L’adoration de Notre-​Seigneur à la messe

Que signi­fie exac­te­ment ado­rer ? Cela ne veut pas dire, comme beau­coup le pensent, « aimer très fort »…

Nous vou­drions pro­fi­ter de quelques numé­ros du Pescadou (bul­le­tin du Prieuré de Nice) pour par­ler de la messe. Celle-​ci est un tré­sor, peut-​être mécon­nu. Mgr Lefebvre lui-​même l’a lais­sé entendre dans son ser­mon de jubi­lé sacer­do­tal. Évoquant ses pre­mières années de minis­tère en Afrique, il disait : « Là, j’ai com­men­cé à apprendre ce qu’était la messe. Certes, je connais­sais par les études que nous avions faites, ce qu’était le grand mys­tère de notre foi, mais je n’en avais pas com­pris toute la valeur, toute l’efficacité, toute la pro­fon­deur. » Et après une vie sacer­do­tale bien rem­plie, quand il fon­de­ra la Fraternité Saint-​Pie X, il écri­ra dans les sta­tuts de l’œuvre : « Les membres de la Fraternité vivront dans cette convic­tion que toute l’efficacité de leur apos­to­lat découle du sacri­fice de Notre Seigneur qu’ils offrent quotidiennement. »

Ces articles vise­ront donc à tou­jours mieux connaître ce mys­tère de notre foi, pour mieux l’aimer et mieux y pui­ser toutes les grâces dont nous avons besoin. Nous allons com­men­cer par abor­der en détail les quatre fins de la messe : pour­quoi Notre Seigneur continue-​t-​Il de des­cendre sur nos autels ? La réponse est très belle et peut même être l’objet de notre médi­ta­tion : pour ado­rer Dieu le Père, le remer­cier, apai­ser sa jus­tice, lui deman­der et obte­nir de lui des grâces.

Commençons donc ce mois-​ci par la pre­mière fin : à chaque messe, Jésus Christ adore Dieu son Père pour nous. Qu’est-ce que l’adoration ? C’est peut-​être la notion que l’on com­prend moins faci­le­ment de nos jours. Remercier Dieu, apai­ser sa jus­tice, lui deman­der des grâces : cela, on le com­prend bien. Mais que signi­fie exac­te­ment ado­rer ? Car cela ne veut pas dire, comme beau­coup le pensent, « aimer très fort » … Il est impor­tant de connaître cette notion, car c’est quand même l’objet du pre­mier com­man­de­ment : « Tu ado­re­ras Dieu seul ».

Pour com­prendre, repre­nons l’Évangile du pre­mier dimanche de Carême et la troi­sième ten­ta­tion du démon. Le ten­ta­teur montre à Jésus tous les royaumes du monde et leurs richesses : Tout cela je te le don­ne­rai, si tu te pros­ternes et m’adores. Et Notre-​Seigneur de répondre : Arrière Satan ! Il est écrit : Tu ado­re­ras le Seigneur ton Dieu, c’est lui seul que tu ser­vi­ras (Mt 4, 9–10). Cette scène donne un pre­mier élé­ment de réponse : l’adoration est un geste exté­rieur (pas seule­ment, on va le voir), par lequel on recon­naît la supé­rio­ri­té d’une per­sonne, et qui indique donc que l’on veut se sou­mettre à lui, obéir à cette per­sonne. Si Jésus-​Christ s’était pros­ter­né, on aurait pen­sé alors que le démon lui est supé­rieur et que le Christ lui obéit.

Regardons notre quo­ti­dien. Un homme peut nous être supé­rieur en puis­sance, en expé­rience, en science, en ver­tu. On se sent alors por­té à témoi­gner une estime par­ti­cu­lière envers lui. Face à un pro­fes­seur aus­si péda­gogue que com­pé­tent, des élèves nor­maux se sentent por­tés à l’ho­no­rer. Il en est de même vis-​à-​vis d’un méde­cin connais­sant par­fai­te­ment son domaine et doué d’un bon juge­ment, ou vis-​à-​vis d’un arti­san maî­tri­sant son art, aus­si dévoué qu’honnête : on témoigne natu­rel­le­ment de l’estime pour de tels professionnels.

Une supé­rio­ri­té consta­tée donne nais­sance à un sen­ti­ment d’admiration, mêlé de défé­rence et de res­pect : c’est une sorte de culte. On va vou­loir hono­rer quelqu’un de supé­rieur, aimer lui obéir, faire sa volon­té. Il est à noter que plus un homme nous semble supé­rieur, plus grand sera l’honneur que nous aurons pour lui. Quand le supé­rieur du dis­trict de France de la Fraternité est venu en notre cha­pelle, les marques d’honneur ont été plus grandes pour lui que pour le des­ser­vant habi­tuel ; « on a mis les petits plats dans les grands », et cela est bien normal.

Après ces expli­ca­tions, on com­pren­dra qu’à Dieu, qui est infi­ni­ment supé­rieur à tout, est dû le plus grand res­pect, le plus grand hon­neur pos­sible. Ce res­pect par excel­lence s’appelle ado­ra­tion. Adorer Dieu, c’est recon­naître de tout son être, aus­si bien inté­rieu­re­ment avec son âme qu’extérieurement avec son corps, la supé­rio­ri­té de Dieu et son excel­lence, et s’y sou­mettre. Notons encore que l’action par laquelle on adore se dit « rendre un culte ». Voilà pour­quoi le caté­chisme de saint Pie X enseigne que l’on accom­plit le pre­mier com­man­de­ment de Dieu par l’exercice du culte inté­rieur et exté­rieur. Pour ce qui concerne le culte inté­rieur, j’adore Dieu par la foi, l’espérance et la cha­ri­té. La pre­mière ver­tu me fait connaître l’excellence de Dieu et sa supé­rio­ri­té ; par la deuxième, je m’appuie sur sa toute-​puissance et sa bon­té, et la troi­sième me fait tendre à l’union avec lui. Quant au culte exté­rieur, ce sont tous les gestes qui expriment le culte inté­rieur. Comme dit Notre-​Seigneur : Les vrais ado­ra­teurs ado­re­ront le Père en esprit [culte inté­rieur] et en véri­té [culte exté­rieur] (Jn 4, 23). Ce sont donc les génu­flexions, les pros­tra­tions, la posi­tion à genoux, les prières vocales, et sur­tout l’acte essen­tiel : le sacri­fice. On offre à Dieu quelque chose auquel on renonce, pour mani­fes­ter que Dieu est le Créateur et le Maître de toutes choses, pour recon­naître sa trans­cen­dance abso­lue sur tous les biens créés.

On com­prend donc pour­quoi, pour la pre­mière fin du sacri­fice de la messe, Jésus-​Christ adore son Père. Par son immo­la­tion sacra­men­telle, Il pro­clame le sou­ve­rain domaine de Dieu sur toutes choses. Et cette ado­ra­tion, de celui qui est vrai Dieu et vrai homme, a une valeur infinie.

Disons encore que la messe est un culte public. Le prêtre offre le saint sacri­fice au nom de la socié­té chré­tienne, de l’Église, de ses frères. C’est pour­quoi il dit : « Priez mes frères, pour que mon sacri­fice qui est aus­si le vôtre puisse être agréé par Dieu le Père tout-​puissant. » Autrement dit, l’adoration très par­faite ren­due à Dieu par le saint sacri­fice est offerte au nom des assis­tants. Et donc, en sui­vant avec foi et dévo­tion la messe, nous ren­dons à Dieu, par Jésus-​Christ, un hom­mage et un hon­neur infi­nis. De même, la sainte messe répare pour les louanges que nous avons négli­gé de rendre à Dieu, mais éga­le­ment répare les blas­phèmes, les insultes, que les hommes pro­fèrent chaque jour. On peut se poser la ques­tion : sans ce sacri­fice de louange, le monde subsisterait-​il encore ? L’Écriture semble répondre par la néga­tive : Ceux qui avaient été envoyés par le roi des Assyriens vous ayant blas­phé­mé, Seigneur, votre ange vint et leur tua cent quatre-​vingt-​cinq mille hommes (1 Mc 7, 41).

Qu’est-ce qui retient le bras du juste Juge, sinon l’auguste sacri­fice de l’autel ? C’est lui qui, aux blas­phèmes et aux outrages des impies, oppose des hom­mages dignes de sa majes­té sou­ve­raine. Cette louange de Jésus-​Christ et de son prêtre l’emporte infi­ni­ment sur les hontes et les crimes du siècle.

Nous avons le devoir d’adorer Dieu. A la messe, Jésus-​Christ adore son Père d’une manière infi­nie pour nous. Si par mal­heur nous n’avons pas jusqu’ici son­gé à glo­ri­fier Dieu, répa­rons cette faute par une fer­veur plus grande à la messe. Essayons aus­si, dans ce but, d’assister de temps en temps, outre la messe domi­ni­cale, à une messe en semaine. Le père André écri­vait, dans une pla­quette sur la messe : « Quand on a com­pris (ne serait-​ce que cette pre­mière fin), pourrait-​on encore dire : une messe de plus ou de moins, qu’importe ? »

Que Notre-​Dame nous aide à ado­rer Dieu comme il se doit, en nous unis­sant plus inti­me­ment à l’adoration de Notre Seigneur Jésus-​Christ lors de la messe.

Source : Lou Pescadou n° 231