La réaction paradoxale des communautés « ex-​Ecclesia Dei » au motu proprio Traditionis Custodes

Si la nou­velle messe est « féconde » et « légi­time », pour­quoi en refu­ser l’usage exclu­sif ? D’autant plus si le pape motive sa déci­sion par le sou­ci de l’unité de l’Eglise…

Amicus Plato, sed magis ami­ca veri­tas. « Platon m’est cher, mais la véri­té m’est encore plus chère ». Si d’un côté nous regret­tons sin­cè­re­ment un motu pro­prio qui révoque presque tout droit de cité à la litur­gie tra­di­tion­nelle, d’un autre côté nous ne pou­vons pas ne pas remar­quer le carac­tère para­doxal des réac­tions des ins­ti­tuts « ex-​Ecclesia Dei ». 

La plus emblé­ma­tique est sans doute celle de l’abbé Paul-​Joseph, Supérieur du District fran­çais de la Fraternité Saint-​Pierre. Dans une inter­view à Famille chré­tienne, il a dit que « la Fraternité Saint-​Pierre n’a jamais reje­té le concile Vatican II. Pour nous, il ne pré­sente pas de dif­fi­cul­tés fon­da­men­tales mais uni­que­ment des demandes de pré­ci­sions sur cer­tains points que nous inter­pré­tons à la lumière de la tra­di­tion de l’Eglise comme le pré­co­nise Benoit XVI ». Et aus­si que « nous n’avons jamais remis en cause » « la vali­di­té et la fécon­di­té du mis­sel de Paul VI ».

Ces pro­pos nous rap­pellent qu’à la dif­fé­rence de ce que pensent cer­tains, les posi­tions de la Fraternité Saint-​Pierre sur le Concile et la nou­velle messe sont com­plè­te­ment dif­fé­rentes de celles de la Fraternité Saint-​Pie X. 

La Fraternité Saint-​Pie X affirme que dans le Concile et dans l’enseignement des papes post­con­ci­liaires il y a de véri­tables erreurs, qui se posent en dis­con­ti­nui­té par rap­port à la doc­trine catho­lique de tou­jours. Par exemple la liber­té reli­gieuse, l’œcuménisme, la col­lé­gia­li­té, pour ne citer que les plus impor­tantes. La Fraternité Saint-​Pierre réduit tout cela à un pro­blème d’interprétation et de pré­ci­sions à donner.

La Fraternité Saint-​Pie X affirme que la nou­velle messe, tout en n’étant pas tou­jours inva­lide, est néan­moins tou­jours illi­cite, car elle exprime la foi d’une façon fon­ciè­re­ment ambi­guë, qui peut être accep­tée aus­si bien par un catho­lique que par un pro­tes­tant, comme des théo­lo­giens pro­tes­tants l’ont eux-​mêmes affirmé.

L’on objec­te­ra que tous les prêtres de la Fraternité Saint-​Pierre n’ont pas la même posi­tion que leur Supérieur du District. C’est peut-​être vrai. Mais depuis quand un catho­lique, sur des matières qui touchent à la foi, a le droit d’avoir une posi­tion publique (ne serait-​ce qu’en fai­sant par­tie d’un Institut qui tient offi­ciel­le­ment cette posi­tion) qui est en contra­dic­tion avec sa posi­tion pri­vée ? Si c’était le cas, les mar­tyrs n’exis­te­raient pas.

C’est une ques­tion qui nous mène­rait loin. Ici nous vou­drions tout sim­ple­ment faire remar­quer que la réac­tion de l’abbé Paul-​Joseph au motu pro­prio Traditionis cus­todes est inco­hé­rente même par rap­port à sa propre posi­tion doctrinale.

En effet, la morale nous enseigne que, dans l’alternative entre deux actions, dont l’une est en soi meilleure et l’autre est en soi moins bonne (mais tout de même bonne), si le supé­rieur nous ordonne de faire la moins bonne, c’est celle-​là qui devient, non plus en soi mais de fait, la meilleure. Et donc il n’y a aucune rai­son de s’y oppo­ser. Par exemple, entre étu­dier et prier, cette der­nière action est en soi meilleure. Mais, si le supé­rieur m’ordonne d’étudier au lieu de prier, je n’ai aucun droit de lui résis­ter, car étu­dier est quand même une action bonne, qui peut faire l’objet d’un com­man­de­ment légitime.

C’est la même chose pour la nou­velle messe. La Fraternité Saint-​Pierre pense qu’elle est « féconde » (abbé Paul-​Joseph), « abso­lu­ment légi­time » (lettre de 71 prêtres de la FSSP à l’abbé Bisig, 8 sep­tembre 1999 ; recours de la FSSP auprès de la Commission « Ecclesia Dei », 29 juin 2000) et donc bonne, quoique peut-​être moins bonne que la messe tra­di­tion­nelle (même si François, dans la lettre aux évêques qui accom­pagne son motu pro­prio, condamne une telle opinion). 

Mais alors, du moment que le pape ou l’évêque ordonne soit de la concé­lé­brer, soit de la célé­brer indi­vi­duel­le­ment, soit (c’est le cas de Traditionis cus­todes) de la favo­ri­ser et d’y conduire petit à petit les fidèles « tra­dis », pour­quoi s’y oppo­ser ? Si la nou­velle messe est bonne, elle peut faire l’objet d’un com­man­de­ment légi­time. D’autant plus si le pape motive sa déci­sion par le sou­ci de l’unité de l’Eglise…

Il en va tout autre­ment si l’on pense, comme la Fraternité Saint-​Pie X, que la nou­velle messe est illi­cite et donc mau­vaise. Dans ce cas, elle ne peut faire l’objet d’un com­man­de­ment légi­time. Et non seule­ment nous pou­vons, mais nous devons nous y oppo­ser, car il ne sau­rait y avoir de véri­table obéis­sance à l’égard d’un ordre intrin­sè­que­ment injuste.

Donc, de deux choses l’une : soit la nou­velle messe est « féconde » et « légi­time », et alors pour­quoi pas, si le pape le vou­dra, en accep­ter l’usage même exclu­sif ; soit elle est mau­vaise, et alors on a le droit et le devoir de res­ter atta­ché à la messe tra­di­tion­nelle et de refu­ser la nouvelle.

Abbé Daniele di Sorco