Désarroi et quadrature du cercle

Réunis le 31 août der­nier à Courtalain, douze supé­rieurs de com­mu­nau­tés Ecclesia Dei ont signé une Lettre dans laquelle ils font part de leur réac­tion au récent Motu pro­prio Traditionis cus­todes du Pape François.
Merci Saint Père ?…

Lettre des com­mu­nau­tés Ecclesia Dei adres­sée aux Évêques de France suite au Motu Proprio Traditionis Custodes – 31 août 2021

Inquiets à l’idée que leurs Instituts soient sou­mis à des visites apos­to­liques dis­ci­pli­naires, qui pour­raient abou­tir à les pri­ver de la pos­si­bi­li­té de célé­brer la messe selon le rite de saint Pie V, ces signa­taires pro­testent de leur adhé­sion au Magistère de Vatican II et d’après, et se tournent vers les évêques de France, afin d’implorer leur patience et leur écoute, leur com­pré­hen­sion et leur misé­ri­corde – dans un dia­logue vrai­ment humain. Pas un mot sur la noci­vi­té fon­cière de la nou­velle messe de Paul VI. Pas un mot sur les fruits amers du Concile. Pas un mot sur l’accélération conster­nante de la crise de l’Eglise sous le Pape François. Et la com­mu­nion aux divor­cés rema­riés ? Et le scan­dale de la Pachamama ? La diplo­ma­tie, si c’en est une, confine ici avec la naï­ve­té ou l’inconscience, quand ce ne serait pas avec l’hypocrisie. Que vont dire les pauvres et braves fidèles qui fré­quentent ces Instituts ?…

Que demandent en défi­ni­tive tous ces supé­rieurs majeurs ? Ils demandent la liber­té, la liber­té de conti­nuer à célé­brer le rite de l’ancienne messe, au milieu de tous ceux qui célèbrent le rite de la nou­velle messe. Or, cette liber­té est impos­sible. Et ce qui frappe, à la lec­ture de cette lettre, c’est l’absence de toute réfé­rence à la véri­té qui délivre : véri­té de l’opposition fon­cière qui inter­dit au nou­veau rite de la messe de Paul VI de coha­bi­ter paci­fi­que­ment avec le rite de la messe de toujours

Pourquoi une telle oppo­si­tion ? Redisons cette évi­dence : la loi de la prière est l’expression de la loi de la croyance. Or, le nou­veau rite de la messe de Paul VI est l’expression d’une nou­velle croyance, en oppo­si­tion avec l’ancienne. Mgr Lefebvre l’a répé­té à plu­sieurs reprises, notam­ment dans son Homélie lors des ordi­na­tions sacer­do­tales du 29 juin 1976 : « Nous avons la convic­tion que pré­ci­sé­ment ce rite nou­veau de la Messe exprime une nou­velle foi, une foi qui n’est pas la nôtre, une foi qui n’est pas la foi catho­lique. Cette nou­velle messe est un sym­bole, une expres­sion, une image d’une foi nou­velle, d’une foi moder­niste. Ce rite nou­veau, sous-​tend — si je puis dire — sup­pose une autre concep­tion de la reli­gion catho­lique, une autre religion ».

Et la réci­proque est vraie : le rite de l’ancienne messe exprime une foi qui n’est pas celle de Vatican II, qui n’est pas celle du Pape François et des évêques de France plei­ne­ment sou­mis à lui. C’est d’ailleurs pour cette rai­son très pré­cise que le Pape a déci­dé, comme il s’en explique dans la Lettre accom­pa­gnant le Motu pro­prio, « d’a­bro­ger toutes les normes, ins­truc­tions, per­mis­sions et cou­tumes qui pré­cèdent le Motu pro­prio Traditionis cus­todes » et « de sus­pendre la facul­té accor­dée par ses pré­dé­ces­seurs ». Le motif fon­da­men­tal de cette déci­sion, nous dit le Pape, est qu’il existe « un lien étroit entre le choix des célé­bra­tions selon les livres litur­giques anté­rieurs au Concile Vatican II et le rejet de l’Église et de ses ins­ti­tu­tions au nom de ce qu’on appelle la « vraie Église » ».

Les douze supé­rieurs des Instituts Ecclesia Dei ont beau se défendre, dans le pathé­tique d’un ver­biage vic­ti­maire et lar­moyant, d’un pareil rejet, celui-​ci reste néces­sai­re­ment ins­crit dans l’essence même de l’ancien rite de la messe. La célé­bra­tion de l’ancienne messe est, en tant que telle, le rejet non seule­ment du nou­veau rite de Paul VI, mais de tout le nou­veau magis­tère de Vatican II. Au-​delà d’un rejet fac­tuel, qui serait le fait de telle ou telle per­sonne, non repré­sen­ta­tive de la mou­vance Ecclesia Dei – et dont on veut bien croire que les douze signa­taires, res­pon­sables des Instituts de cette mou­vance, sont inno­cents – il y aura tou­jours un rejet de prin­cipe, qui découle néces­sai­re­ment, tôt ou tard, du rite de la messe de saint Pie V. La messe de tou­jours est incom­pa­tible avec l’Eglise conci­liaire. Et c’est pour­quoi le Pape François, dans la mesure où il se reven­dique de cette Eglise du Concile, ne peut tolé­rer la messe de tou­jours. Mgr Lefebvre en fit jadis le constat : « Si, en toute objec­ti­vi­té, nous cher­chons quel est le motif véri­table qui anime ceux qui nous demandent de ne pas faire ces ordi­na­tions, si nous recher­chons leur motif pro­fond, nous trou­vons que c’est parce que nous ordon­nons ces prêtres, afin qu’ils disent la Messe de tou­jours. Et c’est parce que l’on sait que ces prêtres seront fidèles à la Messe de l’Église, à la Messe de la Tradition, à la Messe de tou­jours, qu’on nous presse de ne pas les ordon­ner » (Homélie pour les ordi­na­tions du 29 juin 1976).

Les supé­rieurs des Instituts Ecclesia Dei ne peuvent asso­cier leur adhé­sion au Concile et leur reven­di­ca­tion en faveur de la messe de tou­jours. C’est l’exigence de la com­mu­nion ecclé­siale, fon­dée sur la double loi de la nou­velle croyance (Vatican II) et de la nou­velle prière qui l’exprime (la nou­velle messe de Paul VI) qui le leur inter­dit. Mais n’était-ce pas le constat déjà fait par le Pape Jean-​Paul II, au n° 5 de son Motu pro­prio Ecclesia Dei afflic­ta ? « À tous ces fidèles catho­liques qui se sentent atta­chés à cer­taines formes litur­giques et dis­ci­pli­naires anté­rieures de la tra­di­tion latine », y écrivait-​il, « je désire aus­si mani­fes­ter ma volon­té – à laquelle je demande que s’associent les évêques et tous ceux qui ont un minis­tère pas­to­ral dans l’Église – de leur faci­li­ter la com­mu­nion ecclé­siale grâce à des mesures néces­saires pour garan­tir le res­pect de leurs aspirations ».

Dans l’esprit de Jean-​Paul II, père et fon­da­teur de la Commission Ecclesia Dei et de la mou­vance du même nom, toutes les mesures prises en faveur de « cer­taines formes litur­giques et dis­ci­pli­naires anté­rieures de la tra­di­tion latine » s’expliquent en rai­son d’un seul et même but : faci­li­ter la com­mu­nion ecclé­siale aux fidèles issus du schisme lefeb­vriste. Trente-​trois ans après, le Motu pro­prio Traditionis cus­todes ne fait que prendre les mesures néces­saires pour assu­rer ce même but. Et le seul moyen de sau­ve­gar­der la messe de tou­jours, c’est de dis­si­per et de refu­ser le mirage de cette fausse « com­mu­nion ecclé­siale », basée sur une nou­velle foi, qui n’est pas la foi catho­lique. Les douze signa­taires sauront-​ils aller jusque là ? C’est la grâce que nous devons espé­rer pour eux, celle que peut leur obte­nir le Pape saint Pie X, qui, pour pré­ser­ver la vraie foi, a été rem­pli par Dieu d’une sagesse toute céleste et d’un cou­rage vrai­ment apostolique.

FSSPX

M. l’ab­bé Jean-​Michel Gleize est pro­fes­seur d’a­po­lo­gé­tique, d’ec­clé­sio­lo­gie et de dogme au Séminaire Saint-​Pie X d’Écône. Il est le prin­ci­pal contri­bu­teur du Courrier de Rome. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions doc­tri­nales entre Rome et la FSSPX entre 2009 et 2011.