La véritable histoire de ce synode. Le metteur en scène, les exécutants, les assistants

Note de la rédac­tion de La Porte Latine :
il est bien enten­du que les com­men­taires repris dans la presse exté­rieure à la FSSPX
ne sont en aucun cas une quel­conque adhé­sion à ce qui y est écrit par ailleurs.

De nou­veaux para­digmes en matière de divorce et d’ho­mo­sexua­li­té ont désor­mais cours dans les ins­tances diri­geantes de l’Église. Rien n’a été déci­dé, mais le pape François est patient, par Sandro Magister. » La véri­table his­toire de ce synode » éta­blit un paral­lèle sai­sis­sant entre les manœuvres des car­di­naux pro­gres­sistes lors du concile Vatican II et celles qui ont été employées au cours de ce synode.

ROME, le 17 octobre 2014 – « L’esprit du concile souffle de nou­veau », a décla­ré le car­di­nal phi­lip­pin Luis Antonio G. Tagle, étoile mon­tante de la hié­rar­chie mon­diale mais éga­le­ment his­to­rien de Vatican II. Et c’est vrai. Le synode qui est sur le point de s’achever com­porte de nom­breux points com­muns avec ce qui s’est pas­sé lors de ce grand événement.

La res­sem­blance la plus per­cep­tible est le déca­lage qui existe entre d’une part le synode réel et d’autre part le synode vir­tuel qui est véhi­cu­lé par les médias.

Mais il existe une res­sem­blance encore plus sub­stan­tielle. Aussi bien lors du concile Vatican II qu’au cours du pré­sent synode, les chan­ge­ments de para­digme sont les fruits d’une mise en scène très soi­gnée. Un pro­ta­go­niste de Vatican II tel que le père Giuseppe Dossetti – très habile stra­tège des quatre car­di­naux modé­ra­teurs qui étaient aux com­mandes de la machine conci­liaire – reven­di­quait ce fait avec fier­té. Il disait qu’il « avait bou­le­ver­sé le des­tin du concile » grâce à son apti­tude à pilo­ter l’as­sem­blée, apti­tude qu’il avait acquise anté­rieu­re­ment grâce à son expé­rience poli­tique de lea­der du plus grand par­ti d’Italie.

Les choses se sont éga­le­ment pas­sées ain­si au cours du pré­sent synode. Ni les ouver­tures en direc­tion d’une auto­ri­sa­tion de com­mu­nier qui serait accor­dée aux divor­cés rema­riés civi­le­ment – et donc l’ac­cep­ta­tion de ces rema­riages par l’Église – ni l’im­pres­sion­nant chan­ge­ment de para­digme en ce qui concerne l’homosexualité qui a été intro­duit dans la « Relatio post dis­cep­ta­tio­nem » n’auraient été pos­sibles sans une série de démarches habi­le­ment cal­cu­lées par ceux qui avaient et qui ont le contrôle des procédures.

Pour le com­prendre, il suf­fit de par­cou­rir de nou­veau les étapes qui ont abou­ti à ce résul­tat, même si la conclu­sion pro­vi­soire du synode – comme on le ver­ra – n’a pas été conforme aux attentes de ses met­teurs en scène.

Le pre­mier acte a comme acteur prin­ci­pal le pape François en per­sonne. Le 28 juillet 2013, au cours de la confé­rence de presse qu’il donne à bord de l’avion qui le ramène à Rome après son voyage au Brésil, il lance deux signaux qui ont sur l’o­pi­nion publique un impact très fort et très durable.

Le pre­mier de ces signaux concerne la manière de se com­por­ter vis-​à-​vis des homo­sexuels : « Si une per­sonne est gay et cherche le Seigneur avec bonne volon­té, qui suis-​je pour la juger ? ».

Le second concerne l’ac­cep­ta­tion des rema­riages [de divorcés]:

« Une paren­thèse : les ortho­doxes suivent la théo­lo­gie de l’économie, comme ils l’appellent, et ils donnent une seconde pos­si­bi­li­té [de mariage], ils le per­mettent. Mais je crois que ce pro­blème – je ferme la paren­thèse – on doit l’étudier dans le cadre de la pas­to­rale du mariage ».

Il y a ensuite, au mois d’octobre 2013, la convo­ca­tion d’un synode consa­cré à la famille. Ce sera le pre­mier d’une série de deux synodes répar­tis sur une année qui tra­vaille­ront sur cette même ques­tion, les déci­sions ne devant être prises qu’à l’issue du second. Au poste de secré­taire géné­ral de cette espèce de synode per­ma­nent et pro­lon­gé, le pape nomme un tout nou­veau car­di­nal, Lorenzo Baldisseri, qui est dépour­vu de toute expé­rience en la matière, mais qui est très proche de lui. Pour l’oc­ca­sion, il place aux côtés de Baldisseri, en tant que secré­taire spé­cial, l’évêque et théo­lo­gien Bruno Forte. Celui-​ci est déjà connu comme l’un des prin­ci­paux repré­sen­tants de la ligne théo­lo­gique et pas­to­rale qui a eu comme figure de proue le car­di­nal jésuite Carlo Maria Martini et comme grands adver­saires Jean-​Paul II d’abord et Benoît XVI ensuite : une ligne dont les tenants se déclarent ouverts à un chan­ge­ment de l’en­sei­gne­ment de l’Église dans le domaine sexuel.

La pro­cla­ma­tion du synode est com­plé­tée par l’envoi d’un ques­tion­naire par­tout dans le monde, qui com­porte des ques­tions spé­ci­fiques à pro­pos des thèmes les plus sujets à contro­verse, par­mi les­quels la dis­tri­bu­tion de la com­mu­nion aux [divor­cés] rema­riés et les unions homosexuelles.

C’est notam­ment à cause de ce ques­tion­naire – dont les réponses seront ulté­rieu­re­ment publiées de manière inten­tion­nelle par cer­tains épis­co­pats de langue alle­mande – qu’est née dans l’o­pi­nion publique l’i­dée qu’il s’agit de ques­tions que l’on peut consi­dé­rer comme déjà « ouvertes » non seule­ment en théo­rie mais éga­le­ment en pratique.

On peut trou­ver une mani­fes­ta­tion de cette fuite en avant, par exemple, dans le dio­cèse de Fribourg-​en-​Brisgau, en Allemagne, dont l’archevêque, Robert Zollitsch, est éga­le­ment le pré­sident de la confé­rence des évêques d’Allemagne. Dans un docu­ment qui émane de l’un de ses ser­vices pas­to­raux, celui-​ci encou­rage l’ac­cès des divor­cés rema­riés à la com­mu­nion, sur la simple base d’« une déci­sion de conscience ».

Depuis Rome, le pré­fet de la congré­ga­tion pour la doc­trine de la foi, le car­di­nal Gerhard L. Müller, réagit en publiant de nou­veau dans « L’Osservatore Romano », le 23 octobre 2013, une note qu’il a rédi­gée anté­rieu­re­ment et qui a été publiée quatre mois plus tôt en Allemagne, dans laquelle il confirme et explique cette inter­dic­tion de com­mu­nier.

Mais cet appel qu’il adresse au dio­cèse de Fribourg pour que celui-​ci retire son docu­ment ne donne aucun résul­tat. Bien au contraire, le car­di­nal alle­mand Reinhard Marx ou, en recou­rant à des termes plus gros­siers, le car­di­nal hon­du­rien Óscar Rodríguez Maradiaga, cri­tiquent Müller, à qui ils reprochent sa « pré­ten­tion » de tron­quer la dis­cus­sion à ce sujet. Marx et Maradiaga font l’un comme l’autre par­tie du conseil des huit car­di­naux à qui le pape François a deman­dé de l’aider dans le gou­ver­ne­ment de l’Église uni­ver­selle. Le pape n’intervient pas pour appor­ter son sou­tien à Müller.

Les 20 et 21 février 2013, les car­di­naux se réunissent à Rome en consis­toire. Le pape François leur demande de débattre de la famille et il charge du dis­cours d’ouverture le car­di­nal Walter Kasper. Celui-​ci a déjà été, au début des années 90, le par­ti­san bel­li­queux d’un dépas­se­ment de l’interdiction de com­mu­nier qui frappe les [divor­cés] rema­riés, mais il a été bat­tu, à cette époque-​là, par Jean-​Paul II et par Joseph Ratzinger.

Pendant le consis­toire, qui se déroule à huis clos, Kasper reprend com­plè­te­ment ses prises de posi­tion. De nom­breux car­di­naux s’opposent à lui, mais François le gra­ti­fie de très grands éloges. Par la suite, Kasper affir­me­ra que c’est « en accord » avec le pape qu’il avait éla­bo­ré ses pro­po­si­tions.

Par ailleurs, Kasper a reçu du pape le pri­vi­lège de rompre le silence à pro­pos de ce qu’il a dit pen­dant le consis­toire, contrai­re­ment à tous les autres car­di­naux. Lorsque, le 1er mars, son dis­cours est publié par sur­prise dans le quo­ti­dien ita­lien « Il Foglio », ce même dis­cours est, en fait, déjà en cours d’impression aux édi­tions Queriniana. L’écho de la publi­ca­tion est immense.

Au début du prin­temps, dans le but de contre­ba­lan­cer l’im­pact des pro­po­si­tions de Kasper, la congré­ga­tion pour la doc­trine de la foi pro­gramme la publi­ca­tion, dans « L’Osservatore Romano », d’une inter­ven­tion d’orientation contraire qui a été rédi­gée par un car­di­nal de pre­mier plan. Mais la publi­ca­tion de ce texte se heurte au veto du pape.

Cependant les pro­po­si­tions de Kasper font l’objet de cri­tiques sévères et argu­men­tées pro­ve­nant d’un bon nombre de car­di­naux qui inter­viennent à de mul­tiples reprises dans dif­fé­rents organes de presse. À la veille du synode, cinq de ces car­di­naux publient de nou­veau, dans un livre, leurs inter­ven­tions pré­cé­dentes, et ils men­tionnent, comme com­plé­ment d’information, des essais qui ont été rédi­gés par d’autres cher­cheurs et par un haut diri­geant de la curie, jésuite, arche­vêque, fin connais­seur de la pra­tique des Églises orien­tales en matière de mariage. Kasper déplore, avec une large appro­ba­tion des médias, la publi­ca­tion de cet ouvrage qu’il pré­sente comme un affront qui vise à frap­per le pape.

Le 5 octobre, c’est l’ouverture du synode. Contrairement à ce qui se fai­sait dans le pas­sé, les inter­ven­tions en salle des séances ne sont pas ren­dues publiques. Le car­di­nal Müller pro­teste contre cette forme de cen­sure. Mais il n’obtient pas gain de cause. Ce qui consti­tue une démons­tra­tion sup­plé­men­taire, dira-​t-​il, du fait que « je ne fais pas par­tie de l’équipe de mise en scène ».

La direc­tion opé­ra­tion­nelle du synode est com­po­sée du secré­taire géné­ral, Baldisseri, et du secré­taire spé­cial, Forte, à qui le pape adjoint ceux, qu’il a choi­sis per­son­nel­le­ment, qui s’occuperont de rédi­ger le mes­sage et la « Relatio » de fin de synode. Ils appar­tiennent tous au « par­ti » du chan­ge­ment et à leur tête se trouve le ghost­wri­ter de confiance du pape, Víctor Manuel Fernández, arche­vêque et rec­teur de l’Université Catholique de Buenos Aires.

Le fait que ce soit effec­ti­ve­ment cette équipe qui assure la mise en scène du synode est deve­nu évident d’une manière spec­ta­cu­laire le lun­di 13 octobre. Ce jour-​là, devant plus de deux cents jour­na­listes en pro­ve­nance du monde entier, le car­di­nal délé­gué qui était pré­sen­té for­mel­le­ment comme étant l’au­teur de la « Relatio post dis­cep­ta­tio­nem », c’est-à-dire le Hongrois Péter Erdö, a été inter­ro­gé à pro­pos des para­graphes concer­nant l’homosexualité. Il a refu­sé de répondre et il a cédé la parole à Forte en décla­rant : « Celui qui a rédi­gé ce pas­sage doit savoir quoi dire, lui ».

Lorsqu’on lui a deman­dé de pré­ci­ser si les para­graphes concer­nant l’ho­mo­sexua­li­té pou­vaient être inter­pré­tés comme un chan­ge­ment radi­cal dans l’en­sei­gne­ment de l’Église à ce sujet, le car­di­nal Erdö a répon­du : « Certainement ! », mar­quant son désac­cord sur ce point aussi.

En effet ces para­graphes reflètent non pas une orien­ta­tion expri­mée en salle des séances par un nombre impor­tant de pères syno­daux – comme on s’attend à ce que soit le cas lorsqu’on lit une « Relatio » – mais ce qui a été dit par deux pères, tout au plus, sur près de deux cents, et en par­ti­cu­lier par le jésuite Antonio Spadaro, direc­teur de « La Civiltà Cattolica », nom­mé membre du synode per­son­nel­le­ment par le pape François.

Mardi 14 octobre, en confé­rence de presse, le car­di­nal sud-​africain Wilfrid Napier a dénon­cé en termes très sévères l’ef­fet de l’abus de pou­voir qu’a com­mis Forte en insé­rant dans la « Relatio » ces para­graphes explo­sifs. Ceux-​ci, a‑t-​il décla­ré, ont pla­cé l’Église dans une posi­tion « irre­dee­mable », sans issue. Parce que, désor­mais, « le mes­sage est par­ti : voi­ci ce que dit le synode, voi­ci ce que dit l’Église. À ce point, il n’y a pas de cor­rec­tion qui tienne, tout ce que nous pou­vons faire, c’est d’essayer de limi­ter les dégâts ».

En réa­li­té, au sein des dix cercles lin­guis­tiques dans les­quels les pères syno­daux pour­suivent la dis­cus­sion, la « Relatio » fait l’objet d’un véri­table mas­sacre. À com­men­cer par son lan­gage « touf­fu, filan­dreux, exces­si­ve­ment ver­beux et donc ennuyeux », comme le sou­ligne impi­toya­ble­ment le rap­por­teur offi­ciel du groupe « Gallicus B » de langue fran­çaise, dans lequel figurent pour­tant deux cham­pions de ce lan­gage – et de ses conte­nus tout aus­si vagues et ambi­gus – qui sont les car­di­naux Christoph Schönborn et Godfried Danneels.

À la reprise des tra­vaux en salle, le jeu­di 16 octobre, le secré­taire géné­ral Baldisseri, à côté de qui se tient le pape, annonce que les rap­ports rédi­gés par les dix groupes ne seront pas ren­dus publics. Explosion de pro­tes­ta­tions. C’est le car­di­nal aus­tra­lien George Pell, phy­sique et tem­pé­ra­ment de rug­by­man, qui exige avec le plus d’intransigeance que les textes soient publiés. Baldisseri cède. Le même jour, le pape François se voit contraint de com­plé­ter le pool char­gé de la rédac­tion du rap­port final, en y fai­sant entrer l’ar­che­vêque de Melbourne Denis J. Hart et sur­tout le com­ba­tif car­di­nal sud-​africain Napier.

Cependant ce der­nier avait vu juste. Parce que, quel que soit le résul­tat de ce synode dont le pro­gramme ne pré­voit pas qu’il com­porte une conclu­sion, l’ef­fet recher­ché par ses met­teurs en scène est en grande par­tie atteint.

En ce qui concerne l’ho­mo­sexua­li­té comme à pro­pos du divorce et des rema­riages, en effet, le nou­veau verbe réfor­ma­teur qui est en tout état de cause mis en cir­cu­la­tion dans le réseau mon­dial des médias a plus de valeur que le suc­cès qui a été effec­ti­ve­ment obte­nu auprès des pères syno­daux par les pro­po­si­tions de Kasper ou de Spadaro.

La par­tie pour­ra durer long­temps. Mais le pape François est patient. Dans « Evangelii gau­dium » il a écrit que « le temps est supé­rieur à l’espace ».

Sources : Chiesa-​expresso/​Sandro Magister/​LPL