Paul VI et l’auto-​démolition de la Tradition

Il faut recon­naître que le pape Paul VI a posé un sérieux pro­blème à la conscience des catho­liques. Ce pon­tife a cau­sé plus de dom­mages à l’Eglise que la Révolution de 1789.

Mgr Marcel Lefebvre, Lettre ouverte aux catho­liques per­plexes, Albin Michel, 1985, p. 198.

Lorsqu’en juin 1963, Paul VI prit pos­ses­sion des 2ème et 3ème étages du Palais apos­to­lique, tra­di­tion­nel­le­ment réser­vés au Saint-​Père, il entre­prit de les amé­na­ger selon ses goûts. Amateur d’art contem­po­rain, il enten­dait don­ner un aspect moderne à ses appar­te­ments. Tapisseries et fau­teuils anciens furent rem­pla­cés par des tis­sus et meubles de style récent, les pièces réno­vées furent ornées d’œuvres d’artistes en vogue, et sa cha­pelle pri­vée trans­for­mée dans l’esprit des années 60.

L’histoire du pon­ti­fi­cat allait le révé­ler : ce nou­veau décor illus­trait la manière avec laquelle le nou­veau pape consi­dé­re­rait et régi­rait la Tradition de l’Eglise.

Dans le voca­bu­laire catho­lique, le mot « Tradition » désigne plu­sieurs réa­li­tés. L’objet de la Révélation tout d’abord, c’est-​à-​dire les véri­tés révé­lées, le dépôt de la foi. « Tradition » indique éga­le­ment l’acte d’enseignement, par lequel est trans­mis fidè­le­ment ce dépôt révé­lé. Il peut aus­si signi­fier l’organe de cet ensei­gne­ment, c’est-​à-​dire le Magistère consti­tué du pape et des évêques. D’une manière plus géné­rale, le mot « Tradition » com­prend tout le patri­moine doc­tri­nal, cano­nique, litur­gique, pas­to­ral, reli­gieux, artis­tique de l’Eglise. Depuis la crise de l’Eglise, le mot est uti­li­sé pour qua­li­fier le mou­ve­ment des catho­liques de Tradition, les tra­di­tio­na­listes. Enfin, il qua­li­fie la notion ou le mode de trans­mis­sion. Ainsi parle-​t-​on de « Tradition vivante ». Les rap­ports de Paul VI vis-​à-​vis de la Tradition peuvent être regar­dés selon ces dif­fé­rentes acceptions.

1) La Tradition comme dépôt de la foi

Le pape Paul VI n’a jamais ensei­gné d’hérésies pro­pre­ment dites. Lors d’une occa­sion solen­nelle, le 30 juin 1968, il a même pro­cla­mé un Credo dont le reten­tis­se­ment fut mon­dial, signe de son carac­tère excep­tion­nel. Ses rap­pels tra­di­tion­nels, ses mises en garde sur la sainte eucha­ris­tie, le tho­misme ou encore l’Eglise, ont accré­di­té l’image d’un pape libé­ral aux deux visages [1], d’une doc­trine tra­di­tion­nelle et d’une pas­to­rale de rupture.

Quarante ans après sa mort, son héri­tage laisse cepen­dant appa­raître un pon­ti­fi­cat éton­nam­ment pro­gres­siste. Paul VI a lais­sé de telles héré­sies se pro­pa­ger, il a encou­ra­gé les nova­teurs d’une manière si fla­grante, il a nom­mé des car­di­naux et évêques si pro­gres­sistes, il a per­sé­cu­té d’une manière si viru­lente les défen­seurs de la foi que son gou­ver­ne­ment fut tra­gi­que­ment pré­ju­di­ciable au dépôt de la foi. Mais sur­tout, son ensei­gne­ment même mit à mal la doc­trine mul­ti­sé­cu­laire de l’Eglise.

Le pro­blème ini­tial et prin­ci­pal réside dans le Concile. Celui-​ci fit le jeu des nova­teurs au détri­ment de la doc­trine tra­di­tion­nelle sur de nom­breux points fon­da­men­taux : le Magistère, la Sainte Eglise, le sacer­doce, la Sainte Ecriture, les fausses reli­gions, l’autorité, la liber­té, etc.. Ce bou­le­ver­se­ment ne s’est pas fait sans heurts et l’aula conci­liaire fut le théâtre régu­lier de contro­verses impor­tantes dont on connaît l’issue. Mais tout cela n’eût pas pu avoir lieu sans l’autorité papale. Sans l’aval du pape, un concile n’est rien, tout comme un décret minis­té­riel pré­pa­ré par des com­mis­sions n’a de valeur que signé par le ministre. Même si les textes conci­liaires sont pré­pa­rés, débat­tus et votés par des mil­liers d’évêques, un concile est essen­tiel­le­ment l’œuvre du suc­ces­seur de Pierre. En rati­fiant les déci­sions des Pères, Paul VI a endos­sé la res­pon­sa­bi­li­té majeure du Concile. En toute véri­té, le concile Vatican II est bien l’œuvre du pape Paul VI. Un geste tra­duit cette affi­ni­té avec le Concile : l’anneau que le pape Paul VI offrit à tous les évêques du monde le 6 décembre 1965, avant-​veille de la clô­ture de Vatican II, et qu’il por­ta jusqu’à sa mort à la place de l’anneau du pêcheur. Tout un symbole.

2) La Tradition comme acte d’enseignement

La modi­fi­ca­tion du conte­nu de l’enseignement s’accompagna d’un chan­ge­ment dans la concep­tion même de l’enseignement, tant il est vrai que la nature de l’enseignement est cor­ré­la­tive de celle de son objet.

Paul VI est sou­vent reve­nu sur cette expres­sion : l’Eglise est en dia­logue : « Le Concile tra­vaille­ra à jeter un pont vers le monde contem­po­rain […] vous avez vou­lu tout d’abord vous occu­per non pas de vos affaires mais de celles de la famille humaine, et enga­ger le dia­logue non pas entre vous mais avec les hommes » dit-​il aux Pères conci­liaires [2]. « L’Eglise se fait parole ; l’Eglise se fait mes­sage ; l’Eglise se fait conver­sa­tion » [3]. Jusqu’à Pie XII, les sou­ve­rains pon­tifes enten­daient par­ler comme doc­teurs de la foi. Ils ensei­gnaient les véri­tés du Christ avec la sou­ve­raine auto­ri­té de Pierre. Leur des­sein était de prê­cher la véri­té et condam­ner l’erreur. Paul VI pri­vi­lé­gia le dia­logue. Le pape n’enseignait plus, il dia­lo­guait, il conver­sait. Naturellement, il condam­nait encore moins.

L’épisode est célèbre. Mgr Lefebvre, ren­con­trant Mgr Montini dans les années cin­quante, appe­lait de ses vœux la condam­na­tion du « Réarmement moral » [4]. Et Mgr Montini de répondre que « l’Eglise va paraître comme une marâtre ». Le futur sou­ve­rain pon­tife consi­dé­rait ces ana­thèmes comme polé­miques sté­riles et improductives.

Les héré­sies étaient du reste deve­nues mar­gi­nales à ses yeux. « Il ne s’agit plus d’ex­tir­per de l’Eglise telle ou telle héré­sie déter­mi­née ou cer­tains désordres géné­ra­li­sés, écrit-​il dans son ency­clique Ecclesiam suam, – grâce à Dieu, il n’en règne point au sein de l’Eglise » [5] ; « à la défense de la foi, on pour­voit main­te­nant mieux en pro­mou­vant la doc­trine » [6].

A l’inverse, on se rap­pel­le­ra ces paroles d’esprit catho­lique : « De tout temps, écri­vait le car­di­nal Pie, il s’est ren­con­tré des esprits ain­si faits qu’ils n’envisagent jamais la défense [de la foi] que comme un scan­dale ajou­té à celui de l’attaque, et que volon­tiers ils unissent leur indi­gna­tion à celle de l’ennemi, quand les apôtres de la véri­té s’efforcent de rendre leur voix aus­si reten­tis­sante que celle du men­songe ». [7]

3) La Tradition comme organe d’enseignement

L’adage était célèbre : Roma locu­ta est, cau­sa fini­ta est. Avec cette volon­té de dia­logue et l’apologie des erreurs conci­liaires, c’est la nature même de l’organe d’enseignement qui se trou­va alté­rée. Pouvait-​on encore par­ler d’un véri­table exer­cice du pou­voir de Magistère, ayant voca­tion à ensei­gner avec auto­ri­té ? Hormis d’heureux coups d’éclat, comme la condam­na­tion de la contra­cep­tion par Humanæ vitæ le 25 juillet 1968, les ensei­gne­ments se révé­laient plus indi­ca­tifs qu’impératifs.

A la place, le pape lais­sa s’installer une liber­té théo­lo­gique qui dégé­né­ra en véri­table anar­chie dog­ma­tique. Lors de la publi­ca­tion des caté­chismes cana­dien et hol­lan­dais publiés par les confé­rences épis­co­pales cor­res­pon­dantes, Rome adop­ta une éton­nante modé­ra­tion et une dis­crète désapprobation.

Saint Pie X avait rédi­gé un caté­chisme ; Paul VI fer­ma les yeux sur la dif­fu­sion de caté­chismes hérétiques.

Devant le péril du moder­nisme, saint Pie X avait impo­sé un ser­ment anti­mo­der­niste que devaient pro­non­cer toutes les per­sonnes en charge d’une auto­ri­té d’enseignement et de direc­tion. Paul VI l’abolit en décembre 1967.

Saint Pie X avait assor­ti le moder­nisme d’excommunications. Paul VI sup­pri­ma les excom­mu­ni­ca­tions, comme il sup­pri­ma tout autant l’Inquisition dont le rôle était pré­ci­sé­ment d’enseigner clai­re­ment la foi catho­lique et de répri­mer les hérésies.

L’Index dis­pa­rut aus­si dans la tour­mente le 14 juin 1966, par la Notification du Saint-​Office, Post Litteras apos­to­li­cas. Le pré­texte invo­qué est inouï : « l’Eglise fait confiance à la conscience mûre des fidèles ». La signi­fi­ca­tion était lim­pide : le pou­voir d’enseignement n’éprouvait plus le besoin de juger avec auto­ri­té ce que les fidèles consta­taient d’eux-mêmes au fond de leur conscience. Il n’y avait plus de maître ni de dis­ciples. Tous les fidèles étaient eux-​mêmes deve­nus des maîtres.

Un geste résu­mait cette révo­lu­tion : le 13 novembre 1964, Paul VI avait aban­don­né la tiare et la sedia. La tiare sym­bole de la monar­chie papale. L’heure était à la col­lé­gia­li­té, au par­tage du pou­voir. L’enseignement deve­nait col­lé­gial, syno­dal. L’Eglise deve­nait un vaste forum de discussions.

4) La Tradition comme patrimoine de l’Eglise

Depuis la Révolution fran­çaise, les papes s’étaient dres­sés contre l’esprit révo­lu­tion­naire qui vou­lait mettre à bas l’héritage de Pierre. Libéralisme, faux œcu­mé­nisme, archéo­lo­gisme litur­gique, rela­ti­visme moral, pas­to­rale relâ­chée, avaient été régu­liè­re­ment condam­nés. Ils retrou­vèrent droit de cité avec Paul VI.

Rome n’avait ces­sé de condam­ner la sécu­la­ri­sa­tion des Etats, la sépa­ra­tion de l’Eglise et de l’Etat, la liber­té des cultes. Citons Mirari vos de Grégoire XVI, Libertas de Léon XIII, Vehementer de saint Pie X. Paul VI fit sup­pri­mer un à un (ou modi­fier dans un sens libé­ral) les concor­dats qui unis­saient l’Etat et l’Eglise : Espagne, Irlande, Colombie, cer­tains can­tons suisses, etc. La chré­tien­té, cette union admi­rable de l’Eglise et de la Cité, illus­trée par Constantin, Charlemagne, saint Louis, Garcia Moreno et tant d’autres, Paul VI n’en vou­lait plus. Convaincu par les théo­ries modernes de Jacques Maritain, il rêvait d’une nou­velle chré­tien­té, tout autre, laïque, huma­niste, où les musul­mans pour­raient libre­ment invo­quer Mahomet. Le 4 octobre 1965, il par­lait à l’ONU un lan­gage digne des loges et louait les droits de l’homme que ses pré­dé­ces­seurs avaient pris soin de condam­ner : « Ce que vous pro­cla­mez ici, ce sont les droits et les devoirs fon­da­men­taux de l’homme, sa digni­té, sa liber­té, et avant tout la liber­té reli­gieuse. Nous sen­tons que vous êtes les inter­prètes de ce qu’il y a de plus haut dans la sagesse humaine, Nous dirions presque : son carac­tère sacré ».

Rome avait condam­né les réunions inter­re­li­gieuses, le pan-​christianisme, notam­ment par l’encyclique Mortalium ani­mos du pape Pie XI. Paul VI encou­ra­gea les réunions œcu­mé­niques. Ainsi, « le 7 décembre 1975, il rece­vait le métro­po­lite [ortho­doxe] Méliton de Chalcédoine. Le pape se met­tait à genoux devant lui et lui bai­sait les pieds ». [8]

Les obser­va­teurs pro­tes­tants ayant par­ti­ci­pé à la réunion du « Consilium » de litur­gie pour l’é­la­bo­ra­tion de la nou­velle messe. De gauche à droite : Dr. George ; Canon Jasper ; Dr. Shephard ; Dr. Konneth ; Dr. Eugene Brand et le Frère Max Thurian, le pape Paul VI. Photo Felici, 10 avril 1970, en cou­ver­ture de la DC n° 1562.

Les pas­teurs pro­tes­tants qui avaient par­ti­ci­pé à l’élaboration de la réforme litur­gique furent féli­ci­tés et encou­ra­gés. Paul VI appa­rut tout sou­rire, comme com­blé de rece­voir les lumières d’experts pro­tes­tants dans le but de réfor­mer la messe catholique.

Rome avait condam­né avec Mediator Dei de Pie XII les déviances du mou­ve­ment litur­gique qui pré­ten­dait reve­nir à une litur­gie archaïque, pri­vée des admi­rables déve­lop­pe­ments de vingt siècles de sain­te­té. Paul VI vou­lut évi­ter tout ce qui pou­vait frois­ser les « frères sépa­rés ». Il vali­da les inno­va­tions litur­giques qui eurent pour résul­tat de détruire la litur­gie de l’Eglise. La messe (1969), le bré­viaire (1970), la prière des prêtres, le rituel (modi­fié pro­gres­si­ve­ment), les sacre­ments de l’Eglise, les ordres mineurs (1972), furent sou­mis à une refonte com­plète dont les effets per­ni­cieux conti­nuent de se faire sen­tir. Pour cette « réforme », notam­ment de l’office divin, le pape se repo­sa sur Annibale Bugnini, qui décla­ra dans quel esprit il enten­dait réfor­mer le Bréviaire : « Il s’agit de s’orienter « vers une réduc­tion du pen­sum [sic] quo­ti­dien » ». [9]

Rome avait dénon­cé jusque-​là le rela­ti­visme moral et la morale de situa­tion. Paul VI lais­sa s’installer dans les sémi­naires, dans les uni­ver­si­tés catho­liques, dans les mai­sons reli­gieuses, un ensei­gne­ment délé­tère [10]

Rome avait tou­jours encou­ra­gé les reli­gieux à mépri­ser le monde condam­né par le Christ et à s’attacher prin­ci­pa­le­ment aux réa­li­tés spi­ri­tuelles. Paul VI obli­gea tous les ordres reli­gieux, toutes les congré­ga­tions ensei­gnantes à se « réfor­mer » selon l’esprit libé­ral, huma­niste et natu­ra­liste de Vatican II. Diminution tra­gique de la fer­veur reli­gieuse, raré­fac­tion des voca­tions, fer­me­ture d’innombrables cou­vents, telles furent les consé­quences désas­treuses de cette réforme ratée dont les effets s’étendirent jusque dans l’enseignement catho­lique, qui fut empor­té dans cette tourmente.

Rome avait édu­qué l’Occident. Le latin, langue de la culture pro­fane et reli­gieuse, était sacri­fié sur l’autel du plu­ra­lisme. L’art catho­lique, admi­rable de beau­té, était bri­sé par des bar­bares qui n’étaient plus à cher­cher par­mi les païens infi­dèles puisqu’ils n’étaient autres que les ministres du Temple.

5) Les traditionalistes

Les défen­seurs de la Tradition ne furent pas mieux trai­tés qu’elle : « Le ser­vi­teur n’est pas au-​dessus du maître ». Paul VI qui, le 23 mars 1966, deman­da au doc­teur Ramsey, pré­ten­du arche­vêque de Cantorbéry, de bénir la foule des fidèles catho­liques ; qui, le 7 août 1965, embras­sa le patriarche grec schis­ma­tique de Constantinople ; qui, le 4 octobre 1965, fut rem­pli de com­pré­hen­sion pour les francs-​maçons onu­siens, ne sup­por­ta pas les tra­di­tion­na­listes dont le chef de file, Mgr Marcel Lefebvre, n’eut droit qu’à des reproches véhé­ments et de sévères condam­na­tions. Le sémi­naire d’Ecône, pépi­nière de prêtres for­més comme l’Eglise les for­mait depuis des siècles, fut offi­ciel­le­ment sup­pri­mé le 6 mai 1975, sans res­pec­ter le droit de l’Eglise en la matière. Le 22 juillet 1976, le pré­lat se vit frap­pé de la sus­pense a divi­nis. Malgré ses appels réité­rés, jamais le pré­lat ne put être jugé selon le Droit ni avoir vrai­ment la pos­si­bi­li­té de s’expliquer et de se défendre.

Dès 1963, Paul VI envi­sa­geait de contraindre les évêques de plus de 75 ans à deman­der leur démis­sion et d’exclure les car­di­naux de plus de 80 ans du conclave. Ce fut chose faite le 21 novembre 1970 par le Motu pro­prio Ingravescentem æta­tem. Son inten­tion était-​elle d’empêcher toute résis­tance de pré­lats conser­va­teurs et de les rem­pla­cer par de jeunes suc­ces­seurs acquis aux idées nou­velles ? Voici une réponse à cette inter­ro­ga­tion : « Dans les pre­mières années après Vatican II, note le car­di­nal Ratzinger, le can­di­dat à l’épiscopat sem­blait être un prêtre qui devait avant tout être ‘ouvert au monde’ : dans tous les cas, ce pré­re­quis était mis à la pre­mière place » [11].

Le car­di­nal Mindszenty gênait l’Ostpolitik du Vatican ; il fut écar­té. Mais « Janos Kadar, pre­mier secré­taire du par­ti com­mu­niste hon­grois, [fut décla­ré par Paul VI] ‘prin­ci­pal pro­mo­teur et le plus auto­ri­sé de la nor­ma­li­sa­tion des rela­tions entre le Saint-​Siège et la Hongrie’ ». [12]

6) La notion de Tradition

Que reste-​t-​il de la Tradition au sens de trans­mis­sion ? Sa notion même est sub­stan­tiel­le­ment modi­fiée. Pour le pape Paul VI, la Tradition n’apparaît plus comme un héri­tage pré­cieux et vivant qu’il faut trans­mettre à la pos­té­ri­té en en conser­vant le sens exact et inal­té­rable, tout en s’efforçant de le rendre encore plus pré­cis, encore plus beau, encore plus adap­té aux enfants de Dieu.

Dans les faits, le pape trai­ta habi­tuel­le­ment la Tradition non comme un dépôt à trans­mettre mais comme une matière à trans­for­mer, comme s’il assi­mi­lait pas­sé et Tradition à une sorte de dépôt mort auquel seule une refonte com­plète serait capable de redon­ner vie. Au risque de ne plus le trans­mettre fidè­le­ment mais de le modi­fier sub­stan­tiel­le­ment. La notion de Tradition s’en trouve radi­ca­le­ment chan­gée. Et c’est peut-​être cela le plus grave. L’action de Paul VI l’a vidée de son sens pro­fond ; il en a fait une réa­li­té évo­lu­tive, entre les mains des hommes.

Conclusion

L’immense enthou­siasme sou­le­vé chez de nom­breux catho­liques par le Concile et les réformes conci­liaires est vite retom­bé pour lais­ser place à un constat des plus amers. Paul VI se lamen­te­ra de l’auto-démolition de l’Eglise [13] et des fumées de Satan. [14]

Le mot de « démo­li­tion » indique la nature du mal : une décons­truc­tion vou­lue et sys­té­ma­tique de la pen­sée et des struc­tures tra­di­tion­nelles de l’Eglise.

Quelles en sont les causes ? L’expression d’auto-démolition écarte d’elle-même les causes exté­rieures, pour­tant bien à l’œuvre. Il faut donc cher­cher une cause intrin­sèque, à l’intérieur même de l’Eglise, à l’origine de cette décons­truc­tion, c’est-​à-​dire du côté de ceux qui pos­sé­daient l’autorité, qui ont mis en œuvre cette entre­prise de démo­li­tion. De nom­breuses auto­ri­tés se sont exer­cées, mais elles se sont toutes exer­cées dans la dépen­dance à l’autorité suprême qui a action­né les prin­ci­paux leviers de cette des­truc­tion, en vali­dant le Concile et lan­çant ses réformes, en nom­mant les pro­gres­sistes aux postes de com­mande et en condam­nant les plus fidèles enfants de l’Eglise. Paul VI ne vou­lait cer­tai­ne­ment pas cette démo­li­tion. Il l’a cepen­dant réa­li­sée. Fecit tamen.

Comment ne pas son­ger à ces paroles de l’Ecclésiastique : « Le prince sage tient son peuple dans la dis­ci­pline, et le gou­ver­ne­ment de l’homme sen­sé est bien réglé. Tel le chef du peuple, tels ses ministres ; et tel le gou­ver­ne­ment de la ville, tels tous ses habi­tants. Un roi igno­rant perd son peuple, mais une ville pros­père par l’intelligence des chefs ». [15]

Epilogue

« Plus nous avons besoin d’un saint pape, plus nous devons com­men­cer par mettre notre vie, avec la grâce de Dieu et en tenant la Tradition, dans le sillage des saints. Alors le Seigneur Jésus fini­ra par accor­der au trou­peau le ber­ger visible dont il se sera effor­cé de se rendre digne.

À l’insuffisance ou à la défec­tion du chef n’ajoutons pas notre négli­gence par­ti­cu­lière. Que la Tradition apos­to­lique soit au moins vivante au cœur des fidèles même si, pour le moment, elle est lan­guis­sante dans le cœur et les déci­sions de celui qui est res­pon­sable au niveau de l’Eglise. Alors cer­tai­ne­ment le Seigneur nous fera miséricorde.

Encore faut-​il pour cela que notre vie inté­rieure se réfère non au pape mais à Jésus-​Christ. Notre vie inté­rieure qui inclut évi­dem­ment les véri­tés de la révé­la­tion au sujet du pape doit se réfé­rer pure­ment au sou­ve­rain prêtre, à notre Dieu et Sauveur Jésus-​Christ, pour arri­ver à sur­mon­ter les scan­dales qui viennent à l’Eglise par le pape ». [16]

Abbé François-​Marie Chautard, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

Sources : Fsspx​.news /​La Porte Latine du 8 décembre 2018

Notes de bas de page
  1. Ibid., p. 199.[]
  2. DC 1963, n° 1357, col. 101 : « Le pro­blème du dia­logue entre l’Eglise et le monde moderne. C’est le pro­blème qu’il revient au Concile de décrire dans toute son ampleur et sa com­plexi­té, et de résoudre, dans la mesure du pos­sible, dans les termes les meilleurs. (…) L’Eglise doit entrer en dia­logue avec le monde dans lequel elle vit. (…) le dia­logue doit carac­té­ri­ser Notre charge apos­to­lique » Lettre ency­clique Ecclesiam suam du 6 août 1964, n° 15, 67 et 69.[]
  3. Ecclesiam suam, n°67.[]
  4. Fondé en 1938 par le pro­tes­tant Franck Buchman, ce mou­ve­ment vise à fédé­rer toutes les bonnes volon­tés, indé­pen­dam­ment des confes­sions reli­gieuses, dans un but de pro­mo­tion de la paix dans le monde, du dia­logue et des liber­tés.[]
  5. Ibidem, n°46[]
  6. Cité par Paul Poupard, Connaissance du Vatican : his­toire, orga­ni­sa­tion, acti­vi­té, Beauchesne, 1974, p. 111.[]
  7. Mgr Baunard, Histoire du car­di­nal Pie, Oudin, 1886, pp. 605–606.[]
  8. Yves Congar, « L’œcuménisme de Paul VI », in Paul VI et la moder­ni­té dans l’Eglise, Actes du col­loque de Rome (2–4 juin 1983), Ecole Française de Rome, 1984, p. 817.[]
  9. Yves Chiron, Mgr Bugnini (1912–1982), Réformateur de la litur­gie, Desclée de Brouwer, 2016, pp. 36–37.[]
  10. NDLR de LPL : voir notre article « La chute annon­cée à tra­vers un repor­tage au Grand sémi­naire de Lille ».[]
  11. Joseph Ratzinger, Entretiens sur la foi, cité par Don Mancinella, 1962 Révolution dans l’Eglise, publi­ca­tions du Courrier de Rome, 2009, p. 104.[]
  12. Mgr Marcel Lefebvre, Lettre ouverte aux catho­liques per­plexes, Albin Michel, 1985, p. 117.[]
  13. Discours du 7 décembre 1968, DC n°1531 (1969), p 12.[]
  14. « La fumée de Satan est entrée dans le peuple de Dieu » – Le 29 juin 1972.[]
  15. Ecclésiastique 10, 1–3.[]
  16. Père Roger-​Thomas Calmel, « De l’Eglise et du pape en tous les temps et en notre temps », in revue Itinéraires n°173, mai 1973, p. 39.[]

FSSPX

M. l’ab­bé François-​Marie Chautard est l’ac­tuel rec­teur de l’Institut Saint Pie X, 22 rue du cherche-​midi à Paris.