La mort de Notre Seigneur sur la croix
Monseigneur LEFEBVRE disait lors d’une conférence spirituelle :« La contemplation fait partie de la vie chrétienne. C’est la vie de foi, la vie de l’esprit de foi. La contemplation consiste à vivre de toutes les réalités de notre foi. Or, quelle est la grande réalité de notre foi que contemplent spécialement les membres de la Fraternité ? C’est le saint sacrifice de la messe. Les membres de la Fraternité doivent contempler Notre Seigneur Jésus-Christ sur la Croix, comme la très sainte Vierge Marie qui était à côté de lui, et voir dans cette Croix le sommet de l’amour de Dieu. Notre-Seigneur peut se définir comme l’amour poussé jusqu’au sacrifice de soi. Notre-Seigneur a manifesté l’amour de son Père et l’amour du prochain jusqu’au sacrifice suprême, jusqu’à la dernière goutte de son Sang ». [1]
Fort des paroles de notre vénéré fondateur, je voudrais aujourd’hui vous livrer quelques réflexions sur la mort de Notre-Seigneur sur la Croix, et plus précisément sur les paroles prononcées par Jésus en croix. La contemplation de ce mystère nous aidera à mieux aimer à la fois le Rosaire et la messe.
Notre-Seigneur sur la Croix
Lorsque nous approchons du Calvaire, ce qui nous frappe d’emblée, c’est l’hostilité de ceux qui sont près de la Croix. Que ce soient les passants (Mt 27, 39–40), les princes des prêtres, les scribes, les anciens (Ibid. 41–43), les soldats ou même les larrons, tous blasphèment et se moquent de Notre-Seigneur, au dire des synoptiques. Loin d’attirer la pitié ou la compassion, ce sont plutôt la rage et la haine qui s’emparent de tous ces témoins de la mort douloureuse de Notre-Seigneur.
Face à ce torrent de haine, comment réagit le divin crucifié ? Lorsque nous tournons notre regard vers lui, nous sommes tout d’abord affligés par ses plaies qui s’étendent sur tout son corps. Comme l’avait annoncé le prophète Isaïe : de la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête, il n’y a rien en lui de sain. Ce n’est que plaies, que contusions qui n’ont pas été adoucies par l’huile (Is 1, 6).
Vu ses terribles souffrances et la haine diabolique de ceux qui sont près de lui, va-t-il maudire ces ingrats et ces insensés ?
Le pardon aux bourreaux et l’ouverture du Ciel au bon larron
La première parole qui sort de la bouche de Notre-Seigneur est une parole de miséricorde. Saint Luc nous la rapporte : Et Jésus disait : Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font (Lc 23, 34).
Cette parole entendue de tous frappe notamment l’un des larrons. Tandis que l’autre blasphème, lui, touché par la grâce, confesse à la fois sa culpabilité et l’innocence de Jésus : Encore pour nous, c’est justice, car nous recevons ce qu’ont mérité nos œuvres ; mais celui-ci n’a rien fait de mal. Et il disait à Jésus : Seigneur, souvenez-vous de moi, lorsque vous serez arrivé dans votre royaume (Mt 27, 39–42).
Face à un tel aveu de son péché et à un si bel acte de foi, Notre-Seigneur tourne la tête légèrement vers lui, reprend sa respiration pour prononcer à nouveau une parole de miséricorde : Et Jésus lui dit : en vérité, je te le dis, tu seras aujourd’hui avec moi dans le Paradis (Mt 27, 43).
Les deux premières paroles de Notre-Seigneur sur la Croix nous montrent les dispositions intérieures de son âme. Il oublie ses souffrances et ne pense qu’au péché, pour prendre notre défense. Il semble sourd aux injures, mais est attentif à la prière d’un brigand. Le larron est le premier bénéficiaire de sa miséricorde, le centurion le suivra peu après. Quelques semaines plus tard, dès que le Saint-Esprit descendra sur les Apôtres, les baptêmes se feront par milliers (Ac 2, 41). La Croix de Jésus est rédemptrice. Ses souffrances sont sources de salut. Le larron est non seulement pardonné mais béatifié !
Femme, voilà votre fils
Saint Matthieu et saint Marc n’ont parlé que de ceux qui insultent Notre-Seigneur pour montrer l’universel abandon dont il a souffert. Saint Jean, lui, fait mention des amis du Christ. Près de la croix de Jésus se tenaient sa Mère, et la sœur de sa Mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie-Madeleine (Jn 19, 25).
La sainte Vierge se tient ici, forte. Elle est debout. C’est une présence résolue, ferme, solide. La Sainte Vierge communie parfaitement aux dispositions intérieures de l’âme de Jésus. C’est à son intercession que le larron doit sa conversion et saint Jean sa persévérance.
Voyant une telle communion de pensée, de sentiment et d’amour, Notre-Seigneur lui dit : ô vous qui souffrez avec moi, soyez féconde avec moi. Vous qui vous unissez si intimement à ma douleur, soyez la mère de ceux que j’engendre par mon sang et par mes blessures. C’est le sens profond de la troisième parole : Ayant donc vu sa Mère, et auprès d’elle le disciple qu’il aimait, Jésus dit à sa Mère : Femme, voilà votre Fils.Puis, il dit au disciple : voilà ta Mère. Et, à partir de cette heure-là le disciple la prit chez lui (Ibid. 26).
Toute souffrance unie à celle du Christ est féconde, elle est source de vie. Par sa souffrance unie à celle de son Fils, la très sainte Vierge mérite de devenir mère de saint Jean : Femme voilà votre fils, mais elle devient aussi notre mère. En effet, saint Jean au pied de la Croix représente spécialement les prêtres mais également tous les membres de l’Eglise. C’est l’interprétation des Pères de l’Église et de la Tradition.
Sur le moment, cette parole ne fait qu’accroître la souffrance de la Sainte Vierge. Quoi ‑ s’écrie Bossuet faisant parler la Sainte Vierge ‑, vous me donnez un autre fils à votre place, un autre que vous ! Quel adieu me dites-vous, ô mon Fils ! Est-ce ainsi que vous consolez votre Mère ? Ainsi, cette parole accroît la souffrance de la Sainte Vierge, mais en même temps elle la rend féconde. La Sainte Vierge devient alors la corédemptrice du genre humain.
Nous avons toujours à cœur d’exécuter le testament de nos êtres chers. Or pour la Sainte Vierge, cette parole est le testament de Jésus. Elle aura soin d’accueillir cette dernière parole qui lui est adressée pour lui manifester une nouvelle preuve d’amour.
Quant à nous, remercions Notre-Seigneur de nous avoir donné Marie pour mère, et n’oublions pas les souffrances par lesquelles nous sommes devenus ses enfants.
Mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ?
Or, depuis la sixième heure jusqu’à la neuvième heure, il y eut des ténèbres sur toute la terre (Mt XXVII, 45). Le soleil se cache : Notre-Seigneur, lumière du monde, est mis à mort. La nature participe à sa manière au deuil de son créateur, les ténèbres symbolisant la mort.
Aux trois premières paroles semblent succéder un long intervalle de silence. A la neuvième, Notre-Seigneur sent venir la mort. Il va parler d’une manière plus pressée. C’est le temps de ses quatre dernières paroles.
Et vers la neuvième heure, Jésus cria d’une voix forte : Eli, Eli, lamma sabacthani ! c’est-à-dire : mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’avez-vous abandonné (Mt 27, 46) ? Durant les trois premières paroles, Notre-Seigneur semblait oublier ses tortures et n’être soucieux que d’implorer le pardon pour ceux qui le brutalisaient, de promettre le Paradis au bon larron et de donner sa Mère à saint Jean. Les deux paroles qui suivent, tout en exprimant l’intensité de la douleur, sont encore des paroles de miséricorde.
En disant : Mon Dieu, Mon Dieu pourquoi m’avez-vous abandonné ? Notre-Seigneur cite le premier verset du psaume 21. Or ce psaume bien connu des Juifs décrit jusque dans le détail toutes les souffrances du Messie attendu : que ce soit le crucifiement avec les mains et les pieds cloués, le partage des vêtements, la soif ardente, les blasphèmes des témoins, l’abandon du Père céleste, tout est mentionné très clairement. Ainsi en prononçant cette parole, Notre-Seigneur semble dire : vous vous moquez de moi, vous me tournez en dérision, vous blasphémez et vous pensez crier victoire en ce moment, lisez le psaume 21 et vous verrez que tout ce qui se passe actuellement y est parfaitement décrit. Aussi convertissez-vous afin que mon Sang vous rachète et vous sauve.
En effet, toute la dernière partie du psaume décrit les fruits merveilleux de la Passion de Jésus : la naissance de l’Église, la sainte Eucharistie nourriture de nos âmes, et l’extension du salut au genre humain tout entier. Par conséquent, cette quatrième parole est à la fois une question posée au Ciel par le Juste et une réponse donnée par le Juste à ceux de son peuple qui le persécutent. D’un côté, Notre-Seigneur est accablé par l’excès de sa douleur et la désolation de son âme, puisqu’il crie d’une voix forte : Mon Dieu, Mon Dieu pourquoi m’avez-vous abandonné ? Mais de l’autre, il domine sa douleur, puisque pour crier à Dieu, il lit dans le passé et s’empare d’un psaume messianique. Cette parole est d’une part le gémissement d’une sensibilité submergée par la douleur, et d’autre part, le dernier et solennel avertissement d’une volonté qui, dominant la douleur et soucieuse d’arracher les âmes à la perdition, les renvoie miséricordieusement au jugement des prophéties. C’est donc non seulement une plainte mais un cri d’espérance.
Les dernières paroles
Après cela, Jésus sachant que tout était consommé, afin que l’Ecriture fût accomplie, dit : J’ai soif. (Jn 19, 28). Comme la parole précédente, cette cinquième parole est à la fois l’indice d’une souffrance terrible et un autre signe de miséricorde.
Les crucifiés souffraient d’une soif ardente, étant déshydratés après avoir porté la croix et perdu du sang. Notre-Seigneur a donc soif physiquement, mais il a surtout soif du salut de nos âmes. Cette parole est certes la plainte extrême arrachée par la douleur physique ; mais elle est à nouveau la reprise volontaire d’une parole d’un psaume messianique. Notre-Seigneur demeure attentif en esprit à suivre la voie tracée d’avance par le Père et à s’offrir à chacun des épisodes successifs de la Passion rédemptrice. L’Évangile souligne clairement cette volonté : Jésus, sachant que désormais tout était consommé, afin que fût accomplie l’Ecriture dit : J’ai soif ! Il crie à son Père cette soif, et son cri est entendu car par sa Croix, Notre-Seigneur sauve le monde.
Enfin, les deux dernières paroles de Notre-Seigneur, qui précèdent immédiatement sa mort, expriment la maîtrise qu’il a de lui-même, et la sérénité divine qui habite son cœur. Lors donc que Jésus eut pris du vinaigre, il dit : Tout est consommé (Jn 19, 30).
Notre-Seigneur n’est pas venu accomplir les prophéties, il est venu faire la volonté de son Père. Mais en faisant la volonté de son Père, il accomplit les prophéties. A la fin, quand il a achevé l’œuvre de son Père, toutes les prophéties sont réalisées, même celle qui dit que le juste serait abreuvé de vinaigre. Il peut donc dire : Tout est consommé. C’est un véritable cri de victoire.
Et criant d’une voix forte, Jésus dit : Père, je remets mon esprit entre vos mains (Luc 23, 46). Tout étant consommé de ce qui regarde la Rédemption du monde, Notre-Seigneur peut penser à lui. Il lui reste encore sa grande âme à arracher à son corps pour la faire passer de cette vie à l’autre.
La parole de Notre-Seigneur est efficace : c’est pourquoi, aussitôt prononcée : inclinant la tête, il rendit l’esprit (Jn 19, 30). Rendre l’esprit est l’indice d’une puissance divine. C’est librement que Notre-Seigneur a remis son âme entre les mains de son Père. Il s’est endormi paisiblement dans la paix.
En entendant ces sept paroles de Jésus en Croix si pleines de miséricorde, comment pourrions-nous douter de son amour pour nous ? La Croix est vraiment la plus grande preuve d’amour de Dieu pour nous. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime (Jn 15, 13). À nous de correspondre à cet amour par l’amour. L’amour appelle l’amour, disait sainte Thérèse de l’Enfant Jésus.
Puissent ces réflexions nourrir nos âmes et nous aider à porter un regard de foi, d’espérance et d’amour vers le divin crucifié. En voyant l’intensité de ses souffrances jointes à ses paroles si réconfortantes, comprenons l’intensité de l’amour de Jésus pour nous, et saisissons l’importance du saint sacrifice de la messe qui remet sous nos yeux le sacrifice de la Croix pour que nous soient appliqués les mérites infinis de la Passion.
Nous confions à vos prières les cinq frères postulants qui ont rejoint les quatre novices et les neuf profès, auxquels se joindront prochainement quatorze séminaristes. Chaque vocation est une manifestation de l’amour du Cœur de Jésus pour nous. Priez pour que nous les formions selon le Cœur de Dieu, afin que vous puissiez, dans les années à venir, bénéficier de leur présence sacerdotale et religieuse.
Abbé Patrick Troadec, Le 2 octobre 2007, en la fête des saints anges gardiens
Notes
1 –
Chronique du séminaire
Mai 2007
- 17 au 19 – Les élèves de troisième de l’école L’Étoile du Matin en Lorraine viennent suivre une retraite préparatoire à la communion solennelle, prêchée par M. l’abbé Girod.
- 27 – Une délégation du séminaire part rejoindre les pèlerins de Chartres afin d’animer la veillée au bivouac. La pièce narrant la vie et le martyre du bienheureux Noël Pinot, alliant les registres comique et dramatique, présente un magnifique exemple de prêtre.
Juin 2007
- 5 et 6 – Monsieur l’abbé Fesquet nous décrit avec enthousiasme au cours d’une conférence son ministère aux États-Unis.
- 7 au 10 – Nous recevons Monseigneur Bernard Fellay pour la visite annuelle. La solennité de la Fête-Dieu clôture cette visite. Le séminaire organise une procession à travers les rues de Flavigny pour honorer le Saint-Sacrement.
- 20 au 22 – Les séminaristes passent leurs derniers examens semestriels.
- 24 – M. l’abbé Groche, supérieur de la maison autonome du Gabon, célèbre la messe solennelle.
- 26 – Le déménagement des séminaristes pour Écône a lieu aujourd’hui. La communauté de Flavigny apporte son soutien pour la monumentale préparation des ordinations. L’organisation, méticuleuse se révèle à la hauteur de l’événement.
- 29 – Ordinations sacerdotales à Écône. Pour les jeunes séminaristes, c’est l’occasion de voir le jour qui couronnera leurs années de séminaire.
Juillet 2007
- 3 au 5 – Le séminaire reçoit les prieurs et quelques autres prêtres du district de France : du travail en perspective pour la communauté à effectifs réduits en raison des vacances, mais le travail n’altère en rien la joie des retrouvailles. La session des prieurs se termine par une messe pontificale pour le jubilé sacerdotal de Monseigneur Fellay.
- 3 au 19 – Les frères Richard, Paul et Jean-Michel Laurençon se rendent au Carmel d’Eynesse pour réaliser une petite construction destinée à recevoir une statue de Notre-Dame de Lourdes.
- 21 au 27 – Retraite de dames et jeunes filles.
- 25 – Fort de son expérience au carmel d’Eynesse, le Frère Paul commence pour le séminaire un ouvrage similaire pour notre statue de Notre-Dame de Lourdes.
- 29 au 4 – Le district de France organise au séminaire une session de latin vivant pour les prêtres et religieux. Les bures des Bénédictins, Dominicains et Capucins se mêlent aux soutanes des membres de la Fraternité Saint-Pie X.
Août 2007
- 29 juillet au 8 août – M. le Directeur emmène les frères postulants et novices en pèlerinage à Rome. Au retour, ils visitent la ville d’Assise, où ils prient saint François de leur obtenir le détachement des biens terrestres : aussitôt dit, aussitôt fait ! En effet, lorsqu’ils retournent au minibus, ils s’aperçoivent que leurs bagages ont été volés. Deo gratias ! Après une neuvaine à saint Antoine de Padoue, la police italienne téléphone au séminaire pour faire savoir qu’une petite partie des bagages a été retrouvée.
- 1er au 21 – Przemyslaw Gutkowski, notre postulant frère polonais, retourne dans sa patrie. Il participe du 6 au 15 août au pèlerinage de Varsovie à Czestochowa ; il veille à la sécurité des pèlerins.
- 31 au 2 – Rassemblement du Mouvement Catholique des Familles. Le thème de cette année est : Foi, culture, vertus… comment transmettre ? S. Exc. Monseigneur Fellay ouvre la session en donnant la première conférence.
Septembre 2007
- 3 au 8 – M. l’abbé Boubée prêche leur retraite de rentrée aux élèves de terminale de l’école Saint-Bernard de Courbevoie.
- 10 au 15 – Les élèves de terminale des écoles Saint-Jean-Baptiste-de-la-Salle à Camblain‑l’Abbé et l’Étoile du Matin à Eguelshardt viennent à leur tour suivre leur retraite de rentrée. M. l’abbé Boubée est aidé alors par M. l’abbé Callier.
- 22 au 27 – Retraite des frères prêchée par M. l’abbé Lambilliotte qui termine ainsi son séjour et son ministère au séminaire.
- 28 – Prise d’habit de trois postulants frères, Przemyslaw Gutkowski, Michaël Rodriguez et Julien Jaegle, auxquels se joint un ancien séminariste, Jean-Michel Laurençon, qui prononcera l’acte d’oblation des frères.
- 29 – M. le Directeur reçoit au nom de M. le Supérieur Général les premiers vœux de trois novices et le renouvellement des vœux de nombreux autres frères.
- Conférence spirituelle, Écône, 2 décembre 1982[↩]