Accès à la déclaration Gravissimum educationis
Historique du décret Gravissimum educationis
Comme tous les textes qui composent le concile Vatican II, la version définitive a dû suivre un long processus de maturation.
Une petite ruche
Comme pour le texte précédent (sur les séminaires), le schéma sur l’éducation ressortit à la commission pour les Etudes et les séminaires. C’est une véritable petite ruche que cette commission. Présidée par le cardinal Giuseppe Pizzardo (préfet à la curie de la Congrégation pour les Séminaires et les Universités), lequel était secondé par le bénédictin Agostino Mayer (secrétaire de la même congrégation), cette commission préparatoire se subdivise en douze sous-commissions. Les sujets sont assez vastes et plusieurs schémas sont finalement rédigés, qui traitent notamment de vocation, d’éducation, d’enseignement, du thomisme, de la langue latine, de l’enseignement de l’Écriture Sainte.
C’est donc un grand nombre de textes qui est proposé par cette commission aux Pères conciliaires, en vue des discussions.
Lutte pour la vie !
On s’en souvient, à la fin de la première session, aucun texte n’est encore achevé. L’ampleur du travail à accomplir encore s’avère gigantesque. Aussi, une commission de coordination est instituée par le Pape pour diriger et organiser les travaux, et le 5 décembre 1962, quelques jours avant la clôture de la session, les Pères conciliaires reçoivent un fascicule qui réduit les 70 schémas préparés à une vingtaine !
Parmi les documents élaborés par la commission des Etudes et des séminaires, deux seulement survivront et devront être modifiés : celui sur les séminaires et celui que nous traitons actuellement.
Ainsi, le 22 avril 1963, un document de 31 pages (Constitution des écoles chrétiennes) est envoyé aux Pères conciliaires, afin qu’ils retournent à la commission leurs observations. Et c’est finalement un texte de 14 pages qui est proposé à la discussion dans l’aula conciliaire.
D’autres préoccupations
Les débats ne vont durer que trois jours, du 17 au 19 novembre 1964 ! Ces mêmes séances sont en plus occupées à d’autres rapports (sur la liberté religieuse) et à plusieurs votes (sur le sacerdoce, sur l’Église). Ce n’est pas que les Pères conciliaires se désintéressent du sujet de l’éducation. Mais la bataille faisait rage ailleurs : les esprits sont échauffés notamment par la Nota prævia ou encore par le concept de liberté [1], et le thème de l’éducation n’accapare pas tous les esprits.
La discussion est donc arrêtée le 19 novembre. Le schéma est renvoyé en commission pour subir les amendements lors de l’intersession (début 1965). Mais en plus des corrections apportées, le texte est développé, ce qui provoque un certain mécontentement au cours de la quatrième session.
Finalement, la déclaration est définitivement votée sans grand changement le 28 octobre 1965 par 2290 voix contre 35.
Par le motu proprio Finis concilio œcumenico Vaticano II du 3 janvier 1966, Paul Vi met en place une commission pour l’éducation chrétienne afin d’appliquer le texte du concile.
Analyse du texte
Comme l’histoire du schéma le montre suffisamment, ce texte n’eut pas d’impact particulier. En effet, il ne constitue pas une avancée doctrinale importante, cherchant plus simplement à se placer dans le sillage de l’encyclique Divini illius Magistri de Pie XI (31 décembre 1929) [2].
Il est tout de même intéressant de noter que ce document est placé au nombre des déclarations conciliaires [3]. Ce type de texte, inédit jusque là, s’applique à des documents que Vatican II a élaborés à destination de l’ensemble de l’humanité et non pas seulement des fidèles catholiques [4].
Une question d’actualité
En mettant à l’ordre du jour la question des écoles et de l’éducation, le concile ne tenait pas à faire une simple redite de textes antérieurs. Au contraire, les pères conciliaires étaient bien conscients que de nombreux problèmes restaient à résoudre en la matière et que l’Eglise se devait d’intervenir [5]. Que l’on pense simplement à l’évolution des mentalités, aux apports modernes de la science [6] et leur place dans une éducation religieuse, aux rapports entre la charge de l’Etat dans l’éducation [7] et la place de l’Eglise, aux devoirs qu’ont les parents de tout faire pour apporter une saine et sainte éducation aux enfants. Bref, le sujet et vaste !
Sur les traces de Pie XI
Dès la fin de l’introduction, le texte replace l’éducation dans sa perspective ultime qu’est le salut : « Annoncer à tous les hommes le mystère du salut et tout restaurer dans le Christ… » Un peu plus loin encore il est affirmé que « la véritable éducation est de former la personne humaine dans le perspective de sa fin suprême en même temps que du bien des sociétés dont l’homme est membre » [8]. Tout est dit en peu de mot : le bien commun et le salut éternel. Le deuxième paragraphe, reprenant les termes de saint Pierre, rappelle qu’il s’agit de former « l’homme nouveau », lequel à son tour doit imprégner la société de sa vie intérieure. C’est aussi dans cette optique que sont envisagées la famille [9] et l’école [10].
L’éducation moderne
Reste malheureusement un problème récurrent, persistant et non résolu. Problème dirions-nous d’abord d’ordre philosophique et politique, mais dont les répercutions dans l’ordre théologique peuvent s’avérer (et s’avéreront de fait) dangereuses.
En peu de mots, il suffit de dire que par ce texte, l’Église prend acte des droits de l’homme. Pour le comprendre, il est aisé de remarquer la fréquence de certains mots. Par exemple le vocable « droit » revient 28 fois, tandis que celui de « devoir » n’apparaît que 13 fois. Les mots « personne » et « liberté » reviennent une dizaine de fois.
Mais plus que la répétition de certains mots, l’usage qui en est fait est symptomatique. Dans le préambule, le document constate que les chartes des droits de l’homme et des enfants sont de plus en plus présente. Mais c’est pour les avaliser aussitôt : « tous les hommes … possèdent, en tant qu’ils jouissent de la dignité de personnes, un droit inaliénable à une éducation… » [11] Plus loin, on peut lire : « L’État doit donc assurer le droit des enfants à une éducation scolaire adéquate… en excluant tout monopole scolaire, lequel est opposé aux droits innés de la personne humaine. » [12] et [13])
Ce droit primordial s’oppose finalement aux devoirs de l’enfant. En effet, à la naissance, l’être humain est totalement dépendant. Cette dépendance engendre le devoir du chétif petit d’homme vis-à-vis de ceux dont il dépend (Dieu, la famille, la cité, l’Église). C’est alors seulement et par conséquent que l’on pourra envisager quelque droit.
La conséquence directe du droit des enfants, c’est la liberté individuelle. Une liberté hélas mal définie et qui devient la fin de l’éducation. « Il faut donc aider les enfants et les jeunes gens… dans la poursuite de la vraie liberté. » [14] « Aussi l’Église félicite-t-elle les autorités et les sociétés civiles qui, soucieuses de la juste liberté religieuse, aident les familles pour qu’elles puissent assurer une éducation conforme à leurs propres principes moraux et religieux. » [15]
Certes, on pourrait entendre cette liberté individuelle ou religieuse dans un sens philosophique et théologique juste. Mais la lecture intégrale de cette constitution ne le permet pas.[16] Au contraire, elle sous-tend une doctrine personnaliste qui fait de la personne humaine l’apanage et la fin de toute la société. Du reste, si le mot « personne » revient 11 fois dans le texte, la locution « bien commun » n’est présente que quatre fois sans être vraiment précisée ni définie.
L’homme, ce nouveau dieu !
Finalement, le texte opère discrètement un changement « politique ». Là où en saine philosophie l’homme est par nature animal politique au service du bien commun de la société (tant de l’Église que de l’État) et par là ordonné à Dieu, il s’avère désormais que la société est au service des droits de l’enfant (puis de l’homme). Dieu devrait-il donc aussi devenir le serviteur des droits de l’homme ?
Pour mieux comprendre
Seize textes sont issus du second concile du Vatican. On le sait, il a fallu quatre ans pour achever l’ensemble de ces documents. Certes, l’élaboration des textes conciliaires est à peu près similaire pour chaque document. Mais il n’est pas toujours facile de s’y retrouver. Nous essayons ici de clarifier les méandres parcourus pour chacun d’eux.
Avant d’entrer en lice
Aussi bien avant que pendant le concile, les textes sont travaillés dans des commissions particulières dont chacune possède sa spécificité. Jean XXIII avait érigé dix commissions préparatoires [17] à la tête des quelles on retrouvait un cardinal [18] assisté d’un secrétaire. Au début du concile, on retrouvera ces dix commissions [19] avec le même cardinal à sa tête.
En commission, la rédaction des textes prend en compte toutes les motions envoyées auparavant par les évêques du monde entier. La procédure est assez longue et demande plusieurs réunions. Du reste, chaque commission est divisée en autant de sous-commissions que le nombre de sujet à développer l’exige.
Une fois le schéma rédigé par commission ad hoc, il est envoyé à la commission centrale préparatoire (ou à la commission de coordination pendant le déroulement du concile). Si le texte est avalisé, il est proposé au pape. Puis il est envoyé aux Pères conciliaires afin qu’ils en prennent connaissance et puissent l’étudier avec leurs théologiens.
Dans l’Aula [20]
1. Lorsqu’arrive le jour fixé pour la discussion en séance du schéma, le cardinal président de la commission présente brièvement le texte puis un rapporteur [21] désigné par la commission en propose et en explicite le contenu.
2. S’ensuit alors la discussion sur le schéma [22]. Les interventions portent d’abord sur le texte dans son ensemble. Après les critiques générales, le document est examiné chapitre après chapitre, jusqu’à épuisement des interventions ! Afin de ne pas traîner en longueur, les modérateurs avaient reçu du pape le pouvoir, lorsqu’ils le jugeaient nécessaire, de faire arrêter le débat d’un chapitre ou même du texte entier par un vote par assis et debout.
3. Lorsque la discussion sur un schéma est achevée, le rapporteur fait une brève analyse des principales critiques (emendationes en latin) apportées et décrit dans les grandes lignes la manière dont la commission s’apprête à le remanier.
4. Le schéma repart en commission laquelle examine toutes les interventions (amendements) et modifie le texte.
5. Une fois amendé, le schéma réapparaît dans l’aula et le rapporteur explique les changements apportés [23]. Chaque amendement présenté est voté par l’assemblée (placet/non placet [24] ). Il faut les 2/3 des voix pour être accepté ou rejeté.
6. Lorsque les amendements d’un chapitre entier ont été examinés, le chapitre est mis aux voix dans son ensemble et les pères conciliaires ont trois solutions : placet/non placet/placet juxta modum [25]. Si la mention placet a obtenu les 2/3 des voix, le chapitre est adopté. En revanche, s’il faut additionner les mentions placet et placet juxta modum pour obtenir la majorité, alors le chapitre est renvoyé en commission. Celle-ci étudie tous les modi [26] et corrige le texte en fonction des motions. Le texte doit ensuite retourner dans l’aula pour obtenir la majorité [27].
7. Lorsque chaque chapitre a été définitivement adopté, l’ensemble du schéma est à nouveau voté par placet/non placet. Comme pour chaque vote, il faut les 2/3 des voix.
8. Le texte (et le résultat du vote) est alors transmis au pape qui juge s’il le promulguera ou non.
9. Lors d’une séance publique [28], un dernier vote d’approbation est demandé à l’assemblée. Ce vote s’est toujours avéré positif. A la suite du vote, le document est promulgué par le pape.
Abbé Gabriel Billecocq, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
- On peut lire dans le journal de Congar, à la date pourtant des débats sur l’éducation cette réflexion : « Mais il est certain qu’il y a des manœuvres. Mgr Paillet me dit que Mgr Marcel Lefebvre (le grand adversaire des idées de liberté) et Carli ont conféré pendant une heure. Passant près d’eux, il a surpris un propos relatif à une centaine de signatures obtenues. Il ne peut s’agir que d’une manœuvre contre le schéma De Libertate. » (Yves Congar, Mon Journal du Concile, éd. du Cerf, 2002, tome II, p. 278, au 18 novembre 1964. On comprend que le sujet sur l’éducation passe en second plan…[↩]
- L’encyclique est citée treize fois en note.[↩]
- Les déclarations conciliaires du concile Vatican II sont au nombre de trois : la présente sur l’éducation, Dignitatis humanæ sur la liberté religieuse et Nostra Ætate sur les relations avec les religions non chrétiennes.[↩]
- Définition reprise de l’ouvrage de Daniel Moulinet, Vatican II raconté à ceux qui ne l’ont pas vécu, Editions de l’Atelier 2012, p. 99.[↩]
- « l’extrême importance de l’éducation dans la vie de l’homme, et son influence toujours croissante sur le développement de la société moderne sont, pour le saint Concile œcuménique, l’objet d’une réflexion attentive. » Il s’agit là de la tout première phrase de la déclaration.[↩]
- La science n’est pas un mal, au contraire. Encore faut-il lui accorder la place qui convient, juste milieu bien délicat…[↩]
- L’homme est par nature un animal politique : on comprend alors l’intervention légitime de l’Etat en ce domaine.[↩]
- n°1[↩]
- n°3[↩]
- n°7[↩]
- n°1[↩]
- n°1[↩]
- Mgr Elchinger fit d’ailleurs une intervention dans l’Aula où il distingua les droits de l’Église, de l’État, des parents. « Ces droits, finalement, découlent des droits de l’enfant qui est une personne et qui, come tel, n’appartient à personne. » (Cité par Antoine Wenger, Vatican II, Chronique de la troisième session, éditions du Centurion 1965, note 4 page 216[↩]
- n°1[↩]
- n°7 ; cf. aussi n°8[↩]
- Sans même tenir compte et du contexte du concile et des autres documents qui en sont issus…[↩]
- Nous ne mentionnons pas les trois secrétariats dont le rôle sera plus aléatoire.[↩]
- Ces commissions correspondaient aux congrégations de Curie (exceptée celle pour les laïcs). Aussi on retrouvera à la tête de la commission le cardinal préfet de la congrégation du même nom.[↩]
- Qui s’appelleront désormais commissions conciliaires.[↩]
- Pour plus de clarté, plutôt que de donner des titres aux étapes, nous les avons numérotées.[↩]
- Relator en latin.[↩]
- Tous les pères conciliaires ayant reçu le texte assez longtemps avant sa discussion, il leur avait été possible d’écrire leurs remarques à la commission dont le texte était issu. Pour intervenir dans l’aula, les évêques devaient s’annoncer trois jours avant et remettre par écrits les amendements qu’ils désiraient apporter. Chaque père ne disposait que de dix minutes d’intervention.[↩]
- Du reste, tous les pères conciliaires reçoivent par écrit des fascicules contenant tout le travail de la commission.[↩]
- Littéralement : il plaît, il ne plaît pas ; autrement dit accepté ou refusé.[↩]
- Placet juxta modum : accepté avec modification.[↩]
- Les modi, contrairement aux emendationes (amendements), sont des corrections mineurs, plus de forme que de fond.[↩]
- D’abord motion après motion puis ensuite le chapitre dans son ensemble par placet/non placet dans les deux cas. Il est à noter que la commission étudie, rend compte et parfois insère les modi proposés sur de chapitres définitivement adoptés. En général il s’agit de points de détails acceptés par les pères conciliaires.[↩]
- Séance à laquelle assiste le Souverain Pontife.[↩]