Vierge et martyre à Sens (+ vers 273).
Fête le 31 décembre.
D’origine espagnole, la sainte martyre dont nous allons résumer la vie d’après des Actes rédigés au viiie siècle ne doit pas être confondue avec une autre Sainte du même nom, également vierge et martyre, très honorée à Cordoue en particulier et qui mourut en 853, c’est-à-dire près de six siècles plus tard. Le récit de la passion de la martyre sénonaise ne nous est pas parvenu dans son intégrité, ni surtout dans son texte primitif, qui offrait dans ses données plus d’exactitude. A la version ancienne se sont ajoutés des épisodes qui paraissent inspirés d’autres passions de martyrs. Ici encore nous rapportons la tradition, mais sans pouvoir affirmer la vérité historique de chacun des détails.
Sainte Colombe à l’école du Saint-Esprit.
Colombe naquit au me siècle, sous le ciel de l’Espagne, d’une famille noble, mais païenne. Néanmoins, le Saint-Esprit se choisit l’enfant comme une épouse de prédilection.
Dès sa naissance il la remplit de ses lumières et de son amour. Par un instinct divin, Colombe, encore au berceau, connut la vanité des idoles. Quand on voulait les lui faire adorer, elle manifestait sa répugnance par de tels cris et de tels gémissements qu’on n’osait point la contraindre. « C’est un caprice qui passera avec le temps », disait-on, et on le lui pardonnait volontiers.
Cependant, l’horreur que la jeune vierge ressentait pour les idoles croissait en elle avec l’âge. Elle fit même partager ses sentiments aux compagnons de ses jeux : Augustin, Sanctien, Béate, qui devaient être tous placés sur les autels et vénérés par l’Eglise de Sens à la date du 7 septembre.
Un jour, ils apprirent que le culte du vrai Dieu croissait dans les Gaules, au milieu de sanglantes persécutions. Pressés par la grâce, ils s’enfuirent secrètement, laissant pour jamais leurs richesses, leurs patrie, leurs parents.
Deux soifs apaisées.
Au cours de ce long voyage, pressés par la soif, ils s’étaient arrêtés à bout de forces. Colombe, à genoux, adresse une prière au Maître de la terre et des eaux. Elle ne s’était pas encore relevée qu’une source limpide jaillissait à ses pieds.
Mais les pieux voyageurs réclamaient avec plus d’avidité encore les eaux vives qui jaillissent jusqu’à la vie éternelle. Ce fut à Vienne, en Dauphiné, qu’ils purent s’y désaltérer. Ils furent donc instruits des mystères de la foi, puis baptisés, devenant ainsi les enfants du Christ et de l’Eglise.
Comment on se sanctifie et comment on devient apôtre.
Les néophytes, pour mieux comprendre la vérité sacrée, assujettissaient leurs corps par les jeûnes et les disciplines. Leurs âmes, délivrées par là du joug et des obscurités de la chair, persévéraient dans la contemplation bien avant dans la nuit. Aussi, leurs prières et leurs exemples avaient-ils affermi la chrétienté viennoise, lorsque Dieu les appela à d’autres travaux.
Colombe, toujours de plus en plus éprise de la vérité, apprit qu’elle s’était développée davantage dans la région sénonaise, et elle y entraîna ses compagnons.
A Sens, les jeunes voyageurs furent encore l’édification des fidèles. Ils s’adonnaient jour et nuit à la pénitence et à l’oraison. Ils allaient par des pèlerinages demander la vertu sur les tombeaux des martyrs.
La couronne du martyre est refusée à sainte Colombe.
A cette époque, l’empereur Aurélien visitait les Gaules et il s’arrêta à Sens. Pour mériter ses faveurs, les magistrats lui dénoncèrent Colombe et les siens comme les plus ardents prosélytes du christianisme. Le tyran manda les audacieux à sa barre et les condamna tous au dernier supplice. Cependant, par égard pour sa naissance et sa noblesse, il voulut sauver Colombe. Conduite avec ses compagnons hors des murs de la ville, la vierge les vit tous mourir, la joie sur le front, l’espérance au cœur, mais quand elle allait présenter à son tour sa tête aux bourreaux, elle fut enchaînée et conduite dans un cachot situé, d’après la tradition, à l’emplacement de l’église Sainte-Colombe-la-Petite, à l’angle de la Grande-Rue et de la rue de l’Ecrivain.
Ainsi la couronne du martyre lui échappait, quand elle croyait déjà la sentir sur son front ; à cette pensée des torrents de larmes s’échappaient des yeux de la jeune fille. Aurélien crut celle-ci ébranlée dans sa foi, et il se persuada qu’un peu de colère suffirait pour la vaincre. Il fit donc reparaître la vierge devant lui.
Sainte Colombe comparaît devant l’empereur.
Le dialogue qui s’engage entre le tyran et la jeune chrétienne ressemble à plusieurs autres qui se lisent dans les Actes des Martyrs. C’est toujours, d’un côté, le ton d’abord insinuant auquel va succéder la violence ; de l’autre côté, la fermeté, à la fois douce et inébranlable, résistant avec sérénité autant aux flatteries qu’aux menaces.
– Quel est ton nom ? dit l’empereur en jetant à Colombe un regard irrité.
Et celle-ci de répondre avec calme :
– Je m’appelle Colombe. Ta colère ne m’effraye pas, car l’amour du Christ me fortifie.
– Cet amour pour le Christ est ta condamnation, reprit Aurélien. Mais pourquoi te laisser abuser par de fausses croyances ?
– C’est votre religion qui est menteuse, tandis que ma foi repose sur la vérité. J’adore un seul Dieu qui nous a créés à son image. J’adore et je confesse Jésus-Christ, Fils éternel du Père, qui s’est fait homme pour nous sauver…
– Et c’est ainsi que tu respectes nos décrets, qui ordonnent de n’adorer que les dieux de l’empire ?
– Ces dieux sont l’ouvrage de vos mains. Ils périront et leurs adorateurs avec eux. Brûlez ces vains simulacres, inventions du démon, qui, par ce culte insensé, veut s’attacher vos cœurs. Pour moi, je rends tout honneur et toute gloire au Dieu de vérité, à Jésus-Christ, qui donne la vie éternelle.
– Mais, malheureuse enfant ! préférerez-vous ces illusions aux douces joies que peuvent vous procurer votre jeunesse et votre illustre naissance ? Devenez fidèle à nos dieux, et vous verrez les plus hauts dignitaires de ma cour se disputer votre main.
La vierge prudente ne voulut pas écouter davantage le serpent séducteur.
– Les exemples de mon Jésus m’apprennent à mépriser vos offres dangereuses, dit-elle à l’empereur. Pourrais-je quitter un époux divin pour en prendre un mortel ? Non, je ne serai pas assez folle pour échanger les joies de l’éternité contre un plaisir d’un jour. Vous qui voulez me séduire, vous souffrirez sans fin avec Satan, votre maître, si, avant de mourir, vous ne savez pas rendre témoignage à la vérité.
– Voilà trop de paroles ! Sacrifie aux dieux où je te fais déshonorer et périr dans les flammes.
– Dieu est bon et puissant ; il m’accordera d’aller, vierge encore, au martyre.
Un rire ironique accueillit ces paroles, et Colombe fut sur-le-champ enfermée dans une des cages de l’amphithéâtre. Ce lieu de spectacle, de forme elliptique, se trouvait à l’endroit appelé depuis « le Clos des Arènes ».
Un ours sert Dieu contre les impies.
Aurélien, cependant, avait abandonné la captive aux violences d’un jeune débauché. Colombe était en prière quand celui-ci entra dans la prison. La vierge l’arrêta d’un seul de ses regards, où brillait encore un rayon de la grandeur et de la majesté divines puisées dans l’oraison.
Revenu de sa stupeur, le coupable s’avance, mais Colombe se rejette en arrière en invoquant le nom de Jésus. Aussitôt, un ours apparaît entre la victime et son persécuteur ; l’animal terrasse ce dernier et lève son regard vers la prisonnière, comme pour la prier de fixer le sort de son bourreau.
– Au nom de celui qui t’a envoyé pour sauver ma virginité, lui dit la servante du Christ, épargne un instant ce coupable.
Puis, s’adressant au jeune homme :
– Comprenez la puissance et la bonté de Jésus-Christ, qui m’envoie cet animal pour m’arracher à vos outrages. Ouvrez les yeux à la vérité, dites sincèrement : « Je suis chrétien », sinon vous deviendrez la proie de cette bête féroce.
La crainte, le miracle, et sans doute aussi les vœux secrets de la vierge avaient changé l’âme du criminel.
– Je suis chrétien ! dit-il en implorant le pardon de Colombe ; je suis chrétien !
A peine délivré, il publie dans la ville ce qui lui est arrivé, et répète sans fin :
– Le Dieu des chrétiens est le seul et vrai Dieu.
Le prodige, loin d’apaiser Aurélien, ne fît que l’exaspérer davantage.
– Qu’on fasse périr cette magicienne dans les flammes ! s’écria-t-il en fureur.
On vint donc chercher Colombe pour la conduire au bûcher. Mais l’ours était là, couché devant la porte, prêt à bondir sur le premier qui entrerait dans le cachot.
Du reste, les exécuteurs de l’ordre impérial se réjouissaient de cet obstacle. Le visage de Colombe, si doux, si calme, si plein de majesté, les avait touchés, et la protection visible dont elle avait été entourée jusque-là leur faisait craindre d’attirer sur leur tête la colère du Dieu tout-puissant, qui mettait les bêtes féroces au service des siens.
Sainte Colombe et l’ours dans les flammes.
On rapporta donc à l’empereur que l’ours défendait la condamnée, sans qu’il fût possible d’en approcher. Aurélien ne voulut rien entendre.
– Qu’elle meure, répondit-il, ou je saurai bien vous faire périr tous avec elle.
Les bourreaux se laissèrent effrayer par la menace d’un homme. Ils entourèrent de bois la cage où Colombe, à genoux, priait toujours, et bientôt ils y mirent le feu.
En voyant les flammes s’approcher et grandir, l’ours, effrayé, léchait les mains de Colombe, et semblait, par des cris, lui demander de l’arracher à la mort. D’un signe de croix, la vierge lui ouvre un passage au milieu du bûcher : l’animal s’y précipite, joyeux. La foule effarée le laisse passer et le voit s’enfoncer dans les forêts voisines.
Bientôt, d’un ciel pur et serein, descendent des torrents de pluie, et, comme autrefois Daniel et ses compagnons, Colombe, plus belle que jamais, reparaît, triomphante et sans blessure, au milieu de la fournaise éteinte.
Comment retracer la joie et l’enthousiasme du peuple en cet heureux moment ? « Je suis chrétien ! criait-on de toutes parts. Brisons nos faux dieux ! et mourons pour le Christ avec la bienheureuse Colombe ! »
Aurélien condamne à mort sainte Colombe.
Ceux qui connaissaient Aurélien savaient que, malgré tout, les chrétiens ne pourraient trouver grâce devant lui. En effet, à peine eut-il appris que Colombe avait échappé au feu, qu’il se la fit amener de nouveau.
– De quels artifices te sers-tu, lui cria-t-il, pour échapper à tous les châtiments qu’on te prépare ?
– Le bras victorieux de Jésus-Christ seul m’a protégée contre tes outrages et ta cruauté.
– Et tu pousses l’insolence jusqu’à insulter l’empereur ! mais cette fois rien ne saurait t’arracher de mes mains. Licteurs, déliez vos faisceaux. Flagellez cette impie, déchirez-la avec des ongles de fer, et quand son corps ne sera plus qu’une plaie, allez la décapiter.
Une céleste joie brilla dans les yeux de la vierge, mais par pitié pour son persécuteur elle lui laissa ces dernières paroles :
– Je ne crains pas la mort. Mais je tremble en pensant à la sentence qui frappera les maudits au dernier jour. Tu seras de ces maudits, si tu n’expies pas tes crimes dans la pénitence.
Mais Aurélien resta insensible. Bien des martyrs avaient déjà fait retentir de semblables menaces à ses oreilles, et il en était venu à les mépriser. Aussi la sentence ne fut-elle pas changée ; Colombe fut donc conduite au supplice.
Les joies du martyre.
On l’étendit sur le chevalet : on lui déchira les chairs avec des ongles de fer, on la flagella jusqu’au sang, mais la généreuse martyre n’était pas sur la terre, son esprit était fixé au ciel. Pas une plainte ne sortit de ses lèvres, pas une larme ne coula de ses yeux.
Cependant, las de frapper, les bourreaux entraînèrent leur victime hors des murs de Sens, au nord du village de Saint-Clément, jusqu’à la fontaine d’Azon. La prière de la vierge durait encore quand on y arriva. Colombe demanda quelques instants pour l’achever. Les exécuteurs les lui refusèrent d’abord. Ils avaient hâte d’en finir avec leur hideuse mission de meurtriers d’une innocente. Mais la cupidité leur fit vaincre cette répugnance. La vierge se dépouilla du riche manteau dont elle s’était parée pour aller à Jésus-Christ, son Epoux.
– Prenez, leur dit-elle, c’est tout ce qui me reste, mais laissez-moi du moins finir mon oraison.
Et, prosternée contre terre, elle invoqua une dernière fois Celui pour qui elle allait verser son sang, puis, se relevant, elle courut présenter elle-même sa tête au glaive des soldats, et elle disait :
– Mon Dieu, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font.
Le bruit du coup fatal se mêla à ces derniers mots. C’était le 31 décembre de l’an 273 ou 274.
Des brutes rendent à des Saints l’honneur que leur refusent les hommes.
Non content d’égorger les fidèles serviteurs du Christ, Aurélien s’attaquait encore à leurs cadavres. Il voulut donc que le corps de Colombe fût abandonné en pâture aux bêtes féroces.
Le terrain sur lequel la vierge avait été immolée était la propriété du noble Aubertus, chef de la légion sénonaise. Les yeux de son âme et ceux de son corps étaient fermés à la lumière, puisqu’il était à la fois aveugle et païen.
Un jour qu’on faisait paître ses troupeaux près de la fontaine d’Azon, les esclaves aperçurent un bœuf agenouillé auprès d’un buisson ; de ses cornes s’échappait une éclatante lumière. Surpris, ils accourent et trouvent les restes de Colombe. Ils se prosternent à leur tour devant ce chaste corps, puis ils vont en toute hâte raconter le prodige à leur maître.
Tandis qu’ils parlent, la grâce divine descend dans le cœur d’Aubertus. L’esprit de lumière lui révèle l’inanité des idoles et lui inspire un ardent amour pour l’Eglise du Christ. Le nouveau converti conçoit en même temps l’espoir de recouvrer la vue par les mérites de la généreuse Colombe. Conduit auprès des restes sacrés de la vierge, il s’incline vers eux afin de les toucher, et, sur-le-champ, ses yeux s’ouvrent et sont guéris.
En reconnaissance, il fît ensevelir honorablement le corps de la Sainte dans son propre palais. Au lieu même où avaient été abandonnés les restes de la martyre, il édifia une église contiguë à la fontaine d’Azon et donna pour son entretien une vaste prairie désignée dans les anciens documents sous le nom de « Pré-Aubert ».
Popularité du culte de sainte Colombe au Moyen Age.
L’affluence des pèlerins au tombeau de sainte Colombe était devenue trop forte pour que les prêtres séculiers, attachés à l’église fondée par Aubertus, puissent suffire à les recevoir. Clotaire II, roi des Francs, y érigea, en 620, un monastère, qu’il dota en lui cédant une terre de son domaine appelé Cuy. Saint Didier, évêque d’Auxerre, et surtout saint Loup, évêque de Troyes, augmentèrent par leurs largesses les revenus de l’abbaye. Leur exemple fut imité du roi Dagobert qui commit saint Eloi à l’administration des biens du monastère.
Vers le milieu du ixe siècle, les religieux, voulant employer à la gloire de Dieu une partie des richesses de l’abbaye, remplacèrent l’antique église d’Aubertus par une basilique spacieuse qui fut consacrée en 853 par Wénilon, archevêque de Sens, et placée sous le patronage commun de sainte Colombe, de saint Loup enterré à proximité, et de sainte Croix. Le lendemain, les corps de sainte Colombe et de saint Loup furent tirés de la crypte où ils étaient enfermés, pour être placés dans un lieu plus accessible. C’est dans cette abbaye que reçut une sépulture le dernier des compétiteurs de Charles le Simple, Raoul, duc de Bourgogne, mort à Auxerre en 936. Il lui avait fait don de sa propre couronne et l’avait enrichie de terres et de toutes sortes de présents.
Pendant son séjour dans la province de Sens, saint Pierre Damien († 1072) vint en pèlerinage au tombeau de sainte Colombe, et l’on relève dans ses œuvres le panégyrique de la Sainte qu’il prononça, sans doute, à cette occasion.
Au xiie siècle, la basilique de Sainte-Colombe fut reconstruite pour la troisième fois et consacrée par le Pape Alexandre III le 26 avril 1164. L’affluence des pèlerins fut telle qu’on en compta ce jour-là trente mille. Arrivé à Sens à la fin septembre 1163, le Pontife y prolongea son séjour jusqu’en avril 1165. C’est à la même époque qu’on note la venue en ce lieu célèbre de saint Thomas Becket, archevêque de Cantorbéry, obligé de se réfugier en France pour échapper aux coups du roi d’Angleterre, Henri II.
Comme tant d’autres reliques vénérées de nos ancêtres médiévaux, celles de sainte Colombe ont été dispersées au xvie siècle par la tourmente protestante. Néanmoins, le souvenir de la glorieuse victime d’Aurélien est toujours vivace non seulement à Sens, mais encore dans plus de trente paroisses de France qui l’ont choisie pour patronne. La fête se célèbre, le 28 juillet, à Sens, sous le rite double de deuxième classe, et le 31 décembre, à Meaux et à Lyon.
Dans les œuvres d’art populaire on donne pour attributs à sainte Colombe un ange, un bûcher, une colombe, une couronne, un ours.
A. L.
Sources consultées. – Mgr Paul Guérin, Les Petits Bollandistes (Paris, 1897). – Chanoine Blondel, Vie des Saints du diocèse de Sens et Auxerre (Sens et Auxerre, 1885). – (V. S. B. P., n° 203.)