Que reste-t-il de la doctrine de la souffrance rédemptrice dans le quotidien La Croix ?
Un jeune prêtre est appelé au chevet d’une dame ; celle-ci souffre d’une maladie douloureuse et incurable et refuse les sacrements. Faute de trouver les mots pour l’encourager à se préparer à paraître devant Dieu, car elle endure des tourments dont il n’a pas l’expérience, le prêtre se contente de lui montrer une image du Christ en croix. Après un silence, la dame dit : « Vous avez raison, Il a plus souffert que moi. » Après quoi elle peut admettre que sa souffrance a un sens, en union avec celle du Sauveur. Le silence du prêtre n’était pas une déclaration d’ignorance, mais une marque de pudeur.
La réponse de Sœur Anne Lécu à la question « Dieu permet-il la souffrance », publiée par La Croix le 16 septembre 2021[1] est au contraire celle de l’ignorance : faut-il parler de « permission » ou non, elle l’ignore ; de toute façon « toute tentative d’explication de la souffrance est vaine », car Dieu ne vient « en aucun cas » donner une réponse, comme dans le livre de Job qui est le dernier mot sur la question. L’attitude du chrétien est de « croire quand il n’y a pas de raison de croire, aimer quand il n’y a pas de raison d’aimer, espérer quand il n’y a pas de raison d’espérer. » Bref, l’irrationnel pur.
Mais alors que dit l’Évangile ? Le salut consiste selon cette Sœur en ce que Dieu vient « partager la souffrance », un partage « dans la faute et la culpabilité », pour nous déculpabiliser. La leçon du livre de Job est celle-ci : « Seul celui qui revendique son innocence parle bien de Dieu. » Affirmer les liens de cause à effet comme dire « à quelqu’un qui a un cancer du poumon que c’est parce qu’il a fumé », c’est être « dans l’accusation ». Le Christ « qui ne juge pas » vient prendre cette accusation pour nous en décharger. Il est donc exclu selon la Sœur que la souffrance puisse venir du péché : « Quoi qu’il nous arrive dans la vie, en aucun cas ce ne peut être lié à une faute quelconque. »
Pourtant saint Paul affirme que, « de même que par un seul homme le péché est entré dans ce monde, et par le péché la mort, ainsi la mort a passé dans tous les hommes, par celui en qui tous ont péché. » (Rm 5, 12) et le Concile de Trente développe cette affirmation en enseignant que le péché a fait encourir à Adam et à sa descendance la mort et les peines de cette vie et que le sacrifice du Sauveur nous a réconciliés avec Dieu[2], ce même Sauveur qui « viendra juger les vivants et les morts ».
Il est aujourd’hui de bon ton de moquer la doctrine qui prétend avoir réponse à tout et de se draper dans un confortable doute devant le mystère de la souffrance, tellement profond qu’il laisse Dieu « dans l’impuissance totale ». C’est faire injure à Dieu qui est à la fois bon et tout-puissant, qui a fait à saint Paul la grâce de révéler à la fois la conséquence du péché originel et « les richesses incommensurables du Christ » manifestées dans la Rédemption par la Croix. (Eph 3, 8). Et c’est priver la part souffrante de l’Église d’ici-bas de la connaissance de son rôle dans la Rédemption : « Je complète dans ma chair ce qui manque aux souffrances du Christ. » (Col 1, 24)