Le prêtre doit garder le secret sur les péchés qu’il a entendus en confession. Mais cette loi admet-elle des exceptions, dans des cas extrêmes ?
1. Des situations dramatiques
Les opposants au secret de confession invoquent des situations qui pourraient, si le prêtre n’intervenait pas, aboutir à des tragédies. Par exemple, un homme confie à son confesseur qu’il a prévu de se suicider dans quelques minutes. Pire, un pénitent révèle en confession son intention ferme d’aller violer puis assassiner des centaines d’enfants, ou de faire exploser une bombe dans un lieu très fréquenté. Bien sûr, le prêtre mettra tout en œuvre pour faire revenir l’homme sur sa décision. Il refusera même l’absolution au pénitent s’il persiste dans ses desseins pervers. Mais ensuite ? Si le coupable sort du confessionnal animé de la même résolution abominable, faut-il vraiment tenir que le confesseur est tenu au secret ? N’est-ce pas gravement contraire au bien commun et donc immoral de garder le silence alors qu’on pourrait sauver un grand nombre de vies ? Certains silences ne sont-ils pas criminels ?
2. La loi de l’Église
La discipline de l’Église a toujours été très stricte en la matière : « Le secret sacramentel est inviolable ; c’est pourquoi le confesseur veillera diligemment à ne pas trahir le pécheur ni par parole ni par signe, ni d’une autre façon, pour n’importe quel motif »[1]. Cette dernière incise montre que l’Église n’admet aucune exception à cette loi. Saint Thomas d’Aquin précise : « Le prêtre ne doit d’aucune façon apporter son témoignage sur un fait qui lui a été révélé sous le secret de la confession. En effet, il ne le connaît pas comme homme, mais comme ministre de Dieu, et le lien du secret sacramentel est plus strict que celui de n’importe quel précepte humain »[2]. Cette règle vaut même si le confesseur n’a pas donné l’absolution au pénitent.Signe que l’Église attache de l’importance à l’observation de cette loi, elle punit le prêtre transgresseur par une excommunication latae sententiae réservée au Saint-Siège[3]. Autrement dit, le confesseur qui dévoile directement le péché et le pécheur devient immédiatement excommunié, sans même qu’une intervention de l’autorité ecclésiastique ne soit nécessaire. Cette peine empêche le prêtre de donner et de recevoir les sacrements. Pour être absous de cette censure, il doit recourir à Rome, au tribunal de la Sacrée Pénitencerie.
3. Pourquoi une telle rigidité ?
L’inviolabilité absolue du secret de confession est fondée sur deux raisons. La première découle de la nature des sacrements, qui sont des signes. Saint Thomas l’explique : « Dans les sacrements, les cérémonies extérieures sont les signes de ce qui se passe à l’intérieur. La confession, par laquelle on se soumet au jugement du prêtre, est le signe de la confession intérieure par laquelle on se soumet à Dieu. Or Dieu couvre le péché de celui qui se soumet ainsi à la pénitence. Et cela aussi doit être signifié dans le sacrement de pénitence. C’est pourquoi il relève de la nécessité du sacrement que la confession soit cachée »[4]. Saint Thomas ajoute que la trahison du secret de confession constitue une profanation du sacrement et un sacrilège[5].
Le deuxième motif est fondé sur le bien commun. Sans la certitude que le confesseur gardera le secret, qui oserait avouer au prêtre ses péchés ? Le soir de la Résurrection, le Christ a institué le sacrement de pénitence par mode de jugement et a donné à ses apôtres le pouvoir d’effacer les péchés. Les apôtres et leurs successeurs sont ainsi établis juges par le Christ. Or, pour juger, il faut connaître la cause. C’est pourquoi le pénitent doit, de par la volonté divine, indiquer au confesseur le nombre et la nature de tous les péchés mortels accusés ; accusation qui serait psychologiquement extrêmement difficile si le confesseur n’était pas lié par la loi du secret. Ces deux raisons montrent que l’obligation du secret de confession n’est pas seulement de droit ecclésiastique. Elle relève du droit divin. Par conséquent, aucune autorité humaine, pas même le pape, n’a le pouvoir d’en dispenser.
Il ne manque d’ailleurs pas d’exemples de martyrs de la confession, de prêtres ayant préféré mourir plutôt que de révéler les péchés de leurs pénitents. L’un des plus fameux est saint Jean Népomucène (1340–1393), qui fut martyrisé par le roi Wenceslas IV de Bohème, parce qu’il refusait de trahir les confessions de la reine, Sophie de Bavière. Il fut torturé et jeté dans la Moldau.
4. Un cas d’épikie ?
Le législateur considère ce qui arrive habituellement. Il ne peut pas prévoir tous les cas. Or, dans certaines situations exceptionnelles, l’obéissance stricte à la lettre de la loi est nocive. Elle nuit gravement au bien commun. C’est alors qu’il faut pratiquer l’épikie, vertu qui consiste à suivre l’esprit du législateur contre la lettre de la loi[6]. L’épikie ne cherche pas à contourner la loi, mais à l’accomplir d’une façon plus parfaite.
Par exemple, la loi ecclésiastique de la clôture prévoit une excommunication pour le religieux qui laisse entrer une femme dans le monastère[7]. Mais supposons qu’une femme soit poursuivie par un criminel qui cherche à l’assassiner. Elle frappe à la porte de l’abbaye en urgence, cherchant un refuge. Le moine portier doit évidemment lui ouvrir la porte et n’encourt pas la peine prévue par l’Église.
La tentation est grande de vouloir appliquer l’épikie à la loi du secret de confession, en vue d’éviter un grave dommage au bien commun. Aujourd’hui, plusieurs voix se font entendre, même parmi les catholiques[8], pour prétendre que, dans des situations exceptionnelles, le confesseur qui dévoilerait le contenu de la confession commettrait une œuvre bonne et louable.
Pourtant, les théologiens sont unanimes pour affirmer que cette loi n’admet pas d’épikie[9]. En d’autres termes, jamais l’obéissance à la loi du secret de confession ne peut devenir nocive ni se retourner contre l’intention du législateur. Au contraire, admettre que cette loi puisse connaître des exceptions, c’est causer un dommage extrêmement grave au bien commun. En effet, la confession risque de devenir odieuse. Qui désire que ses fautes soient dévoilées ? Tout pécheur, pour pouvoir s’approcher du tribunal de la pénitence en toute sérénité, doit être certain que le confesseur est lié par la loi du secret, et que cette loi n’admet pas d’exception. Quel pédophile, quel assassin, osera venir se confesser, si sa garantie en la matière n’est pas totale ? Admettre des exceptions, même rarissimes, à la loi du secret, c’est éloigner les âmes du sacrement de pénitence, c’est rendre ce sacrement repoussant, c’est fermer aux fidèles l’accès à la miséricorde divine.
5. Où se situe le vrai bien commun ?
Supposons que, en dévoilant le péché de son pénitent, le confesseur évite à des milliers d’innocents une mort atroce. Il semblerait que la vie de tous ces innocents soit un bien de plus de valeur que la réputation et la tranquillité du pénitent coupable. Le bien commun ne passe-t-il pas avant le bien particulier ? En réalité, le bien des âmes est infiniment supérieur au bien des corps. Le salut éternel des âmes rachetées par Notre-Seigneur est plus précieux que la vie humaine temporaire. Or, pour le salut des âmes, le sacrement de pénitence est nécessaire. C’est la seconde planche de salut pour ceux qui ont fait naufrage par le péché grave. Par conséquent, la mort d’innocents, aussi nombreux soient-ils, est moins nuisible au bien commun qu’une législation éloignant les fidèles du sacrement de pénitence et laissant ainsi croupir les âmes dans un état de damnation.
Mais la question rebondit si le prêtre apprend par la confession un grave danger non pour les corps mais pour les âmes. Par exemple, il découvre que son pénitent, sans la moindre contrition, cherche à pervertir les âmes de la communauté et à les conduire en enfer. Puisqu’il s’agit ici d’un bien spirituel, le confesseur ne doit-il pas mettre en garde le supérieur de la communauté en péril, ou chacun de ses membres ? Ne peut-il pas au moins alerter les personnes en danger : « Prenez garde, il y a un loup dans la bergerie ! » ? Les moralistes sont unanimes pour répondre que, même dans ce cas dramatique, le confesseur doit ensevelir dans un silence éternel et sacré cette information. La raison est simple : si la morale permettait au prêtre de parler, il sauverait peut-être plusieurs personnes, mais cette brèche dans la loi du secret causerait un dommage considérable à toute l’Église pendant tous les siècles à venir, en détournant les âmes du confessionnal. Le confesseur aurait le droit, en revanche, de prier de tout son cœur pour les âmes dont il a appris le péril par la confession, parce qu’il n’y a là aucun risque de violation du secret.
6. Les législations civiles
Tous les pays civilisés reconnaissent le secret professionnel et le protègent. Un tel secret est en effet nécessaire au bien commun, dans la mesure où il est la condition requise pour que les gens osent se confier. Par exemple, le médecin ou l’avocat ne pourraient pas exercer leur métier si le patient ou le client ne pouvaient compter sur leur silence. Pourtant, les législations civiles admettent des exceptions à la loi du secret professionnel, dans des situations où le bien commun serait gravement mis en péril. Le secret de confession, au contraire, dans la loi de l’Église, n’admet pas d’exception, d’où certains débats parfois vifs dans plusieurs pays. Par exemple, aux États-Unis, le 12 janvier 2021, trois législateurs de l’État du Dakota du Nord ont présenté un projet de loi qui obligerait les prêtres catholiques à violer le sceau de la confession dans les cas de maltraitance d’enfants confirmée ou suspectée, sous peine d’emprisonnement ou de lourdes amendes. Plusieurs États australiens, dont l’État de Victoria, la Tasmanie, l’Australie-Méridionale, le Territoire de la capitale australienne, et en septembre 2020 enfin l’État du Queensland, ont déjà adopté des lois obligeant les prêtres à violer le sceau de la confession, suite aux recommandations de la Commission royale sur les abus sexuels du clergé.
De telles législations font preuve d’une méconnaissance profonde et du sacrement de pénitence et de la psychologie humaine. Si un criminel sait que le confesseur le dénoncera aux autorités civiles, et qu’il risque une condamnation à plusieurs années de prison, il n’ira jamais se confesser. Il court alors le danger de s’enfoncer davantage dans son péché et la probabilité de récidive s’accroît. Il risque aussi de sombrer dans le désespoir, privé du sacrement de la miséricorde divine. Certains députés laissent entendre que la loi du secret protège les criminels et favorise ainsi le crime. L’expérience montre au contraire que cette sainte loi contribue efficacement à l’amendement des coupables et à leur conversion.
7. Un secret d’un genre particulier
Ces réflexions montrent que le secret de confession est différent des autres secrets. Il est gardé au nom de Dieu, alors que les autres secrets sont gardés par des hommes en leur nom propre. Sa trahison est un sacrilège, contrairement aux autres secrets. Sa violation constitue toujours un péché mortel, alors que trahir des secrets peu importants est un péché véniel. La loi de ce secret oblige toujours, même après la mort du pénitent, alors que plusieurs secrets humains cessent avec le temps. Enfin, ce secret n’admet aucune exception, contrairement aux autres qui peuvent et même qui doivent être révélés dans certaines situations.
8. Conclusion
Admettre une exception, aussi minime soit-elle, à la loi du secret de confession, c’est fermer la porte du Ciel à des milliards d’âmes rachetées par le sang du Christ. Peut-il exister une pire catastrophe ? C’est pourquoi les législateurs civils pourront dire tout ce qu’ils veulent, le prêtre restera toujours lié par le secret de confession, même s’il risque une amende, la prison ou la mort, sans que l’on puisse admettre la moindre exception à cette loi sacrée. L’enseignement du Catéchisme du concile de Trente n’a rien perdu de son actualité :
Comme tout le monde désire très vivement cacher ses crimes et la honte de ses fautes, il faut avertir les fidèles qu’ils ne doivent craindre en aucune façon que le prêtre à qui ils se seront confessés révèle jamais à personne les péchés qu’ils lui auront fait connaître, ni qu’il puisse jamais leur arriver aucun mal par suite de la confession. Les lois et les décrets de l’Église veulent que l’on sévisse de la manière la plus rigoureuse contre les prêtres qui ne tiendraient pas ensevelis dans un silence éternel et sacré tous les péchés qu’ils auraient connu par la confession.
Catéchisme du Concile de Trente, Du ministre du sacrement de pénitence
Abbé Bernard de Lacoste
Source : Courrier de Rome n°637
- CIC 1917 can. 889 ; CIC 1983 can. 983[↩]
- Somme théologique, IIa IIae q. 70 art. 1 ad 2[↩]
- CIC 1917 can. 2369 ; CIC 1982 can. 1388[↩]
- Suppl. q. 11 art. 1[↩]
- Quodlibet 12, q. XI, art. 16[↩]
- Voir Ia IIae q. 96 art. 6.[↩]
- Canon 2342 du Code de 1917[↩]
- Par exemple Arnaud Dumouch dans l’une de ses vidéos sur Youtube du 31 mars 2016[↩]
- Par exemple Cappello, De Poenitentia, n°585 ; Prümmer, Manuale theologiae moralis, t. 3, n°445[↩]