« Le pape bon a‑t-il été un bon pape ? » se demandait en 1988 le cardinal Oddi, avant de répondre : oui, bien sûr ! Toute révérence gardée, je me permets de n’être pas de cet avis. N’étant guère sentimental, un sourire perpétuel ne m’émeut pas, et je persiste à préférer cette charité qui sait sourire mais aussi gronder, à ce sourire conciliaire qui trahit l’ordre de la charité en se distribuant également aux docteurs de vérité et à ceux de l’erreur.
Abbé Michel Simoulin
Synthèse publiée avec l’aimable autorisation de l’auteur
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Je souhaite au pontife bon d’être aujourd’hui en Paradis, mais je ne peux approuver sa béatification, par laquelle il nous serait proposé comme modèle de toutes les vertus, et donc exemple à imiter. J’affirme même que le « salut » de l’Église passera nécessairement par l’abandon de la route sur laquelle Jean XXIII a voulu l’orienter et qu’ont poursuivie ses successeurs avec acharnement : amour universel du monde et de tout homme, fût-il saint ou pécheur, catholique ou idolâtre (tous étant de bonne volonté, nul n’est plus ou moins digne qu’un autre), ouverture à tous et à tout, sans regard pour ce qui peut opposer ou diviser, au péché, à l’erreur, auxquels il ne faut adresser ni reproche ni condamnation – admiration pour le nouvel ordre des choses, auquel il convient de s’adapter et dont il faut adopter le langage – nouveau plein de promesses pour l’avenir – collaboration avec tous ceux qui disent travailler pour l’humanité, etc.
Deux textes
Tout cela, Jean XXIII l’a vécu tout au long de sa carrière, par des gestes et des attitudes, par des mots et des petites phrases demeurées célèbres, devenues quasi proverbiales. Mais il les a aussi léguées comme pensée et doctrine à l’Église dans deux textes qui constituent son plus grand péché, péché de mensonge et de trahison : mensonge aux hommes sur l’état du monde et de l’Église ; trahison de l’Église et du monde livrés sans défense aux plus grands ennemis du genre humain, les idéologues du socialisme marxiste et communiste, et ceux du mondialisme maçonnique dans une ONU religieuse dominée par la synagogue.
Ces deux textes sont l’allocution Gaudet mater Ecclesia prononcée à l’ouverture du Concile le 11 octobre 1962, et l’encyclique Pacem in terrisdu 11 avril 1963 (baptisée à l’époque l’anti-Syllabus) deux textes mensongers et félons, pétris de sophismes.
Le premier sophisme consiste à proclamer qu’aujourd’hui tout va bien mieux qu’hier, qu’un nouvel ordre des choses est en train de s’instaurer, porteur de promesses et d’espérances, qu’il faut donc que se taisent ces « prophètes de malheur » qui ne voient que le mal et le danger, et que finalement l’Église est aujourd’hui libre de toute entrave et de tout obstacle de nature profane.
Oserai-je dire que c’était se moquer du monde ? Et pourtant, tout le monde (hormis un petit groupe d’évêques plus sensés) a trouvé cela émouvant et admirable. Quel bon pape nous avons là !
Outre que ces « prophètes de malheur » pourraient être tous les papes depuis Pie VI jusqu’à Pie XII, il faut nous souvenir que nous étions en 1962. En septembre 1961, les Soviétiques avaient construit à Berlin le mur de la honte, le rideau de fer allait s’épaississant chaque jour, la guerre froide manquera de devenir brûlante une semaine plus tard dans les Caraïbes (crise de Cuba) et Jean XXIII lui-même devait déplorer que plusieurs évêques eussent été empêchés de venir au concile.
Trahison politique et spirituelle
Mais voilà : il tenait tellement à voir au concile des observateurs de l’Église russe orthodoxe qu’un accord, préparé durant l’été entre le cardinal Tisserant et le métropolite Nikodim, avait été conclu à Moscou par le cardinal Willebrands entre le 27 septembre et le 2 octobre : assurance était donnée à Moscou que le concile ne lancerait pas d’attaque directe contre le communisme. De fait, le mot lui-même ne sera pas prononcé une seule fois, la pétition signée par 454 pères conciliaires sera égarée… et les millions de martyrs du communisme seront ignorés de nos bons pères qui avaient fièrement déclaré que « l’Église est, plus que jamais, nécessaire au monde moderne pour dénoncer les injustices et les inégalités criantes » (Message au monde du 20 octobre 1962). De qui se moquait-on ? Cet accord secret restera vraiment la honte et le déshonneur du Saint-Siège au vingtième siècle. Et comment osait-on nous parler de la liberté de l’Église, alors que le pape lui-même l’avait assujettie au veto de Moscou ?
Mais cela n’était que le premier sophisme, mensonge diplomatique et trahison politique. Allait venir encore la trahison spirituelle et doctrinale, avec trois sophismes bien liés entre eux : il s’agit en effet, puisque tout va bien et que tous les hommes sont de bonne volonté, de regarder toujours ce qui peut nous unir en ignorant ce qui peut faire difficulté, de s’adapter au monde actuel et d’adopter son langage, sans rester enfermé dans les antiques formules de la foi, et d’user enfin de la miséricorde, sans anathèmes ni reproches à quiconque.
Tout cela est très attendrissant, mais n’a jamais été le discours de l’Église ni de la théologie catholique.
Il est bien vrai qu’entre personnes en état de grâce et de charité, et qui sont donc en accord sur les biens essentiels, c’est-à-dire les réalités de la foi, le dissentiment sur des points de détail n’est compté pour rien et doit être négligé, car cela provient de diversités d’opinions et n’empêche pas la charité (Cf. saint Thomas d’Aquin, 2–2, q.29, a‑3, ad 2). Mais si cet accord sur les biens essentiels n’existe pas, comme c’est le cas avec les autres confessions ou avec les incroyants, peut-il être négligé dans le but d’établir une union relative dans les opinions secondaires, sur laquelle rien de solide ne peut être édifié ? Ce serait là l’obstacle majeur à la paix véritable, laquelle n’est compatible qu’avec le désir commun d’un bien véritable et essentiel, et n’existe donc que dans le bien et entre les bons (in bonis et bonorum). Le seul cas où l’on puisse tirer parti d’un accord qui ne serait que partiel ou minime serait lorsque ce point d’accord est utilisé pour convaincre l’incroyant, et l’amener à admettre toute la vérité, ou bien pour le combattre.
S’il s’agit ensuite d’abandonner les antiques formules de la foi au profit de celles de la pensée moderne – outre que cela a été explicitement condamné par les trois syllabus (celui de Pie IX, celui de saint Pie X Pascendi et celui de Pie XII Humani generis) - qui (hormis un moderniste chevronné) peut nier le lien radical qui existe entre la pensée et la parole, entre le concept et le mot chargé de l’exprimer ? Mais, nous dit-on, l’Église n’est pas un musée, bien fermé sur ses trésors, elle est un jardin, ouvert à tous. Alors il convient d’abandonner toutes ces paroles trop fermées, qui marquent des limites, et d’adopter des paroles plus ouvertes : au lieu de foi catholique, parlons plutôt de doctrine chrétienne, de pensée de l’Église ou de l’opinion des chrétiens. Au lieu de charité, parlons d’amour, de solidarité ou de fraternité universelle. Au lieu d’Église catholique, société des fidèles de Jésus-Christ, parlons de communion, d’assemblée ou du peuple de Dieu.
Ainsi se dilue dans un magma sans forme et sans fond toute la sainte doctrine de la foi et la prédication évangélique.
Enfin, nous dira-t-on que les papes du passé n’ont pas su ce qu’était la miséricorde, et que seul Jean XXIII mérite d’être dit « bon » ? Qu’on relise donc ce passage si beau de la lettre sur le Sillon où saint Pie X rappelle ce que nous dit l’Évangile sur la bonté de Jésus-Christ : « Il a été aussi fort que bon. ». Et le catéchisme ne compte-t-il pas parmi les sept œuvres de la miséricorde spirituelle la correction des égarés (œuvre curieusement oubliée dans le catéchisme de 1992) ? N’est-elle pas un moyen, quand tous les autres moyens s’avèrent inefficaces, de venir en aide à la misère d’autrui, dont la plus grande est l’erreur et le péché ?
Non, tout cela n’est encore que sentimentalisme ou romantisme, souci de plaire et d’être aimé, et n’a rien à voir avec le beau zèle de la charité qui brûle de détruire le mal pour sauver ses victimes. « Qui aime la vérité déteste l’erreur ».
Erreur et errant
Ces sophismes, hélas, seront encore aggravés par l’encyclique Pacem in terris. Il nous y est d’abord indiqué de ne pas confondre l’erreur et l’errant. Tout être sensé comprendra aisément que ce sont là pourtant deux réalités indivisibles : l’erreur fait partie de l’errant, et n’existe pas hors des esprits qui errent. L’erreur n’est autre qu’une connaissance fausse, acte de l’intelligence qui erre, elle est le mal de l’intelligence, sa maladie, et la prive d’un bien, d’une perfection et donc d’une dignité. Comment ne pas les confondre alors que l’un fait partie de l’autre et en est inséparable ? Sans erreur, il n’y a plus d’errant, et sans errant il n’y a plus d’erreur. Il eût été plus juste de nous apprendre à distinguer ceux qui professent l’erreur ou les docteurs de l’erreur, et ceux qui la pratiquent sans la professer, ceux qui la subissent ou en sont victimes (et c’est le plus grand nombre), ou encore l’erreur et le péché ou le crime. Ce sont là distinctions plus catholiques, plus réelles et certainement plus fécondes pour le progrès de la vérité et du bien.
Mais le plus grand péché de l’encyclique n’est pas celui-là, qui n’en est que la prémisse. Il nous faudrait en effet distinguer les fausses théories philosophiques sur le monde et l’homme, et les mouvements historiques qui en sont issus, lesquels évolueraient d’eux-mêmes, indépendamment des doctrines-mères. C’est encore ignorer le lien interne entre la pensée et l’action, entre ce que font les masses et ce qu’elles pensent, où ce que pensent ceux qui les mènent. Toute action suit une pensée, un vouloir, à moins d’être insensée. Si la pensée n’évolue pas, comment le vouloir et l’action pourraient-ils évoluer, sinon en étant irréfléchis, insensés, stupides ?
Ce sont là encore propos de rêveurs dont je crains, hélas ! qu’ils ne soient pas innocents. Car l’encyclique poursuit en disant que, cela étant admis, on peut envisager quelque approbation et même quelque collaboration pratique avec ces mouvements.
A qui pensait ainsi Jean XXIII, de quels mouvements pouvait-il s’agir ? Le libéralisme ? Le fascisme ? Le monarchisme ? Vous n’y pensez pas. « Suivez plutôt son regard, nous dit Madiran : l’Église a condamné la doctrine marxiste, et ni cette doctrine ni sa condamnation ne peuvent désormais changer ; mais le mouvement communiste lui, évolue » (en bien, c’est évident). Une certaine collaboration avec lui n’est donc pas exclue. Ainsi, Jean XXIII annulait subrepticement la recommandation pontificale, renouvelée par lui en 1959 et 1960, de ne collaborer en rien avec le communisme.
Que conclure, sinon à la trahison ? A l’ouverture du concile, il a suffi à Jean XXIII de 35 minutes pour retirer à l’Église toutes ses armes face à ses adversaires, ne lui laissant que le droit de « mettre en valeur les richesses de sa doctrine ». C’était briser ainsi l’élan multiséculaire de son zèle apostolique, par lequel elle avait su porter Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié au milieu des ténèbres de l’erreur pour les dissiper et en délivrer les âmes.
Dans son ultime encyclique, non content de contraindre l’Église au silence sur l’hérésie la plus sanglante du siècle, celle-ci se voit décorée d’un brevet de bonne conduite et autorisée à franchir les portes du sanctuaire.
Le « bon » pape Jean trahissait ainsi l’Église mais aussi le monde, livré sans aucune défense à tous les plus grands maux de l’esprit et de l’âme : libéralisme, modernisme, socialisme, maçonnerie, judaïsme, etc.
« C’est un sceptique », disait l’abbé Berto à Jean Madiran [1]. Mais ce sceptique n’était ni neutre ni indifférent. Il savait, il est vrai, manifester quelque respect pour les grands serviteurs de l’Église (Pie IX, saint Pie X, Pie XII ou le cardinal Pie), mais son cœur était ailleurs. Il était auprès des « errants », auprès des esprits éloignés du dogme catholique par choix personnel ou par condamnation, tous les anti-dogmatiques, présumés victimes de la précision trop rigoureuse du dogme catholique et de l’impitoyable rigueur des anathèmes de l’erreur. Il était auprès d’eux, hommes de bonne volonté, pour leur ouvrir son cœur et ses bras, les accueillir, les protéger et les réhabiliter quand l’heure serait venue. Ce qui fut inauguré dès 1958, avec l’élévation au cardinalat de J.B. Montini, premier sur la liste de son premier consistoire, le 15 décembre, en attendant l’appel au concile des théologiens éloignés de l’enseignement par Pie XII.
De Pie IX à Jean XXIII
Sa béatification sera celle de son concile et l’autobéatification de l’Église telle qu’il a voulu la réformer et de son œuvre actuelle. En outre, il sera demandé à Pie IX, le pape de Vatican I et de l’Immaculée, mais aussi pape du Syllabus et de la première condamnation du communisme (1846) de prendre dans son saint sillage Jean XXIII, le pape de Vatican Il et du refus de révéler le message de la Madone à Fatima, le pape de l’anti-Syllabus et du premier silence sur le communisme, pour en bénir l’œuvre et ses fruits. Comment pourrait-il ainsi sanctifier ce qu’il a combattu tout au long de son pontificat ?
Si l’Église conciliaire se doit de « confesser » les « péchés » des catholiques pour asseoir sa légitimité, comment l’Église catholique pourrait-elle pour sa part béatifier l’Église conciliaire ?
Abbé Michel Simoulin, in Fideliter n° 136 de juillet-août 2000