Archevêque de Bourges (+ 1209).
Fête le 10 janvier.
Version courte
Saint Guillaume, issu des anciens comtes de Nevers, vint au monde vers le milieu du XIIe siècle. Il fut élevé avec soin dans la crainte de Dieu. Le Seigneur lui avait donné toutes les dispositions de la nature et de la grâce nécessaires à l’accomplissement des grands desseins qu’Il avait sur lui ; aussi fit-il des progrès rapides et acquit-il en peu de temps des connaissances au-dessus de son âge et un trésor croissant de sainteté.
Le monde lui souriait, avec sa gloire et ses plaisirs ; il renonça à tout, il s’éloigna même des honneurs ecclésiastiques qui semblaient le poursuivre, et s’enfonça dans la solitude d’un monastère. Non content d’avoir quitté le monde, il en perdit jusqu’au souvenir, et vécut dans la présence continuelle de Dieu ; sa modestie, sa dévotion, sa régularité, ranimaient la ferveur de ses frères ; il suffisait de le regarder au choeur ou à l’autel pour être embrasé du saint désir de marcher sur ses traces. Il avait surtout un grand amour pour le Saint-Sacrement, près duquel il trouvait ses délices, et ses larmes ne tarissaient pas durant le saint sacrifice de la Messe.
Il fallut lui faire violence pour le nommer abbé de son monastère ; pourtant il dut bientôt se résigner à monter plus haut et répondre à l’appel du Ciel clairement manifesté. Sacré archevêque de Bourges, Guillaume montra, dès les premiers jours, toutes les vertus des plus illustres Pontifes. Il demeura moine dans son palais, moine par l’habit et plus encore par les austérités. Il sut concilier les exercices de sa piété avec les immenses occupations de sa charge ; il parcourait son diocèse, prêchait, instruisait les petits et les humbles, administrait les sacrements, visitait les hôpitaux, délivrait les captifs, et multipliait les prodiges. Quand on lui demandait un miracle, il disait : « Je ne suis qu’un pauvre pécheur ; » mais il cédait aux larmes des malades et les guérissait par sa bénédiction.
On a conservé de lui quelques belles paroles : « Tel pasteur, telles brebis, » disait-il souvent. « J’ai à expier, disait-il encore, et mes propres péchés et ceux de mon peuple. » Sa mort fut digne de sa vie ; il expira revêtu du cilice qu’il avait porté toujours, et couché sur la cendre. Au moment de sa mort, il vit distinctement les anges battant des ailes au-dessus de sa tête, et il rendit l’âme en leur tendant les bras. Pendant ses obsèques, la foule aperçut au-dessus de l’église un globe de feu planant dans les airs.
Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’année, Tours, Mame, 1950
Version longue
Guillaume de Corbeil, de l’antique famille des comtes de Nevers, naquit dans la première moitié du xiie siècle, à Arthel, non loin de Prémery, dans le département actuel de la Nièvre. Il était le fils de Guillaume de Corbeil, appelé aussi Guillaume de Beauvais. Un sang royal coulait dans ses veines ; mais il devait briller plus encore par sa sainteté que par l’éclat de sa naissance.
L’enfance. – Les études. – Double canonicat.
Le Seigneur lui avait donné dès l’enfance toutes les dispositions de la nature et de la grâce nécessaires à l’accomplissement des grands desseins qu’il avait sur lui : un esprit vif, solide, éminent et apte à toutes les sciences ; un jugement pénétrant et droit, un cœur noble, généreux et docile, des manières gracieuses et polies, une horreur extrême du vice, une haute idée du service de Dieu.
De si belles qualités portèrent son oncle maternel à se charger de ses études ; c’était Pierre, archidiacre de Soissons, surnommé l’Ermite à cause de ses grandes austérités. Sous un tel maître, Guillaume acquit, en peu de temps, des connaissances au-dessus de son âge, et un trésor de vertus de jour en jour croissant.
Dès lors, méprisant tous les avantages que sa naissance, ses brillantes qualités et le monde lui promettaient, et n’estimant que les biens éternels, il se destina à l’état ecclésiastique.
Il n’eut pas plutôt renoncé au siècle que ses parents lui procurèrent successivement, pour lui donner la facilité de vivre à l’aise et de tenir son rang, deux canonicats, l’un dans l’Eglise de Soissons, l’autre dans celle de Paris. Il devint, dans ces deux Eglises, par sa modestie, par sa sagesse et par son édifiante piété, l’admiration et le modèle du clergé.
La solitude de Grandmont.
Mais Dieu le voulait plus parfait, et lui inspirait un ardent désir d’une vie plus retirée. Autant qu’on en peut juger, Guillaume nous apparaît comme un homme doué d’une conscience particulièrement délicate, scrupuleux peut-être à l’excès, ne pouvant se voir dans le monde, au milieu de tous ses périls, sans trembler. Les dignités ecclésiastiques lui paraissaient des titres bien onéreux, et les bénéfices opulents, de vrais pièges. Depuis longtemps, il ne soupirait qu’après le désert de Grandmont, en Limousin, qui l’avait charmé.
Dans ce lieu florissait un Ordre religieux institué en 1077 par saint Etienne de Muret (+ vers 1124) et qui gardait encore, vers la fin du xiie siècle, sa première ferveur ; la vie austère des moines le rendait encore plus estimable. Guillaume renonça généreusement aux deux canonicats de Paris et de Soissons, et se retira dans ce monastère.
Il y fut reçu comme un envoyé du ciel, et il y vécut dans une si grande régularité, d’une manière si édifiante, que six ans après sa mort, au mois de novembre 1215, le Prieur général de l’Ordre prononcera son éloge en plein Concile (le IVe du Latran, XIIe Concile œcuménique), devant le Pape Innocent III et l’auguste assemblée.
Au moment où Guillaume se disposait à faire profession, à Grand-mont, éclata entre les moines de chœur et les Frères convers une tempête qui faillit perdre l’Ordre tout entier.
Les religieux convers, beaucoup plus nombreux que les autres, revendiquaient le gouvernement des monastères ; ils devaient aller jusqu’à emprisonner le prieur Guillaume de Treynac. L’ancien chanoine de Soissons et de Paris, venu dans le cloître pour y chercher la paix, employa tous ses soins, tout le crédit de sa haute vertu et mit en œuvre les moyens que sa sagesse, son zèle et son industrie purent lui suggérer ; il ne réussit pas à ramener le calme et l’union.
Séjour à Pontigny. – Ferveur et pénitence.
Le jeune religieux savait bien que l’esprit de Dieu ne saurait jamais être là où la paix ne se trouve point ; aussi résolut-il de passer dans l’Ordre de Cîteaux, fondé en 1098 par saint Robert de Molesmes, illustré d’une manière éclatante par saint Bernard, et célèbre par le nombre de ses Saints : l’esprit de retraite et de régularité y gardait toute sa vigueur. Il prit l’habit à Pontigny, l’une des quatre grandes abbaye dites Filles de Cîteaux, fondée, non loin d’Auxerre, en 1114, par Hugues de Mâcon, l’ami de saint Bernard, et il y fit profession avec une ferveur qui, tous les jours de son noviciat, avait pris un nouvel accroissement.
Ses austérités répondaient à son ardente dévotion ; les soulagements qu’il était obligé de donner à son corps lui étaient un véritable supplice et le joug de la vie corporelle constituait sa plus lourde croix. Il soupirait après le jour où le Seigneur voudrait bien briser la chaîne qui le retenait à la terre et l’empêchait de se réunir à lui. Les jeûnes prescrits par la règle lui paraissaient insuffisants et il avait renoncé à l’usage de la viande, même en cas de maladie.
Toujours humble, doux envers les plus petits comme envers ses supérieurs, il acceptait les mortifications qu’on lui imposait, non comme une épreuve de sa vertu, mais comme le juste châtiment de ses iniquités.
Saint Guillaume élevé à la dignité abbatiale.
La solitude faisait ses délices ; mais on consulta moins son inclination que l’estime qu’inspiraient sa sagesse et sa piété. Il fut élu prieur de Pontigny, puis, successivement, Abbé de Fontaine-Jean, filiale de Pontigny, située aux environs de Châtillon-Coligny, aujourd’hui dans le diocèse d’Orléans, et enfin Abbé du monastère de Châlis au diocèse de Senlis – aujourd’hui de Beauvais. Dans ces différents postes, il semblait se consoler de la violence dont son humilité, son amour pour la retraite étaient victimes, par l’espérance de finir ses jours dans le cloître.
Guillaume gouvernait ses religieux avec une douceur angélique, et se montrait, avec ses inférieurs, comme le dernier de tous. Il joignait à une merveilleuse simplicité de grandes lumières, puisées dans la plus sublime oraison. La sérénité de son visage décelait le calme intérieur de son âme ; et, malgré toutes ses austérités, il ne perdit jamais cette sainte et douce gaieté qui, partant du cœur, prête tant de charmes à la vertu.
Son élection à l’épiscopat.
En septembre 1199, la mort enleva Henri de Sully, archevêque de Bourges. Le clergé de cette ville résolut de choisir un prélat digne, par sa vertu et ses talents, de monter sur ce siège.
L’Ordre de Cîteaux brillait alors par une foule de grands hommes dont la sainteté édifiait le monde chrétien. Cette heureuse multiplicité d’excellents sujets embarrassait le clergé ; il demanda à Eudes, ou Odon de Sully, évêque de Paris, frère du prélat défunt, de venir l’assister de ses conseils dans une affaire aussi importante. Eudes, à son arrivée, se vit proposer pour candidats trois Abbés Cisterciens, parmi lesquels celui de Châlis.
D’après la légende, il alla célébrer la messe du Saint-Esprit dans une église de la Sainte Vierge, et mit sous la nappe d’autel trois billets cachetés, où étaient écrits les noms des trois Abbés. La messe terminée, avec ses deux assistants, hommes de science et de vertu, devenus depuis l’un archevêque de Tours, l’autre évêque de Meaux, il conjura le Seigneur de manifester sa volonté. Puis, ouvrant l’un des trois billets, il y trouva le nom de l’Abbé de Châlis. Au même moment, les chanoines de la cathédrale, assemblés en Chapitre, l’envoyaient supplier instamment de désigner Guillaume. Quoi qu’il en soit de ce récit, le choix d’Eudes se porta sur Guillaume, qu’il proclama, au milieu de l’allégresse générale, archevêque élu de Bourges.
A cette nouvelle, l’élu fut si affligé qu’il résolut de prendre la fuite ; on l’en empêcha. Mais on ne pouvait triompher de ses refus. Il alléguait que le vœu d’obéissance, fait entre les mains de son supérieur, ne lui permettait plus de disposer de sa personne. Sur ce, les députés de l’Eglise de Bourges eurent recours à l’Abbé général de l’Ordre et au cardinal Pierre de Capoue, légat apostolique en France. Tous deux lui ordonnèrent d’accepter. Guillaume quitta donc sa chère solitude avec douleur ; il prit la route de Bourges, où il fut sacré par Elie, archevêque de Bordeaux, en présence de tous les évêques de la province.
Le pasteur modèle. – Zèle apostolique. – Miracles.
Persuadé que tout homme, et surtout celui qui gouverne les autres, doit commencer par établir en soi-même le règne de Jésus-Christ, Guillaume, une fois revêtu de la plénitude du sacerdoce, eut pour premier soin de régler sur les maximes de l’Evangile les moindres détails de sa vie, soit publique, soit privée. Il voulait donner le premier l’exemple d’une vertu irréprochable : « Tel roi, tels sujets ; tels pasteurs, telles brebis », répétait-il. Ni sa dignité, ni ses travaux immenses ne purent l’obliger à se relâcher de ses excessives austérités : il conserva l’habit monastique, ne quitta jamais la haire, observa les jeûnes de la règle comme s’il fût resté dans son monastère, et il s’interdit l’usage de la viande bien qu’il en fît servir à ceux qui mangeaient à sa table :
– J’ai à expier, disait-il, et mes propres péchés et ceux de mon peuple.
Son palais épiscopal était ouvert à tout le monde ; les femmes seules n’y entraient pas ; en cas de nécessité, il leur parlait dans l’église.
Son tendre amour pour la solitude fît place à un zèle ardent pour le salut de son peuple. On le vit parcourir son diocèse avec une charité qui portait partout le feu divin ; il prêchait, instruisait les petits et les humbles ; administrait les sacrements, visitait, consolait les pauvres des hôpitaux, et, se faisant tout à tous, il les gagnait tous à Jésus-Christ. Ayant appris un jour que plusieurs de ses diocésains avaient été arrêtés pour avoir soutenu avec trop de zèle les droits de son Eglise, il fît aussitôt d’instantes démarches auprès des juges pour obtenir leur mise en liberté. Ses réclamations demeurèrent sans résultat. Il vint alors se placer à la porte des prisons :
– Je n’en bougerai pas, dit-il, tant que les captifs ne seront pas élargis.
Les magistrats, émus d’une telle charité, ouvrirent les cachots.
Dans ses courses apostoliques, il rencontra un prêtre que la paralysie d’un bras empêchait de célébrer la messe ; jusque-là, tous les secours de l’art étaient restés impuissants. Guillaume exhorta ce prêtre à s’amender devant le Seigneur ; puis, ayant fait sur le bras infirme le signe de la croix, il le guérit sur-le-champ.
Des malades, atteints de fièvres mortelles, mais pleins de foi en la sainteté de l’archevêque et persuadés de la toute-puissance de ses prières, le conjurèrent de les guérir. Son humilité s’efforçait de les dissuader :
– Je ne suis, disait-il, qu’un pauvre pécheur.
Mais ils insistaient en pleurant ; alors, son cœur de père ne pouvant plus résister, il les guérissait tous en leur imposant les mains.
Désintéressement et mansuétude.
Ses abondantes aumônes prouvaient son entier désintéressement des biens de ce monde ; il estimait indigne d’un évêque de thésauriser. Pour lui, les pauvres étaient ses créanciers ; en leur distribuant presque tous ses revenus, il disait agréablement : « Je paye mes dettes. »
Cette sainte indifférence pour toute richesse ou même pour toute question d’argent brilla d’un plus vif éclat dans les circonstances suivantes. Guillaume avait trouvé dans l’Eglise gallicane la coutume d’imposer aux excommuniés, en leur donnant l’absolution de leurs censures, outre la satisfaction canonique, des amendes pécuniaires au profit de l’évêché, en vue de prévenir toute rechute, au moins par motif d’Intérêt. Cette coutume déplaisait souverainement à sa délicatesse ; toutefois, des hommes de grand renom lui conseillaient de la suivre et de donner aux pauvres l’argent de ces amendes, s’il avait scrupule d’en profiter lui-même. Il trouva moyen de ne pas suivre l’usage conseillé, sans en scandaliser les partisans ni blâmer ouvertement leur conduite.
Quelques gentilshommes avaient gravement outragé les receveurs de l’archevêque, ravi ses biens, et injurié un grand nombre de prêtres. « Livrez les coupables au bras séculier », lui disaient ses conseillers. Guillaume préféra prier et jeûner pour eux, et il les vit bientôt à ses pieds, implorant un pardon qu’il leur accorda de grand cœur.
Il se trouvait cependant des pécheurs plus endurcis et plus opiniâtres : des hérétiques ravageaient le Berry, le Nivernais et l’Auxerrois. On engageait le prélat à prendre la tête d’une armée pour forcer les rebelles à se soumettre, selon l’usage admis à cette époque. Guillaume, pour ne point désapprouver ouvertement ceux qui pensaient de la sorte, demanda à réfléchir. Il pria Dieu avec ferveur, et promit bientôt de réduire les coupables. Toutefois, il lui répugnait de revêtir l’armure des hommes de guerre ; ses moyens de combat ne furent pas le fer et le feu, mais le glaive de la parole de Dieu. Prenant à part les plus obstinés, avec une liberté tout apostolique il leur adressait les plus vifs reproches, les menaçait des flammes éternelles de l’enfer, leur représentait le royaume* de l’éternité bienheureuse qu’ils perdaient, et l’abîme profond où ils allaient se précipiter, comme de gaieté de cœur, par la folie de leur conduite. Puis, dans le secret de sa vie cachée, afin d’attirer la clémence divine sur ces âmes, il jeûnait et passait des nuits en prière.
Cette espérance ne fut pas trompée. Au grand étonnement de tout son peuple, les loups devenaient des agneaux, les persécuteurs des amis, les ravisseurs du bien d’autrui de grands aumôniers.
Le défenseur des droits de l’Eglise. – Les Albigeois.
De puissants seigneurs du Berry, offusqués de son grand mérite, et forts de l’amitié du roi, prirent occasion de la douceur de Guillaume pour attenter aux droits de l’Eglise de Bourges : « Il n’aura pas le courage de nous résister », pensaient-ils. Mais bientôt l’évêque leur fit voir que douceur et bienveillance n’excluent pas courage et fermeté. Il défendit vigoureusement sa cause contre le roi Philippe-Auguste lui-même, prévenu par les agresseurs du prélat, qui avaient calomnieusement accusé celui-ci de troubler le repos public et d’empiéter sur les domaines de la couronne.
Ses armes habituelles, la douceur et l’humilité, triomphèrent aussi des jalousies de certains prélats voisins, comme des résistances venues de la part de son propre clergé.
En 1208, le Pape Innocent III fit prêcher une croisade contre les manichéens du Languedoc, spécialement de la région d’Albi, d’où le nom d’Albigeois qui leur est donné. Ces hérétiques, à l’égard de qui des mesures de douceur avaient été prises sans succès, mettaient en péril la religion, la sécurité de l’Etat et la civilisation même, par la propagation de leurs doctrines pernicieuses : ils combattaient ouvertement l’institution du mariage, exaltaient le suicide, refusaient – ancêtres lointains de ceux qu’on appellera des « objecteurs de conscience » – de prendre les armes pour défendre leur pays.
A dire vrai, dans l’intention du Souverain Pontife, il s’agissait d’une croisade religieuse plus que d’une croisade militaire. Tous ne l’entendirent pas ainsi. S’il y eut alors de lamentables excès commis par les armées catholiques, on doit les déplorer sincèrement, mais les doctrines exécrables propagées par les ennemis, les crimes de toutes sortes auxquelles elles aboutissaient, les massacres auxquels se livrèrent, allant jusqu’à s’en vanter, ceux à qui l’on a voulu donner figure de victimes, tout cela explique en partie – nous ne dirons pas : les excuse complètement – les violences commises par les croisés. Quant à la Papauté, de l’aveu des historiens impartiaux, sa responsabilité n’y est engagée en aucune manière.
L’archevêque de Bourges, après avoir lu les lettres pontificales appelant à la croisade, prit lui-même la croix et exhorta ses diocésains à l’imiter. Sans doute avait-il encore plus de confiance dans la croisade de prière prêchée par saint Dominique que dans les armes et la vaillance de Simon de Montfort. Le ciel se contenta de son intention droite ; la maladie le retint, et il ne vit point de ses yeux les troubles et les représailles sanglantes qui eussent désolé son cœur paternel.
Derniers adieux du père à ses enfants.
Guillaume était lié d’une sainte amitié avec Geoffroy La Lande, archevêque de Tours, et avec Eudes de Sully, évêque de Paris, dont on se rappelle le rôle joué dans son élection. Ils se visitaient souvent pour s’entretenir du soin des âmes et du gouvernement de leurs Eglises ; aussi la douleur de l’archevêque de Bourges fut-elle grande, quand la mort vint lui ravir ses deux amis, le premier le 29 avril 1208, le second, deux mois et demi après (13 juillet). Lui-même ne devait pas leur survivre longtemps. Usé par ses travaux apostoliques et ses austérités excessives, il succombait aux infirmités ; d’un moment à l’autre, ses familiers s’attendaient à un dénouement fatal. Le prélat s’en souciait fort peu et continuait tranquillement ses mortifications, sans se relâcher d’aucune.
Le 5 janvier 1209, la veille de l’Epiphanie, la fièvre l’obligea à se mettre au lit. Le lendemain, il se leva pour prêcher une dernière fois à son peuple dans l’église métropolitaine. Il prit pour texte ces paroles de l’Apôtre : « Voici qu’il est temps de sortir du sommeil. » Ainsi appelait-il la vie de cette terre. Il exhorta ses auditeurs à vivre dans la pensée de la mort, à ne pas cesser de veiller sur eux-mêmes, et à se tenir prêts, car nul ne sait le jour ni l’heure où le Seigneur viendra le chercher. Puis, il dit à tous un dernier adieu. Un grand cri de douleur se fit entendre, et la triste nouvelle passa bientôt à la ville entière. Le deuil devint universel.
L’archevêque rentra chez lui, en proie à une fièvre croissante : il avait prêché nu-tête, malgré le froid rigoureux de la saison. Le mal empira en peu de temps, à tel point que le malade demanda l’Extrême-Onction et le Saint Viatique. Pour recevoir avec plus de respect la sainte Eucharistie, il se leva de son lit, alla au-devant du prêtre, puis se mit à genoux, fondant en larmes, et pria longtemps prosterné sur le pavé, les bras étendus en croix ; alors seulement, il reçut le corps du Sauveur, avec une ferveur extraordinaire. C’était le quinzième jour de sa maladie. Il se plongea depuis dans une oraison continuelle et une union intime avec Dieu.
Dans la nuit qu’il savait être la dernière, il voulut anticiper les Matines, qu’il avait coutume de réciter à minuit. Après avoir tracé le signe de la croix sur ses lèvres et sur sa poitrine, il eut à peine la force de prononcer les premiers mots. Sur sa demande, les assistants achevèrent. L’office terminé, il fît signe qu’on l’étendît à terre sur un lit de cendres et revêtu du cilice qu’il avait porté toute sa vie ; peu après, il rendait doucement son âme à Dieu. C’était le 10 janvier 1209. Le Pape Honorius III l’éleva en 1217 au rang des Saints.
Reliques et culte.
La ville de Bourges garda jalousement les restes de son glorieux pontife, revendiqués par les religieux de l’abbaye de Châlis, près desquels il aurait voulu reposer. Exposés pendant trois siècles, dans sa cathédrale, à la vénération populaire, ils furent détruits partie par les calvinistes en 1562, partie par la Révolution en 1793. Le portail occidental de cette église reproduit diverses scènes de sa vie, et le gros bourdon porte son nom.
Saint Guillaume était honoré en divers diocèses, notamment à Beauvais et à Senlis, et l’Université de Paris l’invoquait comme patron de la « Nation de France ».
Le Martyrologe romain fixe sa fête au 10 janvier, jour de sa mort ; le diocèse de Bourges la célèbre le 9.
R. C. H.
Sources consultées. – Acta Sanctorum, t. I de janvier (Paris, 1863). – Abbé J. Villepelet, Nos Saints berrichons (Bourges, 1931). – (V. S. B. P., n° 308.)