L’ouverture au péché d’Amoris Lætitia préfigurée par la Pastorale de Cambrai de 2003, par le Pr. Paolo Pasqualucci

Pourquoi l’ex­hor­ta­tion Amoris Lætitia du Pape François « sur l’a­mour dans la famille » a‑t-​elle sus­ci­té autant d’a­gi­ta­tion et de scan­dale, pous­sant pas moins de quatre car­di­naux à pré­sen­ter il y a cinq mois cinq demandes d’é­clair­cis­se­ments (Dubia), jus­qu’à pré­sent res­tées sans réponse, et impli­quant lar­ge­ment l’or­tho­doxie doc­tri­nale du docu­ment pontifical ?

Parce que, dans son chap. VIII, aux para­graphes 300- 305, est accor­dée (selon l’in­ter­pré­ta­tion des évêques argen­tins, approu­vée par le Pape lui-​même dans une lettre avec le désor­mais célèbre no hay otras inter­pre­ta­ciones) la « pos­si­bi­li­té de s’ap­pro­cher de la sainte Communion hors des condi­tions de Familiaris Consortio n. 84 », comme l’af­firme le Dubia n° 1. Et alors, c’est tout ? se demandent les médias, en géné­ral pleins de louanges déme­su­rées pour la « misé­ri­corde » à 360 degrés du Pape François.

Que veulent donc ces quatre car­di­naux, âgés et retrai­tés, qui ne com­prennent rien, tou­jours d’a­près les médias, aux exi­gences de vie du couple moderne ? Que nous importe ce qu’a dit dans un vieux docu­ment pas­to­ral un Pape mort il y a douze ans ? Le fait est que les médias qui comptent ne semblent pas avoir jamais défi­ni clai­re­ment les termes de la ques­tion, qui est d’une gra­vi­té excep­tion­nelle, pour l’Église catholique.

1. L’Exhortation Familiaris Consortio de Jean-​Paul II

Lisons le n. 84 de FC, Exhortation du 22 novembre 1981 consa­crée aux devoirs de la famille chré­tienne dans le monde d’au­jourd’­hui. Après avoir déplo­ré la plaie du divorce et affir­mé que l’Église « ne peut pas aban­don­ner à eux-​mêmes ceux qui – déjà unis dans les liens du sacre­ment de mariage – ont vou­lu pas­ser à d’autres noces », rai­son pour laquelle les pas­teurs et toute la com­mu­nau­té des fidèles étaient chau­de­ment exhor­tés à aider les divor­cés, en fai­sant en sorte, « avec une grande cha­ri­té, qu’ils ne se sentent pas sépa­rés de l’Église » ; après cette cha­ri­table pré­misse, le Pape réaf­fir­mait, comme c’est son devoir, la doc­trine éter­nelle de l’Église :

« Que l’Église prie pour eux, qu’elle les encou­rage et se montre à leur égard une mère misé­ri­cor­dieuse, et qu’ain­si elle les main­tienne dans la foi et l’es­pé­rance ! L’Église, cepen­dant, réaf­firme sa dis­ci­pline, fon­dée sur l’Écriture Sainte, selon laquelle elle ne peut admettre à la com­mu­nion eucha­ris­tique les divor­cés rema­riés. Ils se sont ren­dus eux-​mêmes inca­pables d’y être admis car leur état et leur condi­tion de vie sont en contra­dic­tion objec­tive avec la com­mu­nion d’a­mour entre le Christ et l’Église, telle qu’elle s’ex­prime et est ren­due pré­sente dans l’Eucharistie. » En effet, ajouterai-​je, la praxis de l’Église, fon­dée sur l’Écriture, remonte à saint Paul, qui, par révé­la­tion divine, nous a aver­tis que qui­conque com­mu­nie en état de péché mor­tel fait un sacri­lège à l’é­gard du Corps du Christ, ajou­tant donc un péché au péché.

« C’est pour­quoi celui qui man­ge­ra le pain ou boi­ra le calice du Seigneur indi­gne­ment, sera cou­pable envers le corps et le sang du Seigneur. Que cha­cun donc s’é­prouve soi-​même, et qu’ain­si il mange de ce pain et boive de ce calice ; car celui qui mange et boit sans dis­cer­ner le corps du Seigneur, mange et boit son propre juge­ment » (1 Cor. 11, 27–29).

L’Exhortation de Jean-​Paul II conti­nuait ain­si : « Il y a par ailleurs un autre motif pas­to­ral par­ti­cu­lier : si l’on admet­tait ces per­sonnes à l’Eucharistie, les fidèles seraient induits en erreur et com­pren­draient mal la doc­trine de l’Église concer­nant l’in­dis­so­lu­bi­li­té du mariage. » Tel est le second motif, sub­si­diaire du pre­mier, pour lequel on ne pou­vait abso­lu­ment pas accor­der l’Eucharistie aux divor­cés remariés.

Alors que devaient faire ces der­niers pour être en règle avec l’en­sei­gne­ment de l’Église ? Et donc pour pou­voir s’ap­pro­cher de l’Eucharistie ? Ils devaient rece­voir l’ab­so­lu­tion péni­ten­tielle, qui « ne peut être accor­dée qu’à ceux qui se sont repen­tis d’a­voir vio­lé le signe de l’Alliance et de la fidé­li­té au Christ, et sont sin­cè­re­ment dis­po­sés à une forme de vie qui ne soit plus en contra­dic­tion avec l’in­dis­so­lu­bi­li­té du mariage. Cela implique concrè­te­ment que, lorsque l’homme et la femme ne peuvent pas, pour de graves motifs – par l’exemple l’é­du­ca­tion des enfants –, rem­plir l’o­bli­ga­tion de la sépa­ra­tion, « ils prennent l’en­ga­ge­ment de vivre en com­plète conti­nence, c’est-​à-​dire en s’abs­te­nant des actes réser­vés aux époux ». De la même manière, le res­pect dû au sacre­ment du mariage, aux conjoints eux-​mêmes et à leurs proches, et aus­si à la com­mu­nau­té des fidèles, inter­dit à tous les pas­teurs, pour quelque motif ou sous quelque pré­texte que ce soit, même d’ordre pas­to­ral, de célé­brer, en faveur de divor­cés qui se rema­rient, des céré­mo­nies d’au­cune sorte. Elles don­ne­raient en effet l’im­pres­sion d’une célé­bra­tion sacra­men­telle de nou­velles noces valides, et indui­raient donc en erreur à pro­pos de l’in­dis­so­lu­bi­li­té du mariage contrac­té vali­de­ment [1]

Mais n’est-​il pas cruel d’im­po­ser au couple de vivre comme « frère et soeur », s’in­surgent les enne­mis de notre reli­gion ? Non, parce que l’on peut sup­por­ter cette dure épreuve en se confiant entiè­re­ment à Notre-​Seigneur, par la prière quo­ti­dienne mais sur­tout par une foi géné­reuse et totale en l’aide indis­pen­sable et déci­sive qui nous vient de sa Grâce régé­né­ra­trice. Et la récom­pense pour ceux qui vivent ces dures batailles contre eux-​mêmes est incom­men­su­rable, c’est la vie éter­nelle. Il faut aus­si rap­pe­ler le grand béné­fice qui, sur­tout sur le plan moral, rejailli­rait sur les enfants, d’une union irré­gu­lière assai­nie par la chas­te­té des parents.

2. Les articles 300–305 d’Amoris Laetitia accordent la possibilité de contourner la doctrine éternelle

Or dans les articles cités de AL, en par­ti­cu­lier dans la tris­te­ment célèbre note n. 351 de l’art. 305, il semble qu’ef­fec­ti­ve­ment, les « condi­tions » requises » par FC 84, sur la base de l’en­sei­gne­ment éter­nel de l’Église, sont contour­nées. Le texte affirme en effet, aus­si­tôt après avoir réduit la por­tée abso­lue de la loi natu­relle, chose en soi très grave et tota­le­ment inac­cep­table dans un docu­ment pon­ti­fi­cal : « À cause des condi­tion­ne­ments ou des fac­teurs atté­nuants, il est pos­sible que, dans une situa­tion objec­tive de péché – qui n’est pas sub­jec­ti­ve­ment impu­table ou qui ne l’est pas plei­ne­ment – l’on puisse vivre dans la grâce de Dieu, qu’on puisse aimer, et qu’on puisse éga­le­ment gran­dir dans la vie de la grâce et dans la cha­ri­té, en rece­vant à cet effet l’aide de l’Église. » « Dans cer­tains cas », pour­sui­vait la note 351, « il peut s’a­gir aus­si de l’aide des sacre­ments. Voilà pour­quoi, « aux prêtres je rap­pelle que le confes­sion­nal ne doit pas être une salle de tor­ture », […] [2]. »

Il est dif­fi­cile pour le sens com­mun de conce­voir une situa­tion « objec­tive » de péché (par ex. un divor­cé rema­rié civi­le­ment et vivant more uxo­rio) qui per­mette à celui qui l’a pro­vo­quée et qui la main­tient de vivre éga­le­ment « dans la grâce de Dieu » à cause de sa façon d”« aimer », de vivre en géné­ral sa situa­tion ; ou de com­prendre com­ment il ne s’a­gisse pas aus­si « sub­jec­ti­ve­ment » d’une situa­tion de péché, comme si le res­pon­sable de cette action, un catho­lique, ne savait pas le sens de ce qu’il a fait et de ce qu’il est en train de faire. Et l’on ne com­prend pas non plus ce que signi­fie sup­po­ser l’exis­tence d’une culpa­bi­li­té sub­jec­tive mais « non pleine » et donc (on le sup­pose) par­tielle. Il s’a­git de notions vagues, indé­ter­mi­nées, adap­tables à n’im­porte quel cas concret qui se pré­sente. Qui serait en fait celui men­tion­né par la note, par son inci­pit : « Dans cer­tains cas… » C’est-​à-​dire : étant don­né une situa­tion de culpa­bi­li­té objec­tive mais non sub­jec­tive ou non pleine du point de vue sub­jec­tif, on peut admettre que « dans cer­tains cas » celui qui se trouve dans cette situa­tion pour­rait être « accom­pa­gné », dans son « che­min » d’in­ser­tion dans l’Église « aus­si avec l’aide des Sacrements ». Et donc aus­si par la par­ti­ci­pa­tion à l’Eucharistie.

Il peut s’a­gir, dit le Pape François. Mais la notion condi­tion­nelle sous-​entendue ne doit pas occul­ter le fait qu’on éta­blit ici un prin­cipe appli­cable chaque fois que se pré­sentent « cer­tains cas », prin­cipe qui a donc une por­tée géné­rale : doré­na­vant il est pos­sible pour les divor­cés rema­riés et donc pour les pécheurs en état constant et conscient de péché mor­tel (adul­tère, concu­bi­nage, scan­dale public, for­ni­ca­tion, pour appe­ler les choses par leur impi­toyable nom chré­tien), de s’ap­pro­cher du Corps du Seigneur tout en res­tant dans leurs péchés, dont ils n’ont pas l’in­ten­tion de s’amender.

Qu’un Pontife Romain accorde une telle ouver­ture au péché, c’est le cas de le dire, en contre­ve­nant scan­da­leu­se­ment à son devoir, éta­bli par Notre-​Seigneur en per­sonne, de « confir­mer ses frères dans la foi » par la sau­ve­garde active du Dépôt de la Foi, est une chose tel­le­ment grave et incroyable, que les quatre car­di­naux, sou­te­nus cer­tai­ne­ment par l’ap­pui silen­cieux d’autres car­di­naux et d’é­vêques, ont consi­dé­ré à juste titre de leur devoir de deman­der au Pape, dans la forme tra­di­tion­nelle et res­pec­tueuse mais offi­cielle du Dubium, s’il est vrai que l’art. 305 et sa note n. 351 per­mettent de vio­ler de fait la doc­trine de tou­jours de l’Église, réaf­fir­mée pour la der­nière fois par FC 84.

La vio­la­tion consiste à per­mettre cas par cas ce qui est expres­sé­ment inter­dit, à par­tir de saint Paul, c’est-​à-​dire depuis la fon­da­tion même de l’Église, sous peine de condam­na­tion à la dam­na­tion éter­nelle. L’exception à la règle en vigueur admise par Amoris Lætitia consti­tue donc une véri­table ouver­ture au péché, et ce de la part d’un Pape !

Les quatre autres Dubia posent, avec une stricte logique, les inter­ro­ga­tions que sus­cite le prin­cipe ano­mal et des­truc­teur intro­duit par le docu­ment ber­go­glien : existet- il encore, pour l’é­thique catho­lique, des règles morales abso­lues, que l’on ne peut vio­ler en aucune façon, comme jus­te­ment l’in­ter­dic­tion de com­mu­nier en état de péché mor­tel ? Existe-​t-​il encore une condi­tion objec­tive de péché mor­tel, après les dis­tinc­tions confuses de AL entre l’ob­jec­tif, le sub­jec­tif et le non plein ? Les dis­po­si­tions internes de la conscience du sujet peuvent-​elles rendre insi­gni­fiante une situa­tion objec­tive de péché grave, car elles pour­raient per­mettre au péni­tent de com­mu­nier tout en res­tant tou­jours en état de péché grave ? Tout cela consi­dé­ré, doit-​on main­te­nant admettre que la conscience indi­vi­duelle peut rem­plir une fonc­tion créa­tive dans le domaine de la morale, chose contraire au fon­de­ment même de l’é­thique chré­tienne, qui repose sur la Révélation divine main­te­nue et ensei­gnée par l’Église, et non sur le sen­ti­ment, indi­vi­duel et erra­tique, de notre conscience ?

Je n’ap­pro­fon­di­rai pas ici le dis­cours sur les quatre Dubia. Je cher­che­rai en revanche à démon­trer com­bien est fausse l’o­pi­nion, répan­due dans les médias, selon laquelle l’in­ter­ven­tion amiable du Pontife aurait per­mis la régu­la­ri­sa­tion de nom­breuses situa­tions d’é­poux « dits irré­gu­liers » qui souf­fraient en silence, face à l’in­com­pré­hen­sion de leur cas humain par l’au­to­ri­té ecclé­sias­tique, qui leur bar­rait l’ac­cès à la Communion. Cette opi­nion est fausse parce que la praxis per­verse de la Communion accor­dée aux divor­cés rema­riés est en vigueur dans l’Église post-​conciliaire depuis plus de trente ans : les conces­sions du Pape François n’ont ser­vi qu’à la légi­ti­mer, au mépris de la doc­trine catho­lique de tou­jours, en offense ouverte à la Vérité Révélée.

3. La pastorale de Cambrai, destructrice du mariage catholique

Cela résulte de l’é­pi­sode décon­cer­tant de la « Pastorale de Cambrai » que je rap­porte d’a­près un article de l’ab­bé Claude Barthe, paru dans la très sérieuse revue tri­mes­trielle Catholica, à l’au­tomne 2003. [3] C’était il y a près de qua­torze ans, mais cela semble aujourd’­hui ; c’est même notre sinistre actua­li­té, déjà obs­ti­né­ment pré­sente hier.

L’aile « libé­rale » du catho­li­cisme fran­çais était depuis long­temps enga­gée, nous dit l’ab­bé Barthe dans son intro­duc­tion, dans la modi­fi­ca­tion de la praxis de l’Église « au sujet du « rema­riage » des divor­cés ». Il s’a­gis­sait pré­ci­sé­ment d’é­ta­blir pour eux un pro­ces­sus d”« accom­pa­gne­ment », dans le but de leur inser­tion pro­gres­sive dans l’Église, réa­li­sée avec un juste « dis­cer­ne­ment ». L’aile « libé­rale » avait de toute façon déjà mis en chan­tier depuis long­temps une véri­table offen­sive contre le mariage, en par­ti­cu­lier par un livre – jamais condam­né, sou­ligne l’ab­bé Barthe – écrit par un évêque à la retraite, Mgr Armand Le Bourgeois, inti­tu­lé Chrétiens divor­cés rema­riés, DDB, 1990. On y contes­tait le fait que les divor­cés « rema­riés » se trouvent dan un « état de péché ». Cet évêque par­jure énu­mé­rait cer­taines condi­tions pour l’ad­mis­sion à la Communion (une cer­taine durée dans la vie du couple, le soin des enfants nés du pré­cé­dent mariage, etc.). Il don­nait en outre des conseils, « résul­tant d’une praxis déjà éta­blie », pour orga­ni­ser une céré­mo­nie réser­vée au « rema­riage » civil des divor­cés : lec­ture de la Bible, inten­tion de prière, ani­ma­tion par un prêtre ami. Il ne s’a­gis­sait pas d’une céré­mo­nie au sens habi­tuel du terme. Mgr Le Bourgeois révé­lait que cette « pas­to­rale » était déjà pra­ti­quée dans une ving­taine de dio­cèses en France, en Belgique, aux États-Unis.

Comme on l’a vu, Jean-​Paul II, dès 1981, inter­di­sait expres­sé­ment les céré­mo­nies de ce genre (voir supra). Elles devaient déjà être dans l’air à la fin des années soixante-​dix. Quoi qu’il en soit, le P. Barthe nous informe que la Commission pour la famille de l’é­pis­co­pat fran­çais, dans un docu­ment de 1992 concer­nant Les Divorcés rema­riés, insi­nuait de façon « sciem­ment voi­lée » la pos­si­bi­li­té de ces céré­mo­nies, avec les pré­cau­tions néces­saires. En ce qui concerne « l’ac­cès des divor­cés rema­riés à l’Eucharistie », celui-​ci conti­nuait à être pra­ti­qué de façon dis­crète, et il était sou­vent intro­duit comme desi­de­ra­tum par cer­tains groupes de fidèles dans de nom­breux synodes dio­cé­sains fran­çais dans les années quatre-​vingt et quatre-​vingt-​dix, au milieu de reven­di­ca­tions concer­nant le dia­co­nat, le sacer­doce fémi­nin et l’or­di­na­tion d’hommes mariés. Au synode de Nancy en 1990, on enten­dit l’au­da­cieuse décla­ra­tion selon laquelle « le concu­bi­nage est une étape de l’a­mour, la der­nière étant le mariage », tan­dis qu’au niveau inter­na­tio­nal, ce type de reven­di­ca­tion était notoi­re­ment sou­te­nu par les « théo­lo­giens contestataires ».

Avec ces pré­cé­dents, on en est arri­vé au docu­ment publié par l’ar­che­vêque de Cambrai, Mgr Garnier, un acte « par­ti­cu­liè­re­ment grave », sou­ligne l’au­teur, car c’est un docu­ment offi­ciel d’un évêque et qu’il va com­plè­te­ment (et ouver­te­ment) à l’en­contre de l’o­rien­ta­tion don­née dans ce domaine par Jean-​Paul II, alors régnant, dont la volon­té de « res­tau­rer » les valeurs du mariage et de la famille était vue favo­ra­ble­ment par le jeune cler­gé (tou­jours d’a­près le P. Barthe). Le docu­ment de Mgr Garnier « atta­quait la doc­trine de l’Église sur les sacre­ments ». Il était l’ex­pres­sion du chan­ge­ment de stra­té­gie du mou­ve­ment pro­gres­siste dans l’Église : ayant aban­don­né toute pré­ten­tion « sociale », on se concen­trait sur la pro­mo­tion, au niveau des moeurs, d’une sorte de « démo­cra­tie dans l’Église », démo­cra­tie « des men­ta­li­tés », toutes mar­quées par les pseudo-​valeurs de l’ul­tra­mo­der­ni­té, qu’il fal­lait bien évi­dem­ment faire triom­pher dans l’Église. Les arti­sans de cette stra­té­gie étaient les nom­breux organes exis­tant aujourd’­hui dans l’Église-​institution, des conseils dio­cé­sains à ceux des confé­rences épis­co­pales, aux médias catho­liques, etc.

La pas­to­rale de Cambrai se fon­dait lar­ge­ment sur le « vécu » émer­geant des « groupes de réflexion » pré­sents en assez grand nombre dans la vie ordi­naire de l’Église, après le Concile. Elle don­nait des ins­truc­tions détaillées sur la façon d’or­ga­ni­ser sans atti­rer l’at­ten­tion la céré­mo­nie pour le « rema­riage » des divor­cés rema­riés, excluant (en théo­rie) les formes qui pou­vaient rap­pe­ler la vraie céré­mo­nie nup­tiale à l’é­glise, à com­men­cer par l’é­change des anneaux.

Elle trai­tait ensuite de la Communion pour les divor­cés rema­riés, en lais­sant entendre, à la fin, que le fait de s’en appro­cher dépen­dait de leur conscience. Une pro­po­si­tion qui, je le rap­pelle, est tota­le­ment contraire à la morale et à la foi catho­lique, et que l’on semble pou­voir tirer aus­si de Amoris Lætitia (voir supra). Voici le pas­sage signi­fi­ca­tif du docu­ment de Cambrai :

« Malgré la demande fon­dée de l’Église, des per­sonnes divor­cées rema­riées viennent com­mu­nier. C’est un fait. Dans la plu­part des cas, le célé­brant ne les connaît pas. S’il les connaît, il lui paraît odieux de les ren­voyer publi­que­ment. Dans ce cas, l’at­ti­tude pas­to­rale la meilleure consiste à leur expli­quer fra­ter­nel­le­ment, dès que pos­sible, le sens et les enjeux de la posi­tion de l’Église et de les invi­ter modes­te­ment à se poser en conscience un cer­tain nombre de ques­tions : « Suis-​je en haine vis-​à-​vis de mon pre­mier conjoint ? Comment ai-​je vécu la pro­cé­dure de jus­tice civile ? En toute véri­té ou non ? Suis-​je fidèle et juste quant à la pen­sion ali­men­taire et à la garde des enfants ? Ai-​je renon­cé à me ser­vir d’eux pour obte­nir par eux des infor­ma­tions sur ce qui se vit chez celui ou celle dont je suis sépa­ré (e)… ? » Il sera tou­jours bon de les mettre en contact avec l’un ou l’autre des membres de la com­mis­sion dio­cé­saine de Pastorale Familiale. C’est tou­jours « en Église » que l’on dis­cerne mieux, en toute cha­ri­té et vérité. »

Des textes comme celui-​là, relève à juste titre le P. Barthe, « sub­ver­tissent de façon indi­recte le sacre­ment du mariage ». Ils s’ex­pliquent seule­ment si l’on a à l’es­prit le grand « relâ­che­ment dis­ci­pli­naire » qui enva­hit le milieu ecclé­sial. Certains prêtres confient la charge d” « ani­ma­teur pas­to­ral » à des per­sonnes qui se trouvent en situa­tion matri­mo­niale irré­gu­lière, et celles-​ci, dans le cadre de cette charge, non seule­ment reçoivent la com­mu­nion mais elles la dis­tri­buent. Parmi les dames qui enseignent le caté­chisme, il y en a plu­sieurs de cette caté­go­rie, et il est connu que dans cer­taines paroisses, elles sont en majo­ri­té non pra­ti­quantes. On remarque le laxisme éga­le­ment à l’im­pu­ni­té avec laquelle peuvent se répandre des pas­to­rales comme celle de Cambrai. En effet, si Jean-​Paul II a bien défen­du avec éner­gie la doc­trine du mariage et de la famille, qu’a-​t-​il fait pour punir les laxismes et les graves dévia­tions doc­tri­nales pré­sentes dans ces « pastorales » ?

L’abbé Barthe conclut son bref mais éclai­rant article par des réflexions aiguës sur la fra­gi­li­sa­tion actuelle du mariage dans la men­ta­li­té des futurs époux, qui sou­vent se révèlent « objec­ti­ve­ment inca­pables d’as­su­mer la res­pon­sa­bi­li­té du mariage, inca­pa­ci­té accrue entre autres par le phé­no­mène de la vie com­mune sans res­pon­sa­bi­li­té qui sou­vent le pré­cède ». Plus sou­vent can­di­dats au divorce qu’au mariage

Pr Paolo Pasqualucci (publié en ita­lien dans le blog : iter​pao​lo​pas​qua​luc​ci​.blog​spot​.ie, le 17 février 2017)

Sources : Le Courier de Rome n° 600

Notes de bas de page
  1. . JEAN-​PAUL II, Exhortation Familiaris Consortio sur les tâches de la famille chré­tienne dans le monde d’au­jourd’­hui, []
  2. . PAPE FRANÇOIS, Amoris Lætitia, exhor­ta­tion apos­to­lique sur l’a­mour dans la famille, intro­duc­tion de Chiara Giaccardi e Mauro Magatti, éd. San Paolo, 2016, pp. 264–5. La notion expri­mée dans la note n° 351 était anti­ci­pée dans la note n° 336. []
  3. . CLAUDE BARTHE, La pas­to­rale de Cambrai, Catholica, Automne 2002, n° 81, pp. 100–106. []