Rapport d’étape du synode sur la famille : analyse critique, par Jeanne Smits

Note de la rédac­tion de La Porte Latine :
il est bien enten­du que les com­men­taires repris dans la presse exté­rieure à la FSSPX
ne sont en aucun cas une quel­conque adhé­sion à ce qui y est écrit par ailleurs.

« Trahison », « révo­lu­tion », « une attaque contre le mariage et la famille », « trem­ble­ment de terre » : vati­ca­nistes et repré­sen­tants de groupes pour la défense de la famille et de la vie ont employé des mots forts pour qua­li­fier le docu­ment de mi-​parcours publié lun­di par les rap­por­teurs du synode extra­or­di­naire sur la famille. Ceux qui jusque-​là s’é­taient effor­cés, par pru­dence et loyau­té filiale, de s’ex­pri­mer avec modé­ra­tion, ou plu­tôt dis­cré­tion, ont cri­ti­qué avec vio­lence les pro­po­si­tions ras­sem­blées dans la rela­tio post dis­cep­ta­tio­nem (rap­port après dis­cus­sion). Il ne s’a­git pas d’une réac­tion dia­lec­tique, mais d’une bien­veillance bien com­prise : c’est la véri­té qui est atta­quée, c’est l’en­sei­gne­ment de l’Eglise qui est tra­ves­ti, c’est l’in­tel­li­gence qui est insul­tée. Sans sur­prise, les asso­cia­tions catho­liques les plus libé­rales exultent. Elles pensent tenir la vic­toire. Heureusement, on n’en est pas encore là. Mais com­ment a‑t-​on pu en arri­ver au point où nous sommes déjà ?

Voilà des mois que c’était pré­vi­sible : depuis l’accueil enthou­siaste par le pape François à l’intervention du car­di­nal Walter Kasper au der­nier consis­toire où il a prô­né, au nom de la « misé­ri­corde », un assou­plis­se­ment de la « dis­ci­pline » qui inter­dit aux « divor­cés rema­riés » de s’approcher de la com­mu­nion. Le pape saluait en ce car­di­nal alle­mand, fort de l’appui d’un nombre non négli­geable de pré­lats d’outre-Rhin, un « théo­lo­gien à genoux ». On pou­vait certes croire que le pape pra­ti­quait là une sorte de judo doc­tri­nal : lais­ser venir, pro­vo­quer le dévoi­le­ment de la tech­nique, pour mieux prendre à revers. Plût à Dieu qu’il en soit ain­si. Mais cela n’en prend pas le chemin.

Clairement mar­qué par les élé­ments les plus pro­gres­sistes d’un synode qu’on don­nait pour­tant domi­né à 80 % par les pères syno­daux atta­chés à l’enseignement tra­di­tion­nel de l’Eglise en matière de morale fami­liale, de sexua­li­té et de doc­trine du mariage, la rela­tio post dis­cep­ta­tio­nem a pris tout le monde à revers. C’est d’autant plus mar­quant que la « liber­té d’expression » mais aus­si la « liber­té d’organisation interne » lais­sée aux pères étaient, de par la volon­té du pape, la règle de ce synode. Or c’est lui qui a dési­gné d’autorité, same­di, six rédac­teurs sup­plé­men­taires du rap­port. Ils sont tous répu­tés proches de lui. Disons le mot : c’est un hold-up.

Hold-​up

Un hold-​up impu­table au pape ? On me repro­che­ra sans doute la vio­lence de l’expression. Mais le moment est venu où le silence devient cou­pable, en rai­son des réper­cus­sions d’un tel docu­ment sur les fidèles.

Soulignons d’abord, qu’à sup­po­ser que le pape François soit fon­da­men­ta­le­ment d’accord avec des chan­ge­ments pré­sen­tés comme pure­ment « pas­to­raux », il s’exprime sans l’autorité du Magistère. Son opi­nion vaut ce qu’elle vaut et il a suf­fi­sam­ment don­née l’exemple jusqu’ici d’une pro­pen­sion à par­ler de manière impru­dente aux médias pour que même la Salle de Presse du Vatican se croie obli­gée de rec­ti­fier le tir. S’il est contes­table, si des princes de l’Eglise sont contes­tables au regard de la doc­trine cer­taine, il faut – c’est un devoir – les contester.

Nous savons – deuxième point – que la doc­trine de l’Eglise ne peut pas chan­ger, et qu’elle a la pro­messe de l’assistance du Saint-​Esprit. Nous n’en sommes pas à un point de rup­ture, mais hélas l’année qui nous sépare de la deuxième par­tie du synode va for­cé­ment ouvrir l’Eglise à tous vents et c’est un drame (le car­di­nal Tagle n’a‑t-il pas dit, en sou­riant, à la fin de la pré­sen­ta­tion du rap­port à la presse : « Le drame conti­nue » ?). L’heure est donc à la prière et à la sup­pli­ca­tion, et à la confiance mal­gré tout – mais celle-​ci n’empêchera pas les dégâts collatéraux.

C’est pour­quoi, même quand il n’y aurait que des ambi­guï­tés, le devoir de contes­ta­tion s’impose. Or il y en a beau­coup dans le rap­port d’étape du synode, puisqu’il s’agit d’un patch­work d’interventions de la pre­mière semaine de débats et que de nom­breuses expres­sions plus tra­di­tion­nelles de la doc­trine y figurent. Mais la domi­nante est claire.

Le synode des médias

Il faut tenir compte aus­si de la manière dont les médias ont ren­du compte de ce docu­ment : c’est leur inter­pré­ta­tion qui domi­ne­ra dans les esprits et c’est elle qui per­met­tra d’aller même plus loin que ce que dit le rap­port. Voyez cette dépêche de l’AFP, tom­bée lun­di à 16 h 08 sous le titre « Le synode recon­naît des valeurs posi­tives au mariage civil » et dont les pre­mières lignes disent ce que les médias veulent com­prendre et répandre : « Un pre­mier résu­mé des tra­vaux du synode des évêques sur la famille recon­naît lun­di des valeurs posi­tives au mariage civil et donne une appré­cia­tion plus bien­veillante des unions de fait stables, y com­pris homosexuelles. »

Une asso­cia­tion homo­sexua­liste « catho­lique », New Ways Ministry, ne s’y est pas trom­pée et exploite l’événement avec enthou­siasme. Son direc­teur exé­cu­tif, Francis DeBernardo, pré­sent à Rome pour le « synode alter­na­tif » des LGBT, a décla­ré : « Je cois que nous sommes en train de voir ce que nous atten­dions depuis très long­temps : la glace se cra­que­lé. C’est le signe d’un pre­mier pas. » « Euphorique » à l’idée que l’Eglise puisse ces­ser d’utiliser la ter­mi­no­lo­gie clas­sique pour dési­gner le péché sexuel, comme l’ont pro­po­sé plu­sieurs pères syno­daux, il a ajou­té : « Je crois que le chan­ge­ment du lan­gage pro­voque une réac­tion en chaîne : un chan­ge­ment du lan­gage entraî­ne­ra un chan­ge­ment de la pra­tique pas­to­rale, ce qui pro­vo­que­ra un chan­ge­ment dans l’enseignement. »

Lui, au moins, n’a pas de fro­mage blanc à la place du cerveau…

La satisfaction des lobbies LGBT

D’autres lea­ders LGBT parlent en ce sens, ain­si que le rap­porte Hilary White pour LifeSite. Elle ajoute que les car­di­naux qui s’expriment ain­si, confor­tés par les mots du pape François, « Qui suis-​je pour juger », ne vont certes pas jusqu’à jus­ti­fier le « mariage » homo­sexuel : ils se contentent de trou­ver des qua­li­tés aux per­sonnes homo­sexuelles, ou, comme l’affirme la rela­tio, à admi­rer les cas où le « sou­tien réci­proque jusqu’au sacri­fice » qui « consti­tue une aide pré­cieuse pour la vie des par­te­naires ». Mais cette manière de par­ler laisse poindre l’approbation du style de vie.

Peu nom­breux, ces car­di­naux et évêques connus pour avoir ce point de vue béné­fi­cient aujourd’hui, par le jeu du synode, d’une visi­bi­li­té média­tique et d’un poids au sein de l’Eglise qui ne cor­res­pond pas à la réa­li­té. On est bien face à une opé­ra­tion d’agit-prop.

Quels sont ses objec­tifs ? Outre la ques­tion des homo­sexuels, c’est toute la rigueur de l’exigence chré­tienne en matière de sexua­li­té et de doc­trine du mariage qui est sous le feu des attaques. Il ne faut pas s’en éton­ner : ces véri­tés sur l’homme et la femme sont aujourd’hui la cible prin­ci­pale des adver­saires de l’Eglise. L’attaque s’exprime depuis des décen­nies dans une décons­truc­tion sans pré­cé­dent des fon­de­ments natu­rels de la socié­té ; elle vise aujourd’hui la seule ins­ti­tu­tion au monde qui, en ne ces­sant jamais d’affirmer la dimen­sion spi­ri­tuelle et sacra­men­telle du mariage, signe de la fidé­li­té de l’amour divin et de son alliance avec l’homme, a tou­jours rap­pe­lé que l’indissolubilité et la fécon­di­té du mariage natu­rel sont des condi­tions impres­crip­tibles pour le bien com­mun, le bien social, le bien natu­rel de l’homme.

Antiracisme

L’attaque se mène avec des mots qui ne trompent pas sur l’origine et les objec­tifs des des­truc­teurs. « Accueil », « condi­tions exis­ten­tielles », « pers­pec­tive inclu­sive », « dia­logue », « dis­cri­mi­na­tion » » : c’est le registre de l’antiracisme qui abou­tit au refus de toute dis­tinc­tion entre les hommes. Il s’exprime par­fai­te­ment dans les dif­fé­rentes consti­tu­tions, chartes des droits et lois pénales inter­di­sant toute dis­cri­mi­na­tion « à rai­son » de la race, de l’ethnie, de la natio­na­li­té, de la reli­gion, du sexe et de l’orientation sexuelle. C’est au fond l’expression légale de ce que Benoît XVI a appe­lé la dic­ta­ture du rela­ti­visme qui est une tyran­nie empê­chant l’affirmation claire de la dis­tinc­tion entre le bien et le mal.

La rela­tio post dis­cep­ta­tio­nem n’en est pas là, mais son expres­sion indique clai­re­ment la ten­dance et repose sur le même appel au sen­ti­ment, le même refus du rai­son­ne­ment, la même glo­ba­li­té et le même glo­ba­lisme qui vou­drait empê­cher tout dis­cer­ne­ment ana­ly­tique à quelque niveau que ce soit. A moins que cette « ana­lyse » n’aboutisse à la mise à l’écart de toute véri­té tran­chante pré­sen­tée comme cause de « rejet » ou d’exclusion…

Quelques affir­ma­tions de la rela­tio post dis­cep­ta­tio­nem méritent d’être rele­vées davan­tage dans le détail.

L’homme n’est-il plus lui-même ?

Au numé­ro 5, on nous parle d’emblée d’un « chan­ge­ment anthro­po­lo­gique » qu’on se garde bien de défi­nir. Là est pour­tant la clef de lec­ture du docu­ment. En bon fran­çais (et ita­lien, langue d’origine du docu­ment), cela désigne un chan­ge­ment de l’homme lui-​même, et non seule­ment un chan­ge­ment socio­lo­gique – celui-​ci est d’ailleurs dési­gné comme un « chan­ge­ment cultu­rel ». Si l’homme est modi­fié, c’est qu’il est autre : il ne pense plus, il n’agit plus de la même manière, il ne res­pecte plus les mêmes règles que jadis parce que sa nature est modi­fiée. Raison pour laquelle on ne pour­rait plus exi­ger un même res­pect d’un « idéal » qui le dépasse désor­mais. Et ils osent sug­gé­rer qu’ils ne demandent que la prise en compte de la réa­li­té concrète !

Reprenons : « Le chan­ge­ment anthro­po­lo­gique et cultu­rel influence aujourd’­hui tous les aspects de la vie et requiert une approche ana­ly­tique et diver­si­fiée, capable de per­ce­voir les formes posi­tives de la liber­té indi­vi­duelle. » Sans nier les aspects néga­tifs de cet indi­vi­dua­lisme, l’idée majeure que les rap­por­teurs veulent faire pas­ser est bien qu’il faut par­tir d’une recherche du bien dans les situa­tions intrin­sè­que­ment désor­don­nées. Est-​ce pour atti­rer les per­sonnes, qui s’y trouvent, à terme, et selon la « loi de la gra­dua­li­té », vers le vrai bien du mariage et de la chas­te­té propre à chaque état de vie ? On voit mal de quelle manière, sans claire affir­ma­tion du vrai bien ni de la réa­li­té et de la gra­vi­té du péché qui coupe de la grâce.

Si l’Eglise n’était qu’un club de bien­fai­sance où il importe de se sen­tir bien et d’ouvrir ses portes à cha­cun, ce lan­gage aurait toute sa place. Mais l’Eglise est le Corps du Christ ; sur cette terre elle a pour objec­tif mater­nel d’amener cha­cun à la Rédemption en l’arrachant à l’éternelle dam­na­tion qui serait notre lot sans le sacri­fice du Christ – et Il n’a pas prê­ché une morale de situa­tion. Accueil des pécheurs ? L’Eglise est là pour ça et nous en sommes tous : mais elle ne nous pré­sente pas un « idéal », mais le che­min, le seul, de la Vérité et de la Vie.

Où sont passés le ciel et l’enfer ?

On cherche en vain dans le rap­port d’étape du synode, qui est cen­sé expri­mer l’enseignement catho­lique et déter­mi­ner com­ment ame­ner les catho­liques à y adhé­rer, une phrase sur les fins der­nières de l’homme et la rai­son sur­na­tu­relle pour laquelle il importe, en défi­ni­tive, chaque homme est appe­lé à suivre Jésus, Pasteur exem­plaire qui a deman­dé à cha­cun de por­ter sa croix. Ses mots les plus durs ont été pour ceux qui « scan­da­lisent » les petits en leur lais­sant croire que le mal peut être un bien, les entraî­nant ain­si au péché.

Alors, quand la rela­tio parle d’accueillir les per­sonnes dans les situa­tions « les plus dis­pa­rates » (n° 11) pour encou­ra­ger « le désir de Dieu et la volon­té de se sen­tir plei­ne­ment par­tie inté­grante de l’Eglise », on ne contes­te­ra certes pas l’importance pour cha­cun de trou­ver Dieu et le devoir de l’Eglise de l’y aider, mais cela ne peut pas être au prix d’une redé­fi­ni­tion de la misé­ri­corde, comme si celle-​ci pou­vait contre­dire la véri­té. C’est Dieu qui juge en toute jus­tice, en tenant compte des fai­blesses et du par­don deman­dé : mais on ne demande pas par­don pour un mal avec la ferme inten­tion d’y demeurer.

Le n° 14 de la rela­tio est un monu­ment de mau­vaise foi.

« 14. Jésus Lui-​même, en se réfé­rant au des­sein pre­mier sur le couple humain, réaf­firme l’u­nion indis­so­luble entre l’homme et la femme, tout en com­pre­nant que « en rai­son de votre dure­té de cœur (que) Moise vous a per­mis de répu­dier vos femmes ; mais dès l’o­ri­gine, il n’en fut pas ain­si » (Mt 19,8). De cette manière, Il montre com­bien la condes­cen­dance divine accom­pagne tou­jours le che­min de l’homme, l’o­rien­tant vers son prin­cipe, non sans pas­ser par la croix. »

Le Christ censuré

Comme si Jésus Lui-​même, en disant cela, n’avait pas ajou­té ces paroles de feu : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas. » De quel droit ont-​ils esca­mo­té ces mots essen­tiels ? Jésus ne par­lait pas à un public plus récep­tif que celui du XXIe siècle, pour­tant… Pour l’analyse de ce pas­sage du rap­port, voyez le blog d’Yves Daoudal, c’est par .

C’est encore lui qui démonte la trom­pe­rie des n° 17 à 20 , qui pré­tend trou­ver des élé­ments posi­tifs dans les coha­bi­ta­tions et les « rema­riages », non point des non chré­tiens mais ceux des catho­liques des « semi­ni Verbi répan­dus hors des fron­tières sacra­men­telles ». Autant il est vrai que tout bien vient de Dieu, ce qui per­met de dis­cer­ner les élé­ments de véri­té qu’il peut y avoir dans la reli­gio­si­té natu­relle ou dans le mariage de non chré­tiens res­pec­tueux de ses fins natu­relles, autant on est là dans l’affirmation qu’une situa­tion objec­tive de péché pour­rait être un début de bien en soi, à faire évo­luer vers une plé­ni­tude de bien. C’est la confu­sion entre les actes objec­ti­ve­ment bons que cha­cun peut poser, et le cadre objec­ti­ve­ment mau­vais où il a choi­si de se placer.

Demander à l’Eglise de « se tour­ner avec res­pect vers ceux qui par­ti­cipent à sa vie de manière incom­plète et impar­faite, appré­ciant plus les valeurs posi­tives qu’ils conservent que leurs limites et leurs man­que­ments » (n°20) relève de la même confu­sion volon­taire : confu­sion entre le res­pect pour les per­sonnes et le juge­ment à appor­ter sur leur état de vie – juge­ment misé­ri­cor­dieux en ce qu’il entend dire que cet état est syno­nyme de mort spi­ri­tuelle dont il est pos­sible de sortir.

La valeur du concubinage

Le n° 22 pro­pose de consi­dé­rer la coha­bi­ta­tion stable, sanc­tion­née ou non par un mariage civil, « mar­quée par une affec­tion pro­fonde, par la res­pon­sa­bi­li­té vis-​à-​vis des enfants, par une capa­ci­té à résis­ter dans les épreuves », « comme un bour­geon à accom­pa­gner dans son déve­lop­pe­ment vers le sacre­ment du mariage ». Confusion encore : bien sûr qu’il faut essayer les couples catho­liques (et même les autres, appe­lés au même salut !) qui choi­sissent l’union de fait ou le mariage civil, à s’engager dans le mariage sacra­men­tel. Bien des pas­teurs sou­lignent d’ailleurs com­bien ces enga­ge­ments gagnent à se faire après une période de conti­nence pour mar­quer, pré­ci­sé­ment, la dif­fé­rence entre les deux états et la recon­nais­sance de ce que le mariage sacra­men­tel repré­sente. Mais en cher­chant le « bien » dans les unions libres ou civiles on les désigne comme bonnes. Pour les parents chré­tiens, quelle claque ! Doivent-​ils désor­mais accom­pa­gner leurs enfants vers l’union libre parce que celle-​ci est un « bour­geon » de mariage sacra­men­tel ? Seront-​ils « dis­cri­mi­nants » s’ils osent sou­li­gner d’abord le mal et le dan­ger de ces unions ? S’agit-il de démis­sion­ner col­lec­ti­ve­ment au nom du « chan­ge­ment anthropologique » ?

Il faut le croire, puisque la rela­tio pro­pose non que la mis­sion obtienne la conver­sion des bre­bis éga­rées, mais que s’père une « conver­sion mis­sion­naire », « requise ». En d’autres termes, que celui qui dit le bien renonce au mal qu’on n’hésite pas à poin­ter chez lui : « Il ne faut pas se limi­ter à une annonce pure­ment théo­rique et déta­chée des pro­blèmes réels des per­sonnes. » C’est au n°28, qui pour­suit : « Il ne faut jamais oublier que la crise de la foi a com­por­té une crise du mariage et de la famille et, par consé­quent, la trans­mis­sion de la foi des parents aux enfants a été sou­vent interrompue. »

La crise de la foi

Et pour­quoi cela ? Parce que la foi n’a plus été ensei­gnée. C’est bien parce que des hommes d’Eglise ont aban­don­né l’annonce sys­té­ma­tique et argu­men­tée de la véri­té sur le mariage – que rien n’empêche d’être libé­ra­trice et enthou­sias­mante, jus­te­ment parce que la véri­té rend libre et que l’enthousiasme est éty­mo­lo­gi­que­ment une mani­fes­ta­tion de la pré­sence divine – que le mariage est en crise. Je me sou­viens, petite fille pas­sant mes vacances aux Pays-​Bas à la fin des années 1960, de la jubi­la­tion des grandes cou­sines : « On peut faire ce qu’on veut ! C’est le curé qui vient de nous le dire. » Cela concer­nait, je l’ai mieux com­pris plus tard, l’activité sexuelle hors mariage et la contraception.

Attardons-​nous encore un ins­tant sur le n° 28. Il se ter­mine avec ces mots : « Lorsqu’elle est confron­tée par une foi solide, l’imposition de cer­taines pers­pec­tives cultu­relles qui affai­blissent la famille et le mariage n’a pas d’importance. » Autrement dit une foi forte pré­serve des errances du temps, du « monde » dont nous ne sommes pas. Le plus urgent n’est-il donc pas d’enseigner la « foi forte », sans édul­co­rer son conte­nu, sans affa­dir son sel ?

Au n° 30, les rap­por­teurs s’offrent un petit détour par le dia­logue inter­re­li­gieux en expli­quant que « beau­coup ont insis­té sur une approche plus posi­tive des richesses conte­nues dans les dif­fé­rentes expé­riences reli­gieuses, sans pas­ser sous silence les dif­fi­cul­tés. Dans les dif­fé­rents contextes cultu­rels, il faut d’abord sai­sir les pos­si­bi­li­tés, puis, à la lumière de celles-​ci, repous­ser les limites et les radi­ca­li­sa­tions ».Et cela de la part de l’Eglise, qui a les paroles de la vie éternelle !

Le n° 36 revient sur « la réa­li­té posi­tive des mariages civils et, compte tenu de leurs dif­fé­rences, des concu­bi­nages » : voi­ci le mariage sacra­men­tel relé­gué au rang d’« idéal » auquel on peut aspi­rer ou duquel on se détache. Le n° 37 invite l’Eglise à « aller en aide » à ceux qui sont dans un concu­bi­nage « ad expe­ri­men­tum » (mariage à l’essai) ou dans un « mariage par étapes » à la mode afri­caine, en étant pour tous « la mai­son ouverte du Père ». On songe à la para­bole de l’enfant pro­digue : c’est en rom­pant avec sa vie dis­so­lue et en recon­nais­sant sa faute, pous­sé par la misère qui s’avère pour lui misé­ri­corde, qu’il revient au Père et y trouve la porte tou­jours ouverte.

Le n° 38 parle des dif­fi­cul­tés maté­rielles pour se marier et de la peur des enga­ge­ments défi­ni­tifs, et des retards pris « non par rejet des valeurs chré­tiennes rela­tives à la famille et au mariage, mais sur­tout du fait que se marier est un luxe ». Du prix de la fête au prix de la dot… Mais la réponse de l’Eglise doit-​elle vrai­ment se cen­trer sur le fait que « dans ces unions aus­si, on peut voir des valeurs fami­liales authen­tiques, ou du moins le désir de celles-​ci » ? A force de « posi­ti­ver », pour­quoi s’inquiéter ? Pourquoi sug­gé­rer ensuite ce qui est consi­dé­ré comme impos­sible d’emblée ?

Passons sur la sim­pli­fi­ca­tion des pro­cès de recon­nais­sance de nul­li­té, cela mérite des déve­lop­pe­ments à part.

Divorcés « remariés »

Le n° 46 parle des divor­cés rema­riés (sans guille­mets puisque le mariage civil a des aspects posi­tifs…) : « Les situa­tions des per­sonnes divor­cées rema­riées exigent aus­si un dis­cer­ne­ment atten­tif et un accom­pa­gne­ment empreint de res­pect, évi­tant tout lan­gage ou atti­tude qui les feraient sen­tir dis­cri­mi­nées. Prendre soin de ces per­sonnes ne repré­sente pas pour la com­mu­nau­té chré­tienne un affai­blis­se­ment de sa foi et de son témoi­gnage de l’indissolubilité du mariage, au contraire, c’est par ces soins qu’elle exprime sa cha­ri­té. » On goû­te­ra le « au contraire » qui confond foi et cha­ri­té. Bien sûr, l’Eglise doit appor­ter son secours – la com­mu­ni­ca­tion de la grâce – à tous les hommes qui en ont besoin. Mais de cela il n’est pas question.

Le n° 47 est un autre monument :

« 47. Quant à la pos­si­bi­li­té d’accéder aux sacre­ments de la Pénitence et de l’Eucharistie, cer­tains ont argu­men­té en faveur de la dis­ci­pline actuelle en ver­tu de son fon­de­ment théo­lo­gique, d’autres se sont expri­més en faveur d’une plus grande ouver­ture à des condi­tions bien pré­cises, quand il s’agit de situa­tions qui ne peuvent pas être dis­soutes sans entraî­ner de nou­velles injus­tices et souf­frances. Pour cer­tains, il fau­drait que l’éventuel accès aux sacre­ments soit pré­cé­dé d’un che­min péni­ten­tiel – sous la res­pon­sa­bi­li­té de l’évêque dio­cé­sain –, et avec un enga­ge­ment évident en faveur des enfants. Il s’agirait d’une situa­tion non géné­ra­li­sée, fruit d’un dis­cer­ne­ment réa­li­sé au cas pas cas, sui­vant une règle de gra­dua­li­té, qui tienne compte de la dis­tinc­tion entre état de péché, état de grâce et cir­cons­tances atténuantes. »

Du sac de Rome à celui du mariage

Voilà, c’est le point névral­gique, le point de bas­cu­le­ment recher­ché, tant il est vrai que le divorce est à la racine de toutes les autres des­truc­tions de la famille, de la filia­tion, de la socié­té. On se demande en pas­sant quel peut être cet « enga­ge­ment évident en faveur des enfants ». Jamais on n’entend les par­ti­sans de cette com­mu­nion accor­dée sans inten­tion de sor­tir d’une situa­tion objec­ti­ve­ment et gra­ve­ment désor­don­née pré­ci­ser de quels enfants il s’agit : ceux du « pre­mier » mariage ? Ceux de la nou­velle union ? Et puis : y a‑t-​il désor­mais des étapes entre l’état de péché et l’état de grâce où l’on pour­rait se trou­ver un peu, en rai­son des « cir­cons­tances atténuantes » ?

Les der­niers para­graphes concernent l’accueil des per­sonnes homo­sexuelles ; il sem­ble­rait que le car­di­nal Peter Erdö, qui a pré­sen­té le rap­port à la presse, en ait été mar­ri, n’ayant semble-​t-​il pas pris la peine d’en prendre connais­sance avant la pré­sen­ta­tion : il s’agirait de l’opinion du rédac­teur très libé­ral, Mgr Bruno Forte. Après avoir plai­dé pour l’accueil des per­sonnes, ce qui n’a rien de scan­da­leux en soi, l’article 50 parle de ces homo­sexuels qui « sou­haitent ren­con­trer une Eglise qui soit une mai­son accueillante ». « Nos com­mu­nau­tés peuvent-​elles l’être en accep­tant et en éva­luant leur orien­ta­tion sexuelle, sans com­pro­mettre la doc­trine catho­lique sur la famille et le mariage ? » Dans le contexte, on com­prend mal le choix d’« éva­luant » pour tra­duire le mot ita­lien ori­gi­nel « valu­tan­do » : com­met « éva­luer » une orien­ta­tion sexuelle ? « Apprécier » se com­pren­drait mieux, au sens de « valo­ri­ser ». Et là, cela se passe de commentaires…

Valoriser l’homosexualité

Mais le para­graphes qui a fait le plus plai­sir aux médias est celui-​ci, non­obs­tant le pré­cé­dent qui évoque pour les dénon­cer les « orga­nismes inter­na­tio­naux » qui « sou­mettent les aides finan­cières à la condi­tion d’introduire des lois s’inspirant de la l’idéologie du gender » :

52. Sans nier les pro­blé­ma­tiques morales liées aux unions homo­sexuelles, on prend acte qu’il existe des cas où le sou­tien réci­proque jusqu’au sacri­fice consti­tue une aide pré­cieuse pour la vie des par­te­naires. De plus, l’Église prête une atten­tion spé­ciale aux enfants qui vivent avec des couples du même sexe, en insis­tant que les exi­gences et les droits des petits doivent tou­jours être au pre­mier rang. »

On retombe dans les erreurs à pro­pos des unions de fait en fai­sant abu­si­ve­ment la confu­sion entre des actes objec­ti­ve­ment bons et le cadre où ils se réa­lisent. La presse y a vu une recon­nais­sance des unions homo­sexuelles, et eu égard à la lettre de ce n° 52, cela ne se jus­ti­fie pas. Mais c’est bien d’impression qui domine. Alors qu’ailleurs, le docu­ment sug­gère que nos contem­po­rains rai­sonnent de plus en plus avec leurs tripes, c’est elle qui reste ; on pou­vait même le dire d’avance.

Debout !

Ce « trem­ble­ment de terre » à tous les étages aura du moins le mérite de réveiller les assou­pis. Colère et inter­ro­ga­tions ont semble-​t-​il accueilli le texte de la rela­tio – « Qu’est deve­nue la notion de péché ? », a deman­dé un évêque.

La doc­trine de l’Eglise ne chan­ge­ra pas. Mais en atten­dant la voi­ci expo­sée, atta­quée, ridi­cu­li­sée, au point que ceux qui la défendent pas­se­ront pour des Pharisiens. Où l’on com­prend à quel point l’Eglise est la seule for­te­resse qui tienne debout face aux assauts de la culture de mort. Une for­te­resse d’un type un peu par­ti­cu­lier, puisqu’elle est prête à offrir sa pro­tec­tion à tous les hommes de bonne volonté.

Source : Blog de Jeanne Smits du 14 octobre 2014