Pourquoi, précisément, l’Église fait-elle brûler de l’encens devant Dieu ?
Quand nous étions au séminaire, nous sommes allés, un dimanche du Bon Pasteur, quêter à Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Nous nous trouvions à l’extérieur de l’église, sur un côté de l’édifice, devant une porte latérale. Un couple de touristes passait par là. Quand le monsieur s’est trouvé devant la porte entr’ouverte, il n’a pas résisté : il a passé rapidement la tête par la porte, pour voir l’intérieur de l’église. Et tout aussitôt, il a dit à la femme qui l’accompagnait : « Oh, que ça sent bon l’encens ! » À peine quelques secondes auront suffi pour qu’il jette ce cri du cœur. Effectivement, quelques instants suffisent pour être touché par la liturgie, laquelle parle aux cinq sens et peut, comme chez cet homme, réveiller de bons souvenirs…
Nous continuons donc nos explications sur le saint sacrifice de la messe, en évoquant ce mois-ci les encensements au cours de la messe chantée. L’encens est cette résine qui découle de certains arbres d’orient et qui, en brûlant, répand une odeur aromatique. L’encens est donc un parfum précieux que l’on brûle en l’honneur de Dieu. Mais pourquoi, précisément, l’Eglise fait-elle brûler de l’encens devant Dieu ? D’abord elle le fait pour signifier l’adoration, par laquelle la créature s’anéantit devant son Créateur, comme l’encens se consume devant Dieu. Il s’agit soit d’un hommage d’adoration directe, comme l’encensement du Saint Sacrement, soit un hommage d’adoration indirecte, dirigé vers des objets qui représentent Notre Seigneur (comme l’autel, la croix, l’évangéliaire). L’Église procède ensuite à des encensements pour signifier la prière, qui s’élève devant Dieu comme la fumée de l’encens. Enfin, l’encensement signifie aussi la grâce que Dieu répand dans les âmes, comme la bonne odeur qu’exhale l’encens dans l’église.
L’encens est également utilisé pour produire des effets. Par les bénédictions qui accompagnent son utilisation, il est en effet élevé à la dignité de sacramental. Un sacramental est un rite sacré institué par l’Église, pour obtenir, par son intercession, des effets d’ordre surtout spirituel. Les effets de l’encens béni sont de mettre en fuite les démons, de neutraliser leur influence sur les personnes et les choses, de consacrer et conserver des personnes et des objets. C’est la raison pour laquelle on encense les cendres, les rameaux, les cierges de la Chandeleur. Après les bénédictions et les encensements, les objets sont consacrés et porteurs de grâces.
Pendant le saint sacrifice de la messe, il y a quatre encensements : sitôt après les prières au bas de l’autel ; à l’évangile ; à l’offertoire (c’est le plus solennel car le sacrifice est désormais commencé) ; enfin à la consécration. Ces encensements ont pour but de rendre le mystère plus expressif. A l’offertoire, l’encensement exprime bien la prière qui vient d’être faite en offrant le calice : « (que ce calice du salut) s’élève en parfum agréable devant votre divine majesté, pour notre salut et celui du monde entier. »
Expliquons cet encensement qui a lieu à l’offertoire. Le thuriféraire (le servant de messe qui tient l’encensoir) se présente devant le prêtre, au signal du cérémoniaire. Il a mis un charbon allumé dans l’encensoir. Se présente également le porte-navette. Ce dernier mot vient de « navicula », « petit navire », lequel contient les grains d’encens. Le prêtre met l’encens en trois fois, par référence à la Sainte Trinité, et parce que Dieu s’est révélé au monde progressivement, en trois grandes étapes : aux temps des Patriarches, puis de Moïse, et enfin de Notre Seigneur qui a révélé pleinement le mystère. La formule de bénédiction qu’emploie le prêtre est beaucoup plus longue que lors des précédents encensements : « Par l’intercession de l’archange saint Michel qui se tient à la droite de l’autel de l’encens, et par l’intercession de tous les élus, que le Seigneur daigne bénir cet encens et le recevoir comme un parfum agréable. Par le Christ notre Seigneur. Amen ». On y fait référence à saint Michel et aux élus : le ministère des anges consiste entre autres à présenter à Dieu les prières des hommes. Les saints sont aussi nos intercesseurs.
Avec l’encensoir fumant, le célébrant fait au-dessus du calice et de l’hostie trois encensements en forme de croix et trois autres en forme de cercle, lequel peut évoquer la couronne d’épines. Mais, dans l’iconographie chrétienne, le cercle est aussi le symbole de l’éternité : il n’a pas de début ni de fin. Les trois cercles sont formés en l’honneur des trois Personnes de la sainte Trinité. Les deux premiers cercles sont effectués dans le sens contraire des aiguilles d’une montre, en l’honneur du Père et du Saint-Esprit. Le troisième cercle se fait dans l’autre sens, en l’honneur du Fils, seule Personne qui s’est incarnée. Quand le prêtre trace ce troisième cercle, il doit être, dans la récitation de la prière, au passage : « et que votre miséricorde descende sur nous. » On comprend, au passage, que la liturgie oblige à une certaine rigueur.
Il y a ensuite l’encensement de la croix, de l’autel, du célébrant qui, tous, représentent Notre Seigneur. Ces encensements se font en récitant trois verset du psaume 140 : « Seigneur, que ma prière s’élève comme l’encens devant votre face ; que mes mains levées soient comme l’offrande du soir. Placez, Seigneur, une garde à ma bouche et une barrière tout autour de mes lèvres. Que mon cœur ne se porte pas à des paroles mauvaises qui servent de prétexte au péché. » On insiste ici notamment sur la pureté des paroles car le prêtre, dans quelques instants, prononcera celles de la consécration. Quand le prêtre rend l’encensoir au cérémoniaire, il termine en disant : « Que le Seigneur allume en nous le feu de son amour et la flamme de l’éternelle charité. Amen. »
Enfin, les fidèles sont encensés. Ils ne l’ont pas été au début de la messe car, à l’origine, les catéchumènes étaient encore présents. Les fidèles sont encensés car, membres de Jésus-Christ, ils sont des offrandes vivantes, et doivent aussi répandre la bonne odeur du Christ.
Une belle image reste à évoquer : l’encensoir figure le cœur humain. Car il est ouvert vers le haut et fermé vers le bas : le cœur doit être ouvert vers les choses du Ciel et fermé aux choses de la terre. Il doit aussi contenir du feu : c’est l’image de la charité. Je suis venu apporter le feu sur la terre, dit Notre Seigneur, et que désiré-je, sinon qu’il brûle ? (Lc 12, 49). Enfin, il contient évidemment de l’encens, qui est le symbole de la dévotion et de la prière.
Une parole de Mgr Lefebvre fait comprendre que la liturgie, en ses encensements, est une école de savoir-vivre. « La liturgie est une école de respect. On encense les autres, on encense les âmes qui sont les temples du Saint-Esprit. C’est là une marque de respect qui devrait être une attitude habituelle. Ce n’est pas seulement quand on encense les autres qu’on doit penser qu’ils ont une âme faite à l’image de Dieu et qui est le temple du Saint-Esprit. Cela devrait transparaître dans nos attitudes et nos relations habituelles avec les autres. Il ne faut pas que ce soit seulement dans la liturgie que nous ayons le respect des autres. Tout cela doit pénétrer notre vie et nous conduire à avoir ce respect et cette humilité vis-à-vis des autres. »
Que Notre Dame nous aide à mieux connaître la messe et ses cérémonies, pour mieux vivre ce grand mystère de notre foi.
Source : Lou Pescadou n° 238