Entre bâtir une église et ouvrir une école …

Lettre aux Amis et Bienfaiteurs du District de France n°93

Chers amis et bienfaiteurs,

On attri­bue une parole à notre saint Patron, le pape saint Pie X : « Entre bâtir une église et ouvrir une école, je choi­sis sans hési­ter l’école ».

Dieu sait que la Fraternité Saint-​Pie X, en France, ne se prive pas d’acquérir des lieux de culte, de les réno­ver, de les meu­bler, de les déco­rer. Et c’est ce que vous atten­dez d’elle, afin de pou­voir mener votre vie chré­tienne dans les meilleures condi­tions, de pou­voir accé­der digne­ment à la sainte litur­gie, dans un
envi­ron­ne­ment qui aide à la prière.

L’avenir de la Chrétienté

Pourtant, l’œuvre des écoles vrai­ment catho­liques est encore plus urgente, encore plus néces­saire. Et il faut remer­cier ceux qui se sont inves­tis dès la fin des années 70 avec une grande abné­ga­tion dans cette œuvre sco­laire, qui per­met aujourd’hui de pro­fi­ter d’un beau réseau d’écoles catho­liques pour l’éducation de mil­liers de jeunes enfants mais aus­si d’adolescents et d’étudiants.

L’école « laïque » a pour objet et pour consé­quence natu­relle de déchris­tia­ni­ser les enfants (et ceci, même s’il existe, heu­reu­se­ment et par la grâce de Dieu, des excep­tions notables). L’école catho­lique, à l’inverse, a pour voca­tion et pour fruit de chris­tia­ni­ser les enfants, de les aider à appro­fon­dir leur foi pour en vivre.

C’est dire que, de l’école catho­lique, doit sor­tir, et sort effec­ti­ve­ment avec la grâce de Dieu, la chré­tien­té. C’est prin­ci­pa­le­ment de l’école catho­lique que nous pou­vons espé­rer les voca­tions, sacer­do­tales et reli­gieuses, de demain, les pères et mères de famille chré­tiens de demain, les laïcs enga­gés et mili­tants de demain, et plus sim­ple­ment encore les fidèles de demain. A quoi bon construire à grands frais des églises si demain elles se trou­vaient vides, faute de prêtres et faute de paroissiens ?

Donc, l’œuvre des écoles est pri­mor­diale pour l’avenir de la chré­tien­té. Nombre de prêtres, de frères et de reli­gieuses s’y dévouent. La géné­ro­si­té des bien­fai­teurs a per­mis l’achat de nom­breux bâti­ments : l’école Sainte-​Marie à Saint-​Père, l’école Saint-​Michel à La Martinerie, l’école Saint-​Martin à La Placelière, l’école Saint-​Michel Garicoïtz à Etcharry, l’école Saint-​Bernard à Villepreux, et tant d’autres, mani­festent que les efforts ne se sont pas relâ­chés pour offrir aux enfants un cadre édu­ca­tif pro­pice à une édu­ca­tion chré­tienne de qualité.

Cette œuvre capi­tale, pri­mor­diale, des écoles chré­tiennes connaît pour­tant des dif­fi­cul­tés assez graves, que je crois devoir vous expo­ser très simplement.

Deux difficultés lourdes mais surmontables

La pre­mière dif­fi­cul­té est finan­cière. Elle pro­vient des exi­gences tou­jours accrues en matière de sécu­ri­té, d’hygiène, d’accès pour les per­sonnes à mobi­li­té réduite, etc. Cela oblige à des tra­vaux coû­teux, à des amé­na­ge­ments com­plexes. Or, les normes se dur­cis­sant sans cesse, ce qui était accep­té à un cer­tain moment ne l’est plus quelques années plus tard, obli­geant à pro­gram­mer de nou­veaux tra­vaux, et ain­si de suite, indéfiniment.

Nous ne contes­tons aucu­ne­ment le fait qu’il faille veiller à la sécu­ri­té, à la san­té, à l’accueil des enfants et nous recon­nais­sons que beau­coup de ces exi­gences éta­tiques sont rai­son­nables et utiles. Mais, à la fin, cela finit par peser lour­de­ment sur le bud­get, ce qui rend dif­fi­cile d’autres amé­lio­ra­tions, pour­tant elles aus­si rai­son­nables et utiles.

Mais, comme l’on dit, « Plaie d’argent n’est pas mor­telle ». Les obli­ga­tions de sécu­ri­té et d’accessibilité sont le moindre de nos sou­cis à pro­pos des écoles. Beaucoup plus graves sont les exi­gences tou­jours accrues de l’État en ce qui concerne le conte­nu même de l’enseignement. L’État deman­dait autre­fois qu’à l’issue de la sco­la­ri­té obli­ga­toire, l’élève pos­sède un ensemble de connais­sances utiles pour la vie sociale, l’emploi, les démarches admi­nis­tra­tives, etc. En gros, il s’agissait de savoir lire, écrire, comp­ter, et de connaître un mini­mum d’histoire, de géo­gra­phie, de sciences, d’art, de langue. La façon d’y par­ve­nir, l’organisation des classes, le dérou­lé des pro­grammes étaient lais­sés à l’initiative des écoles dites, pré­ci­sé­ment pour cela, « libres ».

Plus récem­ment, l’État a impo­sé un cer­tain pro­gramme à connaître pré­ci­sé­ment. Il ne s’agit plus d’étudier l’histoire en soi, mais les obli­ga­tions admi­nis­tra­tives pré­cisent quelles par­ties de l’histoire l’élève doit avoir étu­diées et assi­mi­lées. Ceci fait l’objet d’inspections régu­lières, où les élèves vont être inter­ro­gés, leurs cahiers exa­mi­nés, pour savoir si effec­ti­ve­ment ils ont reçu l’enseignement prescrit.

Ces exi­gences brident consi­dé­ra­ble­ment la liber­té péda­go­gique et rendent plus dif­fi­cile une édu­ca­tion chré­tienne vue comme un tout cohé­rent, puisque les ensei­gnants sont for­cés d’enseigner des choses (utiles en elles-​mêmes) à un moment qui ne semble pas for­cé­ment le plus opportun.

Toutefois, avec une réflexion appro­fon­die, il est pos­sible de conti­nuer à pro­po­ser, mal­gré ces contraintes éta­tiques crois­santes et fort gênantes, une véri­table édu­ca­tion chré­tienne de la jeu­nesse. En sorte que cette deuxième dif­fi­cul­té, elle aus­si, peut être en par­tie surmontée.

Nous laisserons-​nous vaincre par la troisième difficulté ?

C’est en fait la troi­sième dif­fi­cul­té qui est la plus grave, d’autant qu’elle pro­vient des catho­liques. Comment se fait-​il que les écoles catho­liques souffrent d’une dra­ma­tique pénu­rie d’enseignants ? Pourquoi ce désen­chan­te­ment de la car­rière pro­fes­so­rale ? L’esprit mer­can­tile et bas­se­ment maté­riel a‑t-​il assom­bri les intel­li­gences à ce point qu’elles n’envisagent plus de vou­loir rayon­ner ? La laï­ci­té ambiante a‑t-​elle réus­si à tuer tout espoir de trans­mettre les savoirs fran­çais et chré­tiens ? Les parents cou­ra­geux qui s’efforcent d’éduquer leur pro­gé­ni­ture devront-​ils fina­le­ment la livrer en pâture aux idéo­lo­gies des­truc­trices du genre, du wokisme, du trans­hu­ma­nisme ? Non bien sûr !

C’est pour­quoi je sou­haite vive­ment que s’engagent dans cette voie de l’enseignement, avec cou­rage et réso­lu­tion, ceux qui ont des diplômes et des capa­ci­tés ou qui finissent leurs études. Que tous réflé­chissent à la beau­té et la gran­deur de la dif­fu­sion des sciences, quelles qu’elles soient. La joie est grande de voir des intel­li­gences s’ouvrir à des véri­tés nou­velles. Le plai­sir est grand d’enjoindre des volon­tés à gra­vir les som­mets ardus de la ver­tu. Nous savons tous qu’il y a plus de joie à don­ner qu’à rece­voir ; alors quelle n’est pas celle de répandre les connais­sances pra­tiques comme spé­cu­la­tives, car on donne pour la vie et on forme des hommes et des femmes qui un jour, si Dieu veut, seront peut-​être les maîtres de nos cités poli­tiques. Comment peut-​on res­ter insen­sible à un tel enjeu à moins d’être pris par un lâche esprit défai­tiste ou dés­in­té­res­sé du bien com­mun ou pire indifférent ?

A y bien réflé­chir, qu’y a‑t-​il de plus exal­tant et entraî­nant que ce désir d’assurer, certes de façon cachée, mais néan­moins cer­taine, la soli­di­té fon­da­men­tale de notre pays ?

Car l’éducation est un tout. Même s’il enseigne ce qui pour­rait paraître des matières sim­ple­ment pro­fanes, comme les mathé­ma­tiques ou le sport, le pro­fes­seur d’une école chré­tienne contri­bue, avec les prêtres, les reli­gieux, les reli­gieuses, les autres pro­fes­seurs laïcs, à for­mer un homme com­plet, un chré­tien authen­tique. De plus, au-​delà de son ensei­gne­ment spé­ci­fique, le pro­fes­seur laïc donne à ses élèves, sou­vent sans même s’en rendre compte, l’exemple d’un vrai chré­tien, un modèle d’homme ou de femme que l’enfant va pou­voir admi­rer et imiter.

Noblesse du professorat

Ce n’est pas qu’il faille mépri­ser l’industrie, le com­merce, les ser­vices, l’administration, l’armée, la jus­tice, etc. Toutefois, ces métiers sont seule­ment des moyens de ser­vir l’homme lui-​même. L’enseignant, lui, c’est un maître ; il ne pro­duit pas des biens qui, dans un deuxième temps, vont ser­vir l’homme : il œuvre direc­te­ment et immé­dia­te­ment, à la for­ma­tion d’un homme digne de ce nom, d’un catho­lique vivant de la grâce.

Quelle noblesse que cette tâche, alors bien plus noble que les autres métiers et qui dès lors mérite vrai­ment qu’on s’y consacre tout entier.

Que tous ceux et toutes celles qui en ont les capa­ci­tés, le goût, la pos­si­bi­li­té, songent à cette magni­fique voca­tion d’enseignant chré­tien, à ce rôle social de pre­mier plan qu’est l’enseignement, à la gran­deur de ce labeur qui forme les hommes et les femmes de demain. La socié­té humaine, l’Église, la Tradition catho­lique ont un besoin pres­sant de maîtres chré­tiens. Si le bon Dieu vous a gra­ti­fié de ces qua­li­tés qui devraient ser­vir aux familles, à notre pays et à l’Eglise, soyez géné­reux et livrez-​vous à cette belle œuvre de l’enseignement, par­ti­cu­liè­re­ment digne de louange.

Source : Lettre aux Amis et Bienfaiteurs du District de France n°93

FSSPX Supérieur du District de France

L’abbé Benoît de Jorna est l’ac­tuel supé­rieur du District de France de la Fraternité Saint Pie X. Il a été aupa­ra­vant le direc­teur du Séminaire Saint Pie X d’Écône.