Notre Seigneur avait renversé les tables des changeurs et poussé les marchands du temple, mais il s’était arrêté devant les marchands les plus pauvres, ceux qui vendaient des colombes pour les sacrifices des fidèles les moins fortunés. Dans le tumulte de la cohue, il semble qu’il les ménage à cause de leur pauvreté même… ôtez tout cela d’ici, leur dit-il, comme avec douceur, ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic.
Il était inévitable que les puissants du temple soient piqués par cette intervention qui ne pouvait être qu’une réprobation publique de leur corruption. Pourtant leur question – quel signe nous donnes-tu de ton autorité ? – nous paraît bien résignée, comme s’ils reconnaissaient la justesse du reproche du Seigneur.
Donnes nous un signe.
Un signe pour les juifs, c’est un miracle. Pour eux, nul n’a le droit de parler au nom de Dieu, s’il ne montre au moyen du miracle, qu’il est l’envoyé de Dieu. Jésus venait de dire que c’était au nom de l’honneur de la maison de son Père qu’il avait agi, alors les juifs lui demandent un signe.
Mais Jésus répond à la manière orientale, en posant devant ces orgueilleux docteurs une énigme. Détruisez ce temple, et je le rebâtirai en trois jours, le Seigneur venait de laver l’honneur du Temple de Jérusalem et voici qu’il parlait sans plus d’information du Temple de son corps… c’était l’annonce de sa Mort et de sa Résurrection. Certes la Résurrection de Notre-Seigneur est le Signe des signes, si le Christ n’est ressuscité, notre Foi est vaine, dira saint Paul, mais en cet instant, c’est une annonce que personne ne peut comprendre. Et pratiquement, Jésus refuse à ces hommes la justification qu’ils lui réclame
Dire, détruisez ce temple, et le rebâtirai en trois jours, n’était pas donner un signe, mais donner la promesse d’un signe. Notre-Seigneur parlait d’un miracle qu’il pouvait faire, mais qu’il ne fait pas. Il demande que l’on croie en son pouvoir et il ne prouve pas qu’il a ce pouvoir.
C’est une double épreuve pour ceux qui écoutent Notre-Seigneur : non seulement, le divin Maître égare volontairement ceux qui l’écoutent en parlant d’un autre Temple que celui auquel ils pensent, mais en plus, Il leur refuse la Lumière du signe qu’ils demandent et qui devrait suppléer à leur ignorance. La difficulté est d’autant plus troublante qu’au verset suivant, saint Jean nous rapporte que, pendant qu’Il était à Jérusalem durant les fêtes de la Pâque, plusieurs crurent en lui à la vue des miracles qu’Il accomplissait… ce signe que le Seigneur refusait instant aux grands prêtres, Il le multiplie devant les petites gens de la ville qui croient en Lui.
On peut certainement trouver des explications humaines aux choix de Notre-Seigneur : les grands prêtres n’étaient pas bien disposés, ils avaient détourné leur sacerdoce comme ils avaient détourné les réalités religieuses dont ils étaient gardiens ; la maison de Dieu était devenue un lieu de profit et la Présence divine, l’Amour de Dieu pour les hommes, était exploitée. Mais cela n’arrive pas à nous convaincre.
Car l’évidence est là : toute la mauvaise volonté du monde ne peut résister à la Lumière divine de la Grâce. Si Notre-Seigneur ne donne pas de signe, c’est qu’Il ne le veut pas. Saint Jean le comprend, c’est pour cela qu’il appose immédiatement à la réponse faite aux docteurs l’autre attitude de Notre-Seigneur avec le peuple de Jérusalem… parce qu’à vous, il a été donné de connaître les mystères du royaume des cieux, et que cela ne leur a pas été donné.
Voici qu’au détours de cette altercation avec les autorités du Temple, Saint Jean nous fait comprendre le privilège de croire en Jésus et l’inaccessibilité aux seules forces humaines du monde surnaturel. Le signe peut confirmer l’autorité de celui qui parle, il ne peut prédisposer à cette grâce de croire, à cette grâce de connaître. Rien ne dispose à la grâce, sinon la grâce. La grâce est un don, elle est par définition gratuite. Aucun mérite humain ne précède la grâce de Dieu. Certainement l’homme doit préparer son cœur, mais cela même ne peut se faire sans un secours spécial de Dieu, car ce cœur avant d’être préparé par l’homme, a besoin d’être touché par Dieu. Il est aussi évident que la grâce n’est pas donnée à tous avec la même mesure, et cela sans injustice divine : le Bon Dieu dispense les dons de la grâce avec une admirable diversité. Quel rappel pour nous qui nous habituons si rapidement et qui consommons un peu trop facilement la grâce et les sacrements.
Si les grands prêtres n’obtiennent pas le signe, c’est parce que Notre-Seigneur ne veut pas leur donner. C’est le mystère du Bon Vouloir divin, c’est un mystère qui dépasse notre entendement. Saint François de Sales avait ce beau conseil :
Il se faut bien garder de jamais rechercher pourquoi la suprême Sagesse a choisi de donner une grâce à l’un plutôt qu’à l’autre… Non, n’entrez jamais dans cette curiosité, car ayant tout suffisamment et abondamment ce qui est requis pour le Salut, quelle raison peut avoir l’homme du monde de se plaindre, s’il plait à Dieu de répartir ses grâces plus largement aux uns qu’aux autres.
Les grands prêtres demandent un signe. Notre-Seigneur leur répond, et remarquons qu’Il ne remet pas en cause leur autorité, mais Il ne leur donne pas ce signe qu’ils attendent. Il leur répond, et Il conduit ces âmes au dilemme de toute âme : l’intelligence réclame toujours des signes, des preuves, or la foi n’a qu’un seul argument, l’autorité de Dieu qui parle, qui se révèle. Pour croire, il faut la grâce surnaturelle. Notre-Seigneur ne donne qu’un signe obscur et à venir, exigeant de son auditoire qu’il croit en lui sans autre preuve que Lui-même. Saint Jean en écrivant son évangile le comprend et nous le transmet. Jésus fera des miracles pendant la Pâque, mais l’apôtre n’a pas cru utile de les rapporter.









