Parler de l’immigration, ce sujet brûlant, explosif, polémique ? Et dans une revue religieuse ? N’est-ce pas suicidaire ? N’allez-vous pas soulever une tempête ? N’allez- vous pas provoquer des divisions ?
Questions à la fois légitimes et difficiles. Légitimes, car il ne nous appartient pas de faire de la politique politicienne, de donner des consignes de vote, de soutenir tel candidat. Légitimes aussi car, dans les circonstances difficiles que traverse l’Église, il peut s’avérer nécessaire de faire provisoirement silence sur des débats en soi permis, des points librement discutables, mais qui pourraient créer des divisions au sein des forces de la Tradition.
Questions également difficiles, car la prudence, la circonspection, la mesure ne doivent pas devenir telles qu’elles étouffent tout débat, toute réflexion. S’il n’était plus possible, alors que l’immigration et ses conséquences sont l’un des principaux sujets qui agitent notre monde, d’y porter « un regard chrétien » calme, ferme et respectueux, c’est que nous serions devenus des citoyens de seconde zone, des « dhimmis » dans notre propre pays.
Évidemment, on pourrait s’attendre à ce que nous abordions cette question de l’immigration d’un point de vue exclusivement spirituel. Or, dans les circonstances présentes, l’immigration en France présente une réelle difficulté religieuse surtout du côté de l’islam puisque, dans notre pays catholique, il est devenu « la deuxième religion de France » presque exclusivement par l’arrivée d’immigrants de culture islamique.
Toutefois, nous avons traité à plusieurs reprises de ce sujet, notamment en septembre 2001 avec « Face à l’islam », en mars 2004 avec « Les contradictions de la laïcité scolaire », en mars 2005 avec « Les chrétiens de l’islam ».
Nous avons plutôt essayé ici de définir une approche morale de l’immigration. Pas seulement, pas premièrement une approche de morale individuelle, personnelle. Mais principalement de morale politique, cette grande oubliée.
Chez nos évêques, en particulier (et la question de l’immigration le montre d’une façon criante), la charité politique est une notion quasi inconnue. Que l’homme politique qui agit en vue du bien commun, selon un ordre politique véritablement juste, fasse un bien plus grand, « plus divin » dirait Aristote, que celui qui nourrit un pauvre, cela semble les dérouter.
Il nous semblait également nécessaire de rappeler que si la grâce dépasse la nature, elle la suppose tout d’abord. Sans doute, la vie chrétienne a pour but le salut de l’âme, l’union au Christ, la vie éternelle, c’est-à-dire des biens surnaturels. Sans doute, cette vie chrétienne peut se réaliser même dans le dénuement le plus extrême. Mais, ordinairement, pour se développer, s’épanouir et perdurer, la vie chrétienne a besoin d’un substrat naturel suffisant : des églises de pierre pour accueillir le culte, des livres pour transmettre la foi, des séminaires pour former le clergé. Il n’est donc pas indifférent au chrétien de savoir quelle sera l’évolution de la société dans laquelle il doit vivre sa foi.
Charles Péguy a quelques phrases bien senties sur ce qu’il appelle « cette sorte de ligature du temporel et du spirituel ». Car le temporel, écrit-il, « fournit la souche ; et si le spirituel veut vivre, s’il veut continuer, s’il veut fleurir, s’il veut fructifier, le spirituel est forcé de s’y insérer ». Et encore : « Car le spirituel est lui-même charnel, et l’arbre de la grâce est raciné profond, et plonge dans le sol et cherche jusqu’au fond. » Il a même résumé la question en une image simple et frappante : « Le spirituel couche dans le lit de camp du temporel. »
C’est dans cet esprit de charité politique et d’attention aux conditions temporelles de notre vie chrétienne que nous parlerons ici de l’immigration.
Abbé Régis de Cacqueray-Valménier, Supérieur du District de France
Extrait de Fideliter n° 175 de janvier-février 2007