Mes bien chers amis,
Mes bien chers frères,
Ce n’est pas sans raison que la Sainte Église demande à l’évêque de consacrer les saintes Huiles en ce jour du Jeudi Saint. Nous avons eu l’occasion, au cours de cette retraite, d’évoquer la pensée de saint Thomas d’Aquin, sur ce que sont en vérité les sacrements institués par Notre Seigneur Jésus-Christ. Saint Thomas nous rappelle qu’il y a trois éléments fondamentaux dans la pensée et la définition des sacrements.
Une référence au passé, dit saint Thomas, référence toujours vivante, toujours réelle, référence à la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ qui est la cause de la grâce de ces sacrements. Cause et source d’où découle la grâce du sacrement.
Le deuxième élément est un élément actuel, un élément qui nous touche de près, qui touche toutes les âmes qui sont atteintes par les bienfaits de la Rédemption : la grâce. La grâce sanctifiante, ce don extraordinaire qui nous est fait, grâce à la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ.
Enfin, troisième élément, dit saint Thomas, c’est la gloire. Car en définitive, pourquoi la présence du Saint-Esprit dans les âmes sanctifiées ? C’est pour la gloire, pour être un jour glorifié dans le Ciel et partager la gloire de Dieu.
Nous comprenons mieux alors, pourquoi ce rapprochement de la consécration des saintes Huiles qui servent essentiellement aux sacrements, avec cette préparation de la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ, car nous sommes à la veille de l’immolation de l’Agneau pascal, veille de la fête de la Pâque.
Et c’est en cette soirée que Notre Seigneur Jésus-Christ va fonder le sacerdoce ; va par conséquent instituer cette continuation de sa Rédemption, cette continuation de sa Passion, en faisant ses prêtres et en leur confiant les sacrements.
Et Notre Seigneur a voulu que ces sacrements, que sa grâce, que son Esprit, son Esprit Saint, nous soit communiqué par des signes sensibles ; des signes sensibles auxquels Il a donné ce pouvoir extraordinaire de communiquer la grâce.
Et puisqu’il s’agit de la vie divine, il s’agit donc d’un élément mystérieux, sublime. On comprend alors pourquoi toute cette solennité pour consacrer ces saintes Huiles qui vont être porteuses de la vie divine dans les âmes.
Ces saintes Huiles sont en effet employées dans presque tous les sacrements. Et elles servent aussi même, par l’institution de l’Église alors, à la consécration. Elles servaient à la consécration des rois, des prophètes. Elles servent aussi à la consécration de ceux qui touchent de plus près à la réalisation des sacrements, comme la consécration du calice, la consécration de la patène, la consécration de la pierre d’autel, la consécration du temple de Dieu, de l’église. Tout cela parce que ces objets ont aussi un caractère divin. Ces objets servent à la transmission de la vie divine en nous. Quelle merveille, quelle splendeur, quelle munificence de la part de Dieu, de nous donner ainsi à travers ces créatures, sa vie divine.
Et je voudrais insister sur ce qui est présent dans les éléments du sacrement. Certes nous devons toujours penser à la Passion de Notre Seigneur, à son Cœur sacré, ouvert, duquel ont coulé le Sang et l’eau qui sont les sources de la grâce de nos sacrements. Mais c’est tout de même pour nous actuellement la grâce sanctifiante qu’il importe d’avoir dans nos cœurs, afin d’être agréables à Dieu.
Car, hélas, il faut affirmer ces vérités de notre foi. Ces vérités qui ont été affirmées d’une manière solennelle – je dirai – par saint Paul lui-même, dans le treizième chapitre de son Épître aux Corinthiens, lorsqu’il fait cette magnifique description de la charité. Mais avant de dire ce qu’est la charité, saint Paul rappelle que sans la charité nous ne sommes rien. Nihil sum ! Nous sommes des cymbales sonnantes, qui ne signifient rien si nous n’avons pas la charité, si nous n’avons pas la grâce en nous. Nous pouvons donner notre corps à brûler ; nous pouvons donner tous nos biens ; nous pouvons faire tous les actes que nous voulons, les plus sublimes, les plus extraordinaires, nous donner nous-mêmes, tout cela ne sert à rien : nihil est, s’il n’y a pas la charité, s’il n’y a pas la grâce en nous.
Pourquoi cela ? Parce que désormais, après le péché originel, seul Dieu peut rendre gloire à Dieu. Seul Notre Seigneur Jésus-Christ – le Verbe de Dieu – incarné venant en nous, prenant possession de notre âme, par Lui-même, par son Esprit et par la présence du Père, par la présence de la Sainte Trinité, peut chanter la gloire du Bon Dieu et être agréable à Dieu. Sans lui, nous ne pouvons rien. Sans Notre Seigneur Jésus-Christ nous ne pouvons plus rien pour la gloire du Bon Dieu. Ainsi Il l’a voulu, ainsi Il l’a décidé. D’où le prix de la grâce, d’où la nécessité de la grâce.
Alors nous qui avons cet immense privilège de recevoir la grâce de Notre Seigneur au jour de notre baptême et d’avoir fait sans doute tous nos efforts pour la garder, cette grâce, garder en nous la présence du Saint-Esprit, garder en nous la présence de Dieu, afin d’être agréable à Dieu, afin que tous nos actes soient non seulement agréables, mais méritent aussi, méritent la vie éternelle, méritent la gloire, non seulement pour nous, mais pour les autres. Alors estimons ce don précieux.
Si scires donum Dei (Jn 4,10), dit Notre Seigneur à la Samaritaine : « Si tu connaissais le don de Dieu ». Et Notre Seigneur donne une image de ce qu’est ce don de Dieu. C’est une source, une fontaine vivante qui irrigue nos âmes et qui donne ainsi naissance à toutes les vertus, à toutes les vertus chrétiennes, à tous les dons du Saint-Esprit, aux béatitudes, à tout ce qui fait fleurir nos âmes et qui les rend agréables au Bon Dieu.
Cette image de la fontaine vivante, me rappelle des souvenirs du désert. Ayant eu parfois l’occasion de visiter des oasis, on comprend mieux l’image de Notre Seigneur. Dans un désert intégral, où rien ne pousse, aucune herbe ne vient au jour, où se trouvent tout à coup, comme par miracle, quelques hectares de terre où l’on voit surgir ces fontaines, bien souvent sur lesquelles on a posé des pierres, afin qu’elles ne soient pas trop jaillissantes. Mais l’eau coule en abondance, une eau claire, limpide, qui irrigue par des petits canaux tous les environs de cette source. Et des merveilles poussent : palmiers, orangers, mandariniers, du blé, du maïs, tout pousse à souhait dans ce désert intégral, où aussi loin que la vue peut s’étendre, il n’y a rien, rien, rien. Eh bien, je pense que cette image que Notre Seigneur donne, signifie bien ce que sont les cœurs qui ont reçu la grâce du Bon Dieu. Cette eau, cette source, cette fontaine de vie qui jaillit vers le Ciel, produit en nous toutes ces vertus chrétiennes dont nous avons besoin et qui nous préparent à la gloire du Ciel.
Pour nous, mes bien chers amis, pour nous prêtres surtout, qui devons utiliser souvent ces signes sensibles que Notre Seigneur a institués pour conférer la grâce aux âmes, ayons un profond respect, une profonde dévotion pour toutes ces institutions que Notre Seigneur a faites, afin de donner véritablement la grâce aux âmes. Et préparons aussi les cœurs, afin qu’ils les reçoivent dignement et qu’ils reçoivent cette grâce en abondance.
Car s’il est vrai que ces signes produisent leur effet, comme disent les théologiens : ex operæ operato, c’est-à-dire par eux-mêmes, il n’en est pas moins vrai que les dispositions des fidèles comptent aussi dans l’abondance des bienfaits qui sont donnés, dans l’abondance de la grâce qui est donnée. Meilleures sont les dispositions, plus le cœur est ouvert ; plus le cœur est généreux et plus la grâce du Bon Dieu se répand en lui. À nous de les préparer. Et à nous d’affirmer justement cette vérité : Que là où il n’y a pas la grâce, rien n’est utile au salut.
Ce sont des vérités qu’aujourd’hui on ne veut plus affirmer, parce qu’elles sont pénibles. On voudrait, on voudrait bien que toutes les âmes aient la grâce, évidemment. Mais nous ne pouvons pas la donner, là où il y a une opposition à Notre Seigneur Jésus-Christ Lui-même ; là où il y a une opposition à la foi.
On nous ferait croire, à présent, que tous les baptêmes qui sont donnés aux protestants par exemple, sont fructueux. Je dis fructueux – même s’ils étaient tous valides, ce qui n’est pas toujours le cas, hélas – même si tous ces baptêmes étaient valides, là où il n’y a pas la foi – chez des adultes par exemple – là où il n’y a pas la foi catholique, il y a un obstacle à la grâce. Le fait de refuser une vérité de notre foi est une opposition à Dieu Lui-même, à l’autorité de Dieu Lui-même – car c’est Dieu qui révèle – nous opposer à Dieu, empêcher la grâce de venir dans nos âmes. Il en est de même pour un catéchumène adulte qui est en état de péché mortel et qui n’a pas eu de véritable contrition de sa faute.
Demeurant dans l’état de péché mortel, il y a en lui un obstacle. Et pourtant le baptême est valide. Il aura le caractère dans son âme. Mais ce caractère ne sera fructueux que le jour où l’obstacle sera levé. Dès lors la foi sera parfaite, dès lors que le péché sera enlevé de cette âme pécheresse, eh bien la grâce abondera dans son âme. Mais s’il y a cet obstacle, le sacrement n’est pas fructueux.
C’est une chose importante. Nous ne pouvons pas aller à l’encontre des lois divines dans le domaine de la grâce. Ainsi Dieu l’a voulu. D’où le désir que nous devons avoir de préparer les âmes à la grâce. Faire en sorte que toutes les âmes la reçoivent. Car sans la grâce nous ne pouvons pas aller au Ciel.
La grâce – encore une fois – c’est la présence du Saint-Esprit dans nos âmes, et pour nous-mêmes, quelle leçon aussi.
Soyons toujours vigilant afin de demeurer en état de grâce et demandons au Bon Dieu de nous donner tout ce dont nous avons besoin pour nous maintenir dans cet état de grâce.
Demandons-le tout particulièrement à notre bonne Mère du Ciel, elle qui a été pleine de grâce, emplie de grâce par l’Esprit Saint. Qu’elle veuille bien nous aider à demeurer dans la grâce et dans l’amour de l’Esprit Saint, dans la charité, comme elle y est restée, elle, toute sa vie et qu’elle a été maintenant glorifiée dans le Ciel.
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.