Saint Jean Chrysostome

Saint Jean Chrysostome et l'Impératrice Eudoxie, par Jean Paul Laurens, 1893. Musée des Augustins de Toulouse

Patriarche de Constantinople, Docteur de l’Eglise (344?-407)

Fête le 27 janvier.

Jean, que son incom­pa­rable élo­quence devait faire sur­nom­mer Chrysostome, c’est-à-dire Bouche d’or, naquit à Antioche, le 14 jan­vier, entre 344 et 347, de parents chré­tiens et de noble condi­tion. Le père, appe­lé Second, offi­cier dis­tin­gué de l’armée de Syrie, mou­rut pré­ma­tu­ré­ment, lais­sant dans les larmes sa jeune femme Anthusa et son unique enfant Jean, à peine sor­ti du berceau.

Veuve à l’âge de vingt ans, riche des dons de la nature et des grâces de la ver­tu, Anthusa refu­sa de convo­ler en de nou­velles noces, pour se consa­crer au ser­vice de Dieu, à l’éducation de son fils et à la mémoire de son mari. Le fameux rhé­teur païen Libanius d’Antioche, le plus célèbre pro­fes­seur des belles-​lettres de son siècle, ne put s’empêcher de dire un jour, en par­lant d’elle : « Quelles femmes il y a par­mi les chrétiens ! »

Confié à ce maître, Jean dépas­sa tous ses condis­ciples. Il reçut aus­si des leçons de phi­lo­so­phie d’Andragatius ; et, à vingt ans, il débu­ta dans la car­rière du bar­reau. Les dis­cours du jeune avo­cat firent l’admiration de Libanius et de tous les ama­teurs d’éloquence.

Deux amis.

Par un regret­table abus, trop fré­quent alors, Jean, quoique par­venu à l’âge adulte, n’était pas encore bap­ti­sé. Flatté par les applau­dis­se­ments du monde, séduit par des rêves de gloire humaine, il aimait les théâtres, et sa vie, que Dieu vou­lait rendre si utile à son Eglise, sem­blait devoir s’écouler dans la vanité.

Heureusement, par­mi les anciens condis­ciples du jeune ora­teur, il s’en trou­vait un, plus cher et plus intime que tous les autres, qui se nom­mait Basile : c’était un chré­tien non moins ver­tueux qu’ai­mable et ins­truit. « Vint un jour, dit Chrysostome, où Basile, ce bien­heu­reux ser­vi­teur de Jésus-​Christ, réso­lut d’embrasser la vraie phi­lo­so­phie de l’Evangile, la vie monas­tique… mais comme il était bon par excel­lence, il s’obstina à res­ter mon ami. » Peu à peu l’exemple et les exhor­ta­tions de Basile déter­mi­nèrent Jean à s’ins­truire sérieu­se­ment de la reli­gion chré­tienne, et, vers 369, le jeune avo­cat reçut le bap­tême des mains de saint Mélèce, évêque d’An­tioche.

Depuis ce jour, dit son his­to­rien Palladius, je défie qui que ce soit de prou­ver que Jean Chrysostome ait pro­non­cé une parole de blas­phème, de médi­sance ou de men­songe, se soit livré à un seul mou­vement de colère, ou ait souf­fert qu’on tînt devant lui, même sous forme de plai­san­te­rie, des pro­pos inju­rieux contre le prochain.

Malgré de si rapides pro­grès dans la ver­tu, Basile n’était pas encore satis­fait : il aurait vou­lu entraî­ner son ami à sa suite dans la voie par­faite des conseils évan­gé­liques. Après bien des résis­tances, Jean, mesu­rant la vani­té des choses de ce monde par la grande pen­sée de l’éternité, réso­lut de quit­ter Antioche pour aller se faire moine au désert. « Mais les tou­chantes ins­tances de ma mère, dit-​il, me pri­vèrent du bon­heur que Basile vou­lait me pro­curer… Elle me prit la main, me condui­sit dans son appar­te­ment, et m’ayant fait asseoir près du lit où elle m’avait don­né le jour, elle se mit à pleu­rer. Puis, en san­glo­tant, elle me dit des choses plus atten­dris­santes encore que ses larmes. Anthusa rap­pe­la au jeune homme la mort pré­ma­tu­rée de son père, tout ce qu’elle avait sacri­fié et souf­fert pour son édu­ca­tion ; elle le sup­plia enfin avec tant d’ins­tances de ne point la rendre veuve une seconde fois, en l’aban­donnant, lui, son unique conso­la­tion en ce monde, que Jean se rési­gna à se faire, pour le moment, une soli­tude dans la mai­son pater­nelle, et à ne s’engager d’abord que dans les rangs du cler­gé séculier.

Il fut ordon­né lec­teur par saint Mélèce : c’était le plus impor­tant des Ordres mineurs. Pendant trois ans, il vécut dans l’intime socié­té de ce pré­lat, modèle de dou­ceur et de patience. Mélèce s’éprit d’une grande affec­tion pour une si belle intel­li­gence, et, pré­voyant les des­ti­nées futures du nou­veau clerc, il se plai­sait à l’instruire dans les sciences sacrées. Celui-​ci aidait Mélèce dans ses tra­vaux et lui ser­vait de secré­taire. Mais, en 370, l’empereur Valens, pro­tec­teur des ariens, envoya l’évêque d’Antioche en exil. Mélèce par­tit, lais­sant le trou­peau fidèle à la garde du prêtre Flavien, Jean aida celui-​ci avec un grand zèle dans ces tristes épreuves ; il gagna même à Jésus-​Christ plu­sieurs de ses anciens condis­ciples, entre autres Maxime, qui fut plus tard évêque de Séleucie.

Jean et Basile, ces deux par­faits amis, s’encourageaient l’un l’autre dans le che­min de la sain­te­té, quand, vers 373, le bruit se répan­dit tout à coup dans Antioche que deux villes voi­sines les avaient choi­sis pour évêques. Jean, com­pre­nant tout le bien que Basile pour­rait faire à la tête d’un dio­cèse, l’envoie aus­si­tôt cher­cher ; mais lui-​même s’enfuit et se cache, pen­dant que l’on s’empare de son ami pour le sacrer évêque de Raphanée. Basile se plai­gnit vive­ment à Chrysostome de ce qu’il appe­lait sa tra­hi­son. A cette occa­sion, Jean com­po­sa son beau trai­té du Sacerdoce ; l’auteur y déve­loppe, d’une manière admi­rable, la gran­deur et les devoirs d’une si auguste fonc­tion, dont il se croyait indigne.

Moine et prêtre.

Jean venait d’échapper à l’épiscopat, mais tout fai­sait pré­sa­ger que ses admi­ra­teurs revien­draient à la charge, il n’hésita pas à cou­rir au désert. Ce n’était pour­tant pas sans craintes et sans révoltes de la nature que le fugi­tif pre­nait la cou­ra­geuse détermi­nation d’aller rejoindre les soli­taires du mont Casius. Anthusa avait-​elle cédé à ses ins­tances ? Jean ne nous en dit rien, ce qui laisse sup­po­ser que sa mère était morte lorsqu’il quit­ta Antioche, en 374 ou 375, pour se reti­rer dans les mon­tagnes encer­clant la ville.

– Je me deman­dais à moi-​même, raconte-​t-​il naï­ve­ment, com­ment je ferais pour avoir mon pain frais tous les jours ; je m’effrayais à la pen­sée qu’il me fau­drait peut-​être n’avoir d’autre huile à man­ger que celle dont on se ser­vi­rait pour ma lampe. Et com­ment me réduire à n’avoir d’autre ali­men­ta­tion que de détes­tables légumes ? On me for­ce­ra peut-​être à quelque dur tra­vail, bêcher la terre, fendre du bois, por­ter de l’eau, et toutes les viles fonc­tions d’un mercenaire.

Mais, en dépit des effrois de la nature, Jean venait embras­ser la règle reli­gieuse avec une volon­té si sin­cère, si éner­gique, si loyale, que, dès le pre­mier soir de son séjour au monas­tère, Dieu rem­plit son âme de célestes conso­la­tions. Il ne sou­hai­ta plus qu’une chose : ache­ver sa vie dans cette sainte retraite.

Nul n’a aimé la vie reli­gieuse avec autant d’enthousiasme que Chrysostome. Avec quel amour il en chante les beau­tés dans son livre inti­tu­lé : Comparaison d’un roi et d’un moine ! L’empereur Valens ayant ajou­té à tous ses crimes un décret qui ordon­nait d’en­rôler dans ses armées les moines catho­liques, Jean pro­tes­ta avec une élo­quente indi­gna­tion dans ses trois livres Contre les enne­mis de la vie monas­tique ; il décla­rait aux parents que nulle école ne valait le monas­tère pour for­mer les jeunes gens à la vie chré­tienne et sur­tout à la vie sacerdotale.

Depuis quatre ans, il était le modèle des moines du mont Casius par son assi­dui­té à la prière, à la médi­ta­tion des Ecritures, à la péni­tence et au tra­vail, quand ses frères vou­lurent le choi­sir pour abbé. Jean refu­sa et se reti­ra dans une grotte voi­sine, d’où il ne sor­tait que le dimanche. C’est là qu’il ache­va d’apprendre toute la Bible par cœur. Mais en même temps, il s’y livra à des aus­té­ri­tés au-​dessus de ses forces. Au bout de deux ans, une grave mala­die d’estomac, com­pli­quée de rhu­ma­tismes dus à l’humidité de sa caverne, l’obligea à venir se faire soi­gner à Antioche.

Dès qu’il fut un peu réta­bli, Mélèce, reve­nu de l’exil, s’empressa de l’attacher à son Eglise en lui confé­rant, en 381, l’ordre du dia­conat ; cinq ans après, l’évêque Flavien, suc­ces­seur de Mélèce, éle­vait Jean Chrysostome au sacerdoce.

Pendant douze années consé­cu­tives, le nou­veau prêtre fut l’apôtre de la ville d’Antioche. Une grande par­tie des admi­rables dis­cours qu’il nous a lais­sés, entre autres ses homé­lies sur l’Evangile de saint Matthieu et sur les Epîtres de saint Paul, datent de cette période féconde de sa vie sacerdotale.

Avec une fer­me­té et une net­te­té admi­rables, avec une richesse d’éloquence inépui­sable, avec une fougue extra­or­di­naire de lan­gage, il expo­sa tous les grands points de la morale évan­gé­lique ; il se fit l’avocat infa­ti­gable des pauvres ; il atta­qua sans fai­blesse l’orgueil, le luxe, la mol­lesse d’une socié­té fri­vole et avide de plaisirs.

La sédition de 387

L’épisode le plus connu de la pré­di­ca­tion de Chrysostome à Antioche est celui qui eut pour ori­gine la sédi­tion de 387.

A pro­pos d’un nou­vel impôt levé par l’empereur Théodose le Grand, la ville se révol­ta, mal­trai­ta les offi­ciers du prince et traî­na ses sta­tues dans la boue. Le pre­mier moment d’effervescence pas­sé, ce fut une conster­na­tion géné­rale à la pen­sée des châ­ti­ments ter­ribles par les­quels l’empereur allait punir la cité coupable.

On n’entendait par­tout que gémis­se­ments. Déjà plu­sieurs avaient été jetés en pri­son. Tous trem­blaient, beau­coup fuyaient. L’évêque Flavien par­tit pour Constantinople, afin d’aller implo­rer la clé­mence impé­riale. Mais il avait été devan­cé auprès de Théodose par les deux hauts-​commissaires Césaire et Hellébique, qui avaient reçu pleins pou­voirs pour répri­mer la sédi­tion. Les mesures de rigueur que ceux-​ci prirent, dès leur arri­vée à Antioche, furent fort dures. Ils consen­tirent, grâce à l’intervention des moines des­cen­dus des mon­tagnes envi­ron­nantes, à sus­pendre l’exécution des sen­tences capi­tales. Mais la ville rebelle n’était point pour autant déli­vrée de ses craintes. Outre que l’avenir res­tait incer­tain, Césaire et Hellébique avaient fait jeter en pri­son tous les séna­teurs qui n’avaient pas fui ; le titre de métro­pole de la pro­vince de Syrie, avec les avan­tages atta­chés à ce titre, avaient été enle­vés à Antioche et trans­fé­rés à sa rivale Laodicée. Le théâtre, le cirque et les thermes avaient été fer­més, et c’était peut-​être la pri­va­tion à laquelle les habi­tants se mon­traient le plus sensibles.

Pendant tout le temps que dura l’absence de Flavien et qui coïn­cide à peu près avec le Carême de 387, Chrysostome réunit le peuple au pied des autels et pro­non­ça sa série célèbre de 21 homé­lies, géné­ralement connues sous le nom d’Homélies sur les sta­tues, par les­quelles il sou­tint tous les cœurs dans le repen­tir et la prière, dans le calme et l’espérance. Enfin, l’évêque arri­va, por­teur du par­don de Théodose ; la foule le por­ta en triomphe.

Saint Jean Chrysostome patriarche de Constantinople.

Dans tout l’empire, on par­lait de la ver­tu et de l’éloquence du prêtre d’Antioche. L’an 397, mou­rut Nectaire, évêque de Constanti­nople, et l’on se réunit pour lui choi­sir un suc­ces­seur. A peine Eutrope, ministre de l’empereur Arcadius, eut-​il pro­non­cé le nom de Jean Chrysostome, que le cler­gé et le peuple l’acclamèrent d’une seule voix.

Restait à arra­cher à la popu­la­tion d’Antioche son pré­di­ca­teur bien-​aimé : une émeute ter­rible était à craindre ; d’autre part, com­ment vaincre les humbles résis­tances de l’élu ? On recou­rut à la ruse. Astérius, comte d’Orient, vint, sans escorte, trou­ver Jean dans sa demeure, et l’invita à l’accompagner dans une pro­me­nade aux envi­rons de la ville : il avait à l’entretenir de divers sujets. Chrysostome le sui­vit sans méfiance ; un pèle­ri­nage dans quelque ora­toire de mar­tyr sem­blait devoir être le but de la pro­me­nade. Une fois hors de la ville, Astérius fit mon­ter son com­pa­gnon dans son char. Alors, fouet­tant vigou­reu­se­ment ses che­vaux, le comte con­duisit son pri­son­nier jusqu’à la ville de Parga, où il le remit aux offi­ciers de l’empereur.

Jean fut ame­né à Constantinople ; le ministre Eutrope y avait convo­qué un grand nombre d’évêques, entre autres le patriarche d’Alexandrie, Théophile, qui, mal­gré ses propres répu­gnances (il avait espé­ré obte­nir le siège vacant pour une de ses créa­tures), sacra l’élu de Dieu, au milieu de l’allégresse uni­ver­selle. C’était le 26 février 398.

Les dif­fi­cul­tés étaient immenses pour un évêque, dans la capi­tale de l’Orient. Le nou­veau pon­tife s’appliqua tout d’abord à rame­ner le cler­gé aux pures et aus­tères ver­tus de sa sublime voca­tion ; il s’informait de la conduite de cha­cun de ses prêtres, il aver­tis­sait, cor­ri­geait et, au besoin, chas­sait de l’Eglise.

Lui-​même don­nait l’exemple d’une vie tout apos­to­lique. Sa pau­vreté était celle d’un moine. Tout mets un peu recher­ché était ban­ni de sa fable ; il ne man­geait qu’une fois le jour et ne pre­nait jamais de vin, sauf au temps des grandes cha­leurs. Il ne don­nait au som­meil que trois ou quatre heures par nuit. Le pon­tife avait une foi très vive au sacre­ment de l’Eucharistie, et saint Nil nous apprend qu’il vit par­fois des anges entou­rer l’autel pen­dant le saint sacrifice.

Il réor­ga­ni­sa la pieuse Société de ces veuves consa­crées au Sei­gneur qui, sous le titre de dia­co­nesses, s’occupaient d’œuvres de zèle et de cha­ri­té. Il mit à leur tête sainte Olympie, dont on disait à Constantinople : « L’impératrice Eudoxie reçoit les adu­la­tions de l’univers, mais la veuve Olympie entend les sou­pirs et les bénédic­tions de l’univers. » D’une haute noblesse, et veuve à vingt-​trois ans, Olympie avait refu­sé de se rema­rier pour consa­crer sa vie et sa for­tune au ser­vice de Dieu et des pauvres. Ses aumônes étaient prodi­gieuses. C’est elle qui four­nis­sait les secours néces­saires aux mis­sionnaires que l’évêque de Constantinople envoyait en Phénicie, en Syrie, chez les Goths et chez les Scythes.

Grâce à elle et à d’autres âmes géné­reuses, grâce à ses propres lar­gesses, Jean Chrysostome mul­ti­plia dans la ville impé­riale les asiles de cha­ri­té et secou­rut des mil­liers d’indigents.

Le zélé pon­tife prê­chait plu­sieurs fois par semaine et quel­que­fois sept jours de suite, mal­gré sa san­té presque tou­jours débile. Le peuple quit­tait les cirques et les théâtres pour se pres­ser autour de sa chaire. On ne se las­sait pas de l’entendre ; sou­vent on l’inter­rompait, mal­gré lui, par des accla­ma­tions et des bat­te­ments de mains. La pié­té refleu­rit dans Constantinople, et l’on vit des âmes géné­reuses s’élever, sous la direc­tion de leur pre­mier pas­teur, à une haute per­fec­tion. Il y eut des conver­sions nom­breuses, même par­mi les héré­tiques et les païens. Afin de com­battre les ariens, Chrysos­tome com­po­sa des can­tiques popu­laires, qui eurent un grand succès.

Le ministre Eutrope, tom­bé du faîte des hon­neurs et sur le point d’être mas­sa­cré par la foule furieuse, se réfu­gia dans l’église, où l’évêque le sau­va d’une mort immé­diate en apai­sant le peuple par ses deux homé­lies res­tées fameuses Sur la dis­grâce d’Eutrope.

Saint Jean Chrysostome pro­tège le ministre Eutrope contre la foule.

Un géné­ral goth, nom­mé Gainas, à qui l’empereur avait confié son armée, parut sur les hau­teurs de Chalcédoine, à la tête de mil­liers de bar­bares, mena­çant de mettre Constantinople au pillage, si on ne lui livrait trois des prin­ci­paux patri­ciens de la capi­tale, qu’il vou­lait faire périr. La cour aux abois ne pou­vait oppo­ser aucune résis­tance. Chrysostome s’offrit pour accom­pa­gner les trois prison­niers ; il tou­cha le cœur du géné­ral, qui fit age­nouiller devant lui ses enfants et fit grâce aux patriciens.

Dans une autre cir­cons­tance, ce même Gainas récla­mait impé­rieusement une des églises de Constantinople pour les héré­tiques ariens, ses core­li­gion­naires. L’empereur, n’osant refu­ser, priait Chry­sostome de la dési­gner ; mais le saint évêque résis­ta seul au géné­ral bar­bare et ne consen­tit jamais à livrer une église catho­lique aux sec­ta­teurs de l’hérésie.

Persécution. – Exil et mort.

Cependant, la liber­té apos­to­lique avec laquelle Chrysostome repre­nait les vices des grands ne pou­vait man­quer de lui atti­rer des enne­mis. L’impératrice Eudoxie, femme d’Arcadius, avide de richesses, ayant dépouillé injus­te­ment plu­sieurs de ses sujets, entre autres la veuve Théognoste, dont elle vola la vigne, les vic­times sup­plièrent l’évêque d’intercéder en leur faveur. Jean Chrysostome osa adres­ser des remon­trances pater­nelles à l’impératrice ; celle-​ci s’en mon­tra pro­fon­dé­ment irritée.

En même temps, le cou­ra­geux pon­tife accueillait avec bon­té les quatre prin­ci­paux supé­rieurs des monas­tères de Nitrie en Egypte, injus­te­ment per­sé­cu­tés et chas­sés par l’indigne patriarche d’Alexan­drie, Théophile. Or, peu après la fon­da­tion de Constantinople qu’on aimait à nom­mer la « Nouvelle Rome », le Concile géné­ral de Nicée avait for­mel­le­ment décla­ré que l’évêque de l’ancienne Rome, suc­cesseur du Prince des Apôtres, res­tait tou­jours le pre­mier des patriarches et le chef de l’Eglise. Innocent Ier, qui occu­pait alors la chaire de saint Pierre, ordon­na qu’un Concile se réuni­rait à Cons­tantinople, sous la pré­si­dence de ses légats, assis­tés de Jean Chry­sostome, et que Théophile irait y répondre de sa conduite envers les moines de Nitrie.

Théophile, de concert avec Eudoxie, en pro­fi­ta pour perdre Chry­sostome. A leur des­cente du navire, les légats du Pape furent arrê­tés secrè­te­ment et envoyés en exil. Un conci­lia­bule réuni, en 403, au palais du Chêne, près de Chalcédoine, sous la pré­si­dence de Théo­phile, cita le patriarche de Constantinople lui-​même pour répondre à une série d’accusations calom­nieuses. Jean, avec rai­son, refu­sa de s’y rendre. On le décla­ra cou­pable et indigne de l’épiscopat.

A la nou­velle que son évêque bien-​aimé allait être envoyé en exil, Constantinople se sou­le­va et, pen­dant trois jours, défen­dit héroïque­ment son pas­teur. Celui-​ci, pour évi­ter l’effusion du sang, se livra lui-​même aux sol­dats qui l’embarquèrent de nuit pour l’Asie.

Mais le len­de­main, appre­nant son départ, le peuple se pré­ci­pi­ta en masse vers le palais impé­rial en pous­sant des cris d’indignation. L’impératrice, éper­due, s’écria toute en pleurs : « C’en est fait de nous ! Qu’on ramène Jean, ou l’empire nous échappe ! » Et elle écri­vit de sa propre main à l’exilé pour le sup­plier de revenir.

Au len­de­main de son retour triom­phal, Chrysostome écri­vit au Pape saint Innocent Ier pour le prier de décla­rer nulle la sen­tence por­tée contre lui par Théophile ; le cler­gé de Constantinople fit de même, pen­dant que Théophile envoyait, de son côté, les actes de son faux concile. Le Pape, après avoir exa­mi­né le pro­cès et inter­rogé quatre évêques venus exprès d’Orient, répon­dit à Chrysostome et au cler­gé de Constantinople pour condam­ner tout ce qu’avait fait le conci­lia­bule du Chêne.

Mais à l’arrivée de ces lettres, Chrysostome n’était plus à Constan­tinople. Exilé de nou­veau le 20 juin 404 par la haine de l’impéra­trice et de ses autres enne­mis, il avait été traî­né à Cucuse, à l’extré­mité de la Cappadoce, sur les fron­tières de la petite Arménie, où il par­vint soixante-​dix jours après avoir tra­ver­sé le Bosphore.

Du fond de son exil le pros­crit parais­sait encore trop redou­table. Dans l’espoir de las­ser sa constance, ses enne­mis lui assi­gnèrent pour nou­velle rési­dence Pityonte, petite ville per­due sur la côte orien­tale de la mer Noire, au nord de la Colchide. Le 13 sep­tembre 407, comme l’évêque arri­vait à Comane, sous la garde de deux sol­dats, il s’arrêta, pour y pas­ser la nuit, dans un ora­toire dédié au mar­tyr Basilisque. Ce Saint lui appa­rut et lui dit : « Courage, mon frère, demain nous serons ensemble. » Le len­de­main, Chrysostome tom­ba épui­sé sur la route et expi­ra le même jour, après avoir reçu la sainte Communion.

En 438, le 27 jan­vier, les restes du glo­rieux confes­seur de la foi furent triom­pha­le­ment rap­por­tés à Constantinople et dépo­sés dans l’église des Apôtres. Ce fut le fils d’Eudoxie, Théodose II, qui accor­da cette répa­ra­tion solen­nelle à celui que sa mère avait pros­crit. Le corps du Saint, appor­té par les Croisés après la prise de Constan­tinople, repose aujourd’hui en la basi­lique de Saint-​Pierre de Rome, sous l’autel du chœur du Chapitre. On sait qu’en cette même église la chaire du Prince des apôtres est sou­te­nue par les sta­tues de quatre Docteurs de l’Eglise ; saint Jean Chrysostome, qui est l’un des quatre grands Docteurs de l’Eglise grecque, a été choi­si pour repré­sen­ter l’Orient avec saint Athanase, tan­dis que saint Ambroise et saint Augustin repré­sentent l’Eglise d’Occident.

La fête est de rite double depuis saint Pie V. Pie X a nom­mé, le 8 juillet 1908, saint Jean Chrysostome patron des ora­teurs sacrés.

A. H. L.

Sources consul­tées. – Aimé Puoch, Saint Jean Chrysostome (Collection Les Saints). – (V. S. B. P., nos 18 et 677.)