« Je voudrais crier »

Que le Seigneur nous octroie, durant l’année 2022, de nom­breuses âmes géné­reuses qui viennent frap­per à la porte de nos séminaires !

« Il me prend sou­vent un désir de crier contre les uni­ver­si­tés, si j’y étais, et hur­ler de tout mon pou­voir comme si j’étais fou ; prin­ci­pa­le­ment contre l’université de Paris, comme la Sorbonne. J’adresserais mon orai­son en criant contre ceux qui étu­dient pour beau­coup savoir, plu­tôt que faire pro­fi­ter leur science à ceux qui sont dans l’indigence… en disant : « Mon Dieu, me voi­ci prêt et appa­reillé, que vous plaît-​il que je fasse ? Envoyez-​moi là où il vous plai­ra, jusqu’aux Indes ou au bout du monde, mon Dieu, mon Seigneur, si tel est votre bon plai­sir »… Mais le com­mun pro­verbe est le sui­vant « Je vais faire des études supé­rieures pour avoir quelque bon reve­nu, et puis après je vivrai à Dieu »1. Ces paroles de Saint François-​Xavier reflètent le cœur des confrères de nos séminaires.

La situa­tion mon­diale actuelle, comme l’état dra­ma­tique de l’Église, nous poussent à crier avec confiance vers le Ciel : « Dieu de bon­té… souvenez-​vous des prières que vos ser­vi­teurs et ser­vantes vous ont faites sur ce sujet depuis tant de siècles !… Votre Loi divine est trans­gres­sée ; votre Évangile est aban­don­né ; les tor­rents d’iniquité inondent toute la terre et entraînent jusqu’à vos ser­vi­teurs ; toute la terre est déso­lée ; l’impiété est au gou­ver­ne­ment, votre sainte Église est pro­fa­née, et l’abomination est jusque dans le lieu saint. Laisserez-​vous tout ain­si à l’abandon, juste Seigneur, Dieu de Justice ? Tout deviendra-​t-​il, à la fin, comme Sodome et Gomorrhe ? N’avez-vous pas mon­tré par avance à quelques-​uns la future réno­va­tion de votre Église ? Les juifs ne doivent-​ils pas se conver­tir à la véri­té ? N’est-ce pas ce que l’Église attend ? Toutes les créa­tures, même les plus insen­sibles, gémissent sous le poids des péchés innom­brables de Babylone, la grande pros­ti­tuée, la Cité mon­diale à laquelle tous les rois de la terre se sou­mettent2 ».

Nous formons des prêtres pouvant faire face

C’est-à-dire des prêtres forts, imper­tur­bables, ne se lais­sant pas émou­voir dans les troubles actuels ; et pou­vant ain­si être des rocs, des ancres pour les fidèles. C’est la vie d’oraison qui leur trans­met cette sagesse, ce recul, et fait d’eux des prêtres libres de ces pièges.

Des prêtres libres, c’est-à-dire des esclaves de l’amour et de la volon­té de Dieu ; des hommes selon son cœur qui fassent sa volon­té et ter­rassent ses enne­mis ; pour cela, des prêtres très obéis­sants, tou­jours à l’écoute de la voix de leurs supé­rieurs, tou­jours prêts à répondre, tou­jours dociles dans la main divine.

Des prêtres libres, prêts à subir les foudres des accu­sa­tions men­son­gères et des condam­na­tions injustes, pour dénon­cer hum­ble­ment l’œuvre de des­truc­tion de l’Église opé­rée par sa hié­rar­chie actuelle, malade du libé­ra­lisme et du modernisme.

Des prêtres libres, l’esprit éle­vé au-​dessus de la concu­pis­cence par la péni­tence et l’oraison, prêts à voler de tout côté selon le souffle de l’Esprit-Saint. Libres de la liber­té des enfants de Dieu, déta­chés de tout, sans père, ni mère, ni frères et sœurs, sans amis selon le monde, sans biens, sans embar­ras, et sur­tout sans volon­té propre. Et donc tou­jours hum­ble­ment obéis­sants. Oui, là est le point cru­cial, le nœud de la sainteté.

Tout cela est l’œuvre du Seigneur ; Lui seul peut pro­duire cela en nous, pour mani­fes­ter à la face de la terre que c’est uni­que­ment son œuvre, et que nulle chair ne se glo­ri­fie. Alors, « levez-​vous Seigneur, dans votre toute-​puissance, votre misé­ri­corde et votre jus­tice, pour vous for­mer une com­pa­gnie choi­sie de gardes du corps, pour gar­der votre mai­son, pour défendre votre gloire et sau­ver les âmes, afin qu’il n’y ait qu’un seul pas­teur et un seul ber­cail, et que tous vous rendent gloire à vous seul3 ».

Mais pourquoi si peu de jeunes hommes nous rejoignent-ils ?

Parce qu’ils ne constatent pas assez qu’il y a tant de gloire, tant de dou­ceur, tant de pro­fit à Le ser­vir ! Il y a tant de joie spi­ri­tuelle à sau­ver des âmes pour l’éternité ! Il y aura une telle récom­pense pour ceux qui quittent tout pour vous ser­vir… « le cen­tuple, et la vie éter­nelle » ! Tant de joie à par­ti­ci­per à cette bataille unique, pro­phé­ti­sée à l’avance, qui consiste à main­te­nir la foi catho­lique, la défendre contre toutes les héré­sies qui ont enva­hi la sainte Eglise, et la trans­mettre pure ! Tant de joie à célé­brer la sainte Messe et répandre quo­ti­dien­ne­ment le Sang de Jésus pour puri­fier les âmes ! Parfois, notre cœur de prêtre est triste, de la tris­tesse de Notre-​Seigneur, mais sou­vent II nous donne une joie inté­rieure telle qu’on ne peut la nom­mer. On vou­drait la crier, la répandre en tous : venez, et vous goû­te­rez com­bien le Seigneur est doux. Mais que craignez-​vous ? Les dif­fi­cul­tés ? Écoutez donc St François-​Xavier : « Je cir­cule par­mi ce peuple tout seul et sans inter­prète, car Antonio est malade… aucun d’eux ne com­prend ce que je dis, et moi, je com­prends encore moins ce qu’ils disent. Par là vous pou­vez ima­gi­ner la vie que je mène et les exhor­ta­tions que je fais ! Vous pou­vez me voir essayant d’entrer en conver­sa­tion avec les gens ! Cependant je bap­tise les nouveau-​nés, et ceux que je trouve aptes au bap­tême ; pour cela je n’ai pas besoin d’interprète. Les pauvres me font com­prendre sans inter­prète leurs besoins… les choses impor­tantes dans la vie n’ont pas besoin d’interprètes…((Lettre du 21 août 1544)) »

La fatigue ? « Je suis déjà tout cou­vert de che­veux blancs, cepen­dant, pour ce qui regarde les forces cor­po­relles, il me semble que j’en ai main­te­nant plus que jamais. Les fatigues que l’on éprouve à tra­vailler au milieu de gens intel­li­gents, dési­reux d’apprendre selon quelle loi ils doivent faire leur salut, apportent avec elles une très grande joie. Ainsi à Yamagouchi, quand nous avons eu l’autorisation de prê­cher, ma joie et ma conso­la­tion furent telles qu’il me semble pou­voir dire en toute véri­té que jamais dans ma vie je n’en ai autant goû­té4 ».

En réa­li­té, le zèle pour sau­ver les âmes donne une force sur­na­tu­relle. Saint François-​Xavier, tou­jours enflam­mé de l’amour du pro­chain, voyant que son tra­vail ne pro­dui­sait pas beau­coup de fruit à Kagoshima, déci­da de se rendre dans une autre région, plus dif­fi­cile, pour méri­ter de Dieu plus de grâces sur les âmes. Animé de ce désir de sau­ver les âmes qui se perdent, ni le froid, ni la neige, ni les pirates ne le firent retour­ner en arrière. Un tel prêtre encou­ra­geait par son exemple tous ses subor­don­nés qui avaient honte d’eux-mêmes en le voyant prê­cher à ceux qui lui lan­çaient des pierres, tou­jours sou­rire dans le froid et la faim, et aller constam­ment de l’avant pour ensei­gner notre sainte foi catholique.

Le nécessaire affermissement de l’âme

Pour être plus aptes à deve­nir de saints prêtres à son exemple, nous culti­vons un regard de foi qui nous donne un vrai res­pect et amour du pro­chain, quel qu’il soit : arri­vé au Japon, le même saint ne ces­sait de tarir d’éloges sur ce peuple dans les lettres à ses confrères. C’est son secret, il regar­dait le bon côté de chaque peu­plade, il admi­rait tout ce qu’il pou­vait y admi­rer – même enfoui sous une masse de défauts et d’erreurs – et déve­lop­pait ain­si un amour sur­na­tu­rel basé sur un amour naturel.

Cultivons aus­si l’alliance entre l’esprit d’humilité et le don de soi. « Tenez-​vous prêts, car il ne serait pas éton­nant qu’avant deux ans j’écrive à beau­coup par­mi vous de venir au Japon. Exercez-​vous à acqué­rir une grande humi­li­té, en vous renon­çant vous-​mêmes dans les choses où vous auriez à res­sen­tir de la répu­gnance, tra­vaillant de toute votre éner­gie à vous connaître inté­rieu­re­ment pour ce que vous êtes. Ainsi vous croî­trez en foi, espé­rance, confiance et cha­ri­té pour Dieu et pour le pro­chain, car c’est de la défiance de soi que naît la véri­table confiance en Dieu. C’est par cette voie que vous obtien­drez l’humilité inté­rieure dont vous aurez un plus grand besoin que vous ne pen­sez dans tous les pays. Veillez à ne pas vous appuyer sur la bonne opi­nion que le peuple a de vous, si ce n’est pour votre confu­sion. Par cette négli­gence, cer­tains en viennent à perdre l’humilité inté­rieure : l’orgueil se glisse en eux5 ».

C’est le but de notre année de spi­ri­tua­li­té à Flavigny : ancrer dans le cœur de nos sémi­na­ristes ces convic­tions spi­ri­tuelles pro­fondes qui en feront, si Dieu veut, nos saints de demain.

Que le Seigneur nous octroie, durant l’année 2022, de nom­breuses âmes géné­reuses qui viennent frap­per à la porte du sémi­naire, et non seule­ment à nous, mais à tous ceux qui, dans l’Église, sont dociles entre les mains de Dieu. Comptant sur vos prières, nous vous assu­rons des nôtres, avec nos meilleurs vœux chré­tiens de joyeux Noël, et de bonne et sainte année.

Abbé Gaud, le 3 décembre 2021, en la fête de la pro­pa­ga­tion de la foi, Saint François-Xavier.

Source : Lettre aux Amis et Bienfaiteurs du Séminaire Saint-​Curé-​d’Ars n° 104

  1. Lettre du 15 jan­vier 1544 []
  2. D’après St Louis-​Marie Grignion de Montfort []
  3. St Louis-​Marie Grignion de Montfort []
  4. Lettre du 29 jan­vier 1552 []
  5. Lettre du 5 novembre 1549 []

FSSPX

M. l’ab­bé Guillaume GAUD est actuel­le­ment Directeur du Séminaire Saint Curé d’Ars de Flavigny sous l’au­to­ri­té de la Maison Générale et donc supé­rieur majeur. Il est connu pour ses com­pé­tences à pro­pos de l’Islam.