Prier le chapelet en famille

Réponses à deux objec­tions cou­rantes : Pourquoi répé­ter cin­quante fois le Je vous salue Marie ? Et peut-​on vrai­ment réci­ter et médi­ter en même temps son chapelet ?

Une jeune fille arri­va un jour au Pointet pour y suivre une retraite de saint Ignace. Elle n’était pas une de nos fidèles. Elle était, comme on dit, conci­liaire. Elle a cepen­dant sui­vi comme il faut les exer­cices spi­ri­tuels. Elle s’est dit « enchan­tée » par ces cinq jours. Mais qu’est-ce qui l’a conduite en retraite ? Peut-​être bien… le cha­pe­let : elle a expli­qué aux pré­di­ca­teurs qu’elle le réci­tait tous les jours depuis dix ans ! En ce début du mois du Rosaire, soyons tou­jours plus conscients de la force de cette prière, et pre­nons la réso­lu­tion d’y être fidèles. Et pour cela, il faut peut-​être répondre à deux objec­tions clas­siques envers le cha­pe­let : pour­quoi répé­ter cin­quante fois le Je vous salue Marie ? Et peut-​on vrai­ment réci­ter et médi­ter en même temps son chapelet ?

Quant à la pre­mière objec­tion, il faut certes affir­mer que la qua­li­té de prière vaut mieux que la quan­ti­té. Saint Louis-​Marie Grignion de Montfort, dans son ouvrage Le secret admi­rable du très saint Rosaire, écrit : « Un seul Ave Maria bien dit est d’un plus grand mérite que cent cin­quante mal dits. (…) Beaucoup prient le cha­pe­let, mais pour­quoi si peu se cor­rigent de leurs péchés et s’avancent dans la ver­tu, sinon parce qu’ils ne font pas ces prières comme il faut. » Mais cette méthode de prière, qui peut même nous faire répé­ter cent cinquante-​trois fois l’Ave, vient de la très sainte Vierge Marie, qui l’a ins­pi­rée à saint Dominique. Il y a une bonne rai­son à ces répétitions.

Si l’on réflé­chit un peu, tout le monde peut consta­ter que la vie est faite de répé­ti­tions. Chaque jour nous fai­sons les mêmes actions, les mêmes salu­ta­tions avec les mêmes for­mules. Il y a encore dans l’être humain la même répé­ti­tion des bat­te­ments de cœur, sans laquelle il n’y a plus de vie… Alors, jus­te­ment, la répé­ti­tion des Ave va per­mettre une vie et une ambiance de prière. Cette répé­ti­tion va don­ner une habi­tude, une aisance, un rythme aus­si, qui vont per­mettre de s’élever vers Dieu. Ainsi, natu­rel­le­ment, après avoir, pen­dant un cer­tain temps, été atten­tifs aux paroles, on le sera aux mys­tères, puis à Dieu. Saint Thomas d’Aquin parle de ces trois degrés dans la prière : l’attention aux paroles, puis aux mys­tères, enfin à Dieu. C’est comme un vio­lon à trois cordes : on com­mence par uti­li­ser une seule corde. Mais l’idéal, c’est de faire jouer les trois en même temps. On y arrive avec le temps. Voilà donc ce qu’apporte la répé­ti­tion des Ave : un moyen de s’unir plus inti­me­ment à Dieu pen­dant au moins vingt minutes.

De ce que nous venons de dire découle la réponse à la deuxième objec­tion : oui, on peut réci­ter et médi­ter en même temps. Grâce à la répé­ti­tion, on récite avec aisance, sans ten­sion, et on est ain­si beau­coup plus libre inté­rieu­re­ment pour médi­ter. Que médi­ter ? L’oraison de la messe de Notre-​Dame du Rosaire nous dit : la vie, la mort et la résur­rec­tion de Jésus-​Christ, Fils unique de Dieu. Et elle ajoute : pour imi­ter ces mys­tères et obte­nir ce qu’ils pro­mettent. Saint Louis-​Marie Grignion de Montfort écrit encore : « Les mys­tères du Rosaire sont les œuvres de Jésus-​Christ et de la très sainte Vierge ; ils sont rem­plis de quan­ti­tés de mer­veilles, de per­fec­tion et d’instructions pro­fondes et sublimes, que le Saint-​Esprit découvre aux humbles et aux âmes simples qui les honorent. »

N’ayons donc pas peur de répé­ter ces Ave Maria. Soyons fidèles à réci­ter et médi­ter notre cha­pe­let. Et essayons, comme le conseille le père de Montfort, de le réci­ter en com­mun, en famille, et même en deux chœurs. « De toutes les manières de réci­ter, le faire publi­que­ment à deux chœurs est la manière la plus glo­rieuse à Dieu, la plus salu­taire à l’âme, la plus ter­rible au diable. Dieu aime les assem­blées. Notre-​Seigneur a expres­sé­ment conseillé cette pra­tique à ses apôtres et dis­ciples, et leur pro­mit que toutes les fois qu’ils seraient deux ou trois assem­blés en son nom, il se trou­ve­rait au milieu d’eux. Quel bon­heur d’avoir Jésus-​Christ en sa com­pa­gnie ! Pour le pos­sé­der, il ne faut que s’assembler pour dire le cha­pe­let. » Notons que Notre-​Seigneur parle de deux ou trois assem­blés en (son) nom (Mt 18, 20). C’est donc la plus petite socié­té pos­sible, mais il faut qu’elle se soit réunie au nom de Jésus-​Christ. A cette condi­tion, il pro­met de se trou­ver pré­sent au milieu d’elle, et sa pré­sence ren­dra la prière irré­sis­tible devant Dieu. C’est pour­quoi, aux débuts de l’Église, les chré­tiens s’assemblaient si sou­vent pour prier mal­gré les menaces.

Le père de Montfort énu­mère plu­sieurs avan­tages de la prière en deux chœurs. D’abord, l’esprit y est ordi­nai­re­ment plus atten­tif. Ensuite, quand on prie en com­mun, une seule voix s’élève. Si donc quelqu’un en par­ti­cu­lier ne prie pas si bien, un autre dans l’assemblée qui prie mieux sup­plée à son défaut. Le saint va même jusqu’à dire : une per­sonne qui récite son cha­pe­let toute seule n’a le mérite que d’un seul cha­pe­let ; si elle le récite avec trente per­sonnes, elle a le mérite de trente cha­pe­lets ! Enfin, le père de Montfort fait remar­quer que l’Église, conduite par le Saint-​Esprit, s’est ser­vie des prières publiques dans tous les temps de cala­mi­té. Et il cite l’exemple de Grégoire XIII qui déclare, dans sa bulle, qu’il faut pieu­se­ment croire que les prières publiques et pro­ces­sions des confrères du saint Rosaire ont beau­coup contri­bué à obte­nir de Dieu la grande vic­toire de Lépante sur les Turcs, le pre­mier dimanche d’octobre 1571.

La dizaine de cha­pe­let en famille

Disons le cha­pe­let en com­mun, en famille. Le pape Pie XII a de très belles consi­dé­ra­tions sur le sujet. Il disait à des pré­di­ca­teurs de carême, en 1943 : « Réveillez dans l’âme des fidèles le sen­ti­ment de l’ancienne et pieuse cou­tume de la prière com­mune en famille. (…) Et comme la vie publique, pleine de dis­trac­tions et d’embûches, trop sou­vent au lieu de pro­mou­voir les biens les plus pré­cieux de la famille – la fidé­li­té conju­gale, la foi, la ver­tu et l’innocence des enfants – les met en dan­ger, la prière au foyer domes­tique est aujourd’hui presque plus néces­saire qu’aux temps pas­sés. » Saint Pie X écri­vit pour sa part dans son tes­ta­ment : « Si vous vou­lez que la paix règne dans vos familles et dans votre patrie, réci­tez tous les jours le cha­pe­let avec les vôtres. »

Suggérons un conseil : il faut tenir compte, pour la prière en famille, de la capa­ci­té des enfants. Le pape Pie XII, tou­jours dans le même dis­cours de 1943, disait : « Que la prière soit accom­plie de façon à ce que les enfants n’en éprouvent pas de fatigue ou de dégoût, mais se sentent plu­tôt entraî­nés à l’augmenter. » On peut ain­si, avec de jeunes enfants, com­men­cer par dire en com­mun une ou deux dizaines, puis aug­men­ter avec le temps.

Il faut dire un mot, pour finir, des dis­trac­tions qui peuvent nous enva­hir pen­dant le cha­pe­let. Le père de Montfort dis­tingue les dis­trac­tions volon­taires de celles qui sont invo­lon­taires. Les pre­mières consti­tuent une grande irré­vé­rence, « qui ren­drait nos rosaires infruc­tueux et nous rem­pli­rait de péchés. Comment ose-​t-​on deman­der à Dieu qu’il nous écoute, si nous ne nous écou­tons pas nous- mêmes ? » Les dis­trac­tions invo­lon­taires sont quant à elles presque inévi­tables, dit le saint. Mais on doit prendre toutes sortes de moyens pour les dimi­nuer et fixer notre ima­gi­na­tion. Il faut bien pen­ser à se mettre en la pré­sence de Dieu, croire que Dieu et sa sainte Mère nous regardent. On peut se repré­sen­ter, dans l’imagination, Notre-​Seigneur et sa très sainte Mère dans le mys­tère que nous hono­rons. Le saint conseille encore d’avoir des inten­tions de prière, et pour­quoi pas à chaque dizaine. Et il dit bien que si nous avons beau­coup de dis­trac­tions, mais que nous avons lut­té, notre rosaire est encore plus fruc­tueux. « Votre rosaire est d’autant meilleur qu’il est plus méri­toire ; il est d’autant plus méri­toire qu’il est plus difficile. »

Ce qui achè­ve­ra de nous convaincre de dire notre cha­pe­let, seul ou en famille, ce sont deux phrases de la très sainte Vierge. À Fatima, elle disait, le 13 octobre 1917 : « Je suis Notre Dame du Rosaire. Que l’on conti­nue à réci­ter le cha­pe­let tous les jours. » Cinq siècles aupa­ra­vant, elle avait dit au bien­heu­reux Alain de La Roche : « Celui qui per­sé­vé­re­ra dans la réci­ta­tion de mon rosaire, rece­vra toutes les grâces qu’il demandera. »

Source : Lou Pescadou n° 247