Sainte Agathe

Sainte Agathe, dans la maison close d'Aphrodise, refuse de se laisser corrompre. Par Paul Gismondi, ca. 1636, fresque dans l'église sainte Agathe des Goths, Rome.

Vierge et mar­tyre à Catane (238–252)

Fête le 5 février.

La sep­tième per­sé­cu­tion géné­rale, pen­dant laquelle fut mar­tyrisée sainte Agathe, fut, au dire de tous les his­to­riens, la plus san­glante et la plus cruelle de toutes. Saint Cyprien nous apprend qu’elle n’avait plus seule­ment pour fin la mort des chré­tiens : on gra­duait la cruau­té par une série de raf­fi­ne­ments, de façon que la vic­time sur­vé­cût aux sup­plices. On ne vou­lait pas lui accor­der trop tôt la cou­ronne. On la fati­guait dans l’espoir de flé­chir son cou­rage, et s’il lui arri­vait, grâce à la misé­ri­corde de Dieu, de mou­rir avant l’heure pré­vue, les bour­reaux se croyaient trom­pés. Saint Augustin nous donne la rai­son de ces atro­ci­tés : « Les per­sé­cu­teurs, dit-​il, avaient recon­nu que, plus ils met­taient de chré­tiens à mort, plus il en renais­sait de leur sang. » Ils crai­gnaient de dépeu­pler l’empire, s’il eût fal­lu faire mou­rir tant de mil­liers de fidèles.

Sainte Agathe est arrêtée comme chrétienne.

Ce fut pen­dant cette cruelle per­sé­cu­tion que la bien­heu­reuse Agathe, née à Catane, vers 238, de parents nobles et riches, méri­ta de rece­voir la cou­ronne du mar­tyre. Quintianus, gou­ver­neur de la pro­vince de Sicile, ayant eu l’occasion de remar­quer la beau­té d’Agathe, qui sur­pas­sait, disent les actes de son mar­tyre, celle de toutes les filles de son temps, conçut pour elle une pas­sion vio­lente. Il cher­chait par tous les moyens pos­sibles à assou­vir ses dési­rs cri­minels, lorsque parut l’édit de l’empereur Dèce, ordon­nant que tout, chré­tien, sans qua­li­té de rang ni de sexe, fût obli­gé de sacri­fier dans les temples. Quintianus se hâta de pro­fi­ter de ce décret pour s’emparer d’Agathe, et don­na l’ordre de la faire arrêter.

Les sol­dats se ren­dirent à la demeure de la jeune fille et lui dirent :

– Il vient d’être publié, par l’empereur et par le pro­con­sul, un édit de mort contre qui­conque refu­se­rait d’adorer les dieux et de leur rendre le culte qui leur est dû. Mais nous espé­rons que tu vas leur offrir de l’encens dans leur temple, afin qu’en tout hon­neur nous puis­sions te pré­sen­ter au pro­con­sul Quintianus.

Comme la vierge refu­sait éner­gi­que­ment, les sol­dats se dis­po­sèrent à la conduire devant le gou­ver­neur. Avant qu’ils eussent mis la main sur elle, Agathe entra dans sa chambre et, se jetant à genoux, les yeux levés vers le ciel, elle fit cette prière :

– Seigneur Jésus, seul vous connais­sez les affec­tions de mon cœur, seul vous savez avec quelle joie et quel empres­se­ment je vous ai don­né ma foi et mon amour. Et main­te­nant, Seigneur, je vous en sup­plie, ne per­met­tez pas qu’un homme, livré à tous les vices, puisse faire perdre à mon corps la fleur de sa vir­gi­ni­té ; hâtez-​vous de venir à mon secours : ne me livrez pas au démon et à son satel­lite, le pro­con­sul, de peur qu’il ne dise : « Où est donc son Dieu ? » Mais je m’offre à vous comme une vic­time, rece­vez mes souf­frances comme un gage de mon amour, parce que, seul, vous êtes mon Dieu, et qu’à vous seul est due la gloire dans les siècles des siècles.

Après avoir ain­si prié, elle se remit promp­te­ment et joyeu­se­ment aux mains des lic­teurs. Pendant le tra­jet, médi­tant sur les beau­tés célestes de la ver­tu, elle disait :

– Par la grâce du Christ, afin de conser­ver à mon corps toute sa pure­té, j’ai lut­té contre Satan, l’auteur du mal, qui a jeté dans le cœur de l’homme la semence de toutes les pas­sions hon­teuses de la volup­té ; je l’ai vain­cu et je l’ai fou­lé aux pieds. J’ai remis ensuite, mon âme entre les mains du Christ, et j’espère qu’il me fera la grâce de perdre ce corps dans sa vir­gi­nale beauté.

Elle est livrée à une femme de mauvaise vie.

Quintianus, fidèle aux ordres sata­niques de l’empereur, se gar­da bien de livrer immé­dia­te­ment la vierge aux sup­plices. Mais il com­manda de conduire Agathe chez une femme de mau­vaise vie nom­mée Aphrodise, qui avait dans sa mai­son sept filles aus­si cor­rom­pues qu’elle, afin que, par les paroles et les exemples de ces misé­rables, Agathe fût ame­née à sacri­fier aux dieux et à se rendre aux dési­rs infâmes du proconsul.

Pendant trente jours, la vierge fut obli­gée de vivre en cette odieuse com­pa­gnie. Ces démons de la luxure, s’efforçaient, avec une infer­nale per­sé­vé­rance, de cor­rompre la chaste épouse de Jésus-​Christ. Celle-​ci, les yeux bai­gnés de larmes, mais le cœur vaillant, leur disait :

– Sachez que rien au monde ne pour­ra jamais sépa­rer mon âme et mes pen­sées de la cha­ri­té du Christ. Vos paroles sont sem­blables au vent, vos pro­messes à une pluie d’orage, vos menaces à un fleuve, mais ce fleuve impé­tueux, vous pou­vez le déchaî­ner contre ma mai­son, elle n’en sera point ébran­lée, parce qu’elle est fon­dée sur la pierre ferme qui est le Christ, Fils du Dieu vivant.

Elle leur par­lait ain­si, parce que son âme, sem­blable au cerf alté­ré dont parle le Psalmiste, dési­rait se désal­té­rer aux eaux vives de la souf­france, si amères pour ceux qui n’aiment point, mais si douces et si suaves pour ceux qui portent dans leur cœur le vrai amour de Jésus-Christ.

Aphrodise, la voyant donc inébran­lable dans sa réso­lu­tion de mou­rir pour le nom du Christ plu­tôt que de consen­tir à sacri­fier aux idoles, alla trou­ver le proconsul :

– Il serait plus facile, lui dit-​elle, d’amollir les rochers, ou de don­ner au fer la sou­plesse du plomb, que d’enlever de l’âme de cette jeune fille l’amour de Jésus-​Christ. Mes filles et moi, jour et nuit, ne lui avons lais­sé aucun moment de repos, et mal­gré notre con­stance, nous ne sommes arri­vées à d’autres résul­tats que celui de la rendre plus ferme dans sa réso­lu­tion. Supplications ou menaces, rien n’a pu la faire hési­ter même un seul ins­tant. Je lui ai offert moi-​même des perles pré­cieuses, des parures magni­fiques, des mai­sons à la ville et à la cam­pagne, de nom­breux esclaves, mais elle n’a pas fait plus de cas de toutes ces choses que de la terre qu’elle foule aux pieds.

Devant le tribunal du proconsul.

Quintianus, trom­pé dans son attente, don­na l’ordre qu’on ame­nât la vierge en secret à son tri­bu­nal, et il lui dit :

– Quelle est ta condition ?

– Je suis d’une famille noble et illustre, et mes parents pos­sèdent d’immenses richesses.

– Si tu es d’une condi­tion noble et illustre, pour­quoi vou­loir t’abaisser jusqu’au rôle de servante ?

– Je suis la ser­vante du Christ et c’est pour­quoi vous me voyez agir en servante.

– Mais tu es vrai­ment libre, Agathe, com­ment donc peux-​tu te dire esclave ?

– Notre noblesse, à nous, et notre plus grande gloire, c’est de nous cour­ber sous la loi du Christ.

– Nous n’avons donc point part à la noblesse, nous qui nous fai­sons gloire de mépri­ser le ser­vice de ton Christ ?

– En véri­té, vous êtes arri­vés à un degré de ser­vi­tude tel que, non seule­ment vous êtes deve­nus les esclaves de vos péchés, mais encore les ado­ra­teurs d’une matière insen­sible. Les hon­neurs qui ne sont dus qu’au vrai Dieu vivant, vous les ren­dez au bois et à la pierre.

– Les paroles blas­phé­ma­toires que tu viens de pro­non­cer rece­vront cha­cune le châ­ti­ment qu’elles méritent. Mais pour­quoi t’obs­tines-tu à refu­ser à nos dieux les hon­neurs qui leur sont dus ?

– Ne les appe­lez pas dieux, mais démons, ceux dont vous faites l’effigie en airain et dont vous recou­vrez d’or les figures de marbre.

– Cesse de blas­phé­mer, Agathe, reviens à la rai­son et sacri­fie aux dieux ; sinon je te fais subir, avec les cri­mi­nels vul­gaires, les sup­plices igno­mi­nieux, et tu seras par-​là la cause de la honte éter­nelle qui retom­be­ra sur ta parenté.

– Je sou­haite à votre épouse, repar­tit Agathe, d’être sem­blable à votre déesse Vénus, et à vous, de res­sem­bler en tout à votre grand dieu Jupiter.

A ces mots, Quintianus, irri­té, don­na l’ordre de souf­fle­ter Agathe. Après quoi, il lui dit :

– Ne t’avise plus par tes paroles inso­lentes d’injurier ton juge.

– Comment ! répon­dit Agathe, vous ne vou­lez donc point être comp­té au nombre de ceux que vous venez d’appeler des dieux ?

– Ah ! tu veux me for­cer, par tes injures, à t’infliger de cruels supplices !

– Je m’étonne qu’un homme aus­si sage en soit venu à ce point de folie de ne pas vou­loir être sem­blable à ses dieux et de ne pas vou­loir confor­mer sa vie à la leur ! Si ce sont là vos dieux et que vous les hono­riez comme tels, je vous ai fait un bon sou­hait. Pour­quoi donc avez-​vous pris pour des injures les paroles par les­quelles je vous disais de confor­mer votre vie à la leur ? Mais, si leur res­semblance vous est en hor­reur, appelez-​les donc avec moi des êtres exé­crables et pervers.

– Chacune de tes paroles est un blas­phème ; sacri­fie aux dieux, ou prépare-​toi à subir des châ­ti­ments terribles.

– Les bêtes féroces aux­quelles vous me livre­rez s’adouciront au nom de Jésus-​Christ. Si vous me jetez dans le feu, les anges vien­dront répandre sur moi une bien­fai­sante rosée. Si vous me frap­pez de verges, l’Esprit de véri­té qui réside en moi sau­ra me déli­vrer de vos mains.

Le pro­con­sul, secouant la tête, don­na l’ordre de conduire Agathe dans un obs­cur cachot. Comme on l’emmenait, Quintianus vou­lut essayer encore une der­nière fois de la fléchir :

– Réfléchis, Agathe, et vois com­bien il est avan­ta­geux pour toi d’éviter les tour­ments que je te prépare.

– C’est bien plu­tôt à vous de vous repen­tir, si vous vou­lez évi­ter des sup­plices éternels.

Alors, Quintianus, irri­té, lais­sa conduire la vierge en pri­son. Elle y entra avec l’allégresse de celui qui aurait été invi­té à un fes­tin de noces, recom­man­dant à Dieu l’issue du combat.

Constance inébranlable dans les tourments.

Le jour sui­vant, Quintianus fit de nou­veau com­pa­raître Agathe :

– Eh bien ! qu’as-tu réso­lu rela­ti­ve­ment à ton salut ?

– Mon salut, c’est le Christ.

– Jusques à quand, insen­sée, t’obstineras-tu à pro­non­cer de cou­pables paroles ? Renie le Christ, et com­mence à hono­rer nos dieux. Ne désire donc pas une mort prématurée.

– Reniez vous-​même vos dieux de pierre et de bois, et ser­vez le vrai Dieu, votre Créateur ; sinon vous subi­rez des sup­plices sans fin.

Le pré­sident, hors de lui, don­na l’ordre de frap­per de verges la mar­tyre, et pen­dant cette bar­bare exé­cu­tion, il lui disait :

– Change donc de réso­lu­tion et je ferai aus­si­tôt ces­ser le supplice.

– Vos tour­ments me sont une source de délices, et je me réjouis à l’égal de celui à qui on vient d’annoncer une bonne nou­velle, et qui découvre un riche tré­sor. Ces tour­ments font ma joie, car vous ne pour­rez les faire durer qu’un temps. On n’enferme avec soin le fro­ment dans les gre­niers qu’après l’avoir débar­ras­sé de la paille. Il en est de même de mon âme : elle ne peut entrer en para­dis que vos sol­dats n’aient, aupa­ra­vant, fait subir à mon corps les tour­ments les plus divers.

Quintianus, au comble de la fureur, ordon­na qu’après l’avoir tour­men­tée au sein, on le lui arrachât.

Cet hor­rible sup­plice ne pou­vant vaincre la constance d’Agathe, le gou­ver­neur la fit recon­duire en pri­son, défen­dant, sous les peines les plus sévères, qu’aucun méde­cin fût intro­duit auprès d’elle, et ordon­nant en même temps qu’on ne lui don­nât ni pain ni eau.

Saint Pierre apparaît à sainte Agathe et la guérit.

Vers le milieu de la nuit, un vieillard véné­rable, pré­cé­dé d’un enfant tenant un flam­beau, se pré­sen­ta devant Agathe :

– Ce tyran impie a fait subir à ton corps de cruelles tor­tures, mais ta constance dans les tour­ments lui en fait subir, à lui, de plus cruelles encore ; c’est pour cela qu’il t’a fait muti­ler et arra­cher le sein. Mais Dieu lui réserve des sup­plices into­lé­rables pen­dant toute l’éternité. J’étais pré­sent, pen­dant que tu sup­por­tais tous ces cruels sup­plices, et j’ai vu qu’il serait pos­sible de te gué­rir, c’est pour­quoi je viens.

– Je n’ai jamais, lui répon­dit Agathe, fait usage pour mon corps d’aucune méde­cine, et il serait hon­teux pour moi d’abandonner en ce moment cette réso­lu­tion prise dès mon plus jeune âge.

– Je suis aus­si chré­tien, reprit le vieillard ; aie confiance en moi, je puis te gué­rir et ma pré­sence ici n’a point d’autre motif. Vierge du Christ, ne crains rien de ma part.

– Et que pourrais-​je craindre ? reprit Agathe. Vous êtes d’un âge très avan­cé, et moi je suis une enfant dont le corps entier n’est plus qu’une plaie. Cependant, je pré­fère que ces plaies enlèvent à mon âme jusqu’à son der­nier souffle plu­tôt que de vous les mon­trer. Je vous rends grâces pour­tant, véné­rable père, d’avoir bien vou­lu venir me sou­la­ger, mais sachez que jamais aucun médi­cament fabri­qué de main d’homme ne tou­che­ra mon corps.

– Pourquoi une telle résolution ?

– Parce que je pos­sède Notre-​Seigneur Jésus-​Christ qui, d’un seul signe, peut gué­rir tous les maux, et dont la parole seule fait lever les para­ly­tiques et mar­cher les boi­teux. C’est lui, s’il le veut, qui ren­dra la san­té à son indigne servante.

Alors, le vieillard lui dit en souriant :

– C’est lui-​même qui m’a envoyé vers toi, je suis son apôtre Pierre. Regarde ton corps, il est guéri.

A ces mots, saint Pierre disparut.

Levant les yeux au ciel, Agathe ren­dit grâces à Dieu en ces termes :

– Je vous rends grâces, ô Jésus mon Seigneur, de vous être sou­ve­nu de moi et de m’avoir envoyé votre apôtre pour sou­te­nir mon âme et gué­rir les bles­sures de mon corps.

Sa prière ter­mi­née, Agathe vit que ses bles­sures étaient gué­ries et que son sein lui avait été mira­cu­leu­se­ment ren­du. Toute la nuit, une lumière brillante rem­plit la pri­son. Les gardes effrayés s’en­fuirent, lais­sant les portes ouvertes. Les com­pa­gnons de cap­ti­vi­té d’Agathe lui conseillaient de s’évader, mais la Sainte leur répondit ;

– Je ne veux point me pri­ver de la cou­ronne de gloire réser­vée aux com­bats que je dois encore sou­te­nir. Je ne veux pas être pour mes gar­diens un sujet de châ­ti­ment. J’ai pour moi le secours de Jésus-​Christ, Fils de Dieu. Jusqu’à la fin, je per­sé­vé­re­rai dans la confes­sion de la foi de celui qui m’a conso­lée et guérie.

Saint Pierre vient gué­rir sainte Agathe dans sa prison.

Glorieuse mort.

Quatre jours après, le pré­sident se la fit conduire devant son tribunal :

– Jusqu’à quand persévéreras-​tu dans le mépris des édits des empe­reurs ? Sacrifie aux dieux ; sinon, je te fais endu­rer des sup­plices plus cruels encore que les précédents.

– Vaines sont vos paroles, répli­qua Agathe, iniques les édits de vos empe­reurs. Dites-​moi donc, misé­rable dépour­vu de rai­son, quel secours puis-​je attendre de vos dieux de pierre et de bois ? Mon Seigneur Jésus ne m’a‑t-il pas ren­du un autre sein, à la place de celui que vous m’avez arraché ?

Quintianus, au comble de la fureur, s’écria :

– Qui a donc osé te guérir ?

– C’est Jésus-​Christ, Fils du Dieu vivant.

– De nou­veau tu pro­nonces le nom de ton Christ dont je ne veux entendre par­ler en aucune façon !

– Il ne m’est pas per­mis de taire le nom de celui que j’invoque au fond de mon cœur.

– Nous allons voir bien­tôt s’il te vien­dra en aide, ton Seigneur Jésus.

En même temps, Je juge don­na l’ordre de par­se­mer la salle de pots cas­sés, d’y répandre des char­bons ardents et d’y étendre Agathe, après l’avoir dépouillée de ses vête­ments. Mais, à peine la sainte mar­tyre fut-​elle éten­due sur ce lit de dou­leur, qu’un trem­ble­ment de terre ébran­la les murailles dont une par­tie écra­sa un conseiller du pré­sident, nom­mé Sylvain, et un autre de ses amis, nom­mé Théophile, qui exci­tait Quintianus à faire mar­ty­ri­ser Agathe. Toute la ville de Catane fut éga­le­ment agi­tée par le trem­ble­ment de terre. Les citoyens, épou­van­tés, se ren­dirent au pré­toire ; mais le pro­consul, crai­gnant une insur­rec­tion du peuple, com­man­da de con­duire Agathe en pri­son et se reti­ra lui-​même dans une salle écartée.

Agathe, entrée dans son cachot, leva les mains au ciel et dit :

– Je vous rends grâces, ô Seigneur mon Dieu, de ce que vous m’avez jugée digne de sou­te­nir de durs com­bats à cause de votre nom. C’est vous, ô Jésus, mon Sauveur, qui avez don­né à mon âme l’ardent désir de renon­cer aux joies du monde, et qui avez con­servé mon corps pur de toute souillure. Exaucez-​moi à cette heure, je vous en sup­plie, per­met­tez à votre ser­vante de quit­ter cette terre et d’aller vers vous.

Alors elle ren­dit son âme à cet Epoux céleste, pour qui elle avait sup­por­té tant de rudes com­bats. Les chré­tiens de Catane, à la nou­velle de la mort de la glo­rieuse mar­tyre – sur­ve­nue le 5 février 252, – accou­rurent aus­si­tôt, et, sans crainte du pro­con­sul, prirent ce corps cou­vert de bles­sures si glo­rieuses et se pré­pa­rèrent à l’ensevelir avec de grands hon­neurs. Or, pen­dant qu’on pla­çait ces pré­cieuses reliques dans le sar­co­phage qu’on leur avait pré­pa­ré, on raconte que parut un jeune homme d’une beau­té toute céleste, sui­vi d’un cor­tège de cent enfants revê­tus de vête­ments magni­fiques. Personne n’avait vu aupa­ra­vant ce jeune homme dans la ville de Catane. Il entra dans le lieu où l’on embau­mait les restes véné­rés d’Agathe, et dépo­sa sous sa tête une plaque de marbre sur laquelle étaient gra­vés ces mots : « Ame sainte, dévouée, hon­neur de Dieu, pro­tec­tion de la patrie. » Il atten­dit qu’on eût fer­mé le cer­cueil, puis il dis­pa­rut. Personne depuis ne le revit, et beau­coup pen­sèrent que c’était un ange.

Le bruit de cet évé­ne­ment se répan­dit bien­tôt dans toute la Sicile, si bien que les Gentils et les Juifs eux-​mêmes eurent une grande véné­ra­tion pour le tom­beau de la glo­rieuse martyre.

Son culte.

Après la paix don­née à l’Eglise en 312, la renom­mée de sainte Agathe s’étendit, et les grands Docteurs, saint Ambroise, saint Augustin, saint Damase, saint Isidore, saint Grégoire le Grand et beau­coup d’autres la louèrent en leurs écrits.

De Sicile, son culte se répan­dit au-​delà de Naples et de Bénévent, et une ville se fon­da sous son vocable, actuel­le­ment siège d’un évê­ché, Sainte-​Agathe des Goths, dont saint Alphonse de Liguori fut évêque. Son patro­nage fut don­né aus­si à des églises à Rome, en Lombardie et en France.

Sa fête fut éle­vée au rite double par Clément XI, le 26 août 1713.

En 1040, un capi­taine grec, après avoir défait les Sarrasins qui infes­taient la Sicile, envoya à Constantinople quelques corps de Saints, dont ceux de sainte Agathe et de sainte Lucie (de Syracuse), afin d’attirer sur l’empire d’Orient les béné­dic­tions de Dieu par leur inter­ces­sion. Mais avant que les Vénitiens eussent rap­por­té à Venise en 1205 les reliques de sainte Lucie, les habi­tants de Catane avaient recou­vré celles de leur patronne dès 1126, grâce à un valeu­reux guer­rier, Gislibert, et, le 17 août de cette même année, l’évêque les avait reçues en grand hon­neur et por­tées triom­pha­le­ment en sa cathé­drale, où elles sont encore hono­rées. Le hui­tième cen­te­naire en a été solen­nel­le­ment célé­bré le 17 août 1926, sous la pré­si­dence du car­di­nal Lualdi, légat pontifical.

Depuis lors, Catane a tou­jours eu une grande dévo­tion envers sa céleste Patronne, à qui cette ville attri­bue la pro­tec­tion dont elle a joui depuis l’éruption de l’Etna, en 253, jusqu’à l’effroyable trem­blement de terre du 28 décembre 1908.

A. Bousquet.

Sources consul­tées. – Actes du mar­tyre de sainte Agathe. – Abbé J.-B. Brun, Vie de sainte Agathe (Paris, 1867.) – Gan. prof. Salvatork Rombo, Vita e Culto di Sant’ Agata (1889). – (V. S. B. P., n° 103.)