Bienheureuse Angèle de Foligno

La chasse des reliques de sainte Angèle dans l'église saint François, à Foligno

Veuve, Tertiaire Franciscaine (1248–1309), mys­tique, qui enten­dit Notre-​Seigneur lui dire : « Ce n’est pas pour rire que je t’ai aimée ! ». Fête le 4 janvier.

Version courte

Sainte Angèle naquit à Foligno, à trois lieues d’Assise. Mariée fort jeune, elle ne prit point au sérieux ses devoirs d’é­pouse et de mère, et elle connut trop, avec les plai­sirs du monde, ses excès et ses désordres. Mais sou­dain, au milieu du tour­billon qui l’emportait, Angèle sen­tit l’ai­guillon de la grâce, vit l’i­nu­ti­li­té de sa vie mon­daine et dis­si­pée, et com­prit les dan­gers que cou­rait son salut. L’ennemi des âmes ten­ta en vain d’en­tra­ver sa conver­sion ; une fois sa confes­sion faite, elle s’é­lan­ça géné­reu­se­ment dans la voie de la perfection.

Devenue libre par la mort de son mari, elle entra dans le Tiers-​Ordre de Saint-​François. Sa vie dès lors fut rem­plie de sacri­fices et d’aus­té­ri­tés. Un jour qu’elle était ten­tée de décou­ra­ge­ment : « Quand il serait vrai, Seigneur, dit-​elle, que Vous m’au­riez condam­née à l’en­fer que je mérite, je ne ces­se­rais de faire péni­tence et de demeu­rer, s’il Vous plaît, à Votre ser­vice. » Une fois, après avoir lavé les pieds d’un lépreux, elle pro­po­sa à sa com­pagne de boire l’eau qui leur avait ser­vi. Surmontant toute déli­ca­tesse, elle ava­la toute cette eau fétide : « Je n’ai jamais, disait-​elle, trou­vé meilleur goût à aucune liqueur, et cepen­dant j’a­vais bien sen­ti dans ma bouche les écailles qui étaient tom­bées des mains de ce pauvre. »

Sa grande grâce fut l’a­mour de Jésus cru­ci­fié. La contem­pla­tion des souf­frances du Sauveur lui devint si fami­lière, que la vue d’un cru­ci­fix pro­vo­quait spon­ta­né­ment chez elle des tor­rents de larmes : « Quand je médi­tais sur la Passion, dit-​elle, je souf­frais le sup­plice de la Compassion ; j’é­prou­vais dans les os et les join­tures une dou­leur épou­van­table et une sen­sa­tion comme si j’a­vais été trans­per­cée corps et âme. » Cette grande péni­tente ne fut pas moins admi­rable par ses visions, ses écrits et ses extases que par ses vertus.

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’an­née, Tours, Mame, 1950

Version longue

En abor­dant la bien­heu­reuse Angèle de Foligno, la sainte Thérèse de l’Italie, nous devons tout d’abord aver­tir le lec­teur qu’il ne s’attende point à trou­ver ici une de ces vies mesu­rées, régu­lières, dont il puisse étu­dier ou connaître les détails.

Cette vie a été long­temps mal connue. Pendant six siècles, ce qu’on a pris pour les œuvres de sainte Angèle n’était qu’un recueil de dis­cours spi­ri­tuels agen­cés par « un faus­saire du xve siècle qui ne crai­gnit pas de faire subir au dos­sier ori­gi­nal les plus auda­cieuses muti­la­tions ». Ernest Hello, uti­li­sant ce texte infi­dèle, publiait, en 1868, une Vie de la bien­heu­reuse Angèle de Foligno d’un magni­fique effet, mais toute fantaisiste.

Depuis 1925, les docu­ments ori­gi­naux ont été retrou­vés dans les plus anciens manus­crits d’Assise, de Rome et de Subiaco, et édi­tés et tra­duits avec un grand soin.

Désormais, on connaît admi­ra­ble­ment, non seule­ment la doc­trine, mais la vie et les phases mys­tiques de cette âme d’abord péche­resse, et qui, reve­nue par­fai­te­ment à Dieu, finit par s’élever aux plus éblouis­sants som­mets de l’amour divin.

Angèle a expé­ri­men­té, et par elle nous voyons, com­ment Notre-​Seigneur réa­lise cette pro­messe : « Si quelqu’un m’aime, il gar­de­ra mon ser­mon et mon Père l’aimera, et nous vien­drons à lui et ferons chez lui notre demeure ». Et encore : « Qui m’aime, je me mani­fes­te­rai moi-​même à lui. »

Vie de désordre. – Conversion.

Angèle naquit à Foligno, petite ville située à trois lieues d’Assise, vers l’an 1248. Ses parents, très riches et pro­ba­ble­ment nobles, la marièrent jeune. Elle eut plu­sieurs fils, mais vrai­sem­bla­ble­ment elle ne prit point au sérieux ses obli­ga­tions d’épouse et de mère. D’un cœur pas­sion­né et d’un tem­pé­ra­ment sen­suel ; pous­sée à la vie mon­daine par une mère fri­vole ; non rete­nue par un mari viveur qui la laisse sans affec­tion, elle tombe bien­tôt dans des désordres honteux.

Angèle avait envi­ron trente-​sept ans, lorsque, vers 1285, au milieu du tour­billon qui l’emportait, elle sen­tit l’emprise de la grâce ; la peur de la dam­na­tion la sai­sit. Elle vou­lut en finir avec ces vile­nies et recou­rut aux sacre­ments. Elle se confes­sa, mais elle le fit mal ; la honte de ses péchés lui fer­ma la bouche sur les plus énormes, et ain­si, dou­ble­ment sacri­lège, elle osa communier.

Dieu, qui vou­lait sau­ver cette âme comme mal­gré elle, lui envoya de cruels remords ; nuit et jour sa conscience la tor­tu­rait. Elle sup­plia le ciel de lui faire trou­ver un confes­seur éclai­ré, dans lequel elle pût mettre toute sa confiance. Dieu lui fit encore cette grâce ines­ti­mable. Une nuit qu’elle priait saint François d’Assise, ce der­nier lui appa­rut et lui dit : « Sœur, si tu m’avais prié plus tôt, plus tôt je t’aurais exau­cée ; mais ce que tu demandes t’est accor­dé. » Le matin elle alla entendre la messe en l’église dédiée au même Saint, puis en reve­nant elle entra à la cathé­drale Saint-​Félicien ; là, elle ren­con­tra un reli­gieux Franciscain, Fr. Arnaud, son parent à qui elle fit sur-​le-​champ une confes­sion inté­grale. C’est ce Fr. Arnaud qui, témoin des mer­veilles que la grâce opé­rait dans cette âme repen­tie, l’obligea à révé­ler quelques-​unes des faveurs dont elle était gra­ti­fiée. Ces révé­la­tions, écrites par Arnaud lui-​même, et sous la dic­tée d’Angèle, portent le cachet d’une sin­cé­ri­té indéniable.

Changement de vie.

Au début de sa conver­sion, Angèle fut presque entiè­re­ment pri­vée des conso­la­tions sen­sibles que Notre-​Seigneur met sou­vent au bord de cette coupe de sa Passion, où il abreuve ensuite ses plus fidèles amis. Le sou­ve­nir des fautes pas­sées obsé­dait la pauvre femme et la rem­plis­sait de honte et d’amertume, mais nul amour n’enflammait son cœur. Cette pri­va­tion ne décon­cer­ta pas son éner­gique réso­lu­tion. La péche­resse repen­tie devait pei­ner et souf­frir pen­dant cinq ans et demi avant de pou­voir sus­ci­ter en elle-​même un grand feu d’amour de Dieu. Elle se plon­gea dans la médi­ta­tion des dou­leurs du Christ ; elle s’offrit toute à lui et fit le vœu de chas­te­té per­pé­tuelle. Impérieusement atti­rée par la pau­vre­té, elle dis­tri­bua aux pauvres ses vête­ments de prix. Elle vou­lut se dépouiller encore davan­tage, mais sa famille se dres­sa devant elle, l’accabla d’affronts et d’insultes. Et voi­ci que coup sur coup mou­rurent sa mère, son mari et tous ses fils ; ces deuils fou­droyants la frap­pèrent d’une dou­leur atroce, mais elle avoue qu’une joie sur­na­tu­relle lui fut don­née en compensation.

Pour s’attacher davan­tage à Dieu, elle vou­lait se défaire de tous ses biens, vivre pauvre et men­dier ; mais ses conseillers reli­gieux et son confes­seur lui-​même l’en détour­naient, lui repré­sen­tant les dan­gers d’une telle vie pour une femme encore jeune. Par contre, les visions du Crucifié se mul­ti­pliaient ; mon­trant ses plaies, Notre-​Seigneur lui disait : « J’ai souf­fert tout cela pour toi. Que peux-​tu donc faire qui te suf­fise ? » Elle fit un pèle­ri­nage à Rome pour obte­nir de saint Pierre la pau­vre­té abso­lue. A son retour, mal­gré toutes les oppo­si­tions et toutes les ava­nies, elle ven­dit son prin­ci­pal domaine et en dis­tri­bua le prix aux pauvres. Dès lors, l’un après l’autre ses biens s’en allèrent aux mains des misé­reux, et elle vécut en recluse dans sa mai­son, avec une de ses ser­vantes, Marie, « âme très simple et grande amie de Dieu », dont elle fit sa com­pagne assi­due et sa confidente.

Tertiaire. – Voyage à Assise.

Vers 1290–1291, Angèle entra dans le Tiers-​Ordre de Saint-​François et sa dévo­tion la por­ta bien­tôt à entre­prendre le pèle­ri­nage au tom­beau du Saint dont elle venait d’embrasser la règle.

Un soir, alors qu’il lui res­tait encore quelque bien à don­ner, elle était en prière et il lui sem­blait ne pas sen­tir Dieu ; elle se lamen­tait : « Seigneur, tout ce que je fais, je le fais pour vous trou­ver. Vous trouverai-​je quand je l’aurai par­fait ? – Que veux-​tu ? – Je ne veux ni or ni argent. Et si vous me don­niez le monde entier, je ne vou­drais encore que vous. – Dépêche-​toi, car aus­si­tôt que tu auras fait ce que tu fais, toute la Trinité vien­dra en toi. »

A quelque temps de là, par un beau jour d’avril 1291, elle mon­tait à Assise avec Marie sa com­pagne, en priant le long du che­min ; après avoir dépas­sé Spello, elle arri­vait près d’une petite cha­pelle dédiée à la Sainte Trinité, lorsque la Trinité se mani­fes­ta à elle et l’accompagna dans son pèle­ri­nage, conver­sant avec elle ten­dre­ment. La vision disait : « Je suis l’Esprit-Saint, tu es ma fille, mon temple, mes délices… Tu as prié mon ser­vi­teur François, et parce que mon ser­vi­teur François m’a beau­coup aimé, j’ai agi beau­coup en lui ; mais si quelque autre m’aimait plus que François, j’agirais encore plus en lui. » Elle enten­dit encore ces mots : « C’est moi qui fus cru­ci­fié pour toi, et j’eus faim et soif pour toi, et répan­dis mon sang pour toi, tant je t’aimai… Voici l’anneau de mon amour, car désor­mais tu es ma fian­cée. Reçois la béné­dic­tion du Père, du Fils et du Saint-​Esprit, toi et ta compagne ! »

Pendant tout ce temps, elle goû­ta une dou­ceur infi­nie ; mais dans l’après-midi, au moment où pour la seconde fois elle entre à l’église Saint-​François, la vision la quitte et dis­pa­rait len­te­ment. La pauvre femme tombe à terre, sur le seuil, en pous­sant des cris inar­ti­cu­lés, essayant de dire : « Amour incon­nu, pour­quoi me quittes-​tu ? Et pour­quoi ? Et pour­quoi ? » On s’ameute, on l’entoure, on la croit atteinte du haut-​mal ou pos­sé­dée du démon, et quand elle se relève, la « crise » ter­mi­née, on la chasse et on lui enjoint de ne plus jamais revenir.

Lorsque, quelques jours plus tard, son confes­seur lui deman­da ce qu’elle avait vu alors, elle ne put répondre que ceci : « Je vis chose pleine, majes­té immense, que je ne sais dire. Mais il me semble que c’était le Tout Bien. »

Revenue dans sa mai­son, Angèle y éprou­va une dou­ceur si grande qu’elle demeu­ra huit jours, gisante en lan­gueur et ravis­se­ment. Sa com­pagne, s’alarmant de la voir ain­si, enten­dit une voix lui dire à trois reprises : « L’Esprit-Saint est en Lella. » Une autre fois, la ser­vante vit une petite étoile toute ronde et res­plen­dis­sante, dont les rayons innom­brables, sor­tant de la poi­trine d’Angèle, remon­taient vers le ciel.

Sa com­pagne vit un jour sur sainte Angèle endor­mie une brillante étoile.

Combats et épreuves.

Dieu le per­met­tant ain­si pour le plus grand bien de son humble « fian­cée », celle-​ci eut à subir de ter­ribles assauts de la part du démon. Obscurités, doutes plus cruels encore sur les points essen­tiels de la foi, sombre déses­poir qui sem­blait lui fer­mer la porte du ciel, ten­ta­tions contre la chas­te­té, mala­dies étranges qui cru­ci­fiaient cha­cun de ses membres, per­sé­cu­tions, Angèle subit, pen­dant deux ans, de pro­fondes ago­nies. Elle en arri­va même à se per­sua­der qu’elle était pos­sé­dée du démon.

Un jour que son déses­poir était plus pro­fond, elle dit à Dieu : « Quand il serait vrai, Seigneur, que vous m’auriez condam­née à l’enfer que je mérite, je ne lais­se­rais pas que de faire péni­tence et de demeu­rer, s’il vous plaît, à votre service ! »

Ces épreuves ne la détour­nèrent pas, en effet, de ses exer­cices de pié­té, non plus que de sa cha­ri­té envers les pauvres et les malades. Elle aimait à se rendre à un hôpi­tal voi­sin de la ville, où l’on rece­vait les lépreux.

Un jour de Jeudi-​Saint, elle dit à sa com­pagne : « Allons à l’hôpital et peut-​être trouverons-​nous le Christ par­mi ces pauvres et ces affli­gés. » Elles dis­tri­buent à ces mal­heu­reux tout le pain qu’elles ont men­dié ; elles lavent les pieds des femmes, les mains des hommes, en par­ti­cu­lier celles d’un lépreux qui les avait fort abî­mées et même pour­ries. « Nous bûmes de cette eau, dit-​elle, et nous sen­tîmes telle dou­ceur comme si nous avions communié. »

Ses récompenses.

Un tel héroïsme, de si hautes ver­tus ne pou­vaient man­quer de tou­cher le Cœur de celui dont la sagesse mesure les épreuves d’une âme aux degrés de sain­te­té où il a des­sein de l’élever. Il ordon­na au démon de lais­ser en paix sa ser­vante fidèle. Pendant l’été de 1298, Angèle reçoit la cer­ti­tude que c’est réel­le­ment Dieu qui est pré­sent et qui agit en elle, et « le monde entier se levât-​il pour la contre­dire, elle se rirait de lui ». Parfois, obs­cu­ri­tés et angoisses revien­dront cepen­dant inter­rompre ces clar­tés divines, mais à par­tir de 1296, lors d’un nou­veau pèle­ri­nage à Assise où elle reste dix jours, elle entre dans la plé­ni­tude de l’amour. Dieu la favo­ri­sa du don d’oraison et de paix si consi­dé­rable, qu’elle vivait presque conti­nuel­le­ment ravie en Dieu.

Ces joies intimes et si mer­veilleuses avaient sou­vent au dehors leur rejaillis­se­ment. Quelquefois, on la voyait res­plen­dis­sante de clar­tés célestes : ses yeux dila­tés et immo­biles brillaient comme des flam­beaux, et par­fois cette joie durait plu­sieurs jours.

Souvent, pen­dant la messe, Notre-​Seigneur se mon­trait à ses yeux sous la forme d’un enfant de douze ans. Chacune de ces visions exci­tait en elle de tels trans­ports que, mal­gré la sain­te­té du lieu ou du moment, elle les mani­fes­tait par des cris, des larmes et des extases prolongées.

Voici un fait déli­cieux entre tant d’autres : Un matin, en la fête de la Purification, tan­dis qu’elle était à l’église des Franciscains de Foligno, au moment de la dis­tri­bu­tion des cierges, elle enten­dit cette parole : « C’est l’heure où Notre-​Dame vint avec son Fils au Temple. » Aussitôt ravie en extase, elle voit arri­ver la Vierge Marie qui pose en ses bras son Fils endor­mi. Angèle le serre sur son cœur, l’embrasse avec amour ; l’Enfant ouvre les yeux, la regarde, et par ce regard la rem­plit d’un bon­heur ineffable.

Sa connaissance de la Passion du Sauveur.

La contem­pla­tion des souf­frances du Sauveur lui devint tout à fait fami­lière. Elle aimait à dire que ceux qui étaient affli­gés et souf­frants étaient assis à la table même de Jésus-Christ.

La vue d’un Crucifix la brû­lait de fièvre, la plon­geait dans une si grande tris­tesse, pro­vo­quait tant de larmes, que sa com­pagne avait soin de voi­ler cette sainte image. « Si quelqu’un, disait Angèle, me racon­tait la Passion telle qu’elle fut, je lui dirais : C’est donc toi qui l’as soufferte ! »

« Quand je médi­tais sur la Passion, disait-​elle encore, je sen­tais le sup­plice de la com­pas­sion ; j’éprouvais, dans les os et les join­tures, une dou­leur épou­van­table et la sen­sa­tion d’a­voir été trans­per­cée tout entière, corps et âme. Je voyais le Sauveur, dont la chair fut empor­tée par les clous jusque dans le bois de la croix ; et au pied de cette croix, à la place de ser­vi­teurs dévoués, le diable s’in­gé­niant à rendre le sup­plice plus cruel, et ins­pi­rant aux bour­reaux de refu­ser la goutte d’eau que Jésus deman­dait en criant. »

Expliquant une autre fois la prière suprême du Sauveur sur la croix, elle disait : « A cause du crime sans nom, à cause du déi­cide, peut-​être Dieu le Père allait-​il dam­ner le genre humain, comme il reje­tait le peuple juif, si Jésus, oubliant toute autre dou­leur, n’eût crié : Mon Père, pardonnez-​leur, car ils ne savent ce qu’ils font ! » « Et cepen­dant, concluait-​elle avec amer­tume, quel est l’homme qui répond à cet amour sans mesure ? »

La crise franciscaine.

A cette époque, des épreuves ter­ribles fon­dirent sur l’Ordre fran­cis­cain. Il y eut d’abord la lutte pour l’indulgence de la Portioncule, Boniface VIII ayant dû rap­pe­ler aux évêques que, confor­mé­ment au IVème Concile de Latran, toute indul­gence accor­dée par eux est nulle si elle excède qua­rante jours, il se trou­va des esprits mal­veillants pour déchaî­ner des attaques furieuses contre celle de la Portioncule. Cette der­nière faveur, accor­dée par un Pape, n’était pas en cause ; les Franciscains s’employèrent à le démon­trer et ils don­nèrent au célèbre par­don encore plus de solen­ni­té et d’éclat. C’est au milieu de ces dis­putes, en l’année jubi­laire 1300, qu’Angèle de Foligno, fai­sant vio­lence à ses infir­mi­tés qui l’empêchaient de se mou­voir, se traî­na à Assise le 1er août pour gagner l’indulgence avec la foule innom­brable et les nom­breux Franciscains et Tertiaires qui la regar­daient comme leur guide et comme leur mère.

Un conflit autre­ment grave divi­sait les fils de saint François eux-​mêmes : la que­relle des Spirituels et des Conventuels. Les pre­miers s’en tenaient au sens strict de la règle : dénu­ment abso­lu, obli­ga­tion de vivre d’aumônes, au jour le jour ; les seconds, à qui l’autorité ecclé­sias­tique devait don­ner rai­son en fin de compte et pour des motifs dont elle seule était juge, admet­taient, en rai­son du déve­lop­pe­ment de l’œuvre et de la néces­si­té d’une rési­dence, sinon la pro­prié­té, du moins la pos­ses­sion d’immeubles et des choses néces­saires à la vie ; ils trai­taient trop faci­le­ment de rebelles et d’illuminés les Spirituels, qui à leur tour accu­saient de relâ­che­ment les Conventuels.

Angèle se trou­va impli­quée dans ces luttes dou­lou­reuses. Son âme géné­reuse n’avait pas consen­ti ses héroïques sacri­fices pour vivre dans la médio­cri­té : elle vou­lait la fidé­li­té sans glose à toute la règle, l’imitation pas­sion­née de son Père saint François. Sans aucune hési­ta­tion elle est avec les Spirituels. Mais si elle entre­tient la fer­veur par­mi ses dis­ciples, elle s’efforce de les tenir à l’é­cart de ces que­relles ; elle réprime les outrances des exal­tés ; à ceux qui croient ser­vir l’idéal fran­cis­cain par leur dia­tribes impé­tueuses, elle apprend que c’est en triom­phant d’eux-mêmes et de leur chair qu’ils com­battront effi­ca­ce­ment le relâ­che­ment et res­tau­re­ront le res­pect de la règle.

Les admi­rables lettres, ensei­gne­ments et sou­ve­nirs qui forment la seconde par­tie de ses œuvres témoignent de l’heu­reuse influence qu’elle exer­ça pen­dant les treize der­nières années de son magis­tère spi­ri­tuel, pour le plus grand bien de l’Ordre fran­cis­cain tout entier.

La bienheureuse mort.

Vers le début de sa mala­die, en la fête de saint Michel, le 29 sep­tembre 1308, comme elle dési­rait beau­coup com­mu­nier et qu’il n’y avait per­sonne pour lui appor­ter le corps sacré du Christ, son âme fut subi­te­ment ravie et une mul­ti­tude d’anges la condui­sirent à un autel en lui disant : « En Celui qui est sur l’autel, se trouve la per­fec­tion et le com­plé­ment du sacri­fice que tu cherches. Prépare-​toi à rece­voir Celui qui te fian­ça par l’anneau de son amour. »

Dès lors, bri­sée par l’infirmité et absor­bée en l’abîme de la divine Infinité, elle ne par­lait plus que par phrases rares et entrecoupées.

En la fête de la Nativité, elle dit : « Le Verbe s’est fait chair… Oh ! toute créa­ture défaille ! Oh ! toute l’intelligence angé­lique ne suf­fit pas… à com­prendre ! » Puis elle dit : « Oh ! voi­ci mon Dieu qui m’a fait la pro­messe ! Car le Christ son Fils vient de me pré­sen­ter au Père »

Une autre fois, repre­nant les tendres paroles de Notre-​Seigneur à la veille de souf­frir, elle dit aux nom­breux Frères qui l’entouraient : « O mes petits enfants, efforcez-​vous de vous aimer les uns les autres et d’avoir cette cha­ri­té divine en véri­té… Je ne fais d’autre tes­ta­ment sinon que je vous recom­mande cette mutuelle dilec­tion ; et je vous laisse tout mon héri­tage, savoir, la vie du Christ, pau­vre­té, dou­leur, mépris. »

Puis, posant sa main sur la tête de cha­cun d’eux, elle les bénit, en disant : « O mon Dieu, je vous les confie encore de nou­veau pour que vous les gar­diez et conser­viez de tout mal. »

Elle leur dit encore : « Mon âme reçut davan­tage du Seigneur Dieu quand je pleu­rai et souf­fris pour les péchés du pro­chain avec tout mon cœur, que quand je pleu­rais mes péchés. Et, en véri­té, il n’est cha­ri­té plus grande sur terre que de pleu­rer les péchés du pro­chain… O mes petits enfants, efforcez-​vous d’avoir cette charité… ! »

Une autre fois, elle dit que son âme fut sub­mer­gée par le sang du Christ qui était chaud comme s’il sor­tait du corps du Christ cru­ci­fié, et qu’elle enten­dit cette parole : « C’est cela qui te purifie. »

« O mes petits enfants, dit-​elle une autre fois, efforcez-​vous d’être petits ! » Puis elle s’écria d’une voix forte : « O néant incon­nu ! O néant incon­nu ! En véri­té, l’âme ne peut avoir meilleure vision en ce monde que de voir son néant et se tenir en sa prison. »

La veille de sa mort, elle fit à plu­sieurs reprises cette prière : « Père, en tes mains je confie mon âme et mon esprit ! »

A par­tir de ce moment, toutes ses dou­leurs ces­sèrent ; elle jouit d’une grande quié­tude, anti­ci­pa­tion du ciel. Elle s’endormit ain­si, dou­ce­ment, le same­di 4 jan­vier 1309, après Complies, en l’octave des Saints Innocents. Elle avait soixante et un ans. Elle fut enter­rée dans une cha­pelle de l’église des Franciscains de Foligno, où ses reliques sont encore aujourd’hui en grande vénération.

Le culte. – Les œuvres.

Considérée comme une Sainte par ses contem­po­rains, Angèle fut nom­mée « Bienheureuse » par la voix publique dès le jour de sa mort et elle devint bien vite l’objet d’un culte que l’Eglise ne ces­sa d’approuver. Le Pape Innocent XII l’autorisa en 1693 ; en 1701, Clément XI lui don­nait un office propre et, en 1709, il l’élevait au rite double majeur. En 1911, la réforme de Pie X, en repor­tant au 4 jan­vier sa fête qui se célé­brait le 31 mars chez les Franciscains, sanc­tion­na défi­ni­ti­ve­ment cette tradition.

Par ses écrits, Angèle de Foligno prend place au pre­mier rang des grandes mys­tiques catho­liques. L’examen le plus sévère a démon­tré com­bien sa doc­trine est saine et ortho­doxe ; elle n’a ces­sé de rece­voir les plus illustres suf­frages. Saint François de Sales, Bossuet, Fénelon, invoquent son auto­ri­té ; saint Alphonse de Liguori et Benoît XIV la vénèrent à l’égal de sainte Thérèse et des plus grands mys­tiques, et cepen­dant ils n’ont pas connu ses écrits dans leur inté­gri­té. Dans ces docu­ments authen­tiques eux-​mêmes, le pauvre Fr. Arnaud, qui essayait d’exprimer en un lan­gage humain les splen­deurs des mani­fes­ta­tions divines, se lamente d’être seule­ment « un tamis ou un crible qui ne peut rete­nir la farine et ne garde que le gruau et le son ».

A. E. A.

Sources consul­tées. – P. Paul Doncoeur, Le livre de la bien­heu­reuse Sœur Angèle de Foligno, du Tiers-​Ordre de Saint-​François, docu­ments ori­gi­naux (Paris, 1926). – Abbé M.-J. Ferré, Sainte Angèle de Foligno, œuvres (Paris, 1927) ; La spi­ri­tua­li­té de sainte Angèle de Foligno (Paris, 1928). – (V. S. B. P., n° 307.)