Marie Madeleine ou la victoire de l’esprit

Vitrail de l'Onction du Christ par Marie de Magdala à Béthanie. Eglise Saint-Pierre de Dreux. Crédit : Fred de Noyelle / Godong

« Il s’a­git de savoir si l’on désire vivre avec les Anges ou avec les bêtes…» 

Ces mots de Psichari résument assez bien la grande dif­fé­rence qui divise les hommes. Ils ne font que reprendre ce que disait saint Paul aux Galates : Marchez selon l’es­prit… la chair convoite contre l’es­prit et l’es­prit contre la chair. Ils sont oppo­sés l’un à l’autre. La chair, c’est ce qui s’op­pose à l’es­prit… c’est la matière, c’est l’ob­ses­sion du corps avec toutes ses addic­tions. C’est aus­si la tyran­nie du pou­voir, de la domi­na­tion par l’argent ou par la science dévoyée, qu’elle soit éco­no­mique, éco­lo­gique ou médi­cale. Le mar­xisme conti­nue tous les jours avec suc­cès à maté­ria­li­ser les masses…

C’est dans ce monde maté­ria­liste que nous sur­vi­vons et les pseu­dos valeurs qu’il nous impose tendent tou­jours plus à étouf­fer notre réa­li­té spi­ri­tuelle. Le fait est là… les hommes ne croient plus. Non seule­ment ils ne croient plus au Credo, mais ils ne croient plus à l’es­prit, c’est-​à-​dire à Dieu, à l’âme spi­ri­tuelle : ils ne savent plus qu’ils ont une âme et qu’elle est faite pour Dieu.

L’homme n’est pas une bête. Contre le maté­ria­lisme, l’op­po­si­tion doit être un com­bat moral et spi­ri­tuel. Car la défaite de la matière, c’est la vic­toire de l’es­prit. Et la vic­toire de l’es­prit, c’est une âme qui trouve la trans­cen­dance abso­lue de Dieu.

Erat in civitate peccatrix...

Il y avait dans la ville une péche­resse. Luc ne dit ni son nom, ni son pas­sé. La tra­di­tion juive, le Talmud, par contre, nous pro­diguent les détails sur la beau­té de la Madeleine, son opu­lente che­ve­lure, ses richesses, ses scandales.

Mariée à un cer­tain Pappus, doc­teur de la loi qui pous­sa la jalou­sie – cela est assez conforme aux mœurs orien­tales – jus­qu’à l’en­fer­mer, quand il quit­tait la mai­son, la fière Juive s’af­fran­chit de cet escla­vage et s’at­ta­chant à un offi­cier romain de Naïm, elle le sui­vit à Magdala. Ses désordres l’y ren­dirent célèbre, lui valant le sur­nom de « la Madeleine, la femme de Magdala ».

Ces détails, sup­po­sés exacts, ne prou­ve­raient nul­le­ment qu’il faille voir en elle une péche­resse de bas étage dif­fé­rente de tant de patri­ciennes romaines.

Le sobri­quet par lequel les juifs la flé­tris­saient, « la Madeleine », s’ex­plique suf­fi­sam­ment par ces faits : adul­tère public que la loi juive punis­sait de lapi­da­tion, vie païenne, en un milieu par­ti­cu­liè­re­ment dis­so­lu : Magdala. De cette ville, il ne reste aujourd’­hui que quelques pierres crou­lantes au bord du lac de Tibériade. Mais à l’é­poque, Magdala était pour la colo­nie romaine une ville d’eau, une ville de plai­sirs, une ville de péché. Madeleine, la belle Juive, l’é­pouse infi­dèle d’un doc­teur de la loi, était « l’é­toile », l’âme per­due de Magdala.

Mais Magdala était aus­si au cœur de cette Palestine évan­gé­li­sée, depuis un an, par Jésus. C’était dans ces villes et ces vil­lages voi­sins du lac qu’il mul­ti­pliait ses pro­diges, à la recherche de la bre­bis éga­rée. Il y avait pro­non­cé le Discours sur la Montagne : Heureux les cœurs purs, car ils ver­ront Dieu ! – Heureux ceux qui ont faim et soif de jus­tice, car ils seront rassasiés !

Habituée, en son nou­veau milieu, à se dépla­cer libre­ment, la Madeleine avait dû voir et entendre celui que les foules accla­maient et que les Docteurs pour­sui­vaient de leur haine jalouse.

Âme éle­vée, mal­gré ces « sept démons » dont Jésus la déli­vre­ra, la sœur de Marthe et de Lazare écou­tait cette parole si nou­velle, si dif­fé­rente de la casuis­tique pha­ri­sienne à laquelle l’a­vait ini­tiée son pre­mier époux.

Son cœur inquiet s’ou­vrit à la confiance. C’était une dimen­sion autre pour elle. Les lépreux puri­fiés, les aveugles gué­ris, le fils de la veuve de Naïm res­sus­ci­té, les pécheurs évan­gé­li­sés, tout lui sug­gé­rait qu’elle pou­vait elle-​aussi res­sus­ci­ter, entrer dans la terre des vivants où l’a­mour n’est plus un mot pro­fa­né. Sa lèpre, c’é­tait la luxure. Sa mort, c’é­tait ce corps qu’elle avait détour­né de Dieu. Elle com­mence à voir, mais son péché la tient écar­tée de la Lumière. Où trouvera-​t-​elle la Vie ? Elle cherche ce regard éter­nel de bon­té qui rend beau.

Cette inexo­rable volon­té fémi­nine qui, chez Hérodiade pour­sui­vait des fins cri­mi­nelles par des pro­diges d’as­tuce, nous la retrou­vons en elle, mais tour­née vers le bien. Madeleine n’au­ra de cesse qu’elle n’ait réa­li­sé son rêve : obte­nir de Jésus son pardon.

Car elle est la seule, comme le sou­ligne Bourdaloue, qui paraisse, dans l’Évangile, s’être adres­sée à Jésus-​Christ en vue d’ob­te­nir la rémis­sion de ses péchés. Les autres qui étaient Juifs d’es­prit et de cœur ; aus­si bien que de reli­gion, ne recou­raient à Lui que pour obte­nir des grâces tem­po­relles, pour être gué­ris de leurs mala­dies. Et si Jésus les conver­tis­sait, c’é­tait presque contre leur intention.

Mais Madeleine cherche Jésus-​Christ pour Jésus-​Christ même. Tu ne me cher­che­rais, si tu ne m’a­vais déjà trou­vé… Indice d’une rare qua­li­té d’âme dont se sou­vien­dra Jésus quand il dira aux Pharisiens dra­pés dans leurs ver­tus exté­rieures : Les péche­resses publiques vous pré­cé­de­ront dans le Royaume de Dieu.

Ces juifs, ce qu’ils demandent au Christ, c’est qu’il s’es­time hono­ré de rece­voir d’eux un salut pro­tec­teur, c’est qu’il les consulte sur le juste et l’in­juste dont ils sont les arbitres. Mais deman­der le par­don de leurs péchés ! Quelle idée ! Eux qui sont sans péché, eux qui jugent et ne sont pas jugés.

Or un de ces purs, Simon le Pharisien, invite Jésus à dîner. Pourquoi ? Est-​ce seule­ment par curio­si­té, pour espion­ner ce Rabbi dont les Sanhédrites cherchent à se débar­ras­ser comme ils se sont débar­ras­sés de Jean-​Baptiste, et prendre ain­si une cer­taine impor­tance dans ce milieu ? Ou, est-​ce par cette vani­té mon­daine, faite d’elle-​même de seule­ment paraître ?

J’irai !

Madeleine apprend l’é­vé­ne­ment et décrète en elle-​même ce même mou­ve­ment qui arrache son âme du bour­bier de ses escla­vages, comme l’en­fant pro­digue aban­don­nant le ser­vice de l’auge des porcs dont il s’oc­cupe. J’irai, je lui arra­che­rai mon par­don. Quel pécheur, lucide de son état, ne s’est-​il pas dit, un jour, ce même mot… J’irai !

Elle, l’ex­com­mu­niée, léga­le­ment réser­vée à la lapi­da­tion, n’i­gnore pas que la porte d’un pha­ri­sien lui est dou­ble­ment inter­dite. Elle sait que la loi ordonne à Simon de la jeter dehors. Il n’y a que le regard misé­ri­cor­dieux du Christ qu’elle recherche. Que lui importe ? écrit Bourdaloue, elle aime enfin et pour la pre­mière fois. Avec la crainte, on déli­bère, mais avec l’a­mour on agit.

Des désordres d’hier il ne lui reste que l’im­pu­dence. Elle a été jus­qu’à pré­sent sans pudeur ; elle ne sait ce que c’est que de rou­gir. Et le regard de ces hommes qui la toisent pour la réduire à ce qu’elle était, lui est indif­fé­rent. Elle entre dans la salle où Jésus était. Elle a quit­té l’im­pu­re­té d’une mon­daine, mais elle s’est réser­vée le front d’une mondaine.

Or, raconte saint Luc, Simon le Pharisien en accueillant Jésus avait omis les devoirs élé­men­taires de la poli­tesse juive. Était-​ce une sub­tile façon pour se cou­vrir aux yeux des Pharisiens ou une nou­velle arro­gance pour sou­li­gner le grand hon­neur qu’il fai­sait à ce Rabbi sans titres de l’ad­mettre à sa table ?

Il avait donc omis de bai­gner les pieds cou­verts de pous­sière de Jésus, il avait volon­tai­re­ment oublié de l’embrasser, de par­fu­mer ses che­veux. Jésus n’a­vait pas sou­li­gné ces impo­li­tesses. Il s’é­tait mis à table, au milieu des Pharisiens dont le regard le mesu­rait de leurs bas­sesses. Après les béné­dic­tions rituelles dont Simon n’a­vait cer­tai­ne­ment omis cette fois-​ci aucune rubrique, il s’é­tait éten­du sur le sofa, comme il le fera sur la Croix : le royaume du Ciel est sem­blable à un fes­tin de noces dira-​t-​il… dans quelques ins­tants, une petite âme, une épouse retrou­ve­ra la Vie.

Selon l’u­sage, la salle de fes­tin était res­tée ouverte et les amis de Simon y entraient libre­ment. Or, sou­dain, c’est l’é­moi ! La Madeleine se glisse par­mi les visi­teurs. Elle pro­fite de l’é­ton­ne­ment et marche rapi­de­ment vers le Rabbi dont les pieds nus s’offrent à elle.

Dans ses mains, elle porte un vase d’al­bâtre plein de par­fum, vase au long col qu’une pres­sion des doigts suf­fit à bri­ser. Silencieuse, elle s’a­ge­nouille, arrose de ses larmes les pieds de Jésus, brise le col du vase, en répand l’huile par­fu­mée sur ces pieds qu’elle essuie de ses longs che­veux dénoués. Acte créa­teur… acte pre­mier d’hu­mi­li­té, acte de naissance.

C’est pour une femme juive une honte de paraître en public les che­veux épars… Et Jésus semble ne rien remar­quer. Simon, lui, s’a­gite, un sou­rire moqueur aux lèvres ; la joie l’emporte sur la colère, c’est une joie mau­vaise… c’est la joie du dam­né qui se réjouit du mal et du scan­dale. Jésus est jugé ! S’il était un pro­phète, comme le pense cette popu­lace igno­rante de la loi, il sau­rait quelle est cette femme qui le touche… une péche­resse. Il l’au­rait repous­sée – il aurait dû le faire ! – pour ne pas contrac­ter une souillure légale. La morale hypo­crite de Simon ne sait pas que Jésus lit dans son âme. Parce que Jésus regarde les âmes.

Simon, dit-​il, regar­dant son âme au delà de son regard… j’au­rais quelque chose à te dire. Voilà Simon face à lui-​même : Parle, maître.

Maître ? À la seule façon que le Christ a de lui par­ler, Simon est lui aus­si invi­té aux réa­li­tés spi­ri­tuelles, mais il n’y ren­tre­ra pas. Deux hommes devaient à un créan­cier ; l’un 500 deniers, l’autre 50. Comme ils n’a­vaient pas de quoi s’ac­quit­ter ; il leur remit leur dette à tous deux. Quel est, penses-​tu, celui qui l’ai­me­ra le plus ? – Sans doute celui à qui il aura remis davan­tage. – Très bien répon­du. Alors que Simon se per­dait dans de mau­vaises pen­sées, Jésus lui parle d’a­mour : Quel est, penses-​tu, celui qui l’ai­me­ra le plus ?

Tu vois cette femme, Simon ?

Et, se tour­nant vers Madeleine, Jésus apprend à Simon à mieux regar­der l’autre, à le regar­der autre­ment que par les yeux du corps. Quand je suis entré chez toi, tu ne m’as pas ver­sé d’eau sur les pieds, mais elle, de ses larmes, elle a arro­sé mes pieds et de ses che­veux elle les a essuyés. Tu ne m’as pas don­né de bai­ser ; mais elle, depuis que je suis entré, n’a pas ces­sé de me bai­ser les pieds. Tu ne m’as pas oint d’huile la tête, mais elle m’a oint les pieds de parfum.

Cette suc­ces­sion de « tu ne m’as pas » a dû meur­trir la vani­té du pha­ri­sien. Mais voi­ci que ce rab­bi qu’il a invi­té à sa table, le com­pare à une femme, et quelle femme ! Cette com­pa­rai­son avec cette péche­resse l’a cer­tai­ne­ment pro­fon­dé­ment humi­lié. Pour Simon, c’est une chute ter­rible, sem­blable à celle de Saint Paul de son che­val. C’est une chute inté­rieure de soi-​même que pro­voque le Christ dans son âme.

C’est pour­quoi, je te le dis, ses nom­breux péchés lui sont remis, parce qu’elle a beau­coup aimé. Et elle aime­ra davan­tage parce qu’on lui a remis davan­tage. Les paroles de Jésus sont d’une extrême dou­ceur. Pourtant la leçon est rude pour Simon ; mais il en va de sa vie éter­nelle. Mais celui à qui on remet moins aime moins… Jésus dit à Simon ce qu’il voit en lui : toi, tu n’aimes pas du tout parce que tu estimes n’a­voir rien reçu et tu penses n’a­voir rien à rece­voir. Simon est l’i­mage du désespoir.

Il n’y a pas de pro­grès, il n’y a pas d’ho­ri­zons, il n’y a pas d’es­poir pour l’homme qui s’a­donne aux escla­vages de la chair : il n’y a que le « moi », le « je » obèse qui rend aveugle. La matière le ren­ferme, le limite à lui-​même. Il s’a­git de savoir si l’on désire vivre avec les Anges ou avec les bêtes. Alors, s’a­dres­sant à Madeleine, Jésus dit, tes péchés te sont remis… Tes péchés te sont remis, parole qui sou­lève les mur­mures des Pharisiens : Qu’est-​il celui-​là pour remettre les péchés ? pou­voir réser­vé à Dieu. Mais Lui, sans s’é­mou­voir conti­nue : ta foi t’a sau­vée, va en paix !

Madeleine se lève. Eux, ils conti­nue­ront à mur­mu­rer… mal­heu­reux pha­ri­siens, pauvres pécheurs imbus de vous-​mêmes et inca­pables en cet ins­tant de sai­sir le drame spi­ri­tuel de cette âme qui a trou­vé Dieu. Cela vous vau­dra un jour cette réplique fou­droyante : Race de vipères ! Pas plus que vous ne son­gez à vous faire par­don­ner, vous ne par­don­nez à ceux que vous faites tom­ber. Tandis qu’ils courbent la tête, qu’ils détournent leurs regards avec mépris, Madeleine, indif­fé­rente à leurs mur­mures s’en va, chan­gée, puri­fiée, res­sus­ci­tée. Elle vit ! désor­mais elle est insen­sible à tout, sauf aux pures joies de l’a­mour pénitent.

Bossuet s’exalte à ce spec­tacle et fixe, en quelques traits la psy­cho­lo­gie des grands mys­tiques péni­tents : Va, cœur épui­sé, fati­gué, qui n’as jamais rien trou­vé qui fût capable de rece­voir l’im­men­si­té de ton amour ; va t’a­bî­mer dans l’o­céan, va te perdre dans l’in­fi­ni, va t’ab­sor­ber dans le tout.

Beaucoup de péchés lui sont remis. C’est parce que Madeleine a quit­té la geôle des sens et s’est éveillée à l’es­prit que Jésus par­donne. Cette péche­resse dont il voit l’âme chan­gée, il va la réha­bi­li­ter avec une audace décon­cer­tante ; il va l’ad­mettre, à côté de la Vierge Marie, dans le col­lège des saintes Femmes. Parce que Jésus regarde le cœur. Bien plus, il ne refu­se­ra pas de prendre ses repas, dans la mai­son de Béthanie. Et tan­dis que Marthe s’af­faire et s’a­gite, pré­pa­rant le repas, Madeleine, aux pieds du Maître, écoute et désor­mais se nour­rit. Cela indis­pose Marthe, mais Jésus défend Madeleine. Elle a choi­si la meilleure part. Laquelle n’est pas l’i­nac­tion. Madeleine se mon­tre­ra plus agis­sante que Marthe, l’heure des grands com­bats venue ; la meilleure part c’est d’ap­prendre avant d’agir.

D’apprendre ceci : Dieu a moins besoin de nos bras que de nos cœurs, d’ailleurs quand les cœurs ne sont pas don­nés, les bras se lassent vite.

Ce sont les larmes de Madeleine qui, après la mort de Lazare, ont tiré des larmes à Jésus et lui ont fait com­man­der, pen­ché sur le tom­beau où repo­sait depuis quatre jours le cadavre putré­fié le Lazare, lève-​toi et sors !

Au len­de­main de la résur­rec­tion de Lazare, au fes­tin de Simon le lépreux, à Béthanie, nous retrou­vons ce geste de la péche­resse de Magdala. Au début du repas, Madeleine, pros­ter­née devant les pieds nus de Jésus, les arrose de larmes et de par­fums et les essuie de ses che­veux dénoués. Or ce par­fum valait 300 deniers ! Scandale de pro­di­ga­li­té aux yeux de Judas, mais geste d’a­mour auquel Jésus pro­met l’im­mor­ta­li­té. En elle l’es­prit s’est affir­mé, elle a rem­por­té la vic­toire sur la chair… l’homme ani­mal est domp­té. Judas, c’est la défaite de l’es­prit, c’est la défaite de l’homme ; il sera éter­nel­le­ment l’ombre, l’an­ti­thèse, la démons­tra­tion par l’ab­surde des pos­si­bi­li­tés spi­ri­tuelles incroyables de l’es­prit. Malheureusement il sera aus­si le modèle de notre monde moderne.

La grande réa­li­té mys­tique emporte la Madeleine vers l’ex­pia­tion, l’a­mour, le don de soi. Gloire suprême de la réha­bi­li­tée, le Vendredi Saint, au Calvaire, plus cou­ra­geuse que les Apôtres, réha­bi­li­tant par son cou­rage l’hon­neur de l’hu­ma­ni­té, elle sera debout à côté de la Vierge. Le der­nier regard du Christ mou­rant se pose­ra sur elle et sur l’im­ma­cu­lée. Puis, prou­vant une fois de plus que jamais le cou­rage de l’ac­tion ne fut por­té plus haut que chez les contem­pla­tifs, avant les Apôtres, elle revien­dra au Saint-​Sépulcre, le matin de Pâques. Audace qui ne doute de rien, car l’a­mour ignore les impos­si­bi­li­tés. Voyant le tom­beau vide, elle inter­ro­ge­ra Jésus res­sus­ci­té qu’elle prend pour le jar­di­nier : Si c’est toi qui l’as enle­vé, dis-​moi où tu l’as mis et moi je l’emporterai.

Maria !

D’un mot Jésus se fait recon­naître, puis il l’en­voie aux Apôtres leur annon­cer la Résurrection. Elle est choi­sie pour être « l’a­pôtre des Apôtres ». Au len­de­main de l’Ascension, aux hasards des flots, Jésus la conduit aux rivages de Provence. Après avoir secon­dé, à Marseille, l’a­pos­to­lat de son frère Lazare, jus­qu’au jour de son mar­tyre, elle gagne les soli­tudes sau­vages de la Sainte-​Baume. Là, le Christ lui fera gra­vir les plus hauts som­mets de la vie mystique.

À de telles âmes, sou­ligne Bossuet, il faut la soli­tude des déserts et des sites sau­vages, sym­bole de ce dénue­ment total où elles tendent. Une heure vient où elles ne connaissent plus qu’une joie : celle de don­ner ; même les pures joies de la contem­pla­tion, elles les sacri­fient. Et là finit le Cantique, consom­ma­tion de tout le mys­tère du saint Amour. Alors il ne reste plus que la mort, com­men­ce­ment de la vie.

Quand Madeleine, sen­tit venir sa fin, elle des­cen­dit de son Thabor, après avoir prié saint Maximin de lui appor­ter une der­nière fois la com­mu­nion. Elle le rejoi­gnit sur la voie Aurélienne, s’a­ge­nouilla, comme jadis à Magdala et à Béthanie, aux pieds du Maître. Son opu­lente che­ve­lure jadis pro­fa­née, puis réha­bi­li­tée, est deve­nue blanche. À genoux, au bord du che­min, elle reçoit Celui qui lui dit un jour, va en paix, tes péchés te sont par­don­nés. Il res­tait à les expier par la péni­tence et l’ac­tion. Dans le don quo­ti­dien elle a trou­vé cette paix qui la fuyait dans le péché. Après la com­mu­nion, elle incli­na la tête et entra dans l’ex­tase éternelle.

C’est au fond de notre âme, entre l’es­prit et la matière, entre l’es­prit et la bête, que se joue le sort du monde et notre sort. C’est parce qu’il sait que depuis vingt siècles, sur la Croix du ven­dre­di saint, l’es­prit a fini par avoir rai­son de la matière, que le chré­tien ne peut céder au ver­tige du déses­poir. Le carême qui approche sera encore le temps des grands com­bats avec Jésus sur la Croix et des grandes vic­toires avec Lui, au matin de Pâques.

Source : La part des Anges n° 13 – février 2025