La Morale a besoin de la Foi
Dieu a mis dans notre nature la conscience qui nous permet de savoir ce qui est bien et ce qui est mal. C’est ainsi, sauf à avoir étouffé ou tué sa conscience, que tout homme sait naturellement que le vol ou l’adultère sont mauvais.
Mais notre nature blessée déforme sa conscience, lui donnant bien volontairement un autre référentiel que celui que le Créateur lui avait insufflé. Pour l’écologiste dont l’alpha et l’oméga sera la Nature, envoyer du CO² dans l’atmosphère sera pour lui comme un péché. Pour l’égocentrique qui a lui-même pour unique repère, la mal sera de ne pas satisfaire sa personne.
La Foi jette une lumière révélatrice sur les notions de bien et de mal, car en rapportant tout à Dieu comme ultime point de référence, elle permet de saisir la nature exacte du péché : il est une offense faite à Dieu. Dieu créateur et maître de toutes choses a mis un ordre pour le bonheur de sa création ; contrevenir à cet ordre, c’est porter atteinte au bien de cette création et offenser Dieu.
Parler du péché sans avoir Dieu comme seul et unique référentiel, c’est nécessairement se leurrer, et c’est dans cette mesure que la Morale, même naturelle, a besoin de l’éclairage de la Foi.
Vatican II a « déifié » l’homme
Nous pourrions citer encore et encore le Concile Vatican II pour montrer son anthropocentrisme. Le pape Paul VI, qui en signa tous les documents, en a résumé la doctrine lors de son discours de clôture :
« La religion du Dieu qui s’est fait homme s’est rencontrée avec la religion (car c’en est une) de l’homme qui se fait Dieu. Qu’est-il arrivé ? Un choc, une lutte, un anathème ? Cela pouvait arriver ; mais cela n’a pas eu lieu. La vieille histoire du bon Samaritain a été le modèle et la règle de la spiritualité du Concile. Une sympathie sans bornes pour les hommes l’a envahi tout entier. La découverte et l’étude des besoins humains (et ils sont d’autant plus grands que le fils de la terre se fait plus grand), a absorbé l’attention de notre Synode. Reconnaissez-lui au moins ce mérite, vous, humanistes modernes, qui renoncez à la transcendance des choses suprêmes, et sachez reconnaître notre nouvel humanisme : nous aussi, nous plus que quiconque, nous avons le culte de l’homme. »
Le cardinal Karol Wojtyla, futur pape Jean-Paul II, confirme et assume lui aussi le caractère pleinement anthropocentrique de la doctrine du Concile. Il le fait notamment au cours d’une méditation qu’il donna devant le pape Paul VI en 1976. Karol Wojtyla commence la méditation « Le Christ révèle pleinement l’homme à l’homme » (chap. XII, pp. 114–122) par Gaudium et Spes n° 22, assurant :
« le texte conciliaire, appliquant à son tour la catégorie du mystère à l’homme, explique le caractère anthropologique ou même anthropocentrique de la Révélation offerte aux hommes dans le Christ. Cette Révélation est concentrée sur l’homme. […] Le Fils de Dieu, par son Incarnation, s’est uni à tout homme, est devenu – en tant qu’homme – un de nous. […] Voilà les points centraux auxquels peut se réduire l’enseignement conciliaire sur l’homme et sur son mystère » (pp. 115–116). En bref c’est le suc concentré des textes de Vatican II : culte de l’homme, panthéisme et anthropocentrisme idolâtre. » (1)
Le concile Vatican II a mis l’Homme au centre de la religion et de son enseignement. Tout s’est donc déplacé de Dieu vers l’Homme, d’où une dénaturation de la notion du péché, qui n’étant plus une offense faite à Dieu, est devenu un vague concept comme étant une atteinte à l’Homme, à l’humanisme.
La nouvelle morale, fille d’une « nouvelle foi », toute centrée sur l’homme
Lors d’une allocution (2) de préparation du scandaleux synode sur la famille qui s’est déroulé à l’automne 2014, le cardinal Walter Kasper, bras droit du pape dans cette entreprise révolutionnaire où encore une fois l’ouragan destructeur nous vient des pays rhénans (3), déclarait très clairement :
« De la même manière, nous pouvons dire que le vrai mariage est le mariage sacramentel ; le second n’est pas un mariage au même titre, mais il possède des éléments de celui-ci : les partenaires prennent soin l’un de l’autre, ils sont liés exclusivement l’un à un autre, il existe l’intention de demeurer dans ce lien, ils prennent soins des enfants, mènent une vie de prière, et ainsi de suite. Ce n’est pas la meilleure situation, c’est la moins mauvaise. »
Le jugement moral du cardinal Kasper n’est pas basé sur Dieu et ses commandements, mais sur des critères faussés : « les partenaires prennent soin l’un de l’autre », « ils sont liés exclusivement l’un à un autre », « il existe l’intention de demeurer dans ce lien », etc. On appréciera d’ailleurs le terme de « partenaire » qui en réalité permet d’ouvrir la question de la « moralité » des duos homosexuels, puisque rien dans le raisonnement du cardinal allemand ne les exclut.
C’est également dans cette même démarche que se situe le cardinal Reinhard Marx, archevêque de Munich et Freising, Président de la conférence des évêques allemands et conseiller du pape François (4), qui vient de déclarer dans une conférence de presse (5) :
« Nous devons trouver un moyen pour que les gens reçoivent l’Eucharistie. Il ne s’agit pas de trouver des moyens pour les maintenir dehors ! Nous devons trouver des moyens pour les accueillir. Nous devons utiliser notre imagination et nous demander si nous pouvons faire quelque chose. L’attention devrait se concentrer sur la façon d’accueillir les personnes ».
Là encore, nulle référence à Dieu et à ses commandements, nulle référence au péché. A la limite le péché devient presque celui de l’Eglise qui refuserait l’Eucharistie à ces personnes ! C’est là qu’apparaît toute la dimension révolutionnaire de l’entreprise. Il ne s’agit plus de changer notre conduite de vie pour la rendre conforme aux principes, mais de changer les principes pour les conformer à la praxis désirée. Ce n’est plus l’Homme qui se laisse façonner par la foi, c’est la doctrine qui se transforme pour s’adapter aux désirs de l’Homme « moderne ». Comment s’étonner alors qu’en cette attitude révolutionnaire, le cardinal Marx soit prêt à s’affranchir de l’autorité de l’Eglise romaine ?
« Nous ne sommes pas une filiale de Rome et nous ne pouvons pas attendre jusqu’à ce qu’un Synode nous dise comment nous devons nous comporter ici sur le mariage et la pastorale de la famille » (6)
Le péché n’est plus l’homme qui rejette Dieu mais l’Eglise qui refuse de se plier aux exigences des hommes, la pastorale n’est plus l’explicitation charitable de la doctrine nécessaire au salut mais l’accommodement d’une doctrine qui réponde à l’aspiration de chacun.
Nous avons bien ici le sentiment que le cardinal Marx ouvre largement les vannes d’un Concile Vatican II bis qui achèvera d’écrouler la morale.
Et il semble le faire en toute impunité puisque le pape François lui-même soutient que la conscience de chacun devient le référentiel absolu, Dieu lui-même ne jugeant – pour ceux qui croient encore que Dieu est juge – que selon la conscience des hommes :
« Tout être humain possède sa propre vision du Bien, mais aussi du Mal. Notre tâche est de l’inciter à suivre la voie tracée par ce qu’il estime être le Bien. » (7)
Propos confirmés dans une deuxième interview qu’il donna le juillet 2014, toujours à Eugenio Scalfari :
« La conscience est libre. Si elle choisit le mal parce qu’elle est sûre qu’il fera descendre un bien du haut des cieux, ces intentions et leurs conséquences seront prises en compte. Nous, nous ne pouvons en dire davantage parce que nous n’en savons pas plus. La loi du Seigneur, il appartient au Seigneur de l’établir et non aux créatures. (…) Il faudrait examiner à fond les livres sapientiaux de la Bible, et l’Evangile quand il parle de Judas Iscariote. Ce sont des thèmes de fond de notre théologie. » (8)
Effectivement, avec une telle idée de la moralité des actes, Judas Iscariote a une chance de se trouver justifié !
Un insidieux processus qui se passe dans le silence assourdissant des plus hautes autorités romaines
Mgr Lefebvre avait dénoncé dans sa magnifique déclaration de 1974 les ravages causés par le changement de doctrine opéré par le Concile :
« On ne peut modifier profondément la « lex orandi » sans modifier la « lex credendi ». A messe nouvelle correspond catéchisme nouveau, sacerdoce nouveau, séminaires nouveaux, universités nouvelles, Église charismatique, pentecôtiste, toutes choses opposées à l’orthodoxie et au magistère de toujours. »
Aujourd’hui le processus arrive à son ultime conclusion en voulant modifier également la morale. Au risque de voir se réaliser le terrible cri d’alarme lancé du Bangladesh par le père Carlo Buzzi, missionnaire de l’Institut Pontifical pour les Missions Étrangères de Milan :
« Si, au contraire, l’on avance dans la voie tracée par le cardinal Walter Kasper, les dégâts vont être importants :
1. Cela rendra l’Église superficielle et accommodante ;
2. Il faudra nier l’infaillibilité de la chaire de Pierre, parce que ce sera comme si tous les papes précédents s’étaient trompés ;
3. Il faudra considérer comme des imbéciles tous ceux qui ont donné leur vie, dans le martyre, pour défendre ce sacrement. » (9)
Dans l’optique du Concile la foi n’est plus à transmettre, elle est à adapter. C’est ainsi qu’on va la moduler, la redéfinir, la transformer afin qu’elle devienne admissible pour ceux qui ne la partagent pas. Ce fut la confusion « œcuméniste » du Concile. Ce n’est plus l’Homme qui se laisse façonner par la foi, c’est la doctrine qui se transforme pour s’adapter aux désirs de l’Homme « moderne ».
Le synode sur la famille va simplement appliquer le concile Vatican II à la morale et aux mœurs. Ni plus ni moins. La morale va donc être adaptée aux désirs du temps, elle va être transformée pour répondre aux aspirations hédonistes des hommes.
Et il n’y a pas de limite dans cette voie.
Le District de France de la FSSPX
Notes
(1) « Si si no no » – via le Bulletin des Amis de saint Francois de Sales – 31 janvier 2013
(2) Lire : La nouvelle pastorale du mariage selon le cardinal Kasper, abbé Franz Schmidberger – 25 mars 2014
(3) Le Rhin se jette dans le Tibre, de R‑M. WiltGen, DMM, à commander chez Clovis-Fideliter : chronique complète du IIe concile du Vatican, ce livre doit son titre à Juvénal. Il y a deux mille ans le grand satiriste déplorait que la culture syrienne imprègne celle de Rome – que l’Oronte se jette dans le Tibre. Au Concile, les cardinaux, les évêques et les théologiens des pays que traverse le Rhin ont eu une influence dominante : les eaux du Rhin ont coulé dans le Tibre.
(4) Le 13 avril 2013, le nouveau pape constitue un groupe de neuf prélats issus de tous les continents, chargés de l’épauler dans la réforme de la Curie romaine et la révision de la constitution apostolique Pastor Bonus. Pour l’Europe, c’est le cardinal Marx qui est choisi, ainsi que Marcello Semeraro, évêque d’Albano. Le 8 mars 2014, il est nommé membre et coordinateur du conseil pour l’économie.
(5) Lire : Marx défie Rome : « Nous ne sommes pas une filiale de Rome et ce ne sera pas un Synode qui nous dira quoi faire ici », cité par Il Foglio, traductionBenoit-et-moi
(6) Lire : L’Eglise d’Allemagne est en état de schisme consommé
(7) Lire : La liberté d’expression du pape secoue l’Église
(8) Lire : Perplexité accrue après le nouvel entretien du pape avec Scalfari
(9) Lire : Accès des remariés à la communion : une lettre du Bangladesh