Chers amis et bienfaiteurs,
Une épidémie a frappé le monde. Parallèlement, des crimes sont commis dans notre pays, notamment contre des chrétiens, par des assassins se revendiquant de l’islam. Il est fascinant de constater les étranges réactions de la puissance publique devant ces deux faits.
Commençons par l’épidémie. Le premier point à noter est que tout a été sacrifié à la santé corporelle. La religion, la culture, l’amitié, la vie sociale, l’attention aux plus fragiles, le contact avec la nature, même l’économie, tout peut disparaître, pourvu que perdure la vie de nos organes. Chose extraordinaire : pendant trois mois, il n’était même plus permis de se marier (à la mairie), il n’était pas non plus permis de se promener, seul, à la campagne, si l’on était à plus d’un kilomètre de chez soi. La seule chose encore autorisée, c’était de travailler (à distance, bien isolé dans sa bulle) et de consommer. Mais pas n’importe quelle consommation : il s’agissait de manger, de boire, de se laver, et c’était tout. Ah oui ! On pouvait encore s’abrutir devant des écrans avec des nouvelles terrifiantes (le décompte quotidien des morts, pour apeurer le bon peuple), des films ou des séries télévisées ineptes, voire se corrompre par une avalanche de pornographie.
Derrière ces choix gouvernementaux, dont l’unanimité mondiale a quelque chose d’assez impressionnant, on aperçoit un féroce matérialisme : l’homme n’est rien d’autre que le produit mécanique et chimique d’une évolution biologique aveugle et sans but. Son destin est de jouir le plus et le plus longtemps possible, avant de rejoindre le néant. Et comme cette perspective de la mort serait déprimante, il vaut mieux la cacher : les enterrements ont été, durant les derniers mois, sinon interdits, du moins réduits à leur plus simple expression. Rien d’autre que la vie biologique n’a d’importance. Prendre un risque, même calculé, même modéré, même justifié, est devenu comme impossible, si cela met en danger la précieuse vie corporelle.
Passons maintenant à ce que l’on nomme le « terrorisme islamique ». Bien entendu, ces assassinats horribles, épouvantables, sont à condamner sans réserve, qui que ce soit qu’ils frappent. Et il est évidemment nécessaire que, dans toute la mesure de ses moyens, la puissance publique protège les honnêtes gens de ces crimes. Mais sur ce point, et sous-jacent à la politique menée par nos gouvernants, on distingue pour commencer un refus du péché originel. Si l’homme est naturellement bon, comment se fait-il que le mal existe, mal si brutal, si effrayant ? Mais si, au contraire, l’humanité est contaminée par le mal, par le péché, dont la noirceur est sans limite, alors on ne peut être surpris de le voir surgir au milieu de nous. De plus, lorsqu’on croit au péché originel, on sait que la paix, la concorde, le respect, l’honnêteté, etc. sont des réalités fragiles qui ne se maintiennent que par la vertu, elle-même reposant ultimement sur la grâce. Mais précisément, le système actuel refuse toute idée de vertu, et ne compte que sur les réalités matérielles et les appétits de jouissance comme rempart contre le mal.
Pourtant, comme le remarquait Monseigneur Lefebvre, on ne peut mettre un policier derrière chaque citoyen, pour le surveiller ou le protéger. Et d’ailleurs, même dans ce cas imaginaire, qui nous protégerait d’un policier devenu méchant ?
Face à ces crimes, quelles solutions sont promues ? A priori, on s’attendrait à un renforcement des moyens de la police, de la justice, du renseignement, etc. Certes, on prend quelques mesures en ce sens, mais elles sont bien limitées. En revanche, et de façon caractéristique, on en profite à chaque fois pour restreindre la liberté du bien, et notamment le peu de liberté scolaire qui nous reste. C’est ainsi que l’obligation de suivre à la lettre les programmes scolaires étatiques se fait de plus en plus lourde chaque année. C’est ainsi que les inspections des écoles hors contrat deviennent de plus en plus fréquentes, tatillonnes, et souvent odieuses et injustes. C’est ainsi que l’obligation scolaire a été étendue de l’âge de six ans à l’âge de trois ans. C’est ainsi qu’un projet de loi envisage de supprimer le droit de faire l’école à la maison, etc. A la suite de ces mesures toujours plus contraignantes et attentatoires à la liberté du bien, les crimes d’origine islamique ont-ils diminué ? Aucunement, et même au contraire. Il est d’ailleurs évident que ce n’est pas le fait qu’un enfant entre à la crèche à trois ans plutôt qu’à l’école primaire à six ans qui va réduire le nombre de candidats aux attentats terroristes. Il n’y a, bien sûr, aucun lien entre ces deux réalités. La vérité, c’est que la puissance publique utilise la légitime émotion suscitée par des crimes horribles, la peur qui naît spontanément de ces méfaits, pour faire avancer son projet toujours plus terrifiant de « totalitarisme laïc ». L’enfant doit être modelé, formaté, façonné selon les normes de la pensée unique, et spécialement en l’arrachant à toute croyance religieuse, à toute foi surnaturelle.
Chers fidèles, vous le savez par votre propre expérience, la vie chrétienne authentique devient chaque jour plus difficile : une atmosphère délétère nous entoure, nous envahit, notamment par le biais d’écrans omniprésents (et, à quelques égards, impossibles à ne pas utiliser au moins quelquefois), nous distrait, nous trouble, nous tente, nous démoralise. Et, en même temps, des obstacles légaux, techniques, humains se présentent devant nous d’une façon de plus en plus oppressante. Ainsi, au cours de cette année, et pour de bonnes raisons apparentes (la protection de la santé), vous avez été empêchés d’assister à la messe durant de très longues semaines, y compris durant le Carême, la Semaine sainte, le temps pascal, l’Avent. Nous-mêmes, vos prêtres, avons de plus en plus de mal à vous faire profiter de notre ministère sacerdotal, à prêcher la vérité, à vous aider dans l’éducation de vos enfants. Nous essayons de profiter des derniers lambeaux de liberté qui subsistent, mais ce n’est pas toujours facile. De nombreux fidèles âgés qui se trouvaient dans des Ehpad ont ainsi été privés durant six mois cette année de la visite du prêtre, du réconfort des sacrements, parfois même d’un enterrement religieux, sans que le prêtre, impuissant, interdit de visite, puisse voler au secours de ces âmes souffrantes et abandonnées.
Chers fidèles, si nos libertés extérieures se réduisent comme peau de chagrin, il nous reste toujours le témoignage quotidien de la foi, de la fidélité à Notre Seigneur Jésus-Christ en cette époque de la « grande apostasie ». Lorsque le prophète Élie, découragé, déclara au Seigneur : « Les enfants d’Israël ont abandonné votre Alliance, et je suis demeuré seul à brûler de zèle pour vous », Dieu lui répondit : « Tu n’es pas seul, car je me suis réservé sept mille hommes dans Israël qui n’ont pas fléchi le genou devant Baal[1] ».
En ces temps apparemment apocalyptiques, quand l’humanité dans sa grande masse se détourne de Dieu, nous sommes appelés par grâce et sans mérite de notre part à ne pas fléchir le genou devant les idoles mensongères de la modernité, mais à vivre, au contraire, des grandes réalités spirituelles de la foi, de l’Église, de la liturgie, en les recevant de la Tradition. Et précisément, si pour des raisons éventuellement bonnes (la santé, la sécurité) ou mauvaises (le « totalitarisme laïc »), on nous empêche ou on nous rend difficile d’accéder aux biens spirituels « de première nécessité », la messe, la liturgie, les sacrements, la vie paroissiale, cela doit être pour chacun de nous une invitation à y faire davantage attention, à les estimer à leur juste prix d’éternité, et à en profiter au maximum lorsque nous avons la grâce de pouvoir y participer. Les difficultés que nous rencontrons sont une claire invitation de la Providence à redoubler de ferveur et à travailler à enraciner plus profondément notre vie chrétienne. Depuis cinquante ans, la Fraternité Saint-Pie X, fidèle à l’héritage de Monseigneur Lefebvre, s’efforce de vous porter assistance en cette difficile mais magnifique fidélité chrétienne, par ses prêtres, ses religieux, ses religieuses, ses prieurés, ses chapelles, ses écoles.
Que Notre-Dame de Bourguillon, Gardienne de la Foi, qui fut invoquée avec ferveur au tout début de la Fraternité (le sanctuaire se trouve près de Fribourg, où étudiaient en 1969–1970 les neuf premiers séminaristes qui constituèrent l’ébauche de ce qui devait, le 1er novembre 1970, devenir la Fraternité Saint-Pie X), que Notre-Dame de Bourguillon nous garde tous dans une foi intègre jusqu’à la fin.
Abbé Benoît de Jorna, Supérieur du district de France.
- 1 R 19, 1–18[↩]