Accès au décret Optatam totius
Historique du décret Optatam totius
La formation des prêtres est un souci constant de l’Eglise. Et ce souci n’échappe pas à la modernité de notre temps.
Des demandes
Lors donc que le pape Jean XXIII fit demander aux évêques du monde entier d’envoyer leurs désidératas pour les discussions du concile, ce ne sont pas moins de 550 propositions qui arrivèrent à Rome concernant la formation sacerdotale. Ces demandes occupent bien 80 grandes pages des Actes préparatoires au concile.
Une commission préparatoire fut alors diligentée pour étudier les différents vœux des évêques du monde entier. Cette commission fut dirige par le cardinal Giuseppe Pizzardo[1] alors préfet de la Congrégation pour les études et les séminaires depuis le 14 mars 1939, soit depuis l’accession de Pie XII au trône pontifical. Ce n’est pas peu dire, et cela peut bien expliquer l’orientation que prendra le décret.
Travail préparatoire
Deux schémas concernant les séminaires furent rédigés[2]. L’un portait sur les vocations et l’autre, beaucoup plus long, sur la formation des séminaristes. Suite à l’examen des textes par la commission centrale préparatoire en février 1962, le schéma sur les vocations fut inséré comme un premier chapitre au second schéma. En janvier 1963 ce texte fut abrégé puis envoyé aux pères conciliaires qui apportèrent leurs observations.
Mais le 23 janvier 1964, la commission de coordination décida que ce schéma devait être réduit à quelques propositions seulement, « aux points essentiels ». Cela ferait accélérer les discussions et permettrait de passer plus de temps sur les sujets du Concile jugés plus importants, tels l’ecclésiologie, la révélation ou l’œcuménisme. N’oublions pas du reste que début 1964 deux sessions se sont déjà écoulées et que deux textes seulement en sont issus.
La commission s’exécuta donc et réduisit son schéma à une série de 22 propositions.
Dans l’aula
Le texte fut mis en discussion du 12 novembre 1964 au 17 du même mois. Il y eut assez peu d’interventions, mais il n’est pas anodin de rappeler qu’au même moment, une bataille faisait rage en coulisse sur la collégialité et la nota prævia[3]. Cependant saint Thomas d’Aquin fut au cœur des discussions. Les libéraux demandaient non pas l’abolition du docteur angélique, mais seulement d’adopter son attitude vis à vis de la vérité. Autrement dit l’enseignement thomiste n’était pas le plus important et pouvait disparaître du moment que l’on gardait un amour personnel (et subjectif) de la vérité[4].
Mais dans l’ensemble, les pères conciliaires étaient favorables au schéma, et le cardinal Ruffini[5], ainsi que monseigneur Staffa[6] et la maître général des dominicains se firent un honneur de défendre dûment la place de saint Thomas
La commission révisa le texte de façon non substantielle. Les ajouts furent largement acceptés par les pères et le décret fut voté définitivement par 2318 voix contre 3.
Plan du texte
Les 22 propositions s’articulent autour de 7 points ainsi résumés :
- principes
- vocations
- les grands séminaires
- formation spirituelle
- révision des études
- formation pastorale
- complément de formation.
Présentation – Les séminaires
Aux origines
Le mot séminaire vient du latin seminarium et signifie pépinière. En effet, la racine du mot est semen : la graine, le principe vital. Le mot dit bien la réalité : un séminaire est une pépinière de vocations. C’est là que se trouvent les prêtres en germe ou en formation.
En revanche, l’existence des séminaires est assez récente. Il faut en effet attendre le XVIème siècle et le concile de Trente (1545–1563) pour voir apparaître les premiers séminaires. Cette institution n’existait pas auparavant. Les futurs prêtres étaient formés soit auprès des curés, soit dans des universités.
Mais au début du XVIème siècle, des congrégations de clercs réguliers furent fondées (ce ne sont pas des ordres monastiques à proprement parler). On pense notamment aux jésuites, mais également aux Théatins fondés en 1524 par saint Gaétan de Thiene ou aux Barnabites fondés en 1530. Ces instituts formaient eux-mêmes, en interne, leurs prêtres. C’est sur cette expérience réussie que le Concile de Trente imposa alors à l’Eglise universelle une réforme toute nouvelle pour donner au clergé des bases solides[7]. De là naquirent les séminaires tels que nous les connaissons désormais.
Saint-Nicolas-du-Chardonnet, un flambeau de la Tradition
Cependant, les nouveautés sont souvent longues à se mettre en route. Si le décret du concile de Trente était clair, l’application en était plus difficile, particulièrement en France où le parlement refusait de recevoir les décrets de concile de Trente comme loi du royaume.
Mais parmi les premières tentatives de séminaires, il faut citer Adrien Bourdoise (1584–1655). Clerc et étudiant à Paris, il se place sous la férule du cardinal de Bérulle, en compagnie de Vincent de Paul. Quittant l’Oratoire, il fonde une société d’ecclésiastiques en 1612 (il n’est pas encore prêtre) et se place sous la direction et au service du curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, l’abbé Froger. Cette petite communauté travaillait à une meilleure formation du clergé et formait ainsi un embryon de séminaire, lequel fut véritablement érigé en 1644. Ce séminaire eut une grande notoriété et l’on peut bien dire qu’il fut au cœur de la réforme du clergé parisien d’abord, puis français ensuite.
Monseigneur Lefebvre et le décret pour les séminaires
Lorsque Monseigneur Lefebvre fut sollicité par de jeunes séminaristes pour fonder un séminaire puis l’œuvre que nous connaissons aujourd’hui, il rédigea un directoire assez court pour les jeunes lévites. Pour ce faire, « il s’est inspiré du droit canonique, d’un passage du décret conciliaire et fort peu du règlement du Séminaire français de Rome ».[8]
De même, l’année de spiritualité (la première année de séminaires dans les séminaires de la FSSPX), l’étude centrée sur Notre Seigneur à la lumière de saint Thomas, la connaissance de la théologie positive pour l’historique des questions doctrinales, tous ces points répondent à la demande du décret conciliaire.
Après le concile, la congrégation pour les séminaires et les universités (qui prit en 1967 le nom de congrégation pour l’Education) rédigea en janvier 1970 un document appelé Ratio fudamentalis, conforme au décret conciliaire. Ce texte donnait des orientations claires et concrètes en vue de la réforme des séminaires. Or le 22 novembre 1971, le cardinal Gabriel Garrone, préfet de cette congrégation romaine, recevait Mgr Lefebvre. S’enquérant de l’application de la Ratio fundamentalis à Ecône, il s’entendit répondre par le vénérable archevêque : « Eminence, nous sommes peut-être les seuls à la suivre, votre règle ! »[9]…
Analyse du texte
Le renouveau de l’Eglise tant désiré par Vatican II dépend du ministère des prêtres. On le comprendra aisément. Mais le ministère des prêtres dépend à son tour de la formation des séminaristes. Voilà pourquoi un tel décret peut trouver sa place dans ce concile de l’aggiornamento. Et pourtant…
Dans la Tradition
A la lecture de ce texte, on pourra être surpris par le renvoi régulier et très fréquent aux textes du magistère antérieur. L’exhortation Hærent animo de saint Pie X, les exhortations de Pie XI et de Pie XII sont largement citées et servent vraiment de base à l’élaboration de ce décret. Il est vrai que le cardinal Pizzardo, qui préside la commission en charge de ce texte est préfet de la congrégation pour les séminaires depuis 1939. Sans compter qu’il exerce des offices à la curie depuis 1912 et même 1908 ! Sous saint Pie X.
Un souci complet
Le décret n’envisage pas seulement la formation du séminariste. Son souci s’étend en deçà et au-delà du séminaire. Le texte évoque pour commencer l’éclosion des vocations, rappelant la nécessité de les préparer par une vie chrétienne authentique, que ce soit à la maison, dans les écoles, par les curés et les religieux : « C’est à toute la communauté chrétienne qu’incombe le devoir de susciter les vocations. » (n°2) Suit alors un long développement de cette idée.
Dans un deuxième temps (et c’est la partie centrale du décret) le texte évoque la vie des séminaires et le souci de former de saints prêtres, conformes à Notre Seigneur.
Enfin, le dernier paragraphe manifeste que la formation du séminariste doit se poursuivre dans le sacerdoce par des sessions, des exercices ou autres moyens : « La formation sacerdotale, surtout dans les conditions de la société actuelle, doit encore se poursuivre et se compléter après l’achèvement du cycle d’études dans les séminaires. » (n°22)
Une recherche d’équilibre subjectif
En réponse à une époque désœuvrée et déséquilibrée, le concile manifeste son souci et son désir de former des prêtres équilibrés et possédant une bonne maturité. Des prêtres capables d’assumer volontairement leur vie. « Que dans tout le processus de sélection et de probation des séminaristes on fasse toujours preuve de la fermeté nécessaire, même si l’on souffre du manque de prêtres : Dieu ne laissera pas son Eglise manquer de ministres, si on appelle aux ordres ceux qui en sont dignes. » (n°6)
C’est pourquoi le décret demande à ce que les séminaristes apprennent l’usage de la vraie liberté, celle par laquelle ils se proposent et assument leur vie vertueuse, à la suite de Jésus-Christ, dans un équilibre affectif pleinement vécu et une chasteté authentiquement comprise et acceptée comme un renoncement pour suivre Notre Seigneur. « Les séminaristes qui observent la tradition vénérable du célibat sacerdotal seront préparés très soigneusement à cet état où, à cause du royaume des cieux, ils renoncent à la vie conjugale pour s’attacher au Seigneur par un amour sans partage. » (n°10) Le numéro entier est un bel éloge à la chasteté dans ce monde corrompu.
L’importance objective des études
Le décret vient aussi pallier un défaut que certains évêques avaient relevé : le manque d’unité organique dans les études. Désormais, il est clair que la formation tant spirituelle qu’intellectuelle ou pastorale est entièrement centrée sur Notre Seigneur par l’intermédiaire de saint Thomas d’Aquin. « La révision des études ecclésiastiques doit avant tout viser à ce que les disciplines philosophiques et théologiques soient mieux articulées ensemble et concourent harmonieusement à ouvrir toujours plus grand l’esprit des séminaristes au mystère du Christ. » (n°14) « Les séminaristes apprendront à pénétrer plus profondément les mystères du salut au moyen de la spéculation, sous la conduite de saint Thomas. » (n°16)
Pour ce faire, le décret rappelle la nécessité d’une bonne discipline (n°5 et 11) et le choix très important de bons maîtres. « La formation des séminaristes dépend à la fois d’un bon règlement, mais aussi et surtout de bons éducateurs. Aussi les directeurs et professeurs de séminaires seront-ils choisis parmi une élite et soigneusement préparés par une solide doctrine etc. » (n°5)
Deux bémols
Le décret sur la formation des prêtres que nous offre le second concile du Vatican semble bien se situer dans la continuité du concile de Trente : le souci de confirmer les valeurs anciennes en formant des prêtres qui soient d’autres Christs.
Cependant deux points paraissent devoir être mentionnés comme un bémol à ce texte. Le premier est la mention et la référence pour la formation des séminaristes à Lumen Gentium. On l’a vu dans les articles précédents, cette dernière constitution apporte une nouvelle définition de l’Eglise et… du sacerdoce !
D’autre part, l’adage dit in cauda venenum (le poison se trouve dans la queue). Ici c’est dans la tête que se trouve le poison. Le premier paragraphe du décret, juste après l’introduction, énonce le principe universel : « On doit adopter pour chaque pas et chaque rite un programme de formation sacerdotale spécial, fixé par les conférences épiscopales. » (n°1) Autrement dit tout ce qui a été énoncé dans le décret pourrait être mis à mal par la seule décision de la conférence épiscopale d’un pays. Surtout lorsque l’on connaît les pouvoirs des conférences aujourd’hui. Que devient alors le pouvoir de Rome face aux décisions de ces conférences ? Que peut faire un seul évêque diocésain pour son séminaire s’il subit la pression de la conférence épiscopale de son pays ?
On retrouve là l’un des problèmes majeurs de notre époque : le fossé qui existe entre une doctrine clairement affirmée et une praxis en total décalage avec cette doctrine.
Abbé Gabriel Billecocq, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
- Ce cardinal a alors quatre-vingt huit ans et a pour secrétaire à la curie Mgr Dino Staffa qui s’impliqua vraiment avec le Cœtus contre la collégialité. [↩]
- Cette commission devait aussi s’occuper des études et de l’éducation et rédigea par conséquent d’autres schémas qui ne concernent pas directement les séminaires.[↩]
- Cf. articles précédents sur Lumen Gentium.[↩]
- Intervention du cardinal Léger.[↩]
- Ancien secrétaire de la congrégation pour les séminaires.[↩]
- Actuel (au moment du concile, c’est entendu…) secrétaire de la congrégation pour les séminaires.[↩]
- Décret Cum adolescentium ætas, session XXII, ch.18. [NDLR de LPL : dans ce décret du 15 juillet 1563, le Concile rend obligatoire pour chaque diocèse lafondation d’un séminaire pour la formation du clergé local. Là où ce n’est paspossible, il prévoit soit la fondation de séminaires interdiocésains ou régionaux sous la responsabilité des évêques impliqués, soit l’envoi des candidats du diocèsedans un séminaire bien pourvu qui demeure, dans ce cas, la responsabilité directe del’évêque du lieu. Le Concile brosse ensuite le portrait des candidats » de préférencede enfants pauvres « , sans exclure les riches, à condition qu’ils assument les fraisfinanciers, ces derniers dans le régime bénéficial étant déjà pourvus de ressourcesfinancières. On donnera une initiation aux humanités dans les petits séminaires et dansles grands séminaires une formation à l’état ecclésiastique, les homélies des Saintset tout ce qui paraîtra opportun pour l’administration des sacrements, surtout pour leministère des confessions, enfin les formes des rites et des cérémonies « . De plus l’évêque est chargé de subvenir aux besoins financiers de cette nouvelleinstitution en prélevant les revenus nécessaires sur tous les bénéfices du diocèse.Il institua encore deux conseils pour assister l’évêque, l’un pour la formation etl’autre pour la gestion temporelle. ][↩]
- Marcel Lefebvre, une vie par Mgr Bernard Tissier de Mallerais, Clovis, 2002, p. 438.[↩]
- Idem, p.498.[↩]