Sermon de Mgr Lefebvre – Vigile de la Pentecôte – Diaconat – 9 juin 1984

Mes bien chers amis,
Mes bien chers frères,

Nous voi­ci à nou­veau réunis pour une céré­mo­nie d’ordination. Un bon nombre de jeunes étu­diants, jeunes sémi­na­ristes, vont être ordon­nés Diacres et deux de nos amis du couvent des fran­cis­cains vont être ordon­nés Sous-Diacres.

Ce sont tou­jours des céré­mo­nies encou­ra­geantes, sanc­ti­fiantes, qui nous réjouissent et qui réjouissent aus­si l’Église et les élus du Ciel. Gravir les degrés qui mènent au sacer­doce est une chose qui réjouit les anges et qui réjouit le cœur des hommes, des chré­tiens, des vrais catho­liques, de ceux qui ont la foi. Car il n’y a pas d’Église sans sacer­doce ; sans sacer­doce il n’y a plus de Sacrifice ; sans Sacrifice il n’y a plus d’Église.

Alors, mes chers amis, c’est à vous qui allez être ordon­nés Diacres dans quelques ins­tants, que j’adresserai ces quelques mots, pour vous encou­ra­ger à suivre les modèles que l’Église vous donne pour le dia­co­nat. Dans les pre­miers siècles deux saints mar­tyrs sont pré­sen­tés à nos yeux comme modèles des diacres. Saint Étienne et saint Laurent. Tous deux ont été remar­quables par leur foi, par leur dévo­tion au Saint Sacrement ; remar­quables aus­si par la grâce de Dieu qui les ani­mait et qui les ani­mait jusqu’au mar­tyre, jusqu’à ver­ser leur sang pour leur foi. Remarquables éga­le­ment dans l’accomplissement de leur fonc­tion. Ils ont été char­gés par les apôtres – pour saint Laurent par le pape saint Sixte II – char­gés des biens de l’Église. Et ils l’ont fait avec dévoue­ment, avec déta­che­ment, avec pro­di­ga­li­té, avec géné­ro­si­té. Ils se sont occu­pés et ont géré les biens de l’Église pour les pauvres, pour assis­ter ceux qui étaient dans la néces­si­té, dans le besoin.

Et aus­si ils sont des modèles, modèles de pure­té, modèles de chas­te­té tant ils ont été unis à Notre Seigneur dans leur charge, dans leur vie intérieure.

Alors je pense que nous devons médi­ter et vous devez médi­ter spé­cia­le­ment sur ces ver­tus par­ti­cu­lières de ces modèles que l’Église nous pré­sente. Et par­ti­cu­liè­re­ment j’insisterai aujourd’hui sur l’exemple de saint Laurent, puisque déjà nous avons eu l’occasion de par­ler de saint Étienne.

Saint Laurent a été mar­ty­ri­sé en l’an 258, par l’empereur Vespasien, sous le pon­ti­fi­cat de Sixte II. C’est lui, le pape Sixte II qui l’avait nom­mé comme archi­diacre, donc chef des diacres qui géraient les biens maté­riels de l’Église romaine.

Et saint Laurent s’est mani­fes­té d’une manière toute par­ti­cu­lière par sa foi, au cours de cette per­sé­cu­tion vio­lente qui attei­gnait tout par­ti­cu­liè­re­ment tous les membres du cler­gé depuis le pape jusqu’aux évêques et jusqu’aux prêtres et jusqu’à tous ceux qui par­ti­ci­paient aux fonc­tions sacer­do­tales. La per­sé­cu­tion a sévi, violente.

Et c’est ain­si que le pape Sixte II étant déjà arrê­té pour être mar­ty­ri­sé, que son diacre très cher, qu’il avait choi­si par­ti­cu­liè­re­ment, le sui­vit et vou­lut être mar­ty­ri­sé avec lui. Mais le pape lui conseilla de conti­nuer (d’exercer) sa charge, de ne pas souf­frir le mar­tyre immé­dia­te­ment et il lui pro­phé­ti­sait déjà qu’il serait mar­tyr. Il dési­rait le mar­tyre et il serait mar­ty­ri­sé et dans des condi­tions hor­ribles, dou­lou­reuses, mais qu’il vain­crait et qu’il aurait la cou­ronne du martyre.

Alors, saint Laurent est allé visi­ter ceux qui fuyaient la per­sé­cu­tion, qui se cachaient dans les demeures des chré­tiens, qui se cachaient dans les cata­combes. Il allait leur por­ter la Sainte Eucharistie pour les récon­for­ter dans leur effroi, dans leur épou­vante de cette per­sé­cu­tion et leur don­ner le cou­rage, d’être prêts eux aus­si à subir le martyre.

Ainsi devez-​vous faire vous-​mêmes, mes chers amis, avoir la foi dans l’Eucharistie. Désormais, par le dia­co­nat, vous aurez un pou­voir sur le Corps de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Et pour­quoi saint Laurent avait-​il ce zèle, de por­ter l’Eucharistie aux fidèles ? Parce qu’il croyait dans la ver­tu de l’Eucharistie ; parce qu’il savait qu’il por­tait Notre Seigneur aux âmes.

Et vous aus­si vous aurez cette foi. Lorsque dans des cir­cons­tances par­ti­cu­lières, vous aurez à dis­tri­buer la Sainte Eucharistie, croyez vrai­ment que vous don­nez Jésus Lui-​même, dans son Corps, dans son Sang, dans son Âme, dans sa Divinité, aux âmes aux­quelles vous dis­tri­buez l’Eucharistie.

Pouvez-​vous don­ner un don plus pré­cieux que le Dieu du Ciel et de la terre. Celui qui est mort cru­ci­fié par amour pour nous, qui a don­né son Sang par­ti­cu­liè­re­ment pour la Rédemption des âmes ; a don­né l’Esprit Saint ; dont Jésus était rem­pli. Il donne son Esprit, cet Esprit, Il le com­mu­nique aux âmes par la Sainte Eucharistie. Cet Esprit qui pré­ci­sé­ment donne aux âmes le cou­rage d’être mar­tyres s’il le faut, pour pro­fes­ser leur foi en Notre Seigneur Jésus-Christ.

Et cette foi dans les sacre­ments, implique aus­si, la foi dans la grâce, dans la grâce sanc­ti­fiante, dans cette grâce qui donne une pré­sence conti­nuelle avec Notre Seigneur Jésus-​Christ, avec son Esprit Saint ; qui est une effu­sion de l’Esprit Saint dans les âmes, une effu­sion per­ma­nente qui donne un carac­tère aux âmes, carac­tère de bap­ti­sé, carac­tère de confir­mé – et pour vous – carac­tère du sacer­doce. Caractère qui est une mani­fes­ta­tion par­ti­cu­lière de l’Esprit Saint, qui enflamme les cœurs et les âmes et qui leur donne cet Esprit, Esprit de Dieu, Esprit qui voit Dieu, qui est Dieu et qui, par consé­quent, contemple Dieu dans l’éternité.

Alors, cette par­ti­ci­pa­tion à l’Esprit Saint, vous fait par­ti­ci­per aus­si à la lumière de Dieu dans vos âmes. Et cette lumière implique néces­sai­re­ment un déta­che­ment des choses de ce monde, des choses péris­sables, des choses ter­restres pour s’attacher aux choses divines, pour s’attacher aux réa­li­tés divines. L’Église nous dit cela à lon­gueur d’année : Terrena des­pi­cere et amare… Ces quelques mots reviennent constam­ment dans nos orai­sons, dans toutes les prières de l’Église.

Pourquoi cela ? Est-​ce que vrai­ment les choses de ce monde sont mépri­sables ? Elles sont mépri­sables au regard de Dieu, parce qu’elles ne sont rien par rap­port à Dieu et que, mal­heu­reu­se­ment, nous nous y atta­chons. Nous nous atta­chons à ces choses de la terre et nous les appré­cions d’une manière qui ne convient pas, qui n’est pas juste, qui n’est pas vraie. Précisément dans la mesure où nous avons les yeux de Dieu en nous par l’Esprit Saint, si nous voyons vrai­ment et que nous nous effor­çons de voir les choses comme le Bon Dieu les voit, alors nous com­pre­nons l’insignifiance des choses maté­rielles, des choses de ce monde par rap­port aux choses spi­ri­tuelles, par rap­port aux choses de Dieu, par rap­port aux choses éter­nelles, des choses qui ne sont que tem­po­relles et par consé­quent qui dis­pa­raî­tront, qui n’ont pas de consistance.

Alors de pen­ser que les âmes s’attachent plus même qu’aux biens de Dieu, jusqu’à déso­béir à Dieu, jusqu’à les aimer plus que Dieu, alors nos âmes doivent mani­fes­ter notre atta­che­ment à Dieu et ce déta­che­ment des choses ter­restres par un esprit de renon­ce­ment, par un esprit de pau­vre­té. Et c’est ce que mani­fes­taient ces diacres, dans l’emploi qu’ils avaient des richesses de l’Église. Pourtant ils avaient dans les mains des richesses dont ils auraient pu peut-​être pro­fi­ter et hélas, peut-​être détour­ner à leur pro­fit cer­tains biens de l’Église.

Et n’y a ‑t-​il pas un dan­ger, même pour nous qui auront des biens de l’Église, des biens qui ne nous appar­tiennent pas et que nous aurons à gérer. Est-​ce que nous n’essayerons pas d’en pro­fi­ter un peu pour nous-mêmes ?

Nous devons réflé­chir à ces choses et mettre comme prin­cipe de notre action, ce déta­che­ment des biens de ce monde afin de ne jamais uti­li­ser des biens qui ne nous appar­tiennent pas pour notre inté­rêt per­son­nel. Et je dirai même que c’est là la condi­tion chré­tienne. Les chré­tiens savent que tout ce qu’ils ont, soit ce qui leur appar­tient, est à Dieu, appar­tient d’abord à Dieu et, par consé­quent, tous les biens qui leur sont don­nés et dont ils sont appa­rem­ment propriétaires…Mais (en fait) ils ne sont pas pro­prié­taires. Nous ne sommes pas pro­prié­taires, nous ne sommes jamais pro­prié­taires, puisque nous sommes des créa­tures ici-​bas, qui ne demeurent pas. Un jour, il fau­dra bien aban­don­ner la pro­prié­té. On ne sera pas tou­jours pro­prié­taires des biens ter­restres. Lorsqu’il faut mou­rir, il faut bien aban­don­ner toutes choses. Tout ce que nous croyons être à nous pour l’éternité. Non, les biens tem­po­rels ne sont pas nôtres en défi­ni­tive, ils sont à Dieu, appar­tiennent à Dieu et Dieu nous deman­de­ra com­ment nous avons géré les biens qu’il nous a donnés.

Et non seule­ment les richesses maté­rielles, mais même les biens que nous avons avec nous. Notre corps qui nous a été don­né pour ser­vir Dieu et non pas pour nous ser­vir nous-​mêmes, non pas dans un but égoïste, mais dans un but de cha­ri­té. Qu’avons-nous fait de ce corps que le Bon Dieu nous a donné ?

Et là encore ces diacres sont pour nous des modèles. Ils ont gar­dé leur corps dans la chas­te­té, dans la pure­té, ils ne l’ont pas uti­li­sé pour leur volup­té per­son­nelle. Non. Ils ont vou­lu ser­vir Dieu tota­le­ment, com­plè­te­ment, jusqu’à la mort, jusqu’au mar­tyre. Et nous avons besoin de réflé­chir à cela. Car les ten­ta­tions sont nom­breuses dans ce monde per­vers, dans ce monde d’impureté, dans ce monde qui recherche les biens char­nels, les bien temporels.

Alors nous devons nous pré­ser­ver. Et Jésus nous donne des conseils : la vigi­lance. « Veillez et priez pour que vous n’entriez pas dans la ten­ta­tion ». C’est bien ce que Notre Seigneur dit : vigi­late et orate : veillez et priez.

Veillez pour éloi­gner les ten­ta­tions ; veillez pour fuir les occa­sions. Si nous nous lais­sons entraî­ner dans les occa­sions, com­ment ne tomberons-​nous pas ? Il faut fuir les occa­sions, le péché. Priez, faites péni­tence, soyez sobres : sobrii, estote, vigi­late. C’est encore l’Évangile qui nous le dit.

Et puis cette sobrié­té nous aide­ra, en fai­sant péni­tence, à éloi­gner de nous les tentations.

Profitez aus­si fré­quem­ment du sacre­ment de péni­tence. Le sacre­ment de péni­tence a pour effet par­ti­cu­lier d’éloigner les ten­ta­tions ; donne une grâce par­ti­cu­lière pour nous éloi­gner du péché. Le sacre­ment de péni­tence – encore une fois – n’est pas fait uni­que­ment pour nous déli­vrer d’un péché grave, mais pour nous don­ner les grâces néces­saires pour évi­ter le péché.

Et c’est pour­quoi, nous devons uti­li­ser fré­quem­ment ce sacre­ment de péni­tence que le Bon Dieu nous a don­né pour nous main­te­nir dans la ver­tu et par­ti­cu­liè­re­ment dans la ver­tu de pure­té, dans la ver­tu de chasteté.

Et puis enfin la dévo­tion à la très Sainte Vierge, dévo­tion envers la Vierge Marie. Elle, mère de toute pure­té, de toutes grâces, demandons-​lui de nous gar­der dans cette ver­tu. Car enfin, si nous appro­chons de Celui qui est la vir­gi­ni­té même, la per­fec­tion même, la pure­té même. Notre Seigneur Jésus-​Christ, que vous pour­rez por­ter dans vos mains, n’est-il pas juste et digne, que vous soyez purs vous aus­si. Vous qui por­tez Celui qui est la source de toute pure­té ; de toute vir­gi­ni­té. Voilà l’exemple que nous donnent ces diacres qui ont été des modèles en ces pre­miers siècles et qui ont répan­du des grâces immenses autour d’eux, grâces de sain­te­té, grâces de sanc­ti­fi­ca­tion. Alors nous pen­sons aus­si, que par vos prières, par les prières de ceux qui sont ici pré­sents, par les prières de vos prêtres ici pré­sents, vos amis qui sont venus et ceux du sémi­naire qui vous aident à vous for­mer comme futurs prêtres, nous sommes cer­tain que les grâces du Bon Dieu des­cen­dront sur vous au cours de cette céré­mo­nie et que le Bon Dieu vous com­mu­ni­que­ra les ver­tus des Diacres Laurent et Étienne qui sont vos modèles, par l’intercession de la très Sainte Vierge Marie.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.