Parmi les passages surprenants de l’Evangile, on cite souvent cette déclaration de Notre Seigneur : : « Il est nécessaire que le scandale arrive, mais malheur à celui par qui le scandale arrive » (Mat. 18, 7).
Au mot scandale dont il s’agit ici, on peut donner d’abord la définition du dictionnaire : « fait immoral, injuste et révoltant » en lui ajoutant ensuite l’application qu’en fait le catéchisme : « qui fournit au prochain une occasion de ruine spirituelle ». En réalité, le scandale n’est donc qu’un des cas particuliers qu’on rencontre en traitant la si difficile question du mal où certains croient prendre la Providence en défaut puisqu’elle semble laisser se produire et le fait lui-même et sa conséquence. Une première réponse devrait apparaître en cherchant en quoi ce mal est « nécessaire » : d’abord dans ce sens que le scandale est inévitable mais aussi dans le sens qu’il peut même être utile.
La transcendance de Dieu dans son action comme dans son nature.
Au sujet du mal que Dieu permet mais sans le vouloir, Saint Augustin fait remarquer d’abord que le chrétien doit adorer le mystère de Dieu aussi bien dans son agir que dans son être. L’homme n’a pas à exiger de Dieu ni qu’Il s’explique ni qu’Il se justifie quand Il nous surprend dans son mode de gouvernement providentiel pas plus que lorsqu’Il nous oblige à le reconnaître dans la Trinité de ses Personnes. Si donc l’homme n’a pas le droit de chercher le « pourquoi ? » des mystères divins, c’est-à-dire leur explication qui le dépasse infiniment, par contre l’homme est invité à découvrir le « pour quoi ? » de ces mêmes mystères c’est-à-dire leur finalité qui l’encourage dans la poursuite de son salut. Après cette mise au point, traitons maintenant de la nécessité même du scandale en nous inspirant auprès d’autorités reconnues qui nous serviront de guides sur un sujet si ardu !
1) Par amour, Dieu respecte les libertés créées.
Dans l’un de ses ouvrages (Théologie de l’histoire), le Père Calmel présente ainsi la difficulté : « Une fois l’œuvre de la Rédemption divinement accomplie, convenait-il au suprême amour et à la Croix du Christ de faire durer l’histoire (de l’humanité) dans ces conditions cruelles et périlleuses où le péché est toujours au travail » ? La doctrine de la Foi, des Pères et des théologiens apporte toujours la même réponse à cette question : si Dieu avait supprimé le mal, Il aurait en même temps ôté la liberté à ses créatures spirituelles qui auraient pu ainsi être sauvées infailliblement mais sans avoir eu à choisir ni à mériter. « Or c’est une preuve d’amour de la part du Créateur d’honorer la liberté qu’Il a créée en lui donnant de se déterminer d’elle-même, secourue par la grâce, avec tous les risques que cela comporte… (En permettant que se produise le scandale, il s’agit de la part de Dieu) d’un amour qui veut être aimé librement par sa créature, au risque d’être méprisé et trahi ».
2) Par amour, Dieu a voulu pour l’Eglise la conformité à la Passion du Christ.
Dans le même ouvrage, le Père Calmel expose une nouvelle question : « Comment expliquer un état de l’Eglise aussi pénible : bien qu’Elle soit sainte et sans péché, non seulement l’Eglise se recrute parmi les pécheurs, mais encore elle voit beaucoup de ses enfants se livrer à des péchés très graves. La réponse suprême me paraît être celle-ci : il convient à l’amour de Dieu de vouloir que l’Eglise soit sainte dans la conformité à Jésus-Christ et donc qu’elle soit sainte à travers les épreuves de toutes sortes, non seulement les persécutions de ceux du dehors mais encore, à l’intérieur, les trahisons des fidèles et des prélats qui sont tièdes ou méchants… les vicissitudes bouleversantes de cette (situation de l’Eglise) ne sont pas un scandale pour notre foi dans l’amour, parce que nous sommes sûrs que Satan est vaincu d’avance… et parce que le Christ fait durer les siècles en vue de nous faire participer à sa victoire en nous faisant participer d’abord à sa Passion ». Malheureusement, cette deuxième explication du Père Calmel ne correspond que trop à l’actualité qui révèle les turpitudes de ceux qui (et jusque dans nos propres rangs !) profanent leur sacerdoce et leur consécration à Dieu en abusant odieusement de la jeunesse. On peut trouver ici de quoi consoler et réconforter les si douloureuses victimes de tels méfaits en leur présentant évidemment l’argument de manière opportune et bien adaptée aux cas particuliers.
3) Par amour, Dieu veut – le mérite et la gloire pour les justes d’une part – la conversion et le salut pour les pécheurs d’autre part.
De son côté, Saint Jean Chrysostome apporte un précieux éclairage sur la nécessité des scandales en montrant leur utilité d’abord pour la récompense des bons : « C’est ce que Dieu a montré en s’entretenant avec Job et en lui disant : « penses-tu que j’ai agi avec toi pour un autre motif que de faire apparaître ta justice ? ». Paul dit aussi : « Il faut qu’il y ait des scissions (schismes) pour que ceux dont la vertu est éprouvée soient découverts parmi vous, … car la vertu de ceux qui ne se seront pas laissé égarer apparaîtra plus éclatante ». Mais notre même auteur poursuit : « De plus, les méchants ont été laissés libres d’agir pour une autre raison : c’est pour qu’ils ne fussent pas privés de l’utilité qui résulte de leur conversion, s’ils avaient été auparavant réduits à l’impuissance. C’est ainsi que Paul fut sauvé, c’est ainsi que le larron, la courtisane, le publicain, et beaucoup d’autres, le furent aussi. S’ils avaient été enlevés d’ici-bas avant de se convertir, aucun d’entre eux n’aurait été sauvé ». Cependant, en découvrant le malheur des victimes de certains scandales, on résiste difficilement à l’indignation qui fait soupirer en demandant le châtiment immédiat des prédateurs : sans doute, l’autorité concernée a le devoir très impérieux de tout faire pour empêcher les récidives mais ne convient-il pas aussi de modérer ces mouvements de vindicte en nous souvenant de la scène où Jésus a dit : « Que celui de vous qui est sans péché lui jette le premier la pierre » (St. Jn. 8, 7) ? Adorateurs de la Sainte Providence, soyons en aussi les défenseurs à la suite encore de notre cher saint Jean Chrysostome qui proclamait avec la plus grande assurance : « Jamais Dieu ne permettrait le mal s’il n’en tirait un plus grand bien ».
Source : Le Parvis de Juin 2022. Image : CC0 1.0 Universal