Évêque d’Antioche, martyr (+ vers 110)
Fête le 1er février.
Version courte
Certains auteurs assurent qu’Ignace fut ce petit enfant que Notre-Seigneur plaça au milieu des Apôtres lorsque, pour leur donner une leçon d’humilité, Il leur dit : Si vous ne devenez semblables à de petits enfants, vous n’entrerez jamais dans le royaume des Cieux. Ce qui est certain, c’est qu’il était un familier des premiers disciples du Sauveur, disciple lui-même de saint Jean, l’Apôtre bien-aimé.
Ignace fut un grand évêque, un homme d’une rare sainteté ; mais sa gloire est surtout son martyre. Conduit devant l’empereur Trajan, il subit un long interrogatoire :
– C’est donc toi, vilain démon, qui insultes nos dieux ?
– Nul autre que vous n’a jamais appelé Théophore un mauvais démon.
– Qu’entends-tu par ce mot Théophore ?
– Celui qui porte Jésus-Christ dans son cœur.
– Crois-tu donc que nous ne portons pas nos dieux dans notre cœur ?
– Vos dieux ! Ce ne sont que des démons ; il n’y a qu’un Dieu Créateur, un Jésus-Christ, Fils de Dieu, dont le règne est éternel.
– Sacrifie aux dieux, je te ferai pontife de Jupiter et père du Sénat.
– Tes honneurs ne sont rien pour un prêtre du Christ.
Trajan, irrité, le fait conduire en prison. « Quel honneur pour moi, Seigneur, s’écrie le martyr, d’être mis dans les fers pour l’amour de Vous ! » et il présente ses mains aux chaînes en les baisant à genoux.
L’interrogatoire du lendemain se termina par ces belles paroles d’Ignace : « Je ne sacrifierai point ; je ne crains ni les tourments, ni la mort, parce que j’ai hâte d’aller à Dieu. »
Condamné aux bêtes, il fut conduit d’Antioche à Rome par Smyrne, Troade, Ostie. Son passage fut partout un triomphe ; il fit couler partout des larmes de douleur et d’admiration :
« Je vais à la mort avec joie, pouvait-il dire. Laissez-moi servir de pâture aux lions et aux ours. Je suis le froment de Dieu ; il faut que je sois moulu sous leurs dents pour devenir un pain digne de Jésus-Christ. Rien ne me touche, tout m’est indifférent, hors l’espérance de posséder mon Dieu. Que le feu me réduise en cendres, que j’expire sur le gibet d’une mort infâme ; que sous la dent des tigres furieux et des lions affamés tout mon corps soit broyé ; que les démons se réunissent pour épuiser sur moi leur rage : je souffrirai tout avec joie, pourvu que je jouisse de Jésus-Christ. » Quel langage et quel amour !
Saint Ignace, dévoré par un lion, répéta le nom de Jésus jusqu’au dernier soupir. Il ne resta de son corps que quelques os qui furent transportés à Antioche.
Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’année, Tours, Mame, 1950
Version longue
Il y a deux manières de faire connaître un Saint : l’une qui consiste à rapporter en détail tous les événements de sa vie dans un ordre chronologique ; l’autre qui s’attache principalement à faire connaître l’âme et les sentiments du héros que l’on veut proposer en exemple au peuple chrétien.
Il nous serait difficile d’employer la première manière pour faire connaître saint Ignace d’Antioche, car on ignore tout ou presque tout de sa vie. Par contre, le Saint lui-même nous a laissé, dans ses épîtres, une mine riche et inépuisable, où nous trouverons dans leur sublime beauté les nobles sentiments qui fleurissaient dans l’âme de ce Père de l’Eglise, dans ce successeur presque immédiat des Apôtres.
L’évêque d’Antioche.
Ignace, appelé aussi Théophore, c’est ainsi qu’il se nomme lui-même en tête de chacune de ses lettres, succéda vers l’an 67, suivant la tradition, sur le siège épiscopal d’Antioche, métropole de la Syrie, à saint Evode, dont on ne sait guère que le nom, et qui l’avait seul séparé du chef des apôtres, de saint Pierre, fondateur de cette Eglise, vers l’an 35.
De la jeunesse d’Ignace et même de son épiscopat on ne sait rien de certain. L’histoire n’a pas retenu l’ingénieuse légende essayant de l’identifier avec l’enfant dont parle l’Evangile de saint Jean et qui portait les cinq pains d’orge et les deux poissons que Notre-Seigneur multiplia pour nourrir environ cinq mille hommes.
On soupçonne seulement, d’après quelques expressions tirées de ses écrits, qu’il était né dans le paganisme et ne s’était converti qu’à un âge plus ou moins avancé.
Était-il de condition servile ? Il semble le dire en son Epître aux Romains, à moins que ce ne soit une métaphore due à son humilité, comme lorsqu’il s’appellera, à l’exemple de saint Paul, un « avorton » et le « dernier des chrétiens d’Antioche, indigne d’appartenir à cette Eglise ».
Mais l’évêque d’Antioche n’était pas, semble-t-il, un pasteur sans influence, car, dès que les chrétientés voisines apprirent son arrestation, elles lui députèrent des envoyés comme à un personnage particulièrement estimable.
La persécution.
Une persécution, dont on ignore le motif, s’abattit tout à coup sur l’Eglise d’Antioche. Ignace en fut la plus noble et peut-être l’unique victime, car, dans ses Epîtres, il ne fait aucune allusion à d’autres martyrs. Déjà condamné aux bêtes, il dut prendre le chemin de Rome, non pas pour en appeler devant le tribunal de l’empereur comme autrefois saint Paul, mais pour y subir son supplice.
Sur le chemin de Rome.
Le condamné fut confié à la garde de dix soldats, qui durent le faire souffrir, car il en parle plaisamment en sa lettre aux Romains ; « Depuis la Syrie jusqu’à Rome, sur terre et sur mer, de nuit et de jour, je combats déjà contre les bêtes, enchaîné que je suis à dix léopards : je veux parler des soldats qui me gardent et qui se montrent d’autant plus méchants qu’on leur fait plus de bien ; leurs mauvais traitements sont pour moi une école, à laquelle je me forme tous les jours… »
Le voyage se fit, en effet, tantôt par terre et tantôt par mer. Le convoi s’arrêta d’abord à Philadelphie de Lydie, au cœur même de l’Asie Mineure. Il y vit l’évêque, sans doute Lucius, dont parle l’Apocalypse et dont il devait faire lui-même l’éloge en sa lettre aux Philadelphiens, le félicitant de sa modestie, de son silence, de sa conduite, de la piété de son âme.
A Smyrne.
De là, on suivit très probablement la route qui, passant par Sardes, aboutit à Smyrne, et on fit en cette ville une halte assez longue. Ignace reçut de l’Eglise de Smyrne et de son illustre évêque, saint Polycarpe, un accueil cordial et empressé. Parmi les habitants avec lesquels il fut en rapports, il cite, le « cher » Attale, l’ « incomparable » Daphnus, Euctenus, la veuve d’Epitrope, Tavie et Alcé, dont il est question dans le récit du Martyre de saint Polycarpe.
Apprenant l’arrivée à Smyrne de l’évêque d’Antioche, les Eglises voisines d’Ephèse, de Magnésie et de Tralles lui envoyèrent des délégués pour le saluer et lui prodiguer leurs consolations.
La députation d’Ephèse fut la plus nombreuse ; elle comprenait l’évêque Onésime, le diacre Burrus et trois autres délégués dont la qualité n’est pas indiquée, Crocus, Euplus et Fronton. Magnésie du Méandre envoya son jeune évêque, Damas, les deux prêtres Bassus et Apollonius et le diacre Zotion. La chrétienté de Tralles, plus éloignée, n’était représentée que par son évêque, Polybe.
Le martyr dut être encouragé et consolé par ces affectueuses et fraternelles démarches. On le devine par les Epîtres qu’il écrivit alors aux trois Eglises qui l’avaient ainsi réconforté.
C’est là qu’il rédigea aussi sa lettre aux Romains, la seule qui porte une date, celle du 24 août, sans indication d’année (les critiques supposent que c’est entre 107 et 110). Il leur annonce son arrivée prochaine, et cette lettre sublime nous fait connaître, mieux que les autres, les sentiments admirables du martyr.
A Troas.
De Smyrne, la troupe parvint à Troas, sans doute par mer. Le diacre Burrus accompagnait Ignace qui, à cause des services qu’il lui rendait, avait prié les Ephésiens de le laisser à sa disposition pendant quelque temps. Ils furent rejoints à Troas par deux courriers venant de Smyrne, Philon, diacre de Cilicie, et Rheus Agathopus, diacre, semble-t-il, de l’Eglise d’Antioche, qui lui apportèrent la bonne nouvelle de la fin de la persécution en Syrie, et le secondèrent pour la prédication.
A Troas, Ignace écrivit aux Eglises de Philadelphie et de Smyrne qui l’avaient si bien accueilli ; à ses recommandations ordinaires sur le dogme et la discipline, il ajoute un thème nouveau qui lui est inspiré par son zèle pour sa chère Eglise d’Antioche : il désire voir les diverses Eglises envoyer en Syrie des délégués ou au moins des lettres pour encourager les chrétiens d’Antioche et les féliciter de la paix enfin recouvrée. Il se disposait à correspondre aussi à ce sujet avec toutes les Eglises qu’il connaissait, quand, l’ordre d’embarquement arrivant plus tôt qu’on ne s’y attendait, il n’eut que le temps d’écrire à saint Polycarpe pour le prier d’envoyer aux Eglises des messages de sa part.
Fin du voyage.
Un vaisseau transporta le captif à Néapolis, aujourd’hui Cavalla, point de départ de la voie Egnatia, route de terre qui, passant par Philippes et Thessalonique, traversait toute la Macédoine pour aboutir à Durazzo, sur l’Adriatique, en face de l’Italie.
La troupe venait de se grossir de plusieurs autres chrétiens, dirigés sur Rome dans les mêmes conditions qu’Ignace ; les noms de deux d’entre eux, Zosime et Rufus, nous sont connus par l’Epître de saint Polycarpe.
Les chrétiens de Philippes reçurent Ignace avec charité et vénération et l’escortèrent jusqu’à une certaine distance de leur ville. Il les avait engagés à écrire aussi à ses chrétiens d’Antioche ; aussi après son départ, écrivirent-ils à saint Polycarpe pour le prier de faire porter par son courrier la lettre qu’ils destinaient aux chrétiens d’Antioche, et lui demander en même temps de leur envoyer à eux, Philippiens, ce qu’il possédait des lettres d’Ignace, tant était grand leur désir de connaître ses enseignements. L’évêque de Smyrne leur donna bientôt satisfaction, et c’est ainsi à leur requête que nous devons la conservation de la correspondance du martyr.
Le style de l’écrivain.
Il nous reste sept Epîtres de l’évêque d’Antioche, dont on a pu prouver l’authenticité. Six autres lettres, qui lui ont été attribuées, sont reconnues maintenant pour l’œuvre d’un faussaire de la fin du IVe siècle.
Le style d’Ignace est rude, obscur, énigmatique, plein de répétitions et d’insistances, mais d’une énergie continue, et çà et là d’un éclat saisissant. Nul auteur des premiers temps de l’Eglise, si ce n’est saint Paul à qui il ressemble beaucoup, n’a mieux fait passer dans ses écrits toute sa personne et toute son âme. Un mouvement que l’on sent irrésistible entraîne cette composition incorrecte et heurtée. Un feu court sous ces phrases où quelquefois un mot inattendu jaillit comme un éclair. La beauté de l’équilibre classique a fait place à une beauté d’ordre supérieur, parfois étrange, qui a sa source dans l’intensité du sentiment et dans les profondeurs de la piété du martyr.
« Tout y est plein de sens, a écrit un savant auteur du XVIIe siècle, Sébastien Le Nain de Tillemont, mais d’un sens profond, qu’il faut méditer pour le développer et le bien comprendre. » Et, d’après lui, un érudit du XVIe siècle, Lefèvre d’Etaples, « dit que ce sont les paroles d’un cœur emporté par un ravissement et une extase de l’amour divin, qu’il est difficile de lire avec quelque sentiment de piété sans verser des larmes… »
Les enseignements du docteur.
Le saint évêque d’Antioche avait été, en effet, à bonne école. Il avait reçu des premiers chrétiens et peut-être de l’apôtre saint Jean lui-même les divines leçons du Christ. On remarque que, dans toutes ses Epîtres, le texte est imprégné de la doctrine contenue dans le quatrième Evangile. On n’y trouve point, il est vrai, de citations littérales, mais au moins une dizaine de réminiscences, et une impression pénétrante s’en dégage, qui prouve combien l’Apôtre bien-aimé avait exercé d’influence en Asie, et même à Antioche.
Ignace se propose de mettre en garde les fidèles contre les erreurs de l’hérésie et les divisions du schisme, que tâchaient de semer déjà parmi les chrétiens certains prédicateurs. La doctrine que ceux-ci s’efforçaient de propager était une sorte de gnosticisme judaïsant : d’un côté, ils poussaient à la conservation des pratiques juives ; de l’autre, ils étaient docètes, c’est-à-dire ne voyaient dans l’humanité de Jésus-Christ qu’une apparence irréelle.
L’évêque combat les prétentions de ces soi-disant réformateurs, en affirmant que le judaïsme est périmé, et en insistant avec force sur la réalité du corps et des mystères de Jésus. Mais il recommande tout spécialement aux fidèles de se ranger en toute occurrence autour de leur évêque, des prêtres et des diacres qui lui sont unis « comme les cordes à la lyre ». On ne saurait imaginer un plaidoyer plus énergique pour les droits de la hiérarchie.
Ignace écrit, en effet, aux Ephésiens : « Jésus-Christ, l’inséparable principe de notre vie, est lui-même la pensée du Père, comme les évêques, établis jusqu’aux extrémités du monde, ne sont qu’un avec l’esprit de Jésus-Christ. Vous ne devez donc avoir avec votre évêque qu’une seule et même pensée ; c’est d’ailleurs ce que vous faites. Votre vénérable presbytérium, vraiment digne de Dieu, est uni à l’évêque comme les cordes à la lyre, et c’est ainsi que, du parfait accord de vos sentiments et de votre charité, s’élève vers Jésus-Christ un concert de louanges. Que chacun de vous entre dans ce chœur alors, dans l’harmonie de la concorde, vous prendrez par votre unité même le ton de Dieu, et vous chanterez tous d’une seule voix, par la bouche de Jésus-Christ, les louanges du Père, qui vous entendra, et, à vos bonnes œuvres, vous reconnaîtra pour les membres de son Fils. C’est donc votre avantage de vous tenir dans une irréprochable unité : c’est par là que vous jouirez d’une constante union avec Dieu lui-même. »
« Pareillement, dit-il aux Tralliens, vous devez tous révérer les diacres comme Jésus-Christ lui-même, l’évêque comme l’image du Père, les presbytres comme le sénat de Dieu et le collège des apôtres : sans eux, il n’y a point d’Eglise. »
Et enfin, il exhorte les Smyrniotes en ces termes : « Fuyez les divisions comme la source de tous les maux. Suivez tous l’évêque comme Jésus-Christ suivait son Père, et le presbytérium comme les apôtres ; quant aux diacres, vénérez-les comme la loi de Dieu. Ne faites jamais rien sans l’évêque de ce qui concerne l’Eglise. Ne regardez comme valide que l’Eucharistie célébrée sous la présidence de l’évêque ou de son délégué. Partout où paraît l’évêque, que là aussi soit la communauté, de même que, partout où est le Christ Jésus, là est l’Eglise universelle. »
Les sentiments du martyr.
Une délégation de Syriens s’était rendue à Rome directement devançant de beaucoup le martyr, et Ignace craignait que ceux-ci, qui avaient tout le temps pour concerter des démarches, ne parvinssent à gagner les gens de quelque bureau et, sur leur avis favorable, à faire casser la condamnation.
Il faut se souvenir, en effet, que, si la masse des chrétiens était d’obscure naissance et de condition médiocre, certains frères appartenaient cependant soit aux familles aristocratiques, soit à la classe des affranchis qui géraient les administrations et peuplaient les bureaux. Les Romains pouvaient donc tenter quelque chose pour sauver l’évêque d’Antioche : Ignace le craint, et toute sa lettre est une supplication pathétique pour les détourner d’un tel projet. Ecoutons-le. Ses paroles nous révéleront toute son âme.
« Je ne vous demande qu’une chose : c’est de laisser offrir à Dieu la libation de mon sang, tandis que l’autel est encore prêt…
« Demandez seulement pour moi la force intérieure et extérieure pour que je sois chrétien non seulement de bouche, mais de cœur ; non seulement de nom, mais de fait. Car si je me montre chrétien de fait, je mériterai aussi ce nom, et c’est quand j’aurai disparu de ce monde que ma foi apparaîtra avec le plus d’éclat. Rien de ce qui se voit n’est bon : même notre Dieu, Jésus-Christ, ne s’est mieux manifesté que depuis qu’il est retourné au sein de son Père. Le christianisme, quand il est en butte à la haine du monde, n’est plus objet de persuasion humaine, mais œuvre de puissance divine…
« J’écris à toutes les Eglises. Je leur mande à toutes que je mourrai de grand cœur pour Dieu, si vous ne m’en empêchez pas. Je vous en conjure, épargnez-moi une bienveillance intempestive. Laissez-moi devenir la pâture des bêtes : c’est par elles qu’il me sera donné d’arriver à Dieu. Je suis le froment de Dieu, et je suis moulu par la dent des bêtes, pour devenir le pain immaculé du Christ…
« Caressez-les plutôt, afin qu’elles deviennent mon tombeau et qu’elles ne laissent rien subsister de mon corps : mes funérailles ne seront ainsi à charge à personne. Alors je serai vraiment un disciple de Jésus-Christ, quand le monde ne verra plus même mon corps. Suppliez le Christ pour moi, afin que par ce moyen je sois offert à Dieu en sacrifice. Je ne vous commande pas comme Pierre et Paul : ils étaient des apôtres, moi je ne suis qu’un condamné ; ils étaient libres, et moi, jusqu’à présent, je suis esclave. Mais la mort fera de moi un affranchi de Jésus-Christ, en qui je ressusciterai libre…
« Quand donc serai-je en face des bêtes qui m’attendent ! Puissent-elles se jeter aussitôt sur moi ! Au besoin, je les flatterai, pour qu’elles me dévorent immédiatement et qu’elles ne fassent pas comme pour certains qu’elles ont craint de toucher. Que si elles y mettent du mauvais vouloir, je les forcerai. Laissez-moi faire, je sais ce qui m’est préférable. C’est maintenant que je commence à être un vrai disciple. Qu’aucune créature, visible ou invisible, ne cherche à me ravir la possession de Jésus-Christ. Feu, croix, corps à corps avec les bêtes, lacération, écartèlement, dislocation des os, mutilation des membres, broiement de tout le corps, que les plus cruels supplices imaginés par le diable tombent sur moi, pourvu seulement que je possède Jésus-Christ…
« Posséder le monde entier et les royaumes d’ici-bas ne me servirait de rien. Il m’est bien plus glorieux de mourir pour Jésus-Christ que de régner jusqu’aux extrémités de la terre. C’est lui que je cherche, lui qui est mort pour nous ; c’est lui que je veux, lui qui est ressuscité à cause de nous. Voici le moment où je vais être enfanté. Epargnez-moi, mes frères, ne m’empêchez pas de naître à la vie, ne cherchez pas ma mort. C’est à Dieu que je veux appartenir : ne me livrez pas au monde ni aux séductions de la matière. Laissez-moi arriver à la pure lumière : c’est alors que je serai vraiment homme. Permettez-moi d’imiter la Passion de mon Dieu… »
Le martyre.
C’est dans ces admirables sentiments que l’évêque d’Antioche parvint à Rome, où il fut livré aux bêtes qu’il avait appelées de vœux si ardents. Nous n’avons malheureusement aucun renseignement précis sur son martyre, car les Actes de Rome et d’Antioche, qui prétendent le raconter d’après Rheus Agathopus et Philon, sont purement légendaires et n’ont aucune valeur historique, se bornant du reste à imaginer des dialogues entre Ignace et l’empereur, à décrire son arrivée à Rome et son martyre au Colisée.
Fut-il amené seul dans l’arène ou en compagnie d’autres martyrs ? On ne saurait le préciser, quoiqu’il semble bien que l’évêque d’Antioche ait été réservé, comme spectacle de choix, à la fin des jeux.
Dix mille hommes avaient paru sur l’arène, a écrit Louis Veuillot, l’arène avait bu le sang de dix mille hommes. Les bêtes étaient repues, le peuple avait encore soif. Le saint évêque entre dans le cirque, passant sous le fouet des venatores. Il est salué par les huées de cent mille voix, chevaliers, sénateurs, matrones, prêtres, vestales, peuple, toute la canaille romaine qui venait de dévorer la chair de dix mille hommes, et qui n’était pas repue. Le vieillard se met à genoux.
Il dit : « Je suis le froment du Seigneur. Que je sois donc moulu par les dents des bêtes et que je devienne le pain du Christ ! » Et le pain du Christ, sans cesse renouvelé et prodigué sous cette forme, a tué la bête. La bête païenne a bu et mangé sa condamnation. Le sang des martyrs, produisant des moissons toujours plus fécondes, a étouffé les tigres et les empereurs.
C’était, croit-on, le 20 décembre, jour où l’Eglise grecque célèbre sa fête. L’Eglise latine l’a fixée au 1er février. On ne peut malheureusement déterminer l’année exacte où Ignace s’offrit en holocauste au Seigneur. On place sa mort dans les environs de l’an 110.
Son culte.
Il faut croire que les bêtes ne furent pas aussi gloutonnes que l’avait souhaité le martyr, car saint Jérôme parle de son tombeau à Antioche, hors de la porte Daphnitique, et aussi saint Jean Chrysostome dans son panégyrique du saint évêque. Mais nous ignorons de quelle manière ses reliques avaient pu être distinguées des autres débris humains après les jeux de l’amphithéâtre et transportées de Rome à Antioche, au lieu d’être brûlées selon l’usage.
D’après le calendrier syriaque, une seconde translation eut lieu, à Antioche même, sous Théodose le Jeune ; on transporta les restes vénérés dans l’intérieur de la ville. Enfin, au milieu du VIIe siècle, quand les Sarrasins envahirent la Syrie et assiégèrent Antioche, les reliques du saint évêque furent rapportées à Rome et placées dans la basilique Saint-Clément, où elles reposent encore sous l’autel majeur. Les Grecs-Ruthènes commémorent cette translation le 28 janvier.
Sa fête, déjà marquée à l’appendice du calendrier grégorien, puis déclarée semi-double par saint Pie V, a été élevée au rite double par Pie IX le 18 mai 1854.
Saint Ignace d’Antioche est mentionné au Canon de la messe, parmi les martyrs, après le Memento des défunts.
A. G. E. Sources consultées. – Eusèbe, Histoire ecclésiastique (III, 22). – J. Tixeront, Précis de Patrologie (Paris, 1918). – Mgr Batiffol, L’Eglise naissante et le catholicisme (Paris, 1908). – Auguste Lelong, Les Pères apostoliques, Ignace d’Antioche (Paris, 1910). – René Aigrain, Pour qu’on lise les Pères (Paris, 1922). – (P. S. B. P., n° 93.)