té qui prend en compte l’hu­ma­ni­té de l’autre, tout en refu­sant son erreur par amour de Dieu et de sa loi divine, la loi dite natu­relle. Car, pour les catho­liques, pra­ti­quer la cha­ri­té envers son pro­chain sans l’é­non­cé de la véri­té serait une atti­tude fausse. Si vous aimez une per­sonne et que vous ne lui dites pas ce que vous esti­mez être juste et bon, il existe une forme de tra­hi­son non seule­ment à l’é­gard de cette per­sonne mais aus­si à l’é­gard de Dieu. On retrouve l’i­mage de Jésus-​Christ qui tend la main à Marie-​Madeleine, pros­ti­tuée, mais qui lui dit ensuite : « Va et ne pèche plus. »

Les catho­liques font donc cette dif­fé­rence entre les hommes que l’on se doit d’ac­cueillir et la faute qui doit être énon­cée et cor­ri­gée. Dans le rap­port d’é­tape, la « per­sonne » semble bien plus impor­tante que son erreur du point de vue des catho­liques, comme si on ten­dait la main sans énon­cer de prin­cipes. Telle est l’am­bi­guï­té créée par ce texte.

Sur la ques­tion des divor­cés rema­riés, on se diri­ge­rait davan­tage vers une pro­cé­dure juri­dique sim­pli­fiée per­met­tant l’an­nu­la­tion des pre­miers mariages.

Ce qui per­met­trait ain­si aux divor­cés de ne plus être des divor­cés mais des per­sonnes ayant contrac­té un pre­mier mariage sans en connaître la por­tée reli­gieuse. Ces mariages seraient donc nuls ou inexistants.

Comment cette évo­lu­tion est-​elle per­çue au Vatican, notam­ment pas les car­di­naux qui ont appor­té leur sou­tien à Benoit XVI ? Certains se sentent-​ils tra­his ? Le pape risque-​t-​il de se mettre à dos des fidèles, notam­ment en Europe ?

Il est dif­fi­cile répondre à cette ques­tion. Mais les réac­tions ne se sont pas fait attendre. Mgr Gadecki, arche­vêque de Poznan, à la tête des évêques polo­nais, a sou­li­gné au micro de Radio Vatican les « omis­sions » du rap­port qui ne sou­tient pas, je cite, « les familles ordi­naires ou nor­males ». Il n’est pas le seul, l’ar­che­vêque de Riga, Mgr Stankiewicz, regrette qu’il y ait un manque : celui d’une vision claire sur le mariage. Sans reje­ter « ceux qui éprouvent des dif­fi­cul­tés », il a sou­li­gné le « dan­ger de dan­ser sur la musique du monde. » Mais on sait, qu’au-​delà de l’op­po­si­tion des évêques ori­gi­naires de tous les points du globe (Mgr Stankiewicz estime qu’ils sont une majo­ri­té à tenir cette posi­tion), il existe aus­si une vio­lente oppo­si­tion au sein de la curie même. Il est de noto­rié­té publique que le car­di­nal Müller, à la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (sorte de « Conseil consti­tu­tion­nel » de l’Eglise) s’op­pose depuis le début à la direc­tion que sou­haite prendre le pape lui-​même. Certains estiment-​t’ils qu’il existe une tra­hi­son ? Il est dif­fi­cile d’y répondre. L’avenir nous dira s’il s’a­git d’une forme de « coup d’Etat » par le haut impo­sant contre une majo­ri­té une vision de l’Eglise.

En effet, beau­coup pensent que, dans le contexte du rela­ti­visme et de l’hé­do­nisme, don­ner de tels gages serait un renie­ment des fon­de­ments du catho­li­cisme. Surtout aujourd’­hui alors que dans de nom­breux pays se posent la ques­tion du mariage des couples homo­sexuels. En France, comme l’a sou­li­gné Jean-​Marie Guénois du Figaro, le patron des évêques de France a lais­sé « orphe­lins » des catho­liques bien déci­dés à affir­mer leurs prin­cipes. Or, bien des per­sonnes qui ont défi­lé dans les rues depuis deux ans sont issus de la géné­ra­tion Jean-​Paul II. Ils sont décom­plexés et se sont réjouis de l’é­lec­tion de son suc­ces­seur dont la parole était en bien des matières, claire et péda­go­gique. En créant une ambi­guï­té, le pape prend le risque de créer un fos­sé avec beaucoup.

Certains pourraient-​ils être ten­tés par une rup­ture plus radi­cale ? Un schisme pourrait-​il finir par se des­si­ner ? D’ailleurs, peut-​on rap­pro­cher ces évo­lu­tions de celles qu’ont connues les Anglicans ?

Il est dif­fi­cile de le dire. Mon confrère Sandro Magister, émi­nent vati­ca­niste ita­lien, pense qu’un tel risque existe. L’anglicanisme s’est déchi­ré en grande par­tie sur ces ques­tions et a per­du beau­coup de ses troupes ces trente der­nières années. Le timing du synode plaide au contraire pour lais­ser du temps au temps. Le synode tra­vaille encore toute cette semaine puis se réuni­ra de nou­veau l’an­née pro­chaine. A l’heure où je vous parle, ses membres tra­vaillent en petits groupes et amendent le texte publié. On sait que, par le pas­sé, le pape François est reve­nu sur plu­sieurs de ses décla­ra­tions. Par exemple, sur le concile Vatican II. En effet, après avoir contre­dit la poli­tique de Benoît XVI en la matière, il a fait l’é­loge d’un his­to­rien du concile qui repre­nait très exac­te­ment la thèse du pape émé­rite sur le sujet… François reviendra-​t-​il sur le docu­ment ? Sûrement. Dans quel terme ? Il est dif­fi­cile de le savoir. En tous les cas, c’est lui qui pren­dra la déci­sion finale.

Source : Atlantico du 15 octobre 2014

Notes de bas de page

  1. Historien et jour­na­liste, spé­cia­liste du catho­li­cisme, Christophe Dickès a diri­gé le Dictionnaire du Vatican et du Saint-​Siège chez Robert Laffont dans la col­lec­tion Bouquins. Il pré­pare un livre sur le pou­voir pon­ti­fi­cal à tra­vers les âges, des ori­gines à nos jours, à paraître chez Tallandier en 2015.[]