Accès à la Constitution Sacrosanctum Concilium
Avant de commencer une série d’articles sur chacun des textes issus du deuxième concile du Vatican, le présent article veut simplement préciser, par souci pédagogique, la définition de certains termes et donner en même temps une rapide trame historique de ce concile, afin de pouvoir situer ensuite plus aisément les articles suivants.
Présentation historique
Lorsque les évêques ont pénétré dans la basilique Saint-Pierre de Rome ce 11 octobre 1962, n’allons pas croire qu’ils assisteraient béatement et sans préparation aux sessions du concile. Dès les mois de juillet août, ils avaient reçu les premiers schémas (textes préparés par des commissions) afin de les étudier et de pouvoir en discuter au moment du concile. Les quatre premiers textes envoyés étaient dogmatiques, le cinquième portait sur la liturgie.
Quelque part en Hollande
Il est certain que les quatre schémas dogmatiques suscitèrent un véritable émoi auprès des théologiens progressistes : Schillebeeckx, Chenu, Congar, Küng, Ratzinger les jugèrent trop scolaires, trop romains, trop dogmatiques, trop scolastiques. En un mot pas assez adaptés au monde. Aux dires du père Wiltgen, c’est à s’Hertogenbosch que les évêques hollandais décidèrent de commencer par étudier le schéma sur la liturgie. Schillebeeckx devait écrire un texte, Küng et Congar se chargeraient de convaincre les évêques.
Le principe est toujours le même : plutôt que de se trouver en désaccord sur la doctrine, préférence est donnée à discuter des points pratiques : on trouve toujours d’excellents arguments pour justifier les réformes !
Les discussions
Le texte a été longuement et parfois âprement discuté. En effet, préparé par des hommes de curie et théologiens, il fut vivement critiqué par les « hommes de terrain » qui estimaient devoir mettre la liturgie non seulement au goût du jour, mais aussi au goût des cultures.
Les débats commencent le 22 octobre. Une vingtaine de congrégations générales portèrent sur ce sujet. On compte environ un millier d’interventions orales ou écrites (plus d’un millier de pages). Il est hélas affligeant de voir l’aspect presque puéril de certaines interventions. Mais il est certain aussi que l’audace des intervenants fut aussi à l’origine de certaines innovations. Langue vernaculaire à la messe et aux offices du bréviaire, communion sous les deux espèces, concélébration, messe face au peuple (un évêque s’y est risqué, prétextant de l’exemple de Notre Seigneur lors de la Cène… [1], réduction du bréviaire, des cérémonies de certains sacrements, suppression du noir aux enterrements [2]. C’est lors de son intervention du 30 octobre 1962 contre les innovations proposées que le Cardinal Ottaviani (l’un des plus grands prélats de la curie) s’est vu couper le micro sous la risée et les applaudissements hostiles des pères conciliaires [3].
Un coup de tonnerre
Le 13 novembre 1962, la présidence du concile a mis fin aux discussions sur le schéma de la liturgie : les votes sont à l’ordre du jour pour le lendemain. Mais surtout, une décision du pape a été lue dans l’aula conciliaire. Répondant à la demande de quelques quatre cents évêques, le pape Jean XXIII fait inscrire saint Joseph au canon de la messe. Les observateurs sont atterrés, les évêques mécontents : alors que l’épiscopat du monde entier est en discussion précisément sur la liturgie, le pape prend une décision seul et sans les consulter et la leur impose !
Le vote
Le 14 novembre 1962 2162 voix sur 2215 approuvent les critères directifs pour la révision du schéma et que les amendements soient soumis au fur et à mesure. Les amendements sont soumis au fur et à mesure. Enfin, le 4 décembre 1963 les pères conciliaires sont invités à voter le texte définitif. Les résultats donnent 2147 placet contre 4 non placet. Les applaudissements fusent alors : c’est le premier texte voté après deux sessions !
Le pape Paul VI promulgue la constitution immédiatement.
Présentation de Sacrosanctum Concilium
Le premier élément que l’on se doit de noter est la nature de ce texte. Sacrosanctum concilium est une constitution dogmatique [4]. Le terme dit l’intention des pères conciliaires. Une telle constitution est d’ordre doctrinal. Ce qui signifie qu’elle n’est pas avant tout pratique. Nulle trace donc de décisions concrètes, d’ordres ou d’injonctions. Le texte veut se mouvoir dans l’ordre des principes.
Une suite logique et chronologique…
On peut se demander à bon droit si un tel texte était nécessaire. En effet, quelques années auparavant, le pape Pie XII avait promulgué une encyclique fort complète sur le sujet [5]. Cependant, lorsque, avant le concile, les évêques avaient été consultés, le sujet de la liturgie avait été l’un des plus demandés. Saint Pie X avec le bréviaire (1911) et la musique sacrée (1903) avait commencé une réforme de la liturgie. Pie XII, avec la semaine sainte que nous connaissons aujourd’hui avait poursuivi cette réforme. En France surtout, on connaît bien aussi le mouvement liturgique… C’est pourquoi, il n’y a pas lieu de s’étonner de voir la liturgie à l’ordre du jour.
Encore une réforme ?
Le texte du concile est clair : il s’agit d’apporter une nouvelle pierre de touche à ce qui a déjà été accompli en matière de liturgie. On peut dire que le concile se veut une réforme didactique de la liturgie pour une meilleure participation et compréhension des fidèles. Le souci des pères conciliaires est de rendre la liturgie accessible aux fidèles afin de susciter un plus grand enthousiasme.
Le plan du texte
Après une introduction, le texte comprend sept parties. En réalité, on peut les réduire à deux points : la première partie d’une part et les six autres d’autre part. Le premier chapitre traite des principes généraux et des normes à apporter « pour la restauration et le progrès de la liturgie ». Les six autres chapitres ne sont que l’application de ces normes aux différentes parties et composantes de la liturgie : l’eucharistie (la messe), les autres sacrements, l’office divin, l’année liturgique, la musique sacrée, l’art sacré et le matériel du culte. Suit enfin un appendice qui traite de la révision du calendrier liturgique.
Analyse
Il est difficile en peu de lignes de faire une analyse succincte qui veuille dire l’essentiel sans caricaturer. Nous nous arrêterons donc à quelques grandes lignes.
Satisfaction
A première vue, on ne peut être que satisfait de ce texte. D’ailleurs, n’a‑t-il pas été approuvé par la quasi totalité des pères conciliaires ?
La sanctification des hommes et la glorification de Dieu y sont rappelées [6] ; la liturgie est définie comme principe de la piété [7] ; le latin est prôné [8] ; le chant grégorien reste le chant d’Eglise [9] ; on entend donner une bonne formation aux pasteurs, clercs et fidèles [10]…
Et pourtant, n’est-ce pas le sulfureux théologien Schillebeeckx [11] qui se réjouissait de cette constitution, la qualifiant de chef d’œuvre ? Voilà un signe qui ne trompe pas…
Des omissions…
Il est certain que ce texte reprend en grande partie l’encyclique Mediator Dei de Pie XII, même s’il ne la mentionne pas. Mais le schéma conciliaire n’a pas la même qualité que le texte du pape. En effet, là où Pie XII, pour mieux cerner l’objet de la liturgie, condamnait les erreurs opposées (archaïsme, etc), le concile semble, lui, avancer en eau calme, comme si aucun danger ne menaçait. Ainsi, cette constitution laisse planer une sentiment d’assurance : elle prône une réforme de la liturgie, sans se rendre compte qu’il y a tout autour des écueils à éviter. Le silence sur les erreurs dénote très clairement un esprit dévoyé. D’autant plus que c’est le magistère qui parle. Ces omissions sont donc la porte ouverte à des errements que l’on constatera aisément…
Des contradictions…
Un autre problème plane dans le texte. On pourrait le qualifier de contradiction, encore qu’il ne soit pas énoncé précisément de cette façon. En effet, la constitution rappelle bien certains principes. On ne peut alors qu’être satisfait. Mais aussitôt le principe affirmé, le texte laisse la possibilité de le modifier. On ne dit pas oui. On ne dit pas non. On dit oui, mais…
Par exemple, au numéro 22, il est dit que seul le Siège apostolique, et dans certaines limites l’évêque, peut régler la liturgie. Mais au numéro suivant on permet des innovations si c’est utile.
Au numéro 36, il est affirmé clairement que « l’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins ». Au paragraphe suivant, on lit avec étonnement : « Toutefois, … l’emploi de la langue du pays peut être souvent très utile pour le peuple ; on pourra donc lui accorder une plus large place… »
Vers une dérive ?
Enfin, une expression symptomatique revient assez souvent. Le texte parle très abondamment de la « participation active » [12] des fidèles. C’est un réel problème car cette activité n’est pas définie. En réalité, en matière de sacrements, seul le ministre (le prêtre et l’évêque, en raison de leur caractère sacerdotal) ont un rôle actif. Les fidèles (le peuple de Dieu comme les appelle la constitution par deux fois) ont un rôle passif, en ce sens que ce ne sont pas eux qui « font » les sacrements : ils les reçoivent et ont un droit à les recevoir en raison de leur caractère baptismal. En ce sens, ils sont dits passifs.
L’action communautaire réclamée par le texte conciliaire laisse planer une ambiguïté sérieuse et importante qui tend à mettre sur le même pied prêtres et fidèles. C’est l’amorce de la doctrine du sacerdoce commun dont nous aurons à parler plus tard.
Il y aurait d’autres passages à relever tels la place éminente donnée aux Ecritures, l’absence de mention de la Tradition en matière de sacrements ou même pour le canon de la messe, l’importance pédagogique de la liturgie, que la brièveté de cette étude ne nous permet pas d’expliciter.
Des fruits non voulus ?
On juge l’arbre à ses fruits : nouvelle messe, nouveaux missels, nouveaux sacrements… Et pourtant, on entendra (ou on a entendu…) souvent dire que le concile n’a pas voulu tous les fruits (entendez les abus…) qui s’en sont suivis.
Il faut répondre que le concile n’a pas empêché ces fruits, ne les a pas condamnés et a leur a laissé la porte ouverte. Il existe des omissions qui sont coupables, et retirer les fruits mauvais ne suffit pas à assainir l’arbre.
En conclusion
En réalité, ce texte est emprunt d’un esprit libéral. D’une part la vérité est affirmée, mais l’erreur n’est pas condamnée. D’autre part, affirmer un principe en droit et concéder qu’on ne peut l’appliquer en fait, ressortit aussi à cet esprit. Enfin, ce libéralisme est moderniste par les affirmations dangereuses de participation active et peuple de Dieu, lesquelles affirmations seront développées par la suite dans la théorie du sacerdoce commun.
La constitution Sacrosanctum concilium est donc fautive non seulement par ses expressions malheureuses qui sous-tendent une théologie nouvelle mais aussi par ses omissions coupables.
Bref, en un mot et pour faire court, avec cette constitution, la liturgie ne semble plus ordonnée premièrement à Dieu, mais à l’homme.
C’est donc un nouveau culte qui y est initié.
Abbé Gabriel Billecocq, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
- Intervention de Mgr Duschak, vicaire apostolique de Calapan aux Philippines. Cf. AS I/II, 109–112.[↩]
- Mgr Sansierra d’Argentine, AS I/II, 301–302.[↩]
- AS I/II, 18, 20. D’ailleurs ce prélat se dispensera d’assister à certaines séances dans l’aula conciliaire, ce qui fera monter la tension.[↩]
- Il n’y a que trois constitutions dogmatiques issues de ce concile.[↩]
- Il s’agit de Mediator Dei, en novembre 1947.[↩]
- n° 10[↩]
- n° 12 et 13[↩]
- n° 36[↩]
- n° 116[↩]
- n° 15 à 19[↩]
- Edward Schillebeeckx (1914–2009) dominicain belge formé chez les Jésuites à Louvain. Lorsqu’il ira étudier au Saulchoir chez les dominicains (1945–1947) il sera profondément influencé par ses maîtres Chenu et Congar. Voulant concilier thomisme et phénoménologie, Schillebeeckx cherche à donner une place importante dans la théologie à l’action de l’homme, révisant ainsi le dogme comme une action de collaboration entre l’homme et Dieu.[↩]
- n° 11, 14, 19, 30, 31, 48, 79, 114, 121.[↩]