Le transhumanisme est un courant de pensée contemporain qui annonce la venue prochaine d’une nouvelle étape dans l’évolution de l’humanité, grâce aux technologies qui ne cessent de se développer. Résolument progressistes et très au fait des découvertes techniques récentes, les transhumanistes sont persuadés que les années à venir verront l’apparition d’hommes modifiés et perfectionnés par la science. Ils n’hésitent pas à prédire la fin de la souffrance, de la vieillesse, de la pauvreté et même de la mort, la fusion de l’homme et de la machine, voire le transfert de la personnalité dans des robots ou des ordinateurs.
Ces idées sont-elles nouvelles ? Sont-elles une chance pour l’humanité ? Voilà les questions que se pose Joël Hautebert, juriste, avec la collaboration de ses étudiants de l’Institut Albert le Grand où il enseigne en plus de son poste de professeur de droit à l’Université d’Angers.
Une première partie se consacre à rechercher les antécédents philosophiques du transhumanisme. Ce dernier, comme tous les courants contemporains, se réclame des Lumières : comme la philosophie du XVIIIe siècle, il prévoit un progrès illimité et recherche une liberté sans bornes. Comme les Lumières aussi, le transhumanisme récuse la philosophie grecque fondée sur le concept de nature. Nos penseurs modernes préfèrent considérer tous les êtres comme des amas de matière, la vie n’étant plus qu’un accident dû au hasard, et l’âme humaine étant évidemment oubliée.
Le transhumanisme ne fait que pousser ces principes vers leur conclusion. S’il n’y a ni nature ni Créateur, mais seulement un monde absurde dû au hasard, alors il n’y a ni bien ni mal et le seul but de l’existence devient l’efficacité matérielle.
La seconde partie compare le transhumanisme à d’autres courants contemporains, et constate de multiples convergences : les idées transhumanistes peuvent compter sur la révolution libertaire de mai 68, qui promeut une société utopique, sur le lobby LGBT, qui considère le corps sexué comme une contrainte dont la science doit nous libérer, et même sur les mouvements animalistes et écologistes radicaux, qui brouillent la frontière entre homme et animal tout en considérant les humains comme de dangereux parasites. Tout ce qui peut dégoûter les hommes de leur propre nature fait le jeu des apprentis sorciers. Quel est le point commun entre les écologistes les plus enragés et des fous de technologie polluante et de bricolage génétique ? Tout simplement la haine de la nature humaine telle qu’elle est, et la volonté de détruire le monde ancien pour le réserver à une élite éclairée… Preuve de plus s’il en fallait que l’écologisme n’a plus grand-chose à voir avec la défense des espèces menacées.
Si ces courants sont évidemment très divers, voire divisés et antagonistes, il n’en reste pas moins qu’ils menacent tous à leur manière ce qu’il reste de loi naturelle dans la société. Et la troisième partie s’interroge justement sur les conséquences de la pensée transhumaniste dans les esprits contemporains. Si elle rencontre tant de succès, c’est qu’elle offre une nouvelle perspective aux espérances déçues par les échecs du XXe siècle et de ses idéologies. Mais ce progressisme apparemment nouveau va se heurter à ses propres conséquences. Tout d’abord, il oblige à séparer l’humanité entre ceux qui ont les moyens de bénéficier des avancées technologiques et les autres… Or ce fossé qui se creuse entre les gagnants et les perdants de la mondialisation est de plus en plus mal vécu par les perdants, ce qui donne lieu à de multiples résistances. Ensuite, le transhumanisme ne peut cacher son individualisme forcené et utopique : rechercher la perfection de l’individu par la technique ne peut manquer de détruire l’esprit de transmission et de service du bien commun essentiel à toute société. Le seul recours est alors le conditionnement dans des sociétés qui emploieront la technologie pour asservir les citoyens – le Meilleur des Mondes n’est pas loin, et il est si tentant de renoncer à une liberté fatigante pour la sécurité et le confort d’un monde de fourmis… Enfin, ce monde rêvé du transhumanisme ressemble trait pour trait au totalitarisme décrit par Hannah Arendt, notamment dans son mépris du réel au profit d’un futur fantasmé, sa tendance à supprimer les récalcitrants jugés irrécupérables, et surtout son aversion des faibles et des infirmes.
Ces réflexions s’appuient sur un raisonnement purement philosophique, déjà largement suffisant pour critiquer ces atteintes délibérées à la loi naturelle. Le catholique ne s’étonnera pas de découvrir sous l’apparente nouveauté du discours transhumaniste le plus vieux mensonge de tous les temps : « Vous serez comme des dieux ».
Abbé LM Carlhian (Prieuré de Mulhouse)
Joël Hautebert, Le Transhumanisme, aboutissement de la Révolution anthropologique, Editions de l’Homme nouveau, 2019. 160 pages, 19 €.
Sources : La Porte Latine du 4 juin 2020